1984 Derrière Winston, la voix du télécran continuait à débiter des renseignements sur la fonte et sur le dépassement des prévisions pour le neuvième plan triennal. Le télécran recevait et transmettait simultanément. Il captait tous les sons émis par Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus, tant que Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il n’y avait pas moyen de savoir si, à un moment donné, on était surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque, personne ne pouvait le savoir. On pouvait même imaginer qu’elle surveillait tout le monde, constamment. Mais de toute façon, elle pouvait mettre une prise sur votre ligne chaque fois qu’elle le désirait. On devait vivre, on vivait, car l’habitude devient instinct, en admettant que tout son émis était entendu et que, sauf dans l’obscurité, tout mouvement était perçu .
2020 - Le dernier comptage effectué en 2012 par la CNIL (Commission nationale informatique et libertés) faisait état de 935 000 caméras de surveillance installées sur notre territoire. Le nombre doit maintenant dépasser allègrement le million. Où sont-elles ? Partout ! Aux guichets de banque, dans les bureaux de tabac, les parkings, les couloirs de métro et même sur les lieux de travail. Avant un nouveau comptage, la dynamique ne n’infléchit pas sur le territoire : En 2018, 23 nouvelles caméras de vidéosurveillance ont été installées à Tours, le nombre de caméras dans cette ville ayant quadruplé en quatre ans. À Béziers, la mairie à fait savoir, dans un communiqué en janvier 2019, que la ville allait doubler le nombre de caméras de vidéosurveillance d’ici deux ans, passant de 90 début 2019, à 200 fin 2020, appuyant cette volonté d’un tweet et de mots dont je vous laisse juge.
Dès 2011, la Cour des comptes s’agaçait de l’absence d’évaluation de l’efficacité de cette approche sur la voie publique : « Les différentes études conduites à l’étranger, notamment au Royaume-Uni, aux États-Unis et en Australie ne démontrent pas globalement l’efficacité de la vidéosurveillance de la voie publique », s’inquiétait-elle même dans son rapport. Le flot d’images qu’elles diffusent est humainement impossible à regarder ! Et l’analyse automatique reste expérimentale.
En 2010, Laurent Mucchielli, directeur de recherche au CNRS, répondait lors d’une audition publique à un questionnement de la mairie de Toulouse qui souhaitait savoir si la vidéosurveillance était un bon moyen pour lutter contre les problèmes de délinquance et d’incivilités. En s’appuyant sur les recherches internationales et sur des évaluations locales réalisées en France des rapports publics, six constats ont été formulés :
1 - La vidéosurveillance de voie publique est une technologie qui présente à l’heure actuelle un faible intérêt comme outil de lutte contre la délinquance, tant en termes préventifs que répressifs.
2 - Elle se heurte à des limites inhérentes à la réalité délinquante, ainsi qu’à des limites en termes de coût financier, de carence doctrinale et de déficit chronique de coordination des différentes catégories d’agents publics (voire privés) concernés.
3 - Son principal impact est sans doute symbolique : la vidéosurveillance peut rassurer certaines personnes plus sujettes que d’autres au sentiment d’insécurité (commerçants du centre-ville, personnes âgées, etc.), elle peut aussi servir à des élus à afficher une politique de sécurité.
4 - Son coût est tel qu’il oblige fatalement à abandonner d’autres dépenses et à renoncer à d’autres types d’embauche d’agents contribuant à la tranquillité publique.
5 - La pression que l’État exerce actuellement sur les collectivités territoriales par le biais de l’incitation financière ainsi que par la mobilisation des préfets et des fonctionnaires de police et de gendarmerie a nécessairement d’autres raisons que la recherche d’une meilleure efficacité de la politique de sécurité. Le contexte de désengagement de l’État et de réduction des fonctionnaires en fait partie. La volonté d’affichage d’une politique permettant de masquer la persistance du haut niveau des problèmes de délinquance me semble également une hypothèse légitime. Les liens avec le monde de la sécurité privée seraient à explorer.
6 - Le pays européen le plus vidéosurveillé – le Royaume-Uni – est en train de faire machine arrière en parvenant à peu près aux mêmes constats. C’est ce qu’ont déclaré à plusieurs reprises ces dernières années les policiers londoniens et c’est ce qu’a entériné récemment le nouveau premier ministre Boris Johnson. En conclusion, un chercheur indépendant ne peut que mettre en garde les élus contre ce « mirage technologique » et rappeler qu’il existe bien d’autres façons d’essayer de réduire le niveau de délinquance dont souffrent l’ensemble de nos concitoyens.
Et Laurent Mucchielli de conclure :
« Un chercheur indépendant ne peut que mettre en garde les élus contre ce « mirage technologique » et rappeler qu’il existe bien d’autres façons d’essayer de réduire le niveau de délinquance dont souffrent l’ensemble de nos concitoyens. »
En 2018, le sociologue évoquait à nouveau dans son ouvrage, Vous êtes filmés ! Enquête sur le bluff de… la vidéosurveillance un gaspillage de l’argent public déniant toutes les recherches et études sérieuses. « Depuis plus de vingt ans, le monde scientifique, par la voix de chercheurs français et étrangers, ne cesse de juger, chiffres à l’appui, l’impact très limité de la vidéosurveillance sur l’insécurité ! »
À l’approche de 2020 la poursuite de la fuite en avant de certaines municipalités, démontre que la science à peu d’effet, sur des postures électoralistes.
Pour contre-argumenter, les fervents adeptes de l’utilisation de caméras évoquent le fait que le manque d’efficience régulièrement pointée – hier comme aujourd’hui – est, entre autres, lié au fait que cette dernière gagnerait en efficacité si elle était couplée à de la reconnaissance faciale. C’est désormais chose faite en France, mais pour l’instant de façon parcimonieuse. Pour rappel, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a autorisé la reconnaissance faciale avant d’embarquer dans l’Eurostar à la gare du Nord. Dans la même dynamique « pour fluidifier (Ndla : argument mis en avant) les contrôles aux frontières », des sas à reconnaissance faciale sont opérationnels depuis juillet 2018 dans les aéroports parisiens.
Pour autant, la CNIL n’est pas favorable à la généralisation de la reconnaissance faciale dans tous les lieux publics :
« Si cette technologie n’en est qu’à ses balbutiements, il importe de comprendre que son caractère intrusif est croissant puisque la liberté d’aller et venir anonymement pourrait être remise en cause. »
Les similitudes et analogies entre l’ouvrage « 1984 » et notre société contemporaine pourraient se multiplier. Mais je doute que le lecteur lise une chronique de 300 pages.
L’entretien de la peur fait recette pour la surveillance dans une époque où, tant pour le politique que pour certains secteurs d’activités liés à la protection des personnes : ici pour légitimer des lois controversées, là pour multiplier les offres de produits sécurisants le citoyen chez lui. Si nous pouvons pointer des arguments fallacieux niant les conclusions d’experts sur des dérives d’usages à fin électoraliste, nous ne pouvons pourtant pas nier la recrudescence des cambriolages. Depuis le 1er janvier dernier (Ndla 2019), les cambriolages en France ont augmenté de 1,15 %, passant ainsi de 114 917 à 116 237 faits qui ont été dénoncés auprès des autorités.
Dans ce contexte, le marché de la vidéosurveillance (partie intégrante du domaine de la sécurité) se porte bien. Comme le souligne une étude de MSI publiée en mai 2019, cette croissance – même si elle se ralentie du fait du non renouvellement d’usagers déjà équipés – est « favorisée par le maintien d’un sentiment d’insécurité important, mais également par la diminution de la réticence à l’installation de caméras tant dans l’espace public que privé ».
En 2020, « 1984 » n’a pas perdu son statut de chef d’œuvre. Celui de dystopie est devenu plus discutable. La dystopie est presque devenue réalité, mais une dystopie… dysfonctionnelle : problématique de tri des données récoltées, de l’efficacité des outils de surveillance… avec la complicité des citoyens (par exemple, le développement de la possibilité de vendre ses données personnelles). Pour combien de temps le sera-t-elle encore (dysfonctionnelle) ? Je l’ignore. De là ou George Orwell observe Londres, la ville où il est décédé le 21 janvier 1950 et qui compte aujourd’hui plusieurs centaines de milliers de caméras, ce dernier doit songer aux vers d’Alfred de Musset (La Coupe et les lèvres, 1831) :
Je hais comme la mort l’état de plagiaire ;
Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre
C’est bien peu, je le sais, que d’être homme de bien,
Mais toujours est-il vrai que je n’exhume rien. »
SECURITE La Quadrature du Net, la Ligue des droits de l’Homme, CGT Educ’Action des Alpes-Maritimes et la Fédération des conseils de parents d’élèves s’associent. Le mouvement entend « résister à la surveillance totale de nos villes et de nos vies ».
Dans une petite salle sans fenêtre du centre-ville de Nice, ça cause « big data », « smart-city » et « intelligence artificielle ». Des mots qui, accolés aux questions de sécurité, inquiètent les responsables de la Quadrature du Net, de la Ligue des droits de l'Homme, de la FCPE 06 et de la CGT 06. Ces quatre organisations lancent « Technopolice », une campagne « contre la surveillance technologique de l’espace urbain à des fins policières ». Le mouvement entend « résister à la surveillance totale de nos villes et de nos vies ».
Si le collectif Technopolice a choisi Nice pour lancer sa campagne, ce n’est pas vraiment un hasard. C’est ici que la reconnaissance faciale a été expérimentée lors du carnaval et qu’un lycée va tester les portiques intelligents. C’est aussi dans la capitale azuréenne que la détection des émotions dans le tram est en projet et que le programme Safe-city met en relation toutes ces données.
« On a constaté un développement de ces dispositifs de surveillance sans vraiment de contrôle, sans aucun débat public, sans réflexion sur les droits fondamentaux, explique Martin Drago de la Quadrature du Net. Les questions de libertés ne sont pas assez abordées. Or, on ne va pas sortir manifester dans la rue de la même façon si on sait qu’on va être identifié. La notion de consentement, la finalité du traitement de nos données, l’anonymisation des données personnelles sont des questions importantes. »
Contactée, la ville de Nice n’a pas souhaité réagir.
« Il y a toujours ce flou »
Ces quatre associations s’étaient déjà réunies. C’était en février pour une procédure commune. Ensemble, ils ont saisi le tribunal administratif pour s'opposer à l’expérimentation de la reconnaissance faciale dans les lycées de la région Sud.
Désormais rassemblées en collectif, elles ont créé un site web avec un forum, une base de données documentaires et une plateforme afin de coordonner les recherches et les actions autour de la « surveillance technologique ». « On dénonce l’opacité de ces projets. Qu’est-ce que ça va donner ? Quand ça va commencer ? On ne comprend pas, affirme Martin Drago. Il y a toujours ce flou où c’est à nous d’aller creuser pour savoir ce qui va se passer. » Technopolice a déjà tracté devant le lycée Ampère de Marseille, toujours au sujet des portiques de sécurité.
Le collectif s’inquiète de la confidentialité et de la marchandisation des données. « On est convaincus que les enfants sont de futurs citoyens, pointe Laetitia Siccardi de la FCPE 06. La question des libertés fondamentales n’est pas à mettre de côté. Il faut que nos enfants soient conscients qu’ils ont des libertés et que c’est précieux. »
Nos visages méritent-ils d'être autant protégés que nos informations personnelles ? La reconnaissance faciale débarque, sans réel encadrement, et la protection des données biométriques reste plus que jamais essentielle...
L'association des américains accidentels a porté plainte contre la France auprès de la Commission européenne pour violation du droit de l'Union européenne. Elle accuse la législation américaine Fatca, qui oblige les banques européennes à transmettre au fisc américain les données bancaires de leurs clients nés aux États-Unis, de ne pas respecter le droit communautaire en matière de protection des données.
C'est une nouvelle étape dans le combat mené par les américains accidentels. L'Association des américains accidentels a annoncé avoir déposé, ce jeudi 3 octobre, une plainte contre la France auprès de la Commission européenne, après avoir été déboutée en juillet par le Conseil d'Etat du refus de ses membres d'être assujettis à une réglementation fiscale. Cette réglementation, le Foreign account tax compliance act (Fatca), adopté par Washington en 2010 et appliqué en France depuis 2014, permet à l'administration fiscale américaine de demander aux banques étrangères des informations sur leurs clients considérés comme des "personnes américaines".
L'association considère que l'accord intergouvernemental franco-américain du 14 novembre 2013, qui permet l'application du Fatca en France, "viole le règlement général de l'UE sur la protection des données" en autorisant le stockage et la transmission massifs aux Etats-Unis des données personnelles", selon un communiqué. Selon les "Américains accidentels", le mécanisme de transmission de données "ne tient pas compte du fait que la plupart de ces personnes n'ont aucun lien avec les États-Unis" et "ne permet pas aux personnes concernées d'accéder aux données qu'elles ont transmises ni de corriger les erreurs qui pourraient s'y glisser".
Le Conseil d'Etat avait pour sa part estimé lors d'une audience début juillet que le Fatca ne présentait pas de défaut d'exécution "avéré" mais tout au plus "des difficultés techniques de mise en oeuvre". Selon le communiqué de l'association, "la Commission européenne dispose d'un délai de 12 mois à compter du 3 octobre pour examiner l'affaire et décider s'il y a lieu d'engager une procédure formelle d'infraction contre la France." La Fédération bancaire française (FBF) avait pour sa part prévenu fin juillet que les banques françaises "pourraient être contraintes de fermer 40.000 comptes d'ici à la fin 2019 faute d'accord sur l'application d'une règlementation fiscale américaine". En refusant de transmettre les informations demandées par les autorités américaines, les banques s'exposeraient à des sanctions à hauteur de 30% de leurs flux financiers avec les Etats-Unis, avait expliqué le patron de la FBF, Laurent Mignon.
En 2017, les Etats-Unis avaient accepté un moratoire valide jusqu'à la fin décembre 2019, stipulant qu'il n'y aurait pas infraction si, faute d'un identifiant fiscal, les banques fournissaient la date de naissance des clients concernés et leur demandaient chaque année des identifiants fiscaux. Mais cette dérogation prendra fin au 1er janvier 2020, "y compris pour les comptes ouverts avant cette date", selon la FBF. Il y a donc urgence à trouver une solution.
En plein été, une installation stratégique de la plus grande station d’épuration des eaux usées d’Europe est totalement détruite par le feu à trente kilomètres de la capitale. Il faudra entre trois et cinq ans pour la reconstruire, au prix, dans l’intervalle, d’une pollution gravissime de la Seine. Ce site n’a cessé d’enregistrer des sinistres de plus en plus graves depuis plusieurs années. Sa gestion est entachée par des dévoiements sans précédent en matière de marchés publics. Un désastre absolu, qui ne suscite qu’une inquiétante indifférence.
Civilizations de Laurent Binet imagine l’échec de l’expédition de Christophe Colomb et la conquête de l’Europe par les Incas. En attendant Nadeau a demandé à l’écrivain Frédéric Werst, qui dans la série des Ward (Seuil, 2011 et 2014) a inventé une civilisation et a traduit sa langue, de lire ce roman, qui pose question. L’inversion de l’histoire par la fiction est-elle réussie d’un point de vue littéraire ? À quel discours cette uchronie peut-elle mener si elle est uniquement centrée sur l’Europe ?
Laurent Binet, Civilizations. Grasset, 384 p., 22 €
Civilization est le nom d’un célèbre jeu vidéo de Sid Meier. Les amateurs auront fait le rapprochement. Pour les autres, disons que ce jeu de stratégie consiste à incarner et à développer une « civilisation » historique, le but étant de surpasser les civilisations concurrentes. Le roman de Laurent Binet pourrait raconter une partie de Civilization : dans ce jeu, rien n’empêche les Incas de vaincre les pays européens, ce qui est, en gros, le scénario choisi par l’auteur.
En plaçant son livre sous le patronage de ce jeu vidéo, Binet semble en indiquer l’intention ludique. De fait, il s’agit de jouer avec l’histoire et de rejouer l’histoire : autrement dit, le projet est « uchronique ». Le genre a lui-même une longue histoire et la question de l’Amérique en a tenté plus d’un : dans Civilizations, Christophe Colomb ne découvre pas le Nouveau Monde ; l’excellente Réfutation majeure de Pierre Senges (2004) visait à démontrer l’inexistence de ce continent.
Le roman de Binet se révèle en effet ludique, divertissant, romanesque, souvent épique. Pour peu que le lecteur ait une honnête connaissance du XVIe siècle, il pourra s’amuser de retrouver les figures historiques de l’époque, mais jetées dans une intrigue entièrement inédite. Car c’est ici l’Inca Atahualpa qui mène le jeu, secondé de ses généraux et de son alliée, la princesse taïno Higuénamota.*
Le talent narratif de l’auteur est évident. L’organisation du texte en chapitres assez brefs lui confère une grande vivacité. Les titres des chapitres sont souvent fonction des lieux traversés. On voyage donc de Chichen Itza (sic) à Cuba, de Lisbonne à Tolède, d’Alger à Wittenberg, etc. C’est plaisant.
Sa nature uchronique impliquait que Civilizations soit le récit d’un perpétuel déplacement. Non seulement entre les pays, mais encore entre les mots qui nommeront les choses. Dans la troisième partie du roman (de loin la plus étendue), le regard inca nous donne à voir un monde renversé. Tout y est déplacement : l’Europe est « le Nouveau Monde », ses habitants sont des « Levantins », les moutons deviennent de « petits lamas blancs », le vin s’appelle le « breuvage noir », les moines catholiques sont des « tondus », et ainsi de suite. Ce jeu de décentrement, qui n’est au fond que le vieux procédé des Persans de Montesquieu, est amusant. Binet le renouvelle en usant d’un lexique quechua, moins familier aux lecteurs que la terminologie orientaliste : partout, il est question d’ayllus (lignages), d’amautas (poètes-philosophes), de curacas (seigneurs), de huacas (fétiches, lieux sacrés), etc. Ce dépaysement linguistique contribue à la dimension aventureuse du roman.
Le texte se recommande aussi par sa polygraphie. Divers régimes d’écriture s’y succèdent : pastiche de saga islandaise ; journal de Christophe Colomb ; Chroniques d’Atahualpa, évidemment fictives ; poèmes ; correspondances (entre Érasme et Thomas More, notamment) ; histoire de Cervantès et du Greco ; et même une parodie des « 95 thèses » de Luther. C’est aussi un voyage entre les genres littéraires qui nous est proposé.
Disons-le : la parodie, les réécritures et les allusions littéraires sont omniprésentes. Selon les lecteurs, c’est un parti pris qui suscitera jubilation ou saturation. Les Incas débarquent-ils au Portugal, aussitôt nous voici dans Candide : un tremblement de terre a ravagé tout Lisbonne. S’ensuit, sans surprise, le récit d’un autodafé. C’est toute la Renaissance qui défile sous nos yeux, mais en quelque sorte à l’envers et de travers. Veut-on une Saint-Barthélemy ? Binet fait massacrer les catholiques de Tolède par Atahualpa et ses amis. Est-il question du Louvre ? On apprend que les Aztèques ont érigé une pyramide dans la cour du palais… Le jeu de l’uchronie est infini, et l’inventivité de Binet presque inépuisable, dans ses rapprochements cocasses, ses renversements ironiques, ses contrepieds anachroniques. Parfois, la littérature et l’histoire s’entrechoquent de façon plus saugrenue : l’Inca sera finalement assassiné par un certain Lorenzo de Médicis… qui n’oubliera pas, bien sûr, de citer le Lorenzaccio de Musset. Les dernières paroles d’Atahualpa seront la parodie de celles du duc, même si le fameux « C’est toi, Renzo ? » devient « C’est toi, Laurent ? » – peut-être un hommage de l’auteur à… lui-même ?
Certes, le souffle parodique qui inspire ce roman s’avère parfois un peu court. Binet réécrit ainsi quelques strophes des Lusiades de Camoens, afin de célébrer en vers classiques le périple glorieux des Incas. Cependant, certains de ses alexandrins sont faux : « Et moi, fils d’un père, entre les dieux Auguste » (p. 178 [1]). De même, son Atahualpa paraphrase Montaigne : « il y avait parmi les habitants des hommes pleins et gorgés de toutes sortes de commodités, et leurs semblables étaient mendiants à leur porte » (p. 134), sauf que les « cannibales » qui parlent ainsi dans les Essais sont des Tupinambas dont la société est égalitaire et non étatique. Prêter ces mêmes réflexions à l’Inca, qui règne sur un Empire très hiérarchisé, paraît douteux, sauf à considérer qu’un Indien sud-américain en vaut bien un autre.
Au point de vue historiographique, le goût de Binet pour la réécriture et la citation masquée participe à la crédibilité de son récit. Le « Journal de Christophe Colomb » est ainsi, pour son premier tiers, composé entièrement de phrases que l’auteur a extraites mot pour mot du journal de bord du navigateur, d’ailleurs œuvre de Las Casas.
De même, on trouvera au sujet des Incas quantité de faits qui proviennent de sources écrites remontant à la conquête. Il n’est pas jusqu’au « manteau en duvet de chauve-souris » (p. 104) qui ne soit attesté, l’anecdote ayant été rapportée par Pedro Pizarro. Dans ce domaine, le roman est bien documenté.
Ailleurs, on a parfois des inadvertances. Ainsi, la devise de Charles Quint n’est pas du latin (« le langage savant des amautas », p. 152) mais du français, la langue natale de ce roi. D’autre part, le nom de l’Albaicín, quartier de Grenade, ne signifie pas « misérables » (p. 150) comme l’indique Binet, qui recopie l’erreur du Wikipédia français : aucun site espagnol n’évoque cette hypothèse.
Ces peccadilles peuvent conduire à de vraies méprises. Par exemple, page 158 : « Après tout, “Allah est le plus grand” ne veut pas dire que seul Allah est grand. Leur devise même permettrait peut-être la coexistence de leur dieu unique avec des divinités secondaires. » Seule la méconnaissance de l’islam peut inspirer cette réflexion. D’abord, Allah akbar n’est pas une « devise » ! Ensuite, il existe dans l’islam la shahâda, qui dit justement : « Il n’y a pas d’autre dieu que Dieu »… Les morisques de Binet ne peuvent tout simplement pas penser ce qu’on leur fait penser.
Bizarrement, c’est quand il fait parler des humanistes européens que Binet sonne le plus faux. Par exemple, quand Érasme écrit à More que la venue d’Atahualpa est « une chance pour l’Europe » (p. 192)… On croirait une affiche électorale. Au demeurant, le mot « Europe » est anachronique : on ne l’emploie au XVIe siècle que dans un sens cosmographique, jamais culturel ni politique. Dans le Plaidoyer pour la paix, quand Érasme veut dire « Europe », au sens moderne de « civilisation européenne », il dit christiani. De même, se peut-il que More, dans une lettre de 1534, redoute de voir la chrétienté sombrer dans l’« athéisme » (p. 187), quand ce mot n’existe pas encore [2] ?
C’est qu’il ne suffit pas de semer quelques moult de-ci de-là pour se mettre à penser comme un homme de la Renaissance. Les humanistes de Binet pensent et parlent en gens du XXIe siècle. Tout comme ses Incas pensent en Européens. À peine arrivé au Portugal, Atahualpa envisage de « conquérir ce Nouveau Monde » (p. 110) : le renversement est peut-être ironique, mais qui nous assure que les Incas eussent été des conquistadors ? Les peindre à notre image, n’est-ce pas, une fois de plus, les nier ?
De même, n’est-il pas scabreux d’imaginer Atahualpa haranguant ses troupes indiennes en leur donnant pour modèles héroïques Roland, Léonidas ou Hannibal (p. 142-143), comme si la culture inca n’avait pas ses propres héros ? Ou de voir son frère Huascar réclamer des « peintures magiques qui donnent l’illusion de la profondeur » (p. 179), comme si la perspective inventée par les Européens était le nec plus ultra de l’art universel ?
On aurait donc tort de voir dans Civilizations une quelconque réflexion sur le colonialisme ou la mondialisation. Malgré ses atours « humanistes », ce roman est chargé d’ethnocentrisme. On nous raconte en effet que les Incas colonisent l’Europe, certes, mais que c’est grâce au fer et aux chevaux qui leur ont jadis été apportés par… des Vikings ! Et pourquoi pas des Africains ou des Asiatiques ? Voilà d’où part toute l’histoire. Et pour aboutir à quoi ? À ceci : Cervantès et le Greco sont finalement envoyés au Mexique dont les empereurs « recherchent peintres et gens de lettres, car peinture et écriture sont deux domaines où ces empires formidables, si puissants soient-ils, ne peuvent encore se prévaloir de leur supériorité sur nous autres du vieux monde » (p. 376). Qu’on se rassure : la « civilisation » européenne demeure l’alpha et l’oméga. On se demande au passage quel besoin les Aztèques peuvent bien avoir d’un Cervantès qui ne connaît même pas le nahuatl…
Mais bon, Laurent Binet ne met-il pas en scène des Incas sans savoir lui-même leur langue, sans connaître intimement leur culture ? En cela aussi, son roman s’inscrit dans la grande tradition ethnocentrique : celle qui consiste, pour l’Occident, à s’approprier les civilisations étrangères, à en annexer la pseudo-altérité, à en exploiter le « romanesque » – nonobstant les génocides bien réels que ces peuples ont subis. Mieux encore : en imaginant la conquête de l’Europe par des Incas, Binet part du postulat, historiquement discutable, que le colonialisme serait en quelque sorte un invariant de la « nature humaine », dont toute civilisation serait porteuse, et non un fait spécifiquement occidental.
S’aveugler sur son propre ethnocentrisme, prêter aux autres civilisations ses propres rêves coloniaux : on pourrait attendre autre chose d’un roman européen du XXIe siècle. Mais c’est uchronique ! C’est parodique ! C’est ludique ! C’est ironique !
La momie d’Atahualpa, si elle existe, doit être morte de rire.
Rappel : La reconnaissance faciale s’apprête à déferler en France. Pour documenter et résister à ces déploiements, rendez-vous sur technopolice.fr et son forum !
Mardi 24 septembre, La Quadrature était conviée à la « vingt-quatrième journée technico-opérationnelle de la sécurité intérieure », qui se tenait dans un amphithéâtre bondé de la Direction générale de la gendarmerie nationale. Ces rencontres sont organisées tous les six mois par le ministère de l’intérieur, et celle-ci avait pour thème : « reconnaissance faciale : applications – acceptabilité – prospective ».
Les rencontres « technopolice » sont marquées par un fort entre-soi, mêlant fonctionnaires du ministère de l’intérieur, chercheurs et industriels de la sécurité (à l’exception de la Quadrature, un avocat critique était également invité, ainsi que deux personnes de la CNIL qui s’en sont tenu à un simple rappel du droit applicable). Et dans cette atmosphère feutrée, notre intervention semble avoir détonné, comme en témoigne le compte-rendu de cette journée publié par l’Essor, le journal des gendarmes.
Nous étions sincèrement reconnaissants de l’invitation, et contents d’assister à des présentations fournissant des informations de première main qui sont autrement très difficiles d’accès pour les militants ou chercheurs travaillant sur ces questions. Nous l’avons rappelé en introduction de notre propos. Mais pour nous, l’enjeu était aussi de faire valoir une parole dissonante et de rappeler que, au moment où la reconnaissance faciale s’apprête à déferler dans nos sociétés, ces échanges entre opérationnels et développeurs industriels devaient faire l’épreuve de la controverse.
Voici donc une sorte de verbatim plus ou moins fidèle de notre intervention…
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« Merci de votre invitation. De tels échanges sont trop rares. Et en dépit des désaccords fondamentaux, ils ont le mérite de créer un peu de porosité entre nos mondes.
La Quadrature du Net est une association fondée en 2008 pour résister aux formes de contrôle d’Internet qui allaient à l’encontre des libertés publiques. Aujourd’hui, nous nous rendons pleinement compte de la justesse des combats des années 1960 et 1970, où des groupes militants associaient l’informatique à la domination bureaucratique. Ils l’associaient à un régime technocratique plutôt que démocratique, non pas fondé sur l’autonomie et la liberté mais sur l’expertise alléguée de quelques hauts pontes formés dans les écoles d’élite.
Ce régime technocratique est toujours le nôtre. L’insistance mise sur le critères d’efficacité lors de cette journée l’illustre de bien, de même que l’extrême faiblesse de la prise en compte des aspects non seulement juridiques et éthiques, mais aussi proprement politiques de technologies comme la reconnaissance faciale.
La domination technocratique évite la confrontation démocratique. Ces 24ème rencontres « Technopolice » en fournissent là encore un exemple : aucune information ne doit filtrer, les participants étant astreints à un « engagement de non-divulgation ». De même, la présence en ligne de ces rencontres qui existent depuis années est quasi nulle. De fait, aucune information ne filtre. Une confidentialité qui entache tout ce dont on discute ici d’un grave déficit de légitimité démocratique, alors même que tout cela est incontestablement d’intérêt public.
Indirectement, l’extrême discrétion qui entoure ces rencontres nous a été utile, nous permettant d’utiliser le mot « technopolice » pour lancer, avec d’autres acteurs associatifs, notre propre campagne le 16 septembre dernier. En inscrivant le terme dans un moteur de recherche pour voir si nous étions les premiers à vouloir l’utiliser, nous avions découvert des traces de ces rencontres, mais si peu nombreuses que nous avions alors pensé que ce n’était pas un problème que de reprendre ce terme à notre compte (et ce n’est que quelques mois plus tard que nous recevions votre invitation à venir ici aujourd’hui…).
En écoutant vos présentations, nous mesurons une nouvelle fois le fossé qui sépare la réalité des usages de l’informatique dans le cadre de la surveillance d’État, et les informations publiques qui filtrent à son sujet. C’est justement contre ce secret que notre campagne vise à documenter les projets technopoliciers, et à permettre à chacun de se mobiliser pour dire notre refus collectif de ces technologies de contrôle qui essaiment partout en France.
Ces technologies sont très largement développées dans le cadre de la recherche publique, parfois avec le contournement explicite du cadre juridique applicable en Europe. C’est par exemple le cas lorsque des chercheurs français travaillent avec des homologues chinois pour perfectionner leurs algorithmes de reconnaissance faciale grâce aux bases de données de visages de citoyens chinois. Ou, comme on l’a appris ce matin, quand le gouvernement français passe un accord de sécurité avec celui de Singapour afin qu’un industriel français puisse passer outre les réserves de la CNIL et expérimenter le scan en temps réel sur les visages d’une foule dans un hub de transport de la ville-État. On ne peut s’empêcher de voir dans ces manœuvres un écho pas si lointain des expérimentations et mesures d’exception pratiquées à l’époque coloniale sur les peuples colonisés, avant d’être réimportées en métropole.
Outre la recherche publique, ces développements technologiques sont pilotés par des personnes en situation relevant plus ou moins directement du conflit d’intérêt, avec de nombreux croisements et hybridations entre secteur public et privé. Ils aboutissent aujourd’hui à des expérimentations locales hautement subventionnées pour assurer la compétitivité des industriels français sur ce marché porteur. Le tout, là encore, sans information transparente ni vrai débat public. Rien ne doit entraver le progrès de la technopolice.
La question de la légalité de ces outils est aussi largement éludée. Et quand elle est abordée, c’est toujours pour évoquer les restrictions que le cadre juridique existant imposerait à leur développement, et non sur les atteintes graves et injustifiables que ces outils portent à nos libertés fondamentales. Nos libertés d’expression, de manifestation, d’aller et venir sont pourtant bien en jeu ici, tout comme notre droit à la vie privée. Il faut s’interroger sur l’atteinte intrinsèquement disproportionnée à nos libertés que représente un outil comme la reconnaissance faciale, disproportion que souligne d’ailleurs la ville de San Francisco dans son ordonnance qui en interdit l’usage à ses policiers : « La propension de la technologie de reconnaissance faciale à mettre en danger les droits civils et les libertés civiles l’emporte largement sur les avantages escomptés (…) ». Il faut aussi s’interroger sur la compatibilité des dispositifs fantasmés par la Préfecture de police de Paris et bien d’autres avec la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui soulignait, déjà en 1993, l’illégalité de « pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires ».
C’est pour cette raison que nous avons déjà déposé deux recours, pour lutter contre la normalisation et la banalisation d’un tel outil : l’un contre la délibération de la Région Sud autorisant une expérimentation de portiques biométriques dans deux lycées, l’autre contre l’application AliceM, développée par le ministère de l’Intérieur, et qui veut faire de la reconnaissance faciale une la clé de voûte d’une future identité numérique.
Sans doute aimeriez-vous que, face à l’inéluctabilité de nouvelles lois destinées à encadrer les dispositifs présentés aujourd’hui, nous puissions offrir des conseils sur ce que seraient des lois « socialement acceptables » et « juridiquement soutenables » ? Le Forum Économique Mondial et le Conseil national du numérique nous ont eux aussi proposé de participer à une série de dialogues sur l’encadrement de la reconnaissance faciale.
Un peu plus de transparence, un semblant de contrôle par la CNIL, une réduction des biais racistes et autres obstacles apparemment « techniques » auxquels se heurtent ces technologies, et l’on croit possible d’assurer un compromis « éthique » entre la défense technologique de l’ordre public et l’État de droit. Ces projets de loi viendront. Le pouvoir politique y sera réticent car, sauf à instrumentaliser les enjeux de sécurité (ce dont il est certes désormais coutumier), il n’y a généralement pas grand-chose à gagner à faire passer des lois de surveillance.
Pour notre part, il est probable nous soyons une nouvelle fois contraints de travailler sur ces projets de loi sécuritaires, pour défendre les droits humains et limiter la casse. Pour utiliser le droit dans le but d’entraver au maximum l’usage de ces technologies.
Mais nous vous le disons tout net : après y avoir réfléchi, nous considérons que la reconnaissance faciale et autres technologies technopolicières doivent être proscrites. Elles mènent l’humanité vers une pente dangereuse : ces technologies permettent d’insidieuses formes de contrôle au bénéfice de quelques maîtres seul capable de « réviser les paramètres » des machines à son service.
Plutôt que de discuter des modalités d’un « encadrement approprié », nous exprimons donc notre refus vis-à-vis de de ces technologies policières. Nous pensons à nos grand-mères et à nos grand-pères qui, s’ils avaient du vivre au début des années 1940 dans un monde saturé des technologies que vous fabriquez, n’auraient pas survécu plus de trois semaines dans la clandestinité, et n’auraient donc pas pu organiser des réseaux de solidarité dissidents pour résister au régime nazi.
Nous disons notre refus car pour nous, la sécurité c’est d’abord des logements dignes, un air sain, la paix économique et sociale, l’accès à l’éducation, la participation politique, l’autonomie patiemment construite. Et que ces technologies n’apportent rien de tout cela. Elles semblent d’abord et avant tout conçues pour vider nos régimes politiques de tout essence démocratique en assurant un téléguidage de nos conduites. Sous prétexte d’efficacité, elles aboutissent à déshumaniser encore davantage les rapports qu’entretiennent les bureaucraties policières avec la population.
C’est peut être l’une des premières fois que, vous tous qui travaillez depuis longtemps sur ces déploiements technologiques, vous êtes confrontés a une opinion réellement dissonante. Peut être y verrez-vous le signe de l’inutilité de ce type d’échanges. Nous espérons qu’au contraire, vous comprendrez qu’il s’agit d’une confrontation nécessaire trop longtemps retardée – retardée jusqu’à nous mettre pratiquement dans la situation du fait accompli. Et nous espérons que vous comprendrez que ce débat, vous ne pourrez plus y échapper. Vous devez entendre notre refus ».
Au fond, les gens qui vomissent sur la jeune activiste n'ont pas un problème avec ce qu'elle dit, mais avec qui elle est.
Le rapport du GIEC rendu public mercredi 25 septembre, qui se concentre sur les océans et la cryosphère, rappelle que même si on arrêtait tout de suite les émissions de CO2, le monde ne redeviendrait pas comme avant. Les premiers changements sont déjà constatés par les scientifiques et l'effort doit maintenant se concentrer pour en limiter les effets. Ce n'est pas de la science-fiction ou un scénario plus ou moins probable, ça a déjà commencé. C'est en cours.
Mais au lieu de discuter des mesures à prendre immédiatement, on peut aussi insulter Greta Thunberg.
On peut se demander comment on modifie l'économie mondiale en quelques mois, si chaque pays doit commencer à s'organiser individuellement pour tenter d'assurer sa préservation ou si on doit privilégier des négociations internationales sans fin.
Ou bien, on vomit sur une ado de 16 ans.
Vous me direz, c'est plus facile de déblatérer sur l'adolescence que sur des sujets scientifiques dont la plupart des éditorialistes n'ont pas le début d'une connaissance. Vous imaginez s'il fallait se farcir des rapports de climatologues pour pouvoir commenter l'actualité? Alors que vous pouvez vous contenter de regarder intensément la photo d'une ado et de vous demander ce qu'elle vous évoque aux tréfonds de vous-même et si vous aimez son regard.
Au début, je m'étais dit que je n'allais pas faire comme les vomisseurs. Je n'allais pas parler des vomisseurs qui vomissent sur Greta Thunberg au lieu de parler de la situation écologique. Et puis, comme je suis encore une douce enfant innocente, j'ai été estomaquée devant la violence des attaques dont elle est la cible. Ça me paraissait fou, délirant, incompréhensible. L'ampleur et la virulence de la logorrhée. On aurait dit que ces gens déféquaient par la bouche. Peut-être qu'il y a quelque chose à en dire tout de même, de cette haine brûlante.
Évidemment, avec mon prisme habituel, j'ai commencé par me demander si les réactions auraient été aussi épidermiques si Greta avait été Sven. C'est impossible à démontrer, mais je suis intimement convaincue que non. Je pense qu'une partie de la haine anti-Thunberg s'explique par la réactivation d'une vieille figure: la sorcière.
Greta, c'est leur sorcière moderne. Il n'y a pas si longtemps, ils l'auraient tout simplement cramée.
Déjà, ils sont convaincus qu'elle est possédée. (Elle est manipulée par des forces extérieures, des lobbys, dont elle est l'outil.) (Parce que forcément, une gamine de 16 ans ne peut pas avoir fait tout ça d'elle-même.) Preuve supplémentaire: elle porte la marque physique du malin. On sait que les inquisiteurs cherchaient partout sur le corps des femmes un indice de leur rencontre avec le diable.
Avec Greta, pas besoin de chercher bien loin. Ils sont convaincus de voir dans son visage, dans son regard, quelque chose de l'ordre de la possession démoniaque. Ils ont décidé que son visage était une preuve qui témoignait contre elle. C'est d'une violence absolue.
Greta Thunberg déroge aussi à ce qu'elle devrait être, et même trois fois. Elle trahit d'abord son identité de femme. Elle n'est clairement pas là pour être agréable, douce, séductrice. Pour un peu, on dirait même qu'elle se contrefout de ce qu'on peut penser de son corps –ce qui constitue une forme de trahison de l'ordre social.
En prime, elle ne tient pas sa position d'ado. Les jeunes doivent être plein d'espoir et écouter les grandes personnes. Elle, elle se permet d'engueuler les dirigeants des plus grandes puissances mondiales.
Elle trahit enfin le stéréotype attendu concernant l'autisme. Pour les vomisseurs, elle est autiste = elle est malade ou handicapée, donc par déduction, elle devrait être privée de parole et s'entraîner à compter le nombre d'allumettes dans une boîte. Le vomisseur s'étrangle: depuis quand on laisse des gens comme ça donner leur avis sur l'état du monde?
Le problème, ce n'est pas ce que Greta Thunberg dit (qu'on peut résumer grosso modo par «écoutez les scientifiques») mais qui elle est, ou encore plus précisément: comment, en étant ce qu'elle est, c'est-à-dire jeune/femme/autiste, elle peut oser prendre cette parole et cette place. Son identité devrait lui interdire l'accès à la parole sous cette forme-là.
Ce qu'il y a de plus révolutionnaire à mes yeux chez elle, c'est qu'elle ne s'excuse pas de parler. Elle parle sur un pied d'égalité. Elle parle haut et fort en piétinant les assignations de genre et d'identité diverses.
Parce que la seule chose qui compte à ses yeux, c'est son sujet.
Parce que le réchauffement entraîne la fonte du permafrost, qui va provoquer la libération de centaine de milliards de tonnes de gaz à effet de serre.
Parce que face au plus grand danger que l'espèce humaine ait eu à affronter, il y a autre chose à foutre que de reprocher à une jeune femme sa colère.
La décision de Google pour l'affichage par défaut des actualités avec seulement les titres et les liens - pour ne pas avoir à payer de droits voisins - suscite la colère du gouvernement.
La réponse de Google à la directive européenne et sa transposition dans la législation française en créant un droit voisin pour des agences de presse et éditeurs de presse était presque évidente. Les signes avant-coureurs avaient été suffisamment clairs.
Pourtant, la surprise semble de mise pour le gouvernement qui ne décolère pas, le ministre de la Culture en tête. Pour Franck Riester, " les déclarations de Google sur la question de la rémunération ne sont pas admissibles. […] La proposition de Google n'est évidemment pas acceptable. "
Avec les résultats de recherches en rapport l'actualité, Google a décidé qu'il n'affichera plus par défaut des aperçus d'articles avec quelques lignes ou les petites images. Un moyen de se soustraire à un paiement de droits voisins.
Le cas échéant, les éditeurs et agences de presse pourront donner l'autorisation d'afficher des contenus enrichis, mais sans rémunération en contrepartie.
La décision de @Google n’est pas que regrettable. Elle est irrespectueuse de l’esprit de la directive européenne et du droit français. >https://t.co/WruTHkiEJy
— Cédric O (@cedric_o) 25 septembre 2019
Secrétaire d'État en charge du Numérique, Cédric O estime que la décision de Google est " irrespectueuse de l'esprit de la directive européenne et du droit français. " Franck Riester indique qu'il va prochainement s'entretenir avec ses homologues européens " pour remédier à la situation. " Dans le même temps, il appelle à " une véritable négociation globale entre Google et les éditeurs. "
Google a déjà fait valoir ses initiatives en faveur du soutien à la presse pour développer de nouvelles sources de revenus, en plus " d'orienter les internautes vers les sites d'information qui en tirent un revenu supplémentaire. " Autrement dit, en générant du trafic sur les sites.
Dans "I have a dream", Martin Luther King avait transmis ses convictions chargées de ses émotions. Avec "How dare you?", les larmes et la rage de Greta Thunberg nous bouleversent là où un énième plan désincarné aurait échoué.
Jacky Isabello
Co-Fondateur de l'agence CorioLink, spécialiste de communication politique et auteur, administrateur du Think Tank SYNOPIA
La catilinaire “How dare you?” lancée par la jeune activiste suédoise Greta Thunberg le 23 septembre à l’occasion du “climate action summit” organisé à la demande du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres disposera-t-elle de la même place au Panthéon des grands discours, que la proclamation “I have a dream” du pasteur King en août 1963? Je le pense!
Simon Sinek dans sa théorie des golden circle, explique ce qui fonde les actes mobilisant, les marques engageantes, les paroles transcendantes. La proclamation de Martin Luther King est passée à la postérité, alors qu’il n’était pas le seul noir américain, prêcheur de talent, à s’engager en faveur de la défense des civil rights, parce qu’à la différence d’autres, plus enclin à dresser un catalogue de mesures, M. King fut le premier à instiller dans son adresse, nous dit Sinek, ses convictions intimes, chargées essentiellement de ses émotions. Il a offert à son auditoire la possibilité de réaliser que les rêves de M. King étaient aussi les leurs. S’il recourt au même principe avec un ton certes bien différent, le discours de Greta Thunberg entrera lui aussi dans l’histoire. Un jour, il sera étudié dans les manuels scolaires.
Un discours qui secoue les tripes!
Certes, le ton est moins positif que celui du Docteur King. Il passe par le canal de la colère plutôt que celui de l’espérance. Car M. King aurait été immédiatement embastillé s’il avait osé s’adresser aux puissants de son époque sur le ton employé par la jeune militante suédoise. “How dare you” à l’instar de “I have a dream” transpirent d’une intense émotion. Par sa triste et colérique authenticité Greta fit de son épouvante l’expression de notre désarroi. Et ainsi #JeSuisGreta!
Quel panel d’émotions quand elle lance les larmes aux yeux et les gestes tremblants: “Yet you all come to us young people for hope”. Puis vint la honte: “I shouldn’t be up here. I should be back in school on the other side of the ocean”. Enfin entremêlées émergèrent la peur et la colère: “We are in the beginning of a mass extinction, and all you can talk about is money and fairy tales of eternal economic growth. How dare you?”
Lorsque King mobilise l’espérance de toute une communauté de citoyens dont les droits ont été bafoués des centaines d’années durant, par une Nation que Tocqueville a louée pour son modèle de démocratie, Greta Thunberg reste factuelle dans ses reproches; et en cela elle nous terrorise et nous absorbe. Ses propos terrorisent et absorbent chaque parent; ils terrorisent et absorbent chaque salarié; ils terrorisent et absorbent chaque touriste.
Discours contre action
Historique ce discours car il n’est pas que parole. Il est bâti de mots qui sont des pavés. Quand Brune Poirson affirme sur France inter: “Viens Greta, maintenant on s’assied autour de la table, on se retrousse les manches et on voit comment on fait” elle accuse à tort Melle Thunberg de passivité. Sartre disait “Parler c’est agir”. Il soulignait ainsi le concept un peu abscons de performativité cher à la philosophie. L’arc-boutant de son discours est déjà constitué des troupes de millions de jeunes citoyens militants du monde entier, soucieux de voir les dirigeants s’engager concrètement en direction de la préservation de la planète.
La force des émotions pour combattre l’impossible
Ce que Greta dénonce montre que le modèle de décroissance qu’elle préconise est impossible à bâtir. Et ceci quelle que soit la puissance du dirigeant qui administrerait ce remède à nos sociétés dopées à la dette et contrainte à la croissance économique. C’est en cela que la colère de la jeune Greta Thunberg est salvatrice. Ainsi elle nous adjure de faire. Ses paroles sont des ordres. Malgré son apparence gracile, sa posture est celle d’une cheffe militaire. Pour nous convaincre, car c’est évident que Greta possède quelque chose à nous vendre, elle commande à son auditoire d’éprouver un inextinguible désir de s’engager à assumer une part de la mission. Plus fort encore, elle ordonne aux commandeurs des armées les plus puissantes du monde moderne. Pour captiver, Sinek rappelle que: “Luther King a dit I have a dream et pas I have a plan”. À un énième plan désincarné auquel personne n’accorderait d’attention, seules les larmes et la rage sombre de Greta peuvent bouleverser quelque chose chez chacun d’entre nous. Il existe un “cerveau des émotions” révélé par les travaux de l’anatomiste Franz Josef Gall (1758-1828). Puis les travaux de Paul MacLean ont démontré que le circuit cérébral des émotions peut être indépendant de celui de la cognition. Sinek de résumer cela simplement: “les mots n’ont qu’un faible poids dans l’acte de décision”. Dans le cas de Greta Thunberg, sa posture était offerte aux seuls besoins de la télévision. Ces grands gestes partant de ce petit corps, cette immense colère et ces larmes qui nimbaient des yeux insondables, furent la combinatoire d’une émotion chargée d’une exceptionnelle puissance politique. Sa communication verbale et paraverbale est digne des principes révolutionnaires admis par l’actors studio.
Qu’on aime ou pas, elle est forte cette jeune fille! À la résignation et aux jérémiades d’un vieil écolo ancien animateur de télévision peu enclin à résister à la technostructure d’un ministère qui devait être taillé pour lui, je préfère défendre une espèce de Jeanne d’Arc d’airain, que j’aime penser indestructible. Et qui en quelques discours pousse l’ensemble des chefs d’État à se justifier. En cela elle est déjà plus efficace que quiconque avant elle. Pour toute une jeunesse, je la perçois en héroïne nietzschéenne. Une Uber Fräulein; ses dieux sont morts car elle invente de nouvelles règles. Elle est devenue ce qu’elle était, et enfin son handicap qui ne l’a pas tué l’a rendu oh combien plus forte!!!
*concepts les plus connus de la philosophie de Friedrich Nietzsche
L'application de la directive Droit d'auteur selon Google.
Fin octobre entrera en vigueur la nouvelle loi française sur le droit d’auteur qui accorde davantage de droits aux éditeurs de presse présents sur internet. Cette loi est la première transposition de la directive européenne sur le droit d’auteur, qui fut adoptée il y a quelques mois. Suite à cela, nous allons procéder à des changements dans la manière dont les résultats d’actualités apparaîtront dans notre moteur de recherche. Si vous êtes en France, vous verrez que certains résultats apparaîtront différemment.
A l'heure actuelle, lorsque nous affichons les résultats de recherches liées à l’actualité, vous voyez un titre, dont le lien renvoie directement vers le site d’information concerné. Dans certains cas, nous proposons également un aperçu de l’article, par exemple quelques lignes de texte ou une petite image appelée « vignette ». Ces titres et aperçus vous aident à décider si le résultat correspond à votre recherche et si vous souhaitez cliquer dessus.
Lorsque la loi française entrera en vigueur, nous n’afficherons plus d’aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l’éditeur a fait les démarches pour nous indiquer que c’est son souhait. Ce sera le cas pour les résultats des recherches effectuées à partir de tous les services de Google.
Les éditeurs ont toujours eu la possibilité de choisir s’ils voulaient ou non que leurs contenus soient accessibles via le moteur de recherche de Google ou sur Google Actualités. Nous venons de mettre en place des réglages plus granulaires pour les webmasters grâce auxquels les éditeurs peuvent indiquer la quantité d’information qu’ils souhaitent voir apparaître sous forme d’aperçu dans les résultats de la recherche. Les éditeurs du monde entier peuvent ainsi utiliser ces nouveaux réglages afin de choisir le type d’aperçu le mieux adapté pour attirer les internautes vers leur site.
Avec internet, le choix et la diversité de l’information n’ont jamais été aussi vastes. Face à une telle offre, les utilisateurs peuvent avoir du mal à trouver l’actualité qui les intéresse. Et tous les types d’éditeurs — qu’ils soient grand ou petit, éditeur de presse traditionnel, nouvel acteur numérique, site d’actualités locales ou publication spécialisée — ont intérêt à ce que les lecteurs soient orientés vers leurs contenus.
Nous avons conçu Google de manière à assurer à chacun les mêmes conditions d’accès à l’information, ce qui suppose notamment d’aider l’internaute à trouver les contenus d’actualités les plus pertinents. Dans le secteur de la presse écrite, les éditeurs paient pour que leurs journaux, quotidiens ou magazines, soient proposés à une clientèle qui ne les connaît peut-être pas. Ce service, Google l’offre aux éditeurs gratuitement. Cette approche est créatrice d’une valeur tangible pour les éditeurs. Rien qu’en Europe, Google est à l’origine de plus de 8 milliards de visites par mois sur les sites des éditeurs de presse, ce qui représente plus de 3 000 visites chaque seconde. Les éditeurs peuvent ainsi attirer un nouveau public et augmenter leur chiffre d’affaires au moyen de la publicité et des abonnements. Le cabinet d’études Deloitte a estimé que chaque clic renvoyé par Google vers les grands éditeurs de presse représentait un potentiel de revenus supplémentaires compris entre 4 et 6 centimes d’euro.
En plus d’orienter les internautes vers les sites d’information, qui en tirent un revenu supplémentaire, Google continue de contribuer à l’essor du journalisme en ligne. Nous cherchons constamment de nouveaux moyens de valoriser des contenus de haute qualité sur nos produits. Nous investissons 300 millions de dollars sur trois ans dans la Google News Initiative. Ce programme aide les éditeurs à développer de nouvelles sources de revenus et à explorer de nouvelles manières innovantes de présenter l’information. Cela englobe notamment des centaines de projets destinés à favoriser la vérification des informations, à mieux décrypter les médias et à délivrer près de 300 000 formations à des journalistes en Europe.
Avec le développement d’internet, le comportement des consommateurs a changé. Nous sommes nombreux à nous connecter pour obtenir des informations et des services à partir de sites spécialisés et de places de marché en ligne. Le vaste choix d’informations sur internet induit une concurrence qui représente un véritable défi pour les éditeurs de presse, qui par conséquent doivent adapter leurs modèles économiques. Nous prenons très au sérieux notre collaboration actuelle avec les organes et éditeurs de presse, quelle que soit leur taille et quelle que soit leur ancienneté, pour les aider à s’adapter à l’ère du numérique. C’est en travaillant main dans la main que nous pourrons avancer.
Richard Gingras, Vice President of News, Google Inc.
L’une des choses fascinantes avec les réseaux sociaux, c’est la rapidité de diffusion des informations qu’ils autorisent. Une prof agressée par un élève ? En quelques heures, le hashtag #PasdeVague réunit des dizaines de milliers de témoignages de profs. Les réseaux sociaux permettent de toucher un immense public d’une façon quasi immédiate : face à la perquisition de son domicile, Jean-Luc Mélenchon se « branche » sur facebook live, et la nouvelle fait aussitôt le tour du web. Les pouvoirs médiévaux auraient probablement souhaité disposer d’un moyen aussi efficace : on imagine déjà le pape Urbain II tweetant un #Dieuleveut pour appeler à une croisade… Mais, en l’absence de ces réseaux, comment s’y prenait-on au Moyen Âge pour toucher autant de gens d’un coup ?
Pas de comparaison abusive : clairement, si on s’intéresse à la question de la rapidité de la diffusion des informations, il n’y a pas photo, le Moyen Âge est loin derrière. Un cheval ne fait guère qu’une centaine de kilomètres par jour au mieux. Un pigeon voyageur, s’il évite flèche et faucons, en fera dix fois plus. Un homme beaucoup moins. Entre tout ça, les nouvelles cheminent à leur rythme.
Prenons l’exemple de la prise de Jérusalem en 1187 : il s’agit d’une nouvelle cruciale, et pourtant elle met au moins 5 semaines à atteindre Rome, d’où elle est ensuite diffusée dans toute la chrétienté. Ce qui est très lent, on est bien d’accord… mais en même temps assez rapide finalement à une époque où il faut un mois pour faire l’aller-retour entre Paris et Lyon ! (oui oui, vous avez bien lu, un mois. Pensez-y la prochaine fois que vous râlez contre les 10 minutes de retard de la Sncf).
Cela dit, il reste compliqué de diffuser un message rapidement à un grand nombre de personne. Or, pour l’Église, c’est une priorité forte. Du coup celle-ci innove : alors qu’auparavant la prédication avait lieu durant la messe, donc dans une église, devant un nombre forcément limité de personnes, on commence à partir du XIIe siècle à prêcher à l’extérieur, devant toute la foule rassemblée.
Cela suppose des adaptations nombreuses, dont les ordres mendiants deviennent les spécialistes. D’abord, il faut prêcher en langue vulgaire, et pas en latin – même si on a des exemples, plus tardifs, de grands prédicateurs capables de toucher les foules en parlant en latin. Ensuite, il faut perfectionner ses talents oratoires, et notamment insérer des petites histoires dans son sermon : ce sont les exempla, et on aura même des recueils de milliers d’exempla dans lesquels les clercs vont pouvoir venir piocher.
Et puis il faut des innovations techniques. Pour que les gens puissent se rassembler devant l’église, il faut qu’il y ait de la place… et on va donc ouvrir de grandes places urbaines devant les cathédrales. Celles-ci, qui modifient profondément le tissu urbain et la physionomie de la ville, se multiplient au XIIIe siècle. Mais, en l’absence de micro, comment faites-vous pour vous faire entendre d’une foule de milliers de personnes sans hurler à vous casser la voix ? Très simple : vous disposez au milieu de la foule des crieurs qui répètent votre discours au fur et à mesure. Comme des relais radios, ou comme des milliers de tweets relayant un même message pour en assurer la diffusion rapide. Et, évidemment, vous travaillez votre gestuelle, afin de communiquer à la foule des émotions même quand on ne vous entend pas.
Dès cette époque, il existe des professionnels de l’information : marchands, ambassadeurs, espion, etc. Ce sont d’ailleurs les marchands qui sont à l’origine des premiers journaux ! Mais à côté de ces canaux, on est mal renseignés sur les réseaux plus horizontaux qui jouent probablement un rôle-clé : artistes, pèlerins, étudiants, brigands véhiculent nouvelles, informations, rumeurs sur les routes du monde. En quelques mois, une nouvelle peut faire le tour de la chrétienté.
Prenons l’exemple de la prédication de la croisade. D’un côté, on a des canaux officiels : bulles du pape, légats pontificaux, archevêques organisant la prédication ou la levée des fonds, etc. On pourrait comparer ça au journal de 20h, quand le président vient expliquer ses prochaines mesures politiques. Et puis à côté on a une prédication diffuse, en réseau : en 1320, ce seraient ainsi plusieurs prêtres, plus ou moins subversifs, qui lancent sur les routes des milliers de Pastoureaux dans une croisade totalement non-officielle (et d’ailleurs condamnée par l’Église). Ça, ce serait plutôt l’équivalent d’un mouvement comme #metoo, lancé à l’horizontal, sans passer par des canaux de communication classiques. (bon, sauf que #metoo n’a pas invité à brûler des villes et à convertir de force des juifs, mais vous m’avez compris).
Le nombre très élevé de gens qui s’engagent dans cette « croisade des Pastoureaux » souligne que, dès le Moyen Âge, les foules savent s’organiser et se mobiliser autour de grandes causes, sans attendre forcément des incitations venues d’en haut. Ça a été le cas il y a peu avec l’appel pour la « marche pour le climat » du 8 septembre 2018, lancé par un anonyme sur Facebook et qui a rencontré un succès mondial. Et les autorités sont souvent dépassées par le succès de ces mouvements : en 1095, le pape est le premier surpris du nombre de croisés qui partent vers Jérusalem.
Pas besoin donc d’attendre les réseaux sociaux pour voir apparaître des causes « virales », enflammant la société. Les échelles temporelles et géographiques ne sont évidemment pas les mêmes : #metoo fait le tour du monde, de l’Amérique à l’Australie, en quelques jours, alors que l’organisation de la troisième croisade prend… 4 ans. Mais il s’agit là d’une différence de degré : même sans twitter, les sociétés médiévales savaient déjà faire circuler les informations et mobiliser les foules, à une très large échelle.
Selon la justice européenne, le "droit à l'oubli" des internautes européens n'a pas de portée mondiale pour les moteurs de recherche comme Google.
publié le 24/09/2019 à 13:01
La plus haute juridiction européenne a tranché. Le "droit à l'oubli" des internautes européens n'a pas de portée mondiale pour les moteurs de recherche comme Google, mais concerne cependant la totalité des États membres de l'UE, a estimé mardi la justice européenne.
Cette décision donne raison à Google dans son litige, en France, face à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), qui lui a infligé en 2016 une amende de 100.000 euros, lui reprochant de limiter ce "droit à l'oubli" aux seules versions européennes du moteur de recherche.
Dans son litige face à Google, le régulateur français estimait que les suppressions de liens devaient s'appliquer sur toutes les versions du moteur de recherche dans le monde pour être efficaces.
Le groupe américain, soutenu par plusieurs organisations de défense des droits, avait répondu qu'il respectait le "droit à l'oubli" non seulement dans le pays des demandeurs européens mais sur tout le territoire de l'UE. Et qu'aller au-delà aurait engendré des risques pour la liberté d'expression.
Cela aurait aussi permis à des pays autoritaires d'utiliser ce précédent pour restreindre l'accès à certaines informations. Google avait donc contesté sa condamnation devant le Conseil d'État français, plus haute juridiction administrative du pays, qui a dans la foulée sollicité l'avis de la CJUE.
Seule l’erreur a besoin du soutien du gouvernement. La vérité peut se débrouiller toute seule.
—Thomas Jefferson, Notes on Virginia
Gouvernements du monde industriel, vous géants fatigués de chair et d’acier, je viens du Cyberespace, le nouveau domicile de l’esprit. Au nom du futur, je vous demande à vous du passé de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez pas de souveraineté où nous nous rassemblons.
Nous n’avons pas de gouvernement élu, et il est improbable que nous en ayons un jour, aussi je ne m’adresse à vous avec aucune autre autorité que celle avec laquelle la liberté s’exprime. Je déclare l’espace social global que nous construisons naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous imposer. Vous n’avez aucun droit moral de dicter chez nous votre loi et vous ne possédez aucun moyen de nous contraindre que nous ayons à redouter.
Les gouvernements tiennent leur juste pouvoir du consentement de ceux qu’ils gouvernent. Vous n’avez ni sollicité ni reçu le nôtre. Nous ne vous avons pas invités. Vous ne nous connaissez pas, et vous ne connaissez pas notre monde. Le Cyberespace ne se situe pas dans vos frontières. Ne pensez pas que vous pouvez le construire, comme si c’était un projet de construction publique. Vous ne le pouvez pas. C’est un produit naturel, et il croît par notre action collective.
Vous n’avez pas participé à notre grande conversation, vous n’avez pas non plus créé la richesse de notre marché. Vous ne connaissez pas notre culture, notre éthique, ni les règles tacites qui suscitent plus d’ordre que ce qui pourrait être obtenu par aucune de vos ingérences.
Vous prétendez qu’il y a chez nous des problèmes que vous devez résoudre. Vous utilisez ce prétexte pour envahir notre enceinte. Beaucoup de ces problèmes n’existent pas. Où il y a des conflits réels, où des dommages sont injustement causés, nous les identifierons et les traiterons avec nos propres moyens. Nous sommes en train de former notre propre Contrat Social. Cette manière de gouverner émergera selon les conditions de notre monde, pas du vôtre. Notre monde est différent.
Le Cyberespace est fait de transactions, de relations, et de la pensée elle-même, formant comme une onde stationnaire dans la toile de nos communications. Notre monde est à la fois partout et nulle part, mais il n’est pas où vivent les corps.
Nous sommes en train de créer un monde où tous peuvent entrer sans privilège et sans être victimes de préjugés découlant de la race, du pouvoir économique, de la force militaire ou de la naissance.
Nous sommes en train de créer un monde où n’importe qui, n’importe où, peut exprimer ses croyances, aussi singulières qu’elles soient, sans peur d’être réduit au silence ou à la conformité.
Vos concepts légaux de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement, de contexte, ne s’appliquent pas à nous. Ils sont basés sur la matière, et il n’y a pas ici de matière.
Nos identités n’ont pas de corps, c’est pourquoi, contrairement à ce qui se passe chez vous, il ne peut pas, chez nous, y avoir d’ordre accompagné de contrainte physique. Nous croyons que c’est de l’éthique, de la défense éclairée de l’intérêt propre et de l’intérêt commun, que notre ordre émergera. Nos identités peuvent être distribuées à travers beaucoup de vos juridictions. La seule loi que toute nos cultures constituantes pourraient reconnaître généralement est la règle d’or [« Ne fais pas aux autres ce que tu n’aimerais pas qu’ils te fassent », NdT]. Nous espérons pouvoir bâtir nos solutions particulières sur cette base. Mais nous ne pouvons pas accepter les solutions que vous tentez de nous imposer.
Aux Etats-Unis, vous avez aujourd’hui créé une loi, le Telecommunications Reform Act, qui répudie votre propre Constitution et insulte les rêves de Jefferson, Washington, Mill, Madison, Tocqueville et Brandeis. Ces rêves doivent maintenant renaître en nous.
Vous êtes terrifiés par vos propres enfants, parce qu’ils sont natifs dans un monde où vous serez toujours des immigrants. Parce que vous les craignez, vous confiez à vos bureaucraties les responsabilités de parents auxquelles vous êtes trop lâches pour faire face. Dans notre monde, tous les sentiments et expressions d’humanité, dégradants ou angéliques, font partie d’un monde unique, sans discontinuité, d’une conversation globale de bits. Nous ne pouvons pas séparer l’air qui étouffe de l’air où battent les ailes.
En Chine, en Allemagne, en France, à Singapour, en Italie et aux Etats-Unis, vous essayez de confiner le virus de la liberté en érigeant des postes de garde aux frontières du Cyberespace. Il se peut que ceux-ci contiennent la contagion quelque temps, mais ils ne fonctionneront pas dans un monde qui sera bientôt couvert de médias numériques.
Vos industries de plus en plus obsolètes se perpétueraient en proposant des lois, en Amérique et ailleurs, qui prétendent décider de la parole elle-même dans le monde entier… Ces lois déclareraient que les idées sont un produit industriel comme un autre, pas plus noble que de la fonte brute… Dans notre monde, quoi que l’esprit humain crée peut être reproduit et distribué à l’infini pour un coût nul. L’acheminement global de la pensée n’a plus besoin de vos usines.
Ces mesures de plus en plus hostiles et coloniales nous placent dans la même situation que ces amoureux de la liberté et de l’autodétermination qui durent rejeter les autorités de pouvoirs éloignés et mal informés. Nous devons déclarer nos personnalités virtuelles exemptes de votre souveraineté, même lorsque nous continuons à accepter votre loi pour ce qui est de notre corps. Nous nous répandrons à travers la planète de façon à ce que personne puisse stopper nos pensées.
Nous créerons une civilisation de l’esprit dans le Cyberespace. Puisse-t-elle être plus humaine et plus juste que le monde issu de vos gouvernements.
Davos, Suisse
8 février 1996
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le système de géolocalisation de votre téléphone portable ne se verrouille désormais plus sur le GPS américain mais sur le système Galiléo européen, plus précis. La barre du milliard d’utilisateurs vient d’être franchie ces dernières semaines.
Bien que la galaxie de satellites ne soit pas encore complète, le système Galiléo à été opérationnel dés 2016. Galiléo est cinq fois plus précis que le GPS, proposant une précision de 1m. Les téléphones se verrouillent automatiquement sur le système de géolocalisation le plus précis.
En opposition à l’Ancien Régime, les Déclarations des droits de l’Homme de 1789 et de 1793 célébraient l’égalité parmi les hommes. Cette conception sera contredite par la Constitution de l’An III, annonçant le « retour à l’ordre » du Directoire.
Dès le 9 juillet 1789, une large part de l’Assemblée nationale constituante est convaincue qu’il faut faire précéder la Constitution d’une Déclaration des droits.
« On décide, que, si les loix [sic] sont utiles, la Constitution est indispensable ; qu’il faut dont commencer par ce qui est indispensable ; qu’on n’aura jamais de loix, tant que le pouvoir arbitraire pourra les frapper. […]
La Constitution doit donc être précédée de la déclaration des droits de l’homme. (On désire que tous les Bureaux soient engagés à s’en occuper, & qu’on établisse un Comité de correspondance). »
27 projets voient alors le jour, mais la Déclaration est finalement élaborée en assemblée article par article, mot par mot, à partir d’une ébauche qui n’aura servi que de support pour ce premier texte fondateur écrit collectivement.
Le droit, tel que les Constituants le fondent, est en premier lieu restauration des droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme. Or ces droits, dits naturels, sont alors considérés comme antérieurs à toute organisation sociale et sont attachés à la personne. Ils sont donc droits individuels et naturels : liberté, propriété, sûreté, résistance à l’oppression.
Non seulement tous les individus doivent être égaux pour qu’une société soit vivante, mais ces individus sont tous dotés des mêmes droits, quelle que soit la place qu’ils occupent dans la société. Ces droits peuvent être ignorés, oubliés, méprisés mais ne peuvent pas disparaître. Ils ne sont pas le résultat de rapports de force mais liés à la nature même de l’homme : un être rationnel et sensible.
« M. le marquis de la Fayette fait lecture du projet qui suit :
“La nature a fait les hommes libres et égaux ; les distinctions nécessaires à l’ordre social ne sont fondées que sur l’utilité générale. Tout le monde naît avec des droits inaliénables et imprescriptibles […]. L’exercice des droits naturels n’a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société. […]”
M. le comte de Lally-Tolendal. “Messieurs, j’appuie la motion qui vous est présentée, à quelques lignes près, susceptibles de quelques discussions.” »
Les projets ont cependant nourri le débat et produit les concepts clés que l’on retrouve dans les déclarations de 1789 et de 1793. Sieyès, dans sa Reconnaissance et exposition raisonnée des droits de l’homme, rédigée les 20 et 21 juillet 1789, dit ainsi :
« Tous ayant un droit découlant de la même origine, il suit que celui qui entreprendrait sur le droit d'un autre, franchirait les bornes de son propre droit ; il suit que le droit de chacun doit être respecté par chaque autre, et que ce droit et ce devoir ne peuvent pas ne pas être réciproques.
Donc le droit du faible sur le fort est le même que celui du fort sur le faible. Lorsque le fort parvient à opprimer le faible, il produit effet sans produire obligation. Loin d'imposer un devoir nouveau au faible, il ranime en lui le devoir naturel et impérissable de repousser l'oppression.
C'est donc une vérité éternelle, et qu'on ne peut trop répéter aux hommes, que l'acte par lequel le fort tient le faible sous son joug, ne peut jamais devenir un droit ; et qu'au contraire l'acte par lequel le faible se soustrait au joug du fort, est toujours un droit, que c'est un devoir toujours pressant envers lui-même. »
C’est au nom d’une liberté civile qui refuse tout rapport de domination, que la notion de résistance à l’oppression est alors fondée comme droit naturel – et le droit du plus fort récusé. La force ne produit jamais du droit quand la résistance à la domination en produit à coup sûr. Ainsi, la violence insurrectionnelle ne peut être assimilée à la violence oppressive.
De fait, de 1789 à 1792, les pauvres, les femmes, les « libres de couleur » puis les esclaves ont pu réclamer contre la constitution de 1791, qui ne leur reconnaissaient pas de citoyenneté active ou de citoyenneté tout court. La vocation universelle de la Déclaration n’est alors en rien une abstraction formelle et fallacieuse, elle est un outil indispensable pour faire avancer l’égalité réelle. L’enjeu est toujours de savoir si l’on peut remettre en question le droit positif grâce aux normes énoncées sous forme de principes dans la déclaration.
Lorsque les Conventionnels décident, en 1793, de réécrire la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ils reprennent l’ensemble des enjeux de 1789, tant sur la souveraineté des citoyens, leur liberté politique, que sur les libertés publiques et le respect des règles de contrôle des pouvoirs de l’État, afin que soit respectée la liberté individuelle de chacun. Mais la résistance à l’oppression devient une clé de voute de l’édifice et non un droit parmi les autres, c’est elle qui fait de chaque citoyen un garant de sa propre liberté et de la liberté commune.
Enfin cette nouvelle Déclaration consacre de nouveaux droits, les droits créances, qui affirment que dans une société républicaine, c’est-à-dire disposant d’un gouvernement populaire, la société doit des garanties à ses citoyens en termes d’éducation et d’assistance. On retrouve ainsi au cœur de l’édifice, la nécessité de penser la place d’une dette sacrée de la société envers ses membres. A ces deux titres – droit de résistance fondant l’institution insurgeante, droit créance garantissant l’égalité –, la déclaration de 1793 est éminemment démocratique. Elle garantit la démocratie plutôt que l’ordre.
« XXI . Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.
XXII. L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens. […]
XXV. La souveraineté réside dans le peuple. Elle est une et indivisible.
XXVI. Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier ; mais chaque section du souverain assemblée doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté. […]
XXXII. Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité publique ne peut, en aucun cas, être interdit, suspendu ni limité.
XXXIII. La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme.
XXXIV. Il y a oppression contre le corps social, lorsqu’un seul de ses membres est opprimé. Il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.
XXXV. Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
Après le 9 thermidor et la Chute de Robespierre, tout s’inverse et les principes de la déclaration de 1789 et 1793 sont remis en question par la commission des Onze chargée d’abord d’encadrer par de nouvelles lois organiques la constitution de 1793, puis après les émeutes de prairial an III, de rédiger une nouvelle Constitution. L’ordre social présenté par Boissy d’Anglas est garanti par la propriété et la déclaration de 1793 présentée comme un « arsenal pour les séditieux ».
Désormais la résistance à l’oppression comme la liberté des citoyens disparaissent. Non seulement l’égalité est noyée dans un suffrage censitaire, mais si les nouveaux professionnels de la politique ont encore des droits, les citoyens ne semblent plus avoir que des devoirs car la Déclaration des droits et des devoirs est fondamentalement déséquilibrée afin de faire régner un certain « ordre social » plutôt que la démocratie.
Ainsi le rapport de Boissy d’Anglas, discuté le 23 juin 1795 (5 messidor an III) à la Convention, qui s’inscrit à l’encontre des idées égalitaires des premières années de la Révolution :
« L’égalité civile, en effet, voilà tout ce que l’homme raisonnable peut exiger. L’égalité absolue est une chimère. […]
Nous devons être gouvernés par les meilleurs. Les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des loix [sic] : or, à bien peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui possèdent une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux loix qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve, et qui doivent à cette propriété et à l’aisance qu’elle donne, l’éducation qui les a rendu propres à discuter avec sagacité et justesse les avantages et les inconvénients des loix qui fixent le sort de leur patrie. […]
Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, celui où les non propriétaires gouvernent est dans l’état de nature. »
Protéger notre mode de vie européen" : c'est le nom du portefeuille du commissaire européen grec Margaritis Schinas, un des neufs vice-présidents de la nouvelle équipe de Ursula von der Leyer. La nouvelle cheffe de l'exécutif européen, Ursula von der Leyen, qui doit prendre ses fonctions le 1er novembre, a lié cet intitulé au dossier des migrants. De quoi laisser la salle de presse dubitative devant cette annonce.
"Notre mode de vie européen, c'est s'accrocher à nos valeurs. La beauté de la dignité de chaque être humain est l'une des plus précieuses valeurs", a expliqué la présidente de la Commission européenne, priée de justifier le lien entre l'intitulé du poste et le dossier migratoire. Tous les intitulés des portefeuilles des vice-présidences sont tous tirés du programme politique présenté devant le Parlement européen et rendu public, a-t-elle souligné.
Dans son programme, l'Allemande développe l'une de ses priorités, "protéger notre mode de vie européen", en plusieurs catégories, dont l'État de droit et la sécurité intérieure, ainsi qu'un point sur "des frontières solides et une nouvelle approche en matière de migration".
La dénomination a toutefois créé une certaine gêne, en particulier chez les opposants politiques au Parti populaire européen (PPE), la famille de la droite conservatrice d'Ursula von der Leyen.
"Cela fait peur de voir proposer un portefeuille sur la 'protection du mode de vie européen' qui inclut la migration et la protection des frontières. Nous espérons que la Présidente Von der Leyen ne voit pas une contradiction entre soutenir les réfugiés et les valeurs européennes", a ainsi réagi la co-présidente du groupe des Verts au Parlement européen Ska Keller.
"Protecting Our European Way of Life" should not seriously have been a Portfolio title in a modern European Commission of 2019 >@MargSchinas https://t.co/kPRYV3tUg1
— Claude Moraes (@Claude_Moraes) September 10, 2019
Son collègue britannique du groupe des sociaux-démocrates, Claude Moraes, a quant à lui déclaré qu'il soulèverait ce "vrai problème" auprès de son groupe, estimant sur Twitter qu'un portefeuille ainsi nommé ne pouvait pas exister. "Le Parlement européen doit donner son accord" à la nouvelle Commission, a-t-il rappelé. Toute l'équipe présentée par Ursula von der Leyen doit passer des auditions devant les eurodéputés, qui devront confirmer les postes attribués.
En utilisant "la rhétorique de l'extrême droite 'les migrants menacent le mode de vie européen', et en liant la migration à la sécurité", l'intitulé de ce portefeuille "envoie un message inquiétant", a twitté un porte-parole d'Amnesty International, Stefan Simanowitz.
Meet the EU's new Commissioner "for Protecting Our European Way of Life" whose role it will be oversee immigration policy.
By using the framing of the far right ("immigrants threaten the European way of life") & by linking migration with security, this sends a worrying message. https://t.co/iDf01SJdmS
— Stefan Simanowitz (@StefSimanowitz) September 10, 2019
"Parler de la protection du mode de vie européen peut être vu comme une tentative de réponse aux angoisses de la société actuelle face à la migration, à la préoccupation des Européens qui alimente le vote protestataire", observe Eric Maurice de la Fondation Schuman.
"L'Europe est synonyme de sociétés ouvertes et démocratiques. Nous maintenons nos orientations politiques telles qu'elles ont été publiées en juillet", a réagi le porte-parole d'Ursula von der Leyen. "Et il serait utile que les gens s'intéressent aussi à ce qui est dans quel portefeuille et quels projets sont liés à un titre", a-t-il ajouté.
"La protection de notre mode de vie européen fait référence aux valeurs européennes, à savoir la tolérance, l'accueil, l'asile", a expliqué une autre source dans l'entourage de Mme von der Leyen. "Mais cela n'était pas censé être le titre des attributions d'un vice-président de la Commission", a commenté une autre source européenne.
La validation de paiements en ligne par code SMS sera bientôt terminée: de nouvelles mesures pour renforcer la sécurité des paiements commencent à entrer en vigueur samedi, avec une mise en oeuvre qui va s'étaler jusqu'à fin 2020-début 2021, a indiqué mercredi l'Observatoire français de la sécurité des moyens de paiements.
Ces nouvelles mesures sont prévues par une directive européenne (dite "DSP 2") visant à renforcer le niveau de sécurité des opérations de paiement sur internet en Europe, pour limiter les risques de fraude.
Pour ce faire, les émetteurs de cartes bancaires et banques, opérateurs de paiement, commerçants en ligne, etc. sont tenus de déployer un dispositif dit "d'authentification forte" du client lors de paiements électroniques ou d'opérations bancaires sensibles.
Les nouvelles règles européennes entreront bien en vigueur en France le 14 septembre prochain, a indiqué mercredi dans un communiqué l'observatoire, rattaché à la banque de France.
Il a confirmé une mise en application jusqu'en décembre 2020 de mesures "d'authentification forte" pour "la grande majorité des clients", conformément à la directive.
Les "professionnels de la chaîne des paiements" devront pour leur part avoir mis à niveau leurs systèmes aux nouvelles exigences réglementaires d'ici mars 2021 .
Concrètement, l'usage d'un seul code reçu par SMS pour sécuriser une transaction ne sera plus jugé suffisant et devra être progressivement renforcé au moyen de nouvelles solutions, telles que la reconnaissance biométrique, combinées à d'autres dispositifs de contrôle. Mais tous les acteurs ne sont pas prêts.
Dans une note publiée le 21 juin, l'Autorité bancaire européenne (ABE), chargée d'élaborer les normes techniques de cette directive, avait décidé d'accorder "un délai supplémentaire limité" aux États membres concernés pour se mettre en conformité avec ces exigences techniques et en échange d'un plan de migration aux échéances précises.
En cause, "les inquiétudes" d'acteurs du marché "quant à l'état de préparation du commerce électronique aux nouvelles exigences" d'authentification forte, risquant de créer des perturbations dans les transactions en ligne.
De plus, selon l'ABE, une information plus large du grand public sur la teneur de ces évolutions s'avérait nécessaire pour réussir l'entrée en vigueur de la directive.
Dans la foulée, début juillet, l'Observatoire français de la sécurité des moyens de paiements avait présenté un plan de migration avec l'objectif d'une mise en œuvre de l'authentification forte pour une nette majorité des clients et des transactions d'ici décembre 2020.
La mention marginale est une information écrite, retranscrite sur un acte d’état-civil afin de le modifier ou de le compléter. En cas de changement de situation de famille, une mention est portée en marge de l’acte de naissance et/ou de l’acte de mariage. En généalogie, ces informations ne sont pas à négliger car elles vont orienter nos recherches vers d’autres sources et ainsi faciliter l’écriture de l’histoire de nos ancêtres.
Les mentions marginales n’ont pas toujours existé, historiquement elles sont instaurées avec le Code Civil à partir de 1804.
Repère historique et mentions marginales
Actes de reconnaissance d’un enfant naturel : à reporter en marge de l’acte de naissance (code Napoléon, art. 62 lien).
Source : AD42 – Firminy 1842 – 3NUMEC4/3E96 – P.32
Actes de mainlevée d’opposition à un mariage : doivent être reportés en marge de l’inscription de l’acte d’opposition (code Napoléon art. 67 lien).
Quant aux oppositions, l’article 67 du code Napoléon prévoyait qu’elles seraient portées sur le registre des publications.
La loi du 8 avril 1927 ayant supprimé ces registres, elles sont depuis lors inscrites dans l’acte de mariage (art. 67 nouveau).
Rectifications d’état-civil : doivent être mentionnées en marge des actes réformés (code Napoléon art. 101 lien).
1886 – Divorce : mention doit en être faite en marge de l’acte de mariage et des actes de naissance de chacun des époux
Si le mariage a été célébré à l’étranger, la transcription est faite sur les registres du lieu où les époux avaient leur dernier domicile, et mention est faite en marge de l’acte de mariage, s’il a été transcrit en France.
1897 – Célébration du mariage : à reporter en marge des actes de naissance des époux (loi du 17 août, art. 76 du code civil lien).
1897 – Légitimation : à reporter en marge de l’acte de naissance.
1917 – Adoption par la Nation : le jugement ou arrêt portant adoption par la nation est à mentionner en marge de l’acte de naissance du pupille.
Source : Collection personnelle
1919 – Arrêt déclaratif de naissance : « Lorsqu’une naissance n’aura pas été déclarée dans le délai légal, l’officier de l’état civil ne pourra le relater sur ses registres qu’en vertu d’un jugement rendu par le tribunal d’arrondissement dans lequel est né l’enfant et mention sommaire sera faite en marge à l’acte de naissance ».
1938 – Réconciliation des époux séparés de corps : mention doit être faite de l’acte notarié en marge de l’acte et du jugement ou de l’arrêt qui a prononcé la séparation.
1945 – Acte de décès : « il sera fait mention du décès en marge de l’acte de naissance de la personne décédée ».
1945 – Décès hors du domicile : transcription du jugement arrêt déclaratif du décès en marge des registres de la commune où l’acte du décès aurait dû normalement être dressé à la date du décès.
Mention de la transcription du jugement ou de l’arrêt déclaratif du décès doit en outre être porté à la suite de la table annuelle des registres de l’année du décès (et si elle est déjà dressée, à la suite de la table décennale), de la commune du dernier domicile où l’acte du décès aurait dû être transcrit.
Source : AD05 – 2 E 59/24 – P6 lien
1945 – Mort pour la France : mention en marge de l’acte de décès de la décision administrative constatant que le défunt est « Mort pour la France ».
Source : Collection personnelle
1955 – Contrats d’adoption : depuis mention doit être faite des transcriptions des jugements ou arrêts homologuant un contrat d’adoption ou portant révocation de l’adoption, en marge de l’acte de naissance de l’adopté.
1955 – Transcription des jugements et arrêts rendus en matière d’état des personnes et comportant une incidence sur l’état civil : mention doit en être portée en marge des actes indiqués par les juges (ex : jugements faisant droit à une demande en réclamation ou contestation d’état, en contestation de légitimité, en désaveu de paternité, en nullité de reconnaissance, en recherche de filiation naturelle, etc.)
1955 – Jugement ou arrêt de légitimation adoptive : mention doit être portée en marge de l’acte de naissance de l’intéressé.
1958 – Jugements déclaratifs de décès : mention doit être portée en marge de l’acte de naissance du décédé.
1958 – Changements de noms : mention doit être portée en marge de l’état-civil de l’intéressé, de son conjoint et de ses enfants mineurs.
1958 – Francisation : mention doit être portée en marge des actes d’état-civil de l’intéressé, de son conjoint et des enfants mineurs.
1958 lien – Décisions inscrites au Répertoire civil : La publicité des demandes, actes et jugements est réalisée par une mention en marge de l’acte de naissance de l’intéressé. Cette mention est faite à la diligence du greffier du tribunal de grande instance ou, le cas échéant, à celle du service central d’état civil. Elle est constituée par l’indication » RC » suivie de la référence sous laquelle la demande, l’acte ou le jugement a été conservé.
La date à laquelle la mention est apposée est portée sur l’extrait conservé au greffe ou au service central d’état civil.
Source : AD05 – 2 E 65/82 – P15 lien
1985 lien – Mort en déportation : La mention « Mort en déportation » est portée sur l’acte de décès de toute personne de nationalité française, ou résidant en France ou sur un territoire antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, qui, ayant fait l’objet d’un transfert dans une prison ou un camp visé par l’article L. 272 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre, y est décédée.
La même mention est portée sur l’acte de décès si la personne a succombé à l’occasion du transfert.
2007 lien – Pacs : Il est fait mention, en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire, de la déclaration de pacte civil de solidarité, avec indication de l’identité de l’autre partenaire.
Pour les personnes de nationalité étrangère nées à l’étranger, cette information est portée sur un registre tenu au service central d’état-civil du ministère des affaires étrangères. L’existence de conventions modificatives est soumise à la même publicité.
2007 lien – Acte de notoriété : Il est fait mention de l’existence de l’acte de notoriété en marge de l’acte de décès.
Le mariage putatif est un mariage qui est réellement célébré. Mais celui-ci est contracté par les deux époux, ou par l'un d'eux, dans l'ignorance d'une disposition légale interdisant le mariage et l'entachant de nullité. Quelles sont les conditions pour invoquer un mariage putatif ? Quels sont ses effets ?
Mariage putatif : définition
Pour qu'un mariage soit qualifié de putatif et qu'il produise certains effets, les époux ou au moins l'un d'eux doit avoir été de bonne foi au moment de l'échange des consentements. C’est-à-dire dans l'ignorance totale d'une disposition légale interdisant le mariage et l'entachant de nullité.
Conditions
Pour que le mariage putatif puisse produire ses effets, et notamment être annulé rétroactivement, des conditions doivent être réunies.
Il faut constater l'existence de la bonne foi. Si cette dernière est présumée, il appartient à celui qui la conteste d'apporter la preuve formelle qu'elle n'existait pas au moment de la célébration de l'union. Le mariage putatif, pour qu'il soit qualifié ainsi, impose qu'au moins l'un des deux époux ait été dans l'ignorance de l'existence d'une erreur de fait ou de droit compromettant la validité légale du mariage. L'erreur de fait constitue une représentation inexacte d'un fait matériel ou l'ignorance de son existence (inceste, bigamie, incarcération de l'un des époux, etc.). L'erreur de droit, quant à elle, est une représentation inexacte du contenu de la loi ou l'ignorance de son existence.
L’union doit avoir été solennellement célébrée avec échange réel des consentements des époux.
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Effets du mariage putatif
Les effets s'appliquent tant sur les époux et leurs enfants, que sur les tiers à l'union.
Effets entre les époux
Entre les époux, s'ils sont tous les deux de bonne foi, les droits acquis par le mariage (avantages matrimoniaux et libéralités entre époux) sont maintenus entre eux tant que l'annulation de ce dernier n'est pas prononcée. Une fois l'union annulée, elle va cesser de produire ses effets pour le futur : perte du nom de femme mariée, fin des droits successoraux et des avantages matrimoniaux et libéralités. Toutefois, le mariage putatif n'efface pas les acquis du passé entre les époux (s'ils se sont consentis une donation par exemple, elle ne sera pas annulée).
Il est important de noter que si seul l’un des deux était de bonne foi au moment du mariage, il a le droit de demander l'annulation de celui-ci et l'application des effets de l'union putative à son encontre. Il peut ainsi demander que les libéralités consenties à son bénéfice, par contrat de mariage, soient exécutées. Mais il ne peut pas conserver les droits successoraux, car l'annulation du mariage entraîne la perte de la qualité de conjoint et donc de successible. Il peut également réclamer une prestation compensatoire à son ex époux de mauvaise foi. Lequel peut alors voir sa responsabilité engagée et être contraint de réparer sa faute et le préjudice qui en découle.
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Effets envers les enfants
A l'égard des enfants, l'annulation du mariage putatif produit des effets, et ce même si les époux étaient tous deux de mauvaise foi au moment de l'union. Les enfants issus d'une telle union sont réputés légitimes, car il n'y a plus aucune distinction de type de filiation. Comme en matière de divorce, le juge doit statuer sur la résidence et le mode de garde des enfants, l'autorité parentale, et les conditions de l'organisation des droits et obligations de chacun. Ces enfants conserveront le droit de succéder à leurs auteurs.
Effets vis-à-vis des tiers
Enfin, à l'égard des tiers, le mariage putatif produit les mêmes effets qu'un mariage classique. Toutefois, un époux de mauvaise foi ne pourra pas s'opposer à une action des créanciers, seule la bonne foi pouvant être entendue et acceptée