À première vue, on ne comprend rien. C’est illisible. Une écriture cursive, des graphies particulières et des termes de l’époque. Bienvenue dans les manuscrits de la Nouvelle-France! Tous les historiens et les généalogistes vous le diront : plonger dans les documents de cette période est une grande source de frustration parce que déchiffrer et transcrire le contenu de ces écrits est exigeant et demande un temps fou.
On estime qu’il y a environ 1,5 million de pages relatives aux archives de la Nouvelle-France dans le seul réseau de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ), souligne Rénald Lessard, spécialiste de la Nouvelle-France et archiviste coordonnateur au sein de la vénérable institution québécoise.
C'est le bloc d'archives le plus important sur le premier empire colonial français en dehors de la France.
Une partie de ces documents originaux a été numérisée et mise en ligne par BANQ. Bien qu’un court texte résume le contenu de ces documents, on est encore loin d’une transcription complète et détaillée de chacune de ces pages. En conséquence, une grande partie des archives de la Nouvelle-France ont été vues, mais elles n’ont pas nécessairement été lues.
Maxime Gohier codirige avec son collègue Léon Robichaud le projet Nouvelle-France numérique. Tous deux professeurs d’histoire, l’un à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), l’autre à l’Université de Sherbrooke, ils rêvaient depuis longtemps d’un outil qui permettrait de mettre en parallèle des documents d’archives et leur transcription, tout en ayant la possibilité de les partager.
"Je fouillais sur Internet, puis à un moment donné, je tombe sur le site web de Transkribus", se rappelle Maxime Gohier. Transkribus est un nouveau logiciel développé en Autriche par la coopérative Read. Le système met à profit des techniques d’apprentissage profond et d’intelligence artificielle pour transcrire des séries de documents anciens.
Je venais de découvrir un peu le Saint-Graal que les historiens cherchent.
Le logiciel permet d’accéder à des modèles génériques de reconnaissance et de transcription de manuscrits, mais il permet aussi de développer des modèles plus spécifiques pour la transcription de textes particuliers, comme ceux de la Nouvelle-France.
Des historiens, des professeurs, des étudiants et des généalogistes spécialisés en paléographie ont graduellement corrigé les épreuves du logiciel pour lui apprendre à reconnaître des graphies particulières, des lettres, des nombres, des abréviations ou des termes de l’époque.
Au projet Nouvelle-France numérique se greffe un projet de science participative. Pierre Dubois a cofondé avec André Morel les Gardenotes, un regroupement de paléographes fascinés par les documents anciens.
Ce sont, pour la plupart, des généalogistes qui ont développé une grande aptitude à lire des documents manuscrits de l’époque. Grâce à leur expertise et à leur participation bénévole à l’entraînement des modèles, la performance de lecture du logiciel de transcription s’améliore.
On arrive avec un taux d’erreur de 5 % environ. C'est spectaculaire! Même nous, on n'y croyait pas au départ.
Une fois que la capacité de transcription du modèle est optimisée, à l’aide d’environ 200 pages d’entraînement, on peut lui soumettre des milliers de pages du même auteur avant que la transcription complète ne s'effectue en un clin d'œil.
"C’est là qu'on tombe dans la haute performance. Un notaire a pu laisser un greffe de 15 000 à 20 000 pages qu'on peut transcrire à 5 % d'erreurs. C'est extraordinaire!", s’exclame le professeur Maxime Gohier.
Des personnages oubliés
Avec la transcription de milliers de pages vient la capacité de réaliser des recherches dans les textes et de redécouvrir des morceaux de la grande et de la petite histoire de la Nouvelle-France, de voir surgir des personnages oubliés de l’histoire.
"Ça change tout. La vieille méthode de travail est complètement révolutionnée", s’enthousiasme Dominique Deslandres, professeure d’histoire à l’Université de Montréal.
Elle s’intéresse aux documents du premier tribunal de Montréal. Elle est à la recherche de femmes et d’esclaves dans les procès civils et criminels. À sa grande surprise, elle a découvert, dans le premier registre d’audience, une certaine Marie Pournin, étroite collaboratrice de Jeanne Mance à l’Hôtel-Dieu.
"En Nouvelle-France, il n'y avait pas d'avocat, les gens se représentaient eux-mêmes. La personne est interrogée, elle explique toutes sortes de choses. Donc, on voit et on entend des personnes qui n'ont laissé aucune autre trace que celle-là dans les archives", ajoute Dominique Deslandres.
Accéder à cette masse de documents manuscrits ouvre aussi la voie à de nouvelles recherches, plus pointues, qui seraient impossibles à réaliser à moins de lire ces documents, page par page.
"Ça va nous permettre de travailler plus en profondeur sur des individus, des lieux, des sujets, parfois plus terre à terre, comme la présence de chiens en Nouvelle-France, des choses qui passent sous le radar en temps normal. Les possibilités sont énormes", renchérit Rénald Lessard de BANQ.
Le grand public aura-t-il bientôt accès à ces transcriptions des archives de la Nouvelle-France? Le projet reste à venir. D'abord, il y a un coût lié à l'utilisation de la technologie, rappelle Maxime Gohier, mais c'est également une question de propriété d'images. Certaines sont publiques, d’autres sont privées et, bien que plusieurs soient prêts à les transmettre, il reste encore du travail à faire de ce côté-là.
Le canton inhabité d’Entremont, de forme rectangulaire, se situe dans la réserve faunique La Vérendrye, en Abitibi-Témiscamingue, un peu au nord du lac Cocôwan, une des composantes du réservoir Dozoi, et à environ 20 km à l’est de la baie Kawastaguta du Grand lac Victoria. Son territoire, au relief plutôt accidenté, contient bon nombre de petits plans d’eau, dont le lac Tesserie. Il est également irrigué par deux rivières importantes, la Canimiti et la Chochoucouane, qui créent un confluent au centre du territoire. Depuis le 20 décembre 1955, il porte le nom d’un gentilhomme normand, Philippe Moius d’Entremont, dont les origines se trouveraient toutefois en Savoie. Les titres de noblesse de la famille d’Entremont, ayant émigré en Normandie au XVIe siècle, remonteraient, selon certains, au XIe siècle. D’autres affirment cependant que c’est Louis XIV (1638-1715) qui fit de Philippe Mius le sieur d’Entremont. Quoi qu’il en soit, il existe aujourd’hui en France deux communes appelées Entremont, et toutes deux se trouvent dans l’ancienne province de Savoie, définitivement incorporée à la France en 1860 ; les deux tiennent leur nom de leur situation géographique entre de hautes montagnes. L’une d’entre elles, à 791 m d’altitude au cœur des Alpe françaises, s’étend sur le Borne, dans le département de la Haute-Savoie, à quelque 25 km au nord-est d’Annecy, et à environ 40 km au sud-est de Genève, en Suisse. Les touristes y découvriront notamment les ruines d’un monastère du XIIe siècle, érigé en Abbaye en 1154 mais supprimé en 1772, ainsi qu’une église, construite également au XIIe siècle, mais profondément modifiée jusqu’au XIXe siècle.
L’autre commune, Entremont-le-Vieux, sise à 840 mètres d’altitude, se situe sur le Cozon, dans la partie ouest de la Savoie, à une quinzaine de kilomètres au sud de Chambéry, préfecture de département. Là, on peut y voir les ruines d’un château. Le sieur d’Entremont naquit vers 1609, probablement à Cherbourg, en Normandie. En 1650 ou 1651, il fut amené en Acadie par son ami, le nouveau gouverneur Charles de Saint-Étienne de La Tour, comme lieutenant-major et commandant des troupes du roi. Deux ou trois ans plus tard, Entremont reçut, en récompense pour ses services, le fief Pobomcoup (aujourd’hui Pubnico, en Nouvelle-Écosse) à titre de baronnie.
Il assuma plusieurs fonctions dans la colonie, devenant même, vers 1670, procureur du roi, puis il s’occupa du développement des terres qui lui avaient été attribuées. Il mourut en Acadie au début du XVIIIe siècle. Sa descendance demeure nombreuse en Nouvelle-Écosse, et tout particulièrement, à Pubnico.
Au Québec, en plus d’un canton, le toponyme Entremont désigne un lac, situé précisément dans le canton d’Entremont, sur le cours de la rivière Canimiti, et des voies de circulation, à Sainte-Foy, Saint-Marc-des-Carrières et Amos.
Proclamé en 1966, le canton d’Entremont est situé au nord du réservoir Dozois, dans la réserve faunique La Vérendrye. Ce canton de présente comme un ensemble hydrographique compliqué où l’on distingue à peine la rivière Chochoucouane et la rivière Canimiti, au sein de très nombreuses étendues d’eau. Son relief, accidenté et brisé, varie entre 350 et 537 mètres d’altitude. En dénommant ainsi cette unité géographique en 1955, on a voulu honorer la mémoire du Normand Philippe Mius ou Muis (né vers 1609 et mort vers 1700). En 1650 ou 1651, il est amené en Acadie par le nouveau gouverneur Charles de Saint-Étienne de La Tour comme lieutenant-major et commandant des troupes du roi. Deux ou trois ans plus tard, il reçoit en récompense le fief Pobomcoup (Pubnico, Nouvelle-Écosse), à titre de baronnie, et y construit son château. Cette baronnie est demeurée un bien familial jusqu’à la dispersion des Acadiens, en 1755. Les descendants qui portent ce nom d’Entremont sont encore nombreux.
Noms et lieux du Québec, ouvrage de la Commission de toponymie paru en 1994 et 1996 sous la forme d’un dictionnaire illustré imprimé, et sous celle d’un cédérom réalisé par la société Micro-Intel, en 1997, à partir de ce dictionnaire.
(Source : La France et le Québec. Des noms de lieux en partage. Commission de toponymie du Québec, les Publications du Québec, l’Association française pour l’information géographique, 1999).
Ingénieur de formation, Jean-Yves Vanier a travaillé des dizaines d'années dans la pétrochimie, à Edmonton, dans l'Ouest canadien. Ce Québécois d'origine a finalement décidé de tout lâcher pour se lancer dans la généalogie, sa passion, et il fait désormais pousser les branches généalogiques de sa famille, comme de celles de ses clients.
Au premier étage de la Cité Francophone d'Edmonton, une petite porte discrète se cache au bout d'un couloir. Un écriteau indique : « Société généalogique du Nord-Ouest ». Trois ordinateurs, deux grandes tables et des étagères garnies de bouquins remplissent les lieux. Il n'y a pas foule : trois bénévoles passionnés discutent autour d'une table, deux femmes et un homme.
Michèle Fortin, Doriane Vincent et Jean-Yves Vanier pourraient presque dire qu'ils sont de la même famille, car ils ont tous de la famille originaire du Québec. « On se trouve des ancêtres communs entre francophones, facilement. Au Québec, l'endogamie était très importante, à l'origine, il n'y avait que quelques milliers de colons en Nouvelle-France ! En cadeau à mes parents, je leur ai même trouvé un cousin à la 11e génération », s'amuse le généalogiste, 52 ans, de long cheveux gris encadrant des petites lunettes rectangulaires.
Michèle renchérit avec un grand sourire : « On a même des vedettes dans nos arbres généalogiques ! Moi, je suis une cousine très lointaine avec Céline Dion – comme beaucoup de monde, et j'ai même le Premier ministre Justin Trudeau, à quatre générations, ce n'est pas si loin. »
Contrairement à beaucoup de généalogistes, Jean-Yves n'a pas découvert ses origines grâce à sa famille. Originaire de Gatineau, ville limitrophe d'Ottawa, dans l'Est canadien, il suit des études d'ingénierie, en français puis en anglais, et obtient un poste dans la pétrochimie, à Edmonton, en Alberta. « J'avais fait un stage avec une compagnie et ils m'ont offert un poste en 1995. J'étais le premier de la famille sur plusieurs générations à partir pour l'ouest », décrit le généalogiste. Une dizaine d'années plus tard, sa mère reçoit, à la maison familiale de Gatineau, une lettre qu'elle lui transfère. « C'était une lettre qui disait : je suis généalogiste, je m'appelle Noël Vanier de Laval, et si vous me donnez l'information de votre famille immédiate, je vous envoie votre arbre généalogique », se rappelle Jean-Yves.
Curieux, il accepte, transmet des informations sur sa famille et reçoit quelques semaines plus tard une enveloppe bien plus épaisse. Là, Jean-Yves est impressionné : « C'étaient de très grandes feuilles. J'étale tout ça par terre, et ça me donne un arbre avec ma famille, de mon nom, jusqu'au premier Guillaume Vanier, originaire d'Honfleur, arrivé en 1665. J'ai appris que j'étais cousin avec le gouverneur général Georges Vanier, par exemple ! »
Pour remercier ses proches qui l'ont aidé, Jean-Yves décide en 2006 de créer un site internet avec un objectif : retracer l'intégralité de ses ancêtres. « Aujourd'hui, il est énorme, à l'époque, c'était tout petit. Google l'a référencé, puis un autre généalogiste, Vanier m'a contacté pour me dire que je pouvais ajouter une autre branche à son arbre, et encore un autre. C'est devenu un site familial de toute l'Amérique du Nord. » Pendant un temps, quatre Vanier, généalogistes amateurs ou professionnels, travaillent ensemble. Aujourd'hui, l'arbre numérique compte des milliers d'ancêtres.
Mais Jean-Yves ne s'arrête pas là, il commence à sérieusement se plonger dans le domaine et poursuit des recherches en amateur. Après 25 ans dans la pétrochimie, il craque : « J'ai fait un burn-out et je me suis dit que je devais m'arrêter. J'avais accumulé assez d'argent, et mon épouse, qui travaillait encore, m'a rappelé qu'elle avait eu cinq ans de congés pour faire des études, et que je pouvais le faire à mon tour. » La pandémie de coronavirus le lance définitivement. Il devient professionnel en se formant en ligne, obtient des diplômes en généalogie. « Je suis plus heureux, moins stressé. La rémunération est moins bonne, mais c'est un travail très valorisant : je rends les gens heureux. Avant, tu sais, je fabriquais du plastique », souffle le professionnel.
Depuis trois ans, il a lancé son entreprise, Vos Aïeux. Ce qu'il aime, c'est la diversité des histoires. Les Québécois, souvent, veulent connaître leurs origines en France, qui remontent pour certains au XVIe siècle. Les Acadiens, une population qui a été déportée après la conquête anglaise, veulent plutôt savoir ce qu'ont vécu leurs ancêtres à cette époque. Certaines trajectoires le touchent beaucoup : « J'avais notamment retracé l'histoire de deux Acadiens déportés en France, à Saint-Malo, et qui étaient morts, l'une durant la traversée et l'autre peu de temps après, laissant derrière eux des orphelins. »
Certaines recherches, les plus simples et directes, ne lui prennent que quelques heures, qu'il facture moins de cent dollars canadiens, une soixantaine d'euros. D'autres en revanche… « Un monsieur m'a engagé pour plusieurs années. Il veut tout savoir, toutes les histoires de tous ses ancêtres. Il doit bien dépenser près de 20 000 dollars ! Il dit que c'est un legs pour ses enfants, il veut même que je lui écrive un livre avec toutes les anecdotes que j'aurais trouvées », décrit Jean-Yves, encore étonné.
En tout cas, Jean-Yves Vanier n'est pas près de se lasser. Chaque présentation, qu'il fait devant des familles qui l'ont engagé, lui rappelle pourquoi il a choisi ce métier : « Les gens adorent ça. Quand je fais mes présentations, tout le monde est heureux, ils sont émerveillés par leurs propres histoires, qu'ils ne connaissaient pas. »
Dans cette série de tartufferies (d'Accent 1,2,3) , de Nom (1,2,3) ou de Culture (1,2) nous nous aventurons pour ce nouvel épisode de l'autre côté de l'Atlantique où mi-septembre a été révélé qu’en 2019 le Conseil scolaire catholique de Providence, rassemblant plusieurs dizaines d’écoles dans le sud de l’Ontario, a décidé, à l’invitation de Suzy Kies, qui se présentait comme une gardienne du savoir autochtone, de purger les bibliothèques scolaires de plusieurs milliers d’ouvrages accusés de relayer une vision défavorable ou négative des Amérindiens.
L'enquête menée par Radio Canada a montré que la dite Suzy Kies coprésidente de la commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada n'avait pas d'ascendance autochtone avérée car elle ne figure pas dans les registres des conseils de bande abénakis et on ne lui trouve aucun ancêtre autochtone jusqu'à au moins l'année 1780.
Que s'est-il donc passé en 2019 ? Sur l'injonction de cette dame, le groupe scolaire a détruit près de 5000 livres jeunesse parlant des Autochtones dans un but de réconciliation avec les Premières Nations, Une cérémonie de "purification par la flamme" s’est tenue en 2019 afin de brûler une trentaine de livres bannis, "dans un but éducatif". Les cendres ont servi "comme engrais" pour planter un arbre et ainsi "tourner du négatif en positif". Autrement dit un autodafé (étymologiquement un « acte de foi ») a été réalisé au nom de la Cancel Culture laquelle consiste à détruire ce qui n'est pas conforme aux normes du moment. Un document de 165 pages, détaille l'ensemble des titres éliminés, ainsi que les raisons invoquées. Par exemple pour "Tintin en Amérique" : le motif du retrait est un "langage non acceptable", des "informations erronées", une "présentation négative des peuples autochtones" et une "représentation fautive des Autochtones dans les dessins". Des livres qui présentaient des bricolages qualifiés d’"appropriation culturelle" ont aussi été retirés. Deux biographies de Jacques Cartier publiées dans les années 1980 ont été retirées pour des informations jugées "désuètes et fausses". La biographie de l’explorateur Étienne Brûlé, Le Fils des Hurons, a aussi fait les frais du comité, notamment pour "fausse information historique", alors que les auteurs Jean-Claude Larocque et Denis Sauvé sont deux diplômés en histoire de l’Université d’Ottawa qui ont enseigné dans des écoles francophones de l’Ontario. Leur travail a d'ailleurs reçu plusieurs distinctions.
L'idéologie "woke" qui sous-tend cet autodafé est basée sur le principe "Jamais à propos de nous sans nous", autrement dit selon Suzy Kies, un livre sur les Autochtones ne peut pas être écrit par un non-Autochtone, à moins qu’un Autochtone ait révisé l'œuvre ou y ait collaboré.. C'est une vraie préoccupation car si on applique ce principe de manière large, on voit mal comment parler de civilisations disparues, ou même accepter des recherches historiques faites par des personnes non directement concernées. On comprend mieux dans cet environnement l'appel de l'historien suisse Christophe Vuilleumier qui affiche sur son blog un plaidoyer pour l'histoire.
N'est-ce pas l'acculturation de notre jeunesse qui lui fait voir son présent partout ? Certains reconnaissant dans le tableau l'Espéré de Ferdinand Georg Waldmüller une adolescente sur son smartphone alors qu'elle lit une lettre. Faîtes vous une idée ci-dessous.
Le 6 septembre, on a appris qu'en ce début de XXIe siècle, en Occident, il existait encore des censeurs capables de brûler des livres parce que leur contenu était jugé offensant.
Voici le contexte: en 2019, des écoles francophones de l'Ontario, au Canada, ont supprimé de leurs rayonnages à disposition des enfants des ouvrages accusés de propager des stéréotypes négatifs sur ceux qu'on appelle tantôt les peuples autochtones, tantôt les Premières Nations, tantôt les Amérindiens, et qu'il était autrefois d'usage d'appeler les «Indiens» (mot qui, rappelons-le, remonte à une erreur géographique du XVe siècle, lorsque les Européens crurent débarquer en Inde alors qu'ils venaient de découvrir un continent nouveau pour eux).
Comme le rapporte le journaliste Thomas Gerbet dans un article publié par Radio Canada, il s'agissait d'une grande «épuration littéraire» concernant rien moins que trente écoles. Près de 5.000 livres ont été détruits «dans un but de réconciliation avec les Premières Nations». Une cérémonie de «purification par la flamme» (sic) s'est tenue dans une école où une trentaine de livres ont été brûlés puis ont servi d'engrais pour planter un arbre et «tourner du négatif en positif». Les cérémonies programmées dans d'autres écoles ont été ajournées pour cause de pandémie.
On pourrait se croire dans une dystopie à la Atwood, Orwell ou Bradbury, mais non.
Cerise sur le gâteau flambé, Suzy Kies, l'une des principales initiatrices de cette opération, celle qui a accompagné le conseil scolaire dans la destruction de ces livres en tant que «gardienne du savoir» et revendique des racines autochtones, s'est avérée être une menteuse dépourvue de la moindre goutte de sang amérindien. Mais le Parti libéral du Canada où elle occupe le rôle de coprésidente de la commission autochtone depuis 2017, une fois ce mini-scandale révélé, a indiqué que «Mme Kies s'identifie elle-même comme Autochtone non inscrite». Comme le dit Dominique Ritchot, coordonnatrice de la Société généalogique canadienne-française, qui a collaboré avec Radio-Canada à titre de chercheuse indépendante: «La Madame, elle en beurre épais. Elle n'a aucun ancêtre autochtone sur au moins sept générations.»
Depuis, sous la pression d'une controverse qui a fait le tour de la planète, le Conseil scolaire catholique (CSC) Providence a fait machine arrière. Près de 200 livres dont le contenu était encore à évaluer échapperont, pour le moment, à une éventuelle destruction.
"Les révélations de Radio-Canada selon lesquelles la « gardienne du savoir » autochtone qui a accompagné le Conseil scolaire, Suzy Kies, n'est pas Autochtone ont accéléré la décision de la direction". https://t.co/oiDbHReuW1
— d_schneidermann (@d_schneidermann) September 10, 2021
Les livres et les raisons de leur bannissement ont été recensés dans un document faisant rien moins que 165 pages. Il n'en faut pas autant pour identifier la véritable nature de cette démarche. Cet autodafé, si effrayantes que soient les images qu'il évoque (en Europe, les brûleurs de livres ont plutôt mauvaise presse depuis 1945) a des côtés ridicules et dérisoires qui sont une douleur pour l'entendement.
« Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes. » Heinrich Heine. Une trentaine de livres détruits par le par une école de l’Ontario, parce qu’ils véhiculaient des stéréotypes négatifs sur les habitants des Premières Nations du Canada. https://t.co/m2NtQFtzwl
— Licra (@LICRA) September 9, 2021
Car il s'agissait, par exemple, d'éliminer certains albums d'Astérix (une Indienne en mini-jupe, amoureuse d'Obélix, étant jugée trop sexualisée), de Tintin (qui présenterait les peuples autochtones «de façon négative», notamment par l'utilisation du mot «Peau-Rouge»), de Lucky Luke (les autochtones y sont «perçus comme les méchants»). «L'utilisation du mot Indien a aussi été un motif de retrait de nombreux livres. Un livre est même en évaluation parce qu'on y utilise le mot “Amérindien”», rapporte Radio-Canada. Un ouvrage proposant aux enfants de manger, écrire, et de s'habiller comme les Amérindiens a été considéré comme un «manque de respect envers la culture». La liste est aussi longue qu'absurde.
La littérature, dans une société démocratique, est l'ultime espace de liberté totale et il est admis que la pensée ne peut pas être censurée.
Petit rappel à l'usage des lecteurs woke et bien intentionnés désireux d'annihiler des pans entiers de la culture sous le prétexte de moraliser la société ou de racheter les fautes de leurs pères: la littérature n'existe pas pour représenter la réalité fantasmée d'une certaine catégorie de personnes. La littérature est une expression de l'imaginaire d'un ou de plusieurs auteurs et autrices, à laquelle le lecteur est libre de s'identifier ou pas.
Il n'existe pas de tables de la loi de la fiction sur lesquelles sont gravés en lettres d'or les commandements de l'écrivain. Chacun écrit ce qu'il veut. Et chacun lit ce qu'il veut. La littérature, dans une société démocratique, est le seul et ultime espace de liberté TOTALE. C'est un prolongement de la pensée et, dans les sociétés démocratiques (et ce n'est pas un détail), il est admis que la pensée ne peut pas être censurée.
Pourquoi vouloir éliminer ces livres? Parce que, selon les défenseurs des peuples brimés d'Amérique du Nord, ils leur manquent de respect. Cet argument est matière à débat, œuvre par œuvre, et si possible avec leurs auteurs (dont certains ont découvert à cette occasion qu'ils étaient racistes. «Même des auteurs autochtones ont été envoyés au recyclage, à cause de l'usage de mots jugés inappropriés. Le roman jeunesse Hiver indien, de Michel Noël, a été écarté pour propos raciste, langage plus acceptable, information fausse, pouvoir des Blancs sur les Autochtones, et incapacité des Autochtones de fonctionner sans les Blancs», explique Thomas Gerbet. Michel Noël, qui était descendant d'Algonquins et militant pour la cause autochtone, donc.)
Et si, à l'issue d'une réflexion honnête, le lecteur estime que livre est offensant, il peut, en effet, exercer sur lui la meilleure, la plus efficace des censures: ne pas le lire. En le laissant fermé, il évitera à ce macho d'Obélix de contaminer son âme pure (et celle de ses enfants, bien sûr). Pour les autres, rien de mieux que de se faire une opinion par soi-même, et, au passage, de découvrir comment pensaient, écrivaient et lisaient ceux qui sont passés sur Terre avant nous et ont ancré les racines de notre histoire.
Croire qu'un enfant n'est pas capable de comprendre que certains usages n'ont plus cours, certaines appellations sont désuètes voire insultantes, c'est le prendre pour un crétin, ce qui n'est pas très bienveillant de la part de personnes dont le but affiché est de façonner un monde de Bisounours dont toute trace négative serait extirpée. Les enfants exposés à une société progressiste et évoluée ne se transforment pas en monstres de sexisme ou de racisme dès lors qu'ils voient Pocahontas à la télé («Pocahontas, elle est tellement sexuelle et sensuelle, pour nous, les femmes autochtones, c'est dangereux», a déclaré celle-qui-s'identifiait-comme-une-autochtone, alias Suzy Kies.)
Vouloir détruire toute œuvre qui représente une époque dont on n'a pas à être fier, ou des stéréotypes éculés et indignes, qu'ils soient réels (car évidemment, il y en a) ou fantasmés (Astérix? Sérieusement?), c'est tenter de moraliser la fiction pour ne laisser que des livres «purs», qui ne risquent de choquer personne et ne relatent qu'avec un vocabulaire cautionné par les tenants du bien-parler (et de préférence en écriture inclusive) des histoires où les méchants sont parfaitement identifiés, les gentils exempts de tout défaut ou aspérité, et où la complexité humaine n'a pas sa place. C'est-à-dire, à terme, d'éliminer la littérature.
Toute la littérature (oui, même Oui-Oui, qui pollue comme un taré avec sa voiture jaune alors qu'il pourrait se déplacer à vélo, et dont l'essence provient sûrement d'un puits de pétrole en Amazonie où des peuples indigènes sont chassés de chez eux par des compagnies sans scrupules). Et vous savez qui revendique l'élimination de toute la littérature au profit de l'idéologie? Mais si, bien sûr, vous le savez (et c'est ainsi que le point taliban remplaça le point Godwin).
Ceux qui brûlent ces histoires seraient bien inspirés, avant d'allumer le bûcher, de les relire: les tyrans, ce sont souvent ceux qui perdent à la fin.
En outre, en plus d'être inepte, c'est une démarche vaine, si vaine. En effet, vous pouvez brûler un livre, le reléguer au placard, le dissoudre dans l'acide, le jeter à la mer, le faire bouffer à vos ennemis, il est déjà trop tard: il existe, et les mots, les images, les idées qu'il contient sont indestructibles. La réalité du passé, aussi déplaisante qu'elle puisse vous paraître, ne sera pas modifiée parce que vous en aurez détruit les preuves et les traces.
Sans parler de l'attrait absolu que peut constituer une «bibliothèque interdite» pour de jeunes esprits avides de transgression. Détruire un objet physique pour symboliser une volonté d'anéantissement de concepts, d'idées et d'histoires a toujours été, et sera toujours, l'apanage des tyrannies. Ceux qui brûlent ces histoires seraient bien inspirés, avant d'allumer le bûcher, de les relire: les tyrans, ce sont souvent ceux qui perdent à la fin.
On prend rarement le temps, au Québec, de rappeler qu’il n’y a pas si longtemps que tous les Français parlent français.
C’est que l’Europe s’est développée au Moyen Âge comme un ensemble de royaumes aux frontières instables, et donc les monarques se mariaient entre eux, évoluant dans un univers culturel et linguistique à part de populations très diversifiées. Et la France ne fait pas exception. L’occitan, le catalan, le breton, le picard, l’alsacien, le basque ne sont que quelques-unes des langues autochtones de la France, parlées comme langues maternelles et souvent comme seules langues de bien des sujets de la France de l’Ancien Régime, dans l’indifférence quasi totale de la monarchie. Ce qui importait au pouvoir politique des rois qui ont administré notamment la Nouvelle-France, c’était surtout que le français soit normé et imposé comme langue de l’État et de l’administration pour supplanter le latin, et donc le pouvoir de l’Église.
C’est principalement avec la Révolution française qu’on s’est mis à s’intéresser à cette diversité linguistique, perçue alors comme un obstacle à la circulation des idées politiques républicaines et laïques. Et après la période de va-et-vient politique qu’a connue la France au XIXe siècle, la Troisième République instaure dans les années 1880 une série de lois sur l’instruction primaire obligatoire — en français — sur l’ensemble du territoire. On veut alors une république, unie et unitaire. Et avec l’industrialisation et la montée du capitalisme, la bourgeoisie dominante a avantage à créer une masse qui suit les mêmes normes, travaille de la même manière, consomme les mêmes produits et les mêmes journaux.
Dans les écoles de France, on déploie un ensemble de châtiments, souvent physiques, pour punir les enfants qui parlent leur langue maternelle. On leur enseigne finalement non seulement le français, mais aussi l’infériorité de leur culture et de leur milieu familial. En occitan, on parle de vergonha pour nommer l’effet des politiques républicaines sur la psyché populaire. La honte. C’est par la honte, et souvent par la violence envers les enfants, que le français est devenu la langue de la République. Le projet linguistique républicain est donc fondamentalement un projet disciplinaire. Il faut parler le français, le bon, le patriotique, le beau, l’exact, le supérieur, le vrai, le pur. Une liste de notions qui, faut-il le spécifier, n’ont d’assises dans aucune science du langage. Les dogmatiques les plus orthodoxes de la langue française n’ont souvent (nécessairement) aucune notion de sociolinguistique.
L’unitarisme républicain a bien sûr été amené dans les colonies françaises au même moment qu’il a été imposé en France même. On a aussi tenté, tant bien que mal, d’enseigner aux fils des potentats « indigènes » non seulement le français, mais aussi la fierté et le sentiment de supériorité qui viennent avec le rapprochement avec la norme, ainsi que la honte et le mépris de sa langue maternelle ou des variants locaux du français. Cette honte, elle laisse des traces, d’une génération à l’autre, tant en France que dans son (ex) empire.
Après des décennies de lavage de cerveau, une France transformée par cet idéal politique « redécouvre » le Québec, et sa langue qui a échappé à cette entreprise de réingénierie sociale républicaine. Et une partie des élites québécoises, à son contact, internalisent aussi cette honte et la transmettent à leur tour aux gens d’ici, au nom, paradoxalement, de la fierté nationale. Frustrés d’être l’objet des moqueries des Hexagonaux, on se moque à son tour des Saguenéens ou des gens d’Hochelaga. Des Parisiens disent aux élites montréalaises qu’elles sonnent comme le Moyen Âge, et elles, à leur tour, traitent les Acadiens, les Cajuns et les Franco-Manitobains comme des vestiges du passé.
Si l’on prend rarement le temps d’expliquer cette histoire de la langue française au Québec, c’est notamment que l’on se préoccupe, avec raison, de la place prépondérante de l’anglais en Amérique du Nord, et surtout de cet autre projet impérialiste qu’est le Régime britannique à l’origine du Canada moderne. On croit que nos insécurités linguistiques nous viennent de cette situation de minoritaires sur le continent. C’est vrai, en bonne partie. Mais il ne faut pas non plus oublier d’examiner cette francophonie, le projet politique qu’elle porte, ses effets insécurisants et sa logique disciplinaire génératrice de honte et de hiérarchie qui pèsent sur les francophones « hors norme » de tous les continents, Européens y compris.
Il faut réfléchir à la langue française en Amérique non seulement face à l’anglais, mais aussi face à elle-même, dans toute sa complexité. Qu’est-ce que cela veut dire de dénoncer les tentatives d’assimilation et de stigmatisation vécues par les enfants francophones des Amériques aux mains des Britanniques et des Américains, tout en ayant participé à des projets missionnaires visant à assimiler les enfants haïtiens, sénégalais ou innus et à stigmatiser leur langue maternelle ? Qu’est-ce que ça signifie de dénoncer le règlement 17 qui a longtemps compliqué l’enseignement du français en Ontario pendant que l’État québécois s’acharne à franciser les jeunes du Nunavik ? Qu’est-ce qui se produit quand des militants de gauche, qui militent pour l’équité et l’inclusion, s’en prennent à l’orthographe des internautes moins scolarisés qu’eux plutôt qu’à leurs idées ? Ou lorsqu’on « se donne un accent » pour faire sérieux à la télévision d’État ou à l’université ?
Dénonce-t-on les effets néfastes de l’impérialisme britannique parce qu’on est anti-impérialiste ou parce qu’on lui aurait préféré un impérialisme différent, où l’on aurait été plus dominant ? Est-on contre le mépris des Franco-Québécois ou contre le mépris tout court ? Se pencher sur ces questions, c’est s’interroger sur ce que l’on veut que notre francophonie signifie à la face du monde, et aussi sur la manière dont les francophones se traitent entre eux, et sur le rapport traversé de contradictions, d’émotions et souvent d’insécurité de chacun envers sa langue et son identité. À nous de voir, avec les francophones de partout dans le monde, ce que signifie parler français, de mettre en question ses normes et de s’approprier (enfin) sa langue.
Dans le cadre de notre dossier sur la mémoire, l'historien Gilles Havard retrace dans un entretien au HuffPost l'histoire méconnue de la Nouvelle-France, qui fut en réalité une "Amérique franco-indienne".
Par Pierre Tremblay
Signature du Traité de Grande Paix à Montréal en 1701
DOSSIER MÉMOIRE - Il suffit d’entrer dans une librairie française pour cerner l’angle mort. Dirigez-vous vers le rayon “histoire”, puis auscultez la section “Amériques”, si elle existe. À coup sûr, vous découvrirez maints ouvrages sur l’histoire contemporaine des États-Unis. La vie de Barack Obama, la crise des missiles de Cuba ou le 11 septembre 2001, jusque dans leurs moindres détails.
Mais difficile d’élargir ce spectre états-unien. Le Canada, le Québec? La section “guides de voyages” risque d’être plus fournie. Et la Nouvelle-France? Presque un trou noir. Dans l’Hexagone, l’histoire française de l’Amérique du Nord, qui s’est pourtant écrite sur un territoire colossal s’étendant de la Louisiane au Labrador, aux 17e et 18e siècles, est aujourd’hui presque oubliée.
Cet article fait partie de notre dossier “La mémoire en mouvement”. Alors qu’Emmanuel Macron appelle à la création d’une liste de personnalités pour mieux représenter “la diversité de notre identité nationale”, Le HuffPost se plonge dans l’histoire de France et dans l’actualité pour interroger notre mémoire collective.
La “Nouvelle-Orléans” et son “frenchquarter”, l’accent des “cousins québécois”... “Notre mémoire collective semble se résigner à n’entrevoir l’histoire des colonies françaises d’Amérique du Nord qu’à travers ces images fugaces et évanescentes”, explique l’historien Gilles Havard, en introduction de son “Histoire de l’Amérique française” (Flammarion) co-écrite avec Cécile Vidal, directrice d’études à l’EHESS.
“Par comparaison avec celle des îles à sucre, cette histoire occupe une faible place dans les programmes scolaires et elle reste peu enseignée à l’université”, rappelle-t-il.
Dans un long entretien au HuffPost, ce spécialiste de la Nouvelle-France et directeur de recherche au CNRS retrace ce pan méconnu de l’histoire française, en accordant une attention particulière aux relations franco-amérindiennes, fil rouge de ses recherches depuis une vingtaine d’années. Plongée dans une histoire complexe faite d’alliances, de guerres, de commerce et de métissages.
Ces derniers mois, les Français ont abondamment discuté de leur mémoire collective, mais l’histoire et les figures de l’Amérique du Nord française sont absentes de ces débats. Pourquoi ?
Le principal facteur, c’est que cette portion de l’empire français a disparu lors de la Guerre de Sept ans, en 1763, et donc avant la Révolution française, événement fondateur de notre histoire et identité nationale. Tout cela apparaît donc très lointain. C’est aussi l’histoire d’un échec. Les Français ont été battus par les Britanniques et on pourrait dire, même si c’est un peu simpliste, que l’amour propre national a pu freiner l’intérêt pour cette période.
Et puis c’est une histoire éclipsée par celle des États-Unis, première puissance mondiale. Côté américain, l’idéologie de la “Destinée manifeste” postule que l’histoire du continent commence avec l’arrivée des anglo-américains. Ce qui a précédé est considéré comme inférieur d’un point de vue civilisationnel. Le passé français et celui des autochtones sont donc perçus comme un prologue anecdotique.
Carte de la Nouvelle-France (en bleu) vers 1755
Vous écrivez que l’étude de l’Amérique française nécessite d’abord de “redéfinir les concepts souvent galvaudés de colonisation et d’impérialisme”. C’est-à-dire ?
Cette histoire nous amène à mieux réfléchir au phénomène colonial dans sa diversité et sa complexité. Par exemple, la colonisation de la Nouvelle-France, ça ne signifie pas immédiatement la soumission des Autochtones, ni nécessairement la confrontation.
La Nouvelle-France était peu peuplée (3000 colons en 1663, autour de 80.000 en 1760). Elle a donc existé grâce aux liens noués avec les Amérindiens. Ces derniers trouvaient aussi un intérêt dans ces alliances, pour mieux faire la guerre aux autres peuples autochtones ou résister à l’expansion des Britanniques, plus avides de leurs terres.
C’est pour cela que vous dites que l’Amérique française fut en fait une “Amérique franco-indienne” ?
Oui. Il y a bien un empire qui se construit, mais il repose sur des formes d’adaptation aux Autochtones, plus que d’imposition des normes coloniales. Le projet consiste à franciser et évangéliser les Amérindiens, mais c’est parfois le contraire qui se produit.
Il faut donc éviter l’histoire téléologique et anachronique en considérant que les autochtones sont immédiatement des victimes de l’histoire coloniale. Ce serait leur enlever leur marge de manœuvre, leur capacité à être des acteurs historiques. En revanche, à la longue, surtout au 19e siècle (époque britannique puis canadienne ou américaine), les Autochtones ont bien été soumis et refoulés dans des territoires exigus, devenant en quelque sorte des étrangers sur leurs terres.
L’arrivée des Français, et plus largement des Européens, va même provoquer une “tempête démographique” chez les Amérindiens...
En effet. C’est la plus grande tragédie de l’histoire des Amériques. Les Autochtones ont subi de plein fouet le choc microbien : ils n’étaient pas immunisés contre la grippe ou la variole. C’est, de loin, la principale cause de mortalité liée à la colonisation. Des groupes pouvaient perdre jusqu’à 90 % de leur population.
Si Jacques Cartier est passé avant lui, c’est Samuel de Champlain qui démarre l’entreprise coloniale en 1603. Quel est le projet au départ ?
Au 16e siècle, les pêcheurs normands, bretons et basques viennent pêcher la morue dans le golfe du Saint-Laurent. Mais bientôt, c’est un autre produit qui intéresse les Français : la peau de castor, qui sert à fabriquer des chapeaux en Europe. La monarchie va alors accorder des monopoles de traite à des entrepreneurs en échange de l’obligation de s’établir sur place et d’installer des colons.
Lors de ce voyage, une première alliance naît d’une rencontre fortuite avec des Amérindiens à Tadoussac (Québec), alors que des guerriers algonquins, montagnais et malécites célèbrent une victoire contre leurs ennemis, les Iroquois. Comment en arrive-t-on à ce rapprochement?
Les Français connaissaient déjà ces Autochtones. Mais cette rencontre est l’occasion de fonder une alliance durable. L’amitié des Autochtones est indispensable aux Français s’ils veulent circuler et s’implanter en Amérique du Nord. Leur alliance avec ces peuples est fondée sur le commerce et la guerre contre un ennemi commun. En s’alliant avec les Montagnais, les Hurons-Wendat et les Algonquins, les Français sont ainsi conduits à combattre les Iroquois.
Les Amérindiens trouvent aussi leur intérêt dans la traite des fourrures, car ils reçoivent en échange, par exemple, des textiles et des objets en fer (haches, marmites).
En 1701, cette politique d’alliance atteint son paroxysme avec la Grande Paix de Montréal, un traité hors normes entre les Français et une quarantaine de nations amérindiennes, dont les Iroquois. Peut-on parler alors d’un rapport de nation à nation?
Oui, ce sont des rapports diplomatiques tels qu’ils peuvent exister au même moment entre États européens. Mais les Français s’adaptent aux Autochtones : les discours de leurs chefs sont traduits par des interprètes français, on brandit des colliers de wampum – faits de perles de coquillages – pour appuyer sa parole, on fume le calumet… Les ambassadeurs autochtones s’adaptent eux aussi aux Français, qui leur demandent d’inscrire leur marque sur le traité de paix. Ils y dessinent alors des animaux totémiques.
Extrait du traité de 1701 avec les pictogrammes des nations
Dans “L’Amérique fantôme” (Flammarion) et “Empire et métissages” (Septentrion), vous sortez de l’ombre les “coureurs de bois”, peut-être les acteurs les plus aboutis de cette Amérique franco-indienne. Qui étaient-ils?
Ce sont des colons français, tous des hommes, qui circulaient dans l’intérieur du continent nord-américain pour collecter des fourrures auprès des Amérindiens. Sur place, certains épousent des Amérindiennes à la mode autochtone. Les enfants qui naissent de ces unions deviennent, pour la plupart, de petits Autochtones, élevés par leur mère. Les patronymes français que l’on trouve aujourd’hui dans les réserves indiennes du Dakota ou du Montana témoignent de ces interactions.
C’est ainsi que le “rêve de Champlain”, pour reprendre les mots de l’historien David Hackett Fischer, prend forme? Lui qui disait aux Hurons en 1633 : “Nos jeunes hommes marieront vos filles, et nous ne formerons plus qu’un peuple”?
Le “rêve” de Champlain n’est pas un rêve de métissage, mais plutôt de francisation des Autochtones. Si des femmes amérindiennes se marient à des colons, leurs enfants, espère Champlain, deviendront de petits Français. Mais ce projet, relancé à l’époque de Colbert, va échouer. Au 18e siècle, cette politique officielle d’intermariage est abandonnée. Un discours mixophobe se développe alors.
Cela ne veut pas dire non plus que les tensions et les conflits étaient inexistants en Nouvelle-France...
Non, en plus des guerres contre les Iroquois, les Français, toujours avec des alliés autochtones, sont engagés autour de 1730 dans une politique de destruction des Renards (peuple des Grands Lacs) et des Natchez (en Basse-Louisiane), parce que ces groupes se montrent belliqueux. Des Natchez sont d’ailleurs déportés comme esclaves à Saint-Domingue, et leur société est en bonne partie détruite.
Même si c’était dans une moindre mesure que les Antilles, la Nouvelle-France a aussi connu l’esclavage. À ce sujet, vous faites la distinction entre la Basse-Louisiane et le reste de la colonie...
Oui, la Louisiane, comme Saint-Domingue (Haïti), constituait à partir des années 1720 une “société esclavagiste”, c’est-à-dire que son économie reposait sur le travail des esclaves africains, exploités dans des plantations de tabac ou d’indigo. En revanche, dans la vallée du Saint-Laurent (Canada), les esclaves représentaient environ 5 % de la population. Ils étaient pour la plupart des domestiques, en ville. Il s’agissait en grande majorité d’Autochtones, et
secondairement d’Africains.
La Nouvelle-France fut l’un des “laboratoires” où se sont développées la culture et l’identité françaises.Gilles Havard, historien
L’histoire de l’Amérique française semble s’écrire beaucoup à partir des archives coloniales et plus difficilement à partir de sources autochtones, qui ne maîtrisaient pas l’écriture. Comment, en tant qu’historien des relations franco-amérindiennes, se prémunir de ce biais?
C’est la grande difficulté : faire ressortir le point de vue et les logiques des Amérindiens, avec des sources qui, pour la plupart, sont coloniales. Il faut donc les croiser avec des ethnographies produites plus tardivement par des anthropologues, qui ont enquêté auprès d’Autochtones ayant connu les modes de vie traditionnels, ainsi qu’avec les traditions orales autochtones.
Trouvez-vous dommage l’absence de toute cette histoire dans les débats sur la mémoire ?
Oui, car la Nouvelle-France fut l’un des “laboratoires” où se sont développées la culture et l’identité françaises. Dans les écrits de missionnaires ou d’autres colons tel le baron de Lahontan, on trouve, à travers le portrait (en partie fantasmé) du “Bon Sauvage”, une critique de l’absolutisme, du dogmatisme religieux et de la propriété, et la valorisation des valeurs d’égalité, de liberté et de félicité. Tout cela a nourri la philosophie des Lumières.
A contrario, à travers d’autres descriptions moins favorables dudit “Sauvage” (il serait “débauché”, “oisif”, “païen”, “insubordonné”, “polygame”), on essentialise l’identité française en traçant un portrait normatif et prescriptif du Français idéal. Il doit être chrétien, obéissant, laborieux, vivre au sein d’une famille restreinte, être alphabétisé, etc. On prépare ainsi un modèle d’unification culturelle qui verra finalement le jour sous la Révolution française.
Dans cette histoire, auriez-vous des exemples de personnages historiques pour mieux représenter “la diversité” dans notre espace public, comme le veut Emmanuel Macron ?
Il faudrait, je crois, se tourner du côté des Amérindiens. Le chef Huron-Wendat Kondiaronk, par exemple, fut le grand artisan de la Grande paix de Montréal de 1701. Chicagou, un chef Illinois, est venu faire valoir les revendications des siens jusqu’à la Cour de France, en 1725. Les femmes, individuellement, sont moins présentes dans les sources, sauf s’il s’agit d’Amérindiennes converties au catholicisme, la plus connue étant l’Iroquoise Kateri Tekakwitha, canonisée en 2012. Côté africain, je pense à Samba, un esclave bambara qui se révolte à La Nouvelle-Orléans en 1731.
Mais je ne crois pas qu’on retiendra ces individus pour nommer des rues ou pour des statues. L’enjeu politique en France semble faible. Les Autochtones et les descendants d’esclaves noirs en Louisiane sont devenus des citoyens américains ou canadiens. L’histoire de l’Amérique française semble trop déconnectée de la France contemporaine pour que cela intéresse vraiment le gouvernement. Mais j’espère me tromper.
En octobre, plus de deux ans après la disparition du dernier caribou de la vallée de la Maligne dans le parc national de Jasper, Parcs Canada a annoncé un plan provisoire de reproduction en captivité des caribous. Les femelles d’autres troupeaux seront rassemblées et enfermées dans une installation près de la ville de Jasper.
Le plan doit d’abord être évalué par des experts, ce qui aura probablement lieu en janvier. Mais Stan Boutin, biologiste à l’Université d’Alberta, voit ces solutions de dernier recours comme étant nécessaires pour sauver les troupeaux de caribous.
Il ne reste plus que trois troupeaux dans le parc national de Jasper. Aucun d’entre eux ne se porte bien. Le troupeau de Tonquin, qui compte 45 têtes, a diminué du tiers depuis 2010. Celui de Brazeau ne compte plus que 15 caribous et aucun ne compte assez de femelles pour faire croître la population. Le dernier bastion est le troupeau À la Pêche, avec 150 caribous migrateurs à l’extrémité nord du parc.
Parcs Canada cherche des moyens de sauver les caribous depuis des décennies. En 2002, la société d’État a proposé un plan de fermeture de la route Maligne, qui mène à la base de l’aire d’hivernage alpine du caribou, afin de rendre cette zone plus difficile d’accès pour les loups prédateurs.
Mais les fonctionnaires ont abandonné l’idée quatre jours après que le plan ait été rendu public et que le monde des affaires s'en soit plaint. Le plan de rétablissement du caribou n’a jamais atteint la phase de consultation publique. Le monde des affaires s’en est félicité tandis que les biologistes du parc en ont été fort attristés.
Les scientifiques s’inquiétaient qu’un animal noble comme le caribou puisse disparaître d’un parc national au Canada, comme ce fut le cas pour le troupeau de Banff en 2009. Dans le magazine Conservation Biology, plusieurs ont fait remarquer que le dernier caribou forestier du sud du parc national de Banff est mort le jour où la physe des fontaines de Banff, un petit escargot, devenait la seule espèce, sur les 449 inscrites, à bénéficier du processus de conservation complet prévu dans les lois canadiennes sur les espèces en péril.
La législation fédérale oblige le gouvernement à protéger les espèces en péril, et en 2011, il a lancé un programme de reproduction en captivité du caribou des montagnes du sud avec Parcs Canada, le gouvernement de la Colombie-Britannique et le zoo de Calgary. Ce programme devait être un nouveau départ et la pierre angulaire de la stratégie de conservation du caribou, mais l’accord a pris fin en 2015.
Les programmes de conservation fondés sur la science dans les parcs en montagne se sont longtemps opposés au tourisme. Le responsable de la conservation des ressources de Jasper a été licencié en 2015 et plusieurs soupçonnent que c’était parce qu’il avait fait pression pour publier un rapport sur la façon dont l’expansion des pistes de ski de Jasper affecterait le troupeau de caribous menacé du Tonquin.
Son départ a coïncidé avec un projet d’hébergement touristique dans la vallée de Maligne.
Il n’y a pas que les caribous de Jasper, Banff et d’autres parcs nationaux qui ont souffert. Dans les années 1970, Parcs Canada a hésité à mettre un terme au grave déclin du caribou forestier dans le parc national Pukaskwa, sur les rives du lac Supérieur.
Il n’y avait alors qu’environ 24 caribous, et la population est passée à seulement cinq individus en 2009, avant de disparaître complètement. Les caribous n’étaient pas si présents à Pukaskwa, mais ne rien faire en observant leur disparition ne devrait pas non plus être une option.
Une personne tenant une antenne en l’air près d’un lac avec en toile de fond des montagnes enneigées
Parcs Canada a fait son effort pour les espèces menacées et la reconstitution de la faune. Les bisons, parexemple, ont été réintroduits avec succès à Banff récemment,mais cette espèce peut s’adapter à presque tous les écosystèmes. Parcs Canada a également réussi l'opération délicate d’éliminer l’omble de fontaine, une espèce de truites invasive en introduisant un pesticide dans certains lacs, ce qui aurait pu être un cauchemar en matière de relations publiques.
Les caribous sont différents. Tout comme les ours polaires, ce sont des animaux qui subissent les effets du climat. Ils ont besoin de zones montagnardes, de tourbières et de marais boisés pour échapper aux prédateurs, fuir les feux de forêt et trouver de la nourriture.
Ils ont du mal à le faire en dehors des parcs nationaux, où les tourbières situées sur des sites d’exploitation pétrolière et gazière, d’exploitation forestière et d’extraction du charbon sont scindées et grugées par les routes, les lignes sismiques et les opérations d’exploitation des sables bitumineux.
En 1992, le naturaliste Ben Gadd a prédit que les caribous disparaîtraient de Jaspersi Parcs Canada ne mettait pas en place deux grandes zones d’exclusion pour les protéger. Lui et d’autres membres de la Jasper Environmental Association avaient l’oreille des biologistes du parc à l’époque, mais pas le soutien d’Ottawa.
Les hauts fonctionnaires se sont toujours pliés à la volonté des milieux d’affaires d’agrandir les pistes de ski et de construire des routes et des monuments, dont le monstrueux monument Mère Canada dans le parc national du Cap-Breton, même si cela violait l’esprit de la Loi sur les parcs nationaux.
Les ministres viennent rarement à la rescousse, car peu d’entre eux restent longtemps en poste. Depuis 1971,30 ministres ont été responsables de Parcs Canada. Deux seulement ont duré plus de trois ans,et16 ont occupé le poste pendant moins d’un an ou un peu plus.
En 2018, réalisant que la société d’État avait perdu son âme, Catherine McKenna, ex-ministre de l’Environnement, avait déclaré qu’il était temps de remettre Parcs Canada sur la voie de la conservation. Alors que McKenna est maintenant ministre de l’Infrastructure, les juges et les groupes environnementaux tentent de tenir Parcs Canada et le gouvernement fédéral imputables.
Le programme de rétablissement des caribous à Jasper est grandement nécessaire, mais il fait probablement trop peu, trop tard. Il n’y a tout simplement plus assez de caribous pour faire grossir les troupeaux.
Cela suggère également qu’il est plus facile pour le gouvernement canadien d’élever des caribous en captivité que de s’occuper de ce qui les menace dans la nature. Et c’est un triste constat sur une société d’État dont la « priorité » est de protéger « les patrimoines naturel et culturel de nos zones sensibles et de s’assurer de leur intégrité »
Le Premier ministre Justin Trudeau n’a rien déclaré sur l’intégrité écologique des parcs nationaux lorsqu’il a confié à Jonathan Wilkinson le mandat de supervision d’Environnement Canada et de Parcs Canada. Il faut maintenant un conseil consultatif national doté de pouvoirs légaux et contraignants, qui puisse assurer l’indépendance de Parcs Canada et le protéger de l’ingérence politique. En cette ère de changements climatiques, le maintien du statu quo n’est pas un gage de succès.
Après avoir délaissé Port-Royal, à la suite du ralentissement de la traite, le vice-amiral de l’Acadie Charles de Biencourt de Saint-Just s’installe à la Baie Courante et au Cap Nègre dès l’hiver 1617-1618.
La Baie Courante (ou Anse Courante) est parsemée d’îles dangereuses à cause des rochers à fleur d’eau et des courants de marées très violents[1].
Extrait. Description des côtes, points, ports et îles de la Nouvelle-France, par Samuel de Champlain. 1607.
Cap Fourchu (A), Anse Courante (B), Cap de Sable (C) et Cap Nègre (D).
(Source : Bibliothèque numérique Mondiale. Library of Congress. G3321.P5 1607. C4)
C’est le silence à Port-Royal
Avec les vingt-cinq hommes de sa troupe, écrit Adrien Huguet, Charles de Biencourt en arrive à mener une existence errante et lamentable dans la société des Souriquois dont il partage les occupations périlleuses, les fatigues et les privations.
Sa colonie décimée ne reçoit plus d’autres recrues que des matelots évadés des cales des terre-neuviers, des volontaires en rupture de bord, débarqués aux ports Canseau et de La Hève. Ces hommes introduisent à Port-Royal des habitudes nouvelles, plus indépendantes, plus vagabondes, moins laborieuses, moins tempérantes, moins réservées dans les rapports avec les filles sauvages, poursuit Huguet.
Miné par la misère et l’épuisement, Biencourt meurt en 1623 à l’âge de 31 ans.
(Source : Adrien Huguet, « Jean de Poutrincourt 1557-1615. Campagnes, voyages et aventure d’un colonisateur sous Henri IV » dans Mémoires, Société des Antiquaires de Picardie, Amiens, tome XLIV, 1932, p. 479)
Entre 1613 et 1621, de multiples opérations commerciales sont effectuées entre Samuel Georges et Jean Macain, marchands rochelais, et Charles de Biencourt.
Pour cette période, deux engagés sont recrutés par David Lomeron, marchand, secrétaire de Charles de Biencourt, écuyer, sieur de Poutrincourt, baron de Saint-Just, « grand Sagamos des Souriquois et Étchemins et pays adjacents », vice-amiral et lieutenant général en toute la Nouvelle-France, demeurant à la Baie Courante.
Le 11 janvier 1620[2], le chaudronnier rochelais Daniel Maridain se présente dans l’étude du notaire protestant Paul Chesneau, de La Rochelle, pour convenir de ses conditions d’engagement. Il promet de s’embarquer, dans six semaines, avec Lomeron dans le navire qu’il équipera pour aller retrouver le sieur de Biencourt à la Baie Courante.
Fait étonnant, il est engagé, non pas à titre de chaudronnier, mais plutôt pour faire la traite de pelleteries avec les Sauvages et l’entretien de toutes les armes qui seront dans le navire; de plus, il obéira à ce qui lui sera commandé par le sieur de Biencourt. Pour ce faire, Maridain apportera avec lui tous les outils et instruments nécessaires. Il sera nourri et logé de son départ jusqu’à son retour en France pour un salaire de 120lt. Même salaire, si de Biencourt requiert les services de Maridain pour l’hivernement de 1620-1621.
Le 16 janvier suivant[3], c’est au tour du chirurgien et pharmacien rochelais Pierre Debrie d’imiter Daniel Maridain. Cette fois, le nom du navire est mentionné. Ainsi, Debrie promet de s’embarquer « du premier beau temps que Dieu donnera » dans le navire Le Plaisir, de La Rochelle, pour aller avec Lomeron et l’équipage au voyage de la Nouvelle-France. Il sera tenu de servir et faire la fonction de pharmacien et chirurgien et s’emploiera à tout ce qui lui sera commandé par Lomeron et, en Nouvelle-France, par le sieur de Biencourt qui en aura charge à la Baie Courante. Il sera nourri et logé pendant son séjour au salaire de 135lt incluant son coffre. Il reconnaît avoir déjà reçu la somme de 75lt de Lomeron. Le reste lui sera payé à son retour en France.
Il est accordé que si de Biencourt désire que Debrie hiverne (1620-1621), il lui sera payé pour son « hivernation » et nourriture la somme de 195lt. Par contre, si Debrie retourne à La Rochelle à l’automne, il ne sera pas tenu de laisser ses médicaments au chirurgien sur place.
Voici le contrat d’engagement de Pierre Debrie en 1620.
Pacte Debrie-Lomeron
Personnellement établit David Lomeron, secrétaire de Charles de Biencourt, écuyer, sieur de Poutrincourt, baron de Saint-Just, grand Sagamos des Souriquois et Etchemins et pays adjacents, vice-amiral et lieutenant général de Monseigneur l’amiral en toute la Nouvelle-France, demeurant à la Baie Courante en ladite Nouvelle-France, d’une part. Et Pierre Debrie, chirurgien et pharmacien, demeurant en cette ville, d’autre part. Entre lesquelles parties a volontairement été fait et passé ce qui s’en suit. C’est à savoir que ledit Debrie a promis de s’embarquer du premier beau temps que Dieu donnera dans le navire nomme Le Plaisir, de cette dite ville, pour aller avec ledit Lomeron et l’équipage que ledit Lomeron y mettra audit voyage de la Nouvelle-France et y servir et faire par ledit Debrie la fonction de pharmacien et chirurgien tant allant, séjournant que retournant. Et encore s’employer à tout ce qui lui sera commandé par ledit Lomeron ou qui de lui aura charge. Et étant de par de-là aussi à tout ce qui lui sera commandé par ledit sieur de Poutrincourt, ou qui de lui aura charge. Ce fait, s’en retourner de par de-là dans ledit navire et ce, tant pour et moyennant la somme de cent trente-et-cinq livres tournois pour son coffre, salaire et loyer. Sur quoi, ledit Debrie a confessé avoir eu et reçu aujourd’hui, auparavant ces présentes, dudit Lomeron audit nom la somme de soixante-et-quinze livres de laquelle il se contente et en quitte ledit Lomeron qui a promis et sera tenu de bailler et payer le restant, montant soixante livres, audit Debrie incontinent après que ledit navire sera de retour en cette ville de La Rochelle, à port de Salut et bon sauvement pour tout délai. Que outre moyennant que ledit Lomeron a promis et sera tenu de nourrir et héberger ledit Debrie sans diminution du susdit prix aussi tant allant, séjournant que retournant. Et est accordé entre les parties que si ledit sieur de Poutrincourt désire que ledit Debrie hiverne de par de-là avec lui, icelui Debrie sera tenu comme il a promis d’y demeurer jusqu’à l’année prochaine moyennant qu’aussi outre sa dite nourriture, il lui sera payé pour sa dite hivernation, par ledit] sieur de Poutrincourt, la somme de cent quatre-vingt-quinze livres lorsqu’il s’en voudra retourner de par deçà où il sera conduit aussi aux dépens dudit sieur de Poutrincourt et dans le vaisseau qu’il enverra l’année prochaine de par deçà. Et où ledit Debrie s’en retournerait sans hiverner, il ne sera tenu de laisser aucun de ses médicaments ou ferrements au chirurgien qui est de par de-là, sinon en le payant de la juste valeur desdits médicaments ou ferrements. Et pour l’effet et exécution des présentes, lesdites parties ont élu leur domicile en cette ville; savoir ledit Lomeron, audit nom, au logis de la Fontaine, rue du Minage, et ledit Debrie en la maison de Balthazar Debrie, maître apothicaire, demeurant en cette ville, son frère, pour y recevoir de part et d’autre tous commandements, actes et exploits de justice nécessaire qu’il promet avoir pour agréable et tant être de même effet, force et vertu que si fait étaient à sa personne ou domicile ordinaire irrévocablement. Ce stipulant les parties et pour ce faire icelles défense en leur endroit sans venir au contraire à peine de tous dépens, dommages et intérêts. Elles ont obligé l’une à l’autre tous et chacune leurs biens meubles et immeubles présents et à venir quelconques. Et outre ledit Debrie à tenir prison comme pour deniers royaux. Renonçant &. Fait à La Rochelle, en l’étude dudit notaire après-midi, le seizième de janvier mille six cent vingt. Présents Jean Guillemard et Paul Coignard, clerc, demeurant en ladite Rochelle. Signatures.
Extrait. Contrat d’engagement de Pierre Debrie pour la Nouvelle-France. 16 janvier 1620.
(Source : AD17. Notaire Paul Chesneau, 3E249, fol. 11v, 12r)
Qui sont ces engagés de 1620 ?
Pierre Debrie Daniel Maridain
Les deux engagés sont originaires de La Rochelle (Aunis).
Les engagés protestants rochelais Pierre Debrie et Daniel Maridain quittent La Rochelle, probablement en mars, pour la Baie Courante, en Nouvelle-France (Acadie), à bord du navire Le Plaisir (80 tx).
Le navire Le Plaisir fait voile pour la deuxième fois en Nouvelle-France, à la suite d’un contrat de charte-partie du 28 novembre 1619, souscrit par David Lomeron au nom du sieur de Biencourt. Le contrat est déclaré résolu par un acquit du 29 octobre 1620[4].
Que sont-ils devenus ?
Les deux engagés (100 %) retournent en France dès leur engagement terminé ou peu après : Debrie (1620) et Maridain (1621).
DEBRIE, Pierre
Demeurant à La Rochelle (Aunis), Pierre Debrie s’engage à David Lomeron, le 16 janvier 1620, pour aller travailler en Nouvelle-France, pour quelques mois, à titre de chirurgien et pharmacien, pour un salaire de 135 livres (avance de 75 livres). Il signe. Il est le frère de Balthazar Debrie, maître apothicaire rochelais. Il quitte La Rochelle, probablement en mars 1620, à bord du navire Le Plaisir (80 tx) à destination de la Baie Courante (Nouvelle-France). Semble être reparti en France à l’automne 1620.
Est-ce lui qui épouse Anne Imbert, le 1er février 1603, dans la salle Saint-Yon à La Rochelle ?
Extrait. Engagement de Pierre Debrie. 16 janvier 1620.
(Source : AD17. Notaire Paul Chesneau. 3E249, fol. 11v, 12r)
MARIDAIN, Daniel
Demeurant à La Rochelle (Aunis), le chaudronnier Daniel Maridain s’engage à David Lomeron, le 11 janvier 1620, pour aller travailler en Nouvelle-France, pour quelques mois, pour faire la traite des pelleteries et l’entretien d’armes pour un salaire de 120 livres (aucune avance). Ne signe pas. Il quitte La Rochelle, probablement en mars 1620, à bord du navire Le Plaisir (80 tx) à destination de la Baie Courante (Nouvelle-France). Semble revenir en France qu’à l’automne 1621, car le 25 septembre 1620, David Lomeron remet la somme de 30 livres à Marguerite Hastier, épouse de Maridain, en déduction de son salaire.
Le 29 janvier 1605, Daniel Maridain avait épousé Marguerite Hastier, dans la salle Saint-Yon à La Rochelle.
La flotte de 1670 à destination de Québec et Percé est composée de cinq navires : quatre de La Rochelle (L’Hélène, L’Hirondelle, La Nouvelle-France et Le Saint-Pierre) et un de Dieppe (Le Saint-Jean-Baptiste).
La frégate L’Hélène (100 tx) est le sujet du présent article
La flotte de 1670 à destination de Québec est composée de quatre navires : trois de La Rochelle (La Nouvelle-France, La Sainte-Hélène et Le Saint-Pierre) et un de Dieppe (Le Saint-Jean-Baptiste).
Le navire La Nouvelle-France (250 tx) est la propriété du marchand rochelais Pierre Gaigneur qu’il a acquit, le 5 avril 1667[1], avec quatorze pièces de canon, des marchands Gédéon Bion, Daniel Brians et Paul Bion en compagnie pour la somme de 15 700lt.
TROIS-RIVIÈRES — Vous vous intéressez à vos ancêtres? Vous vous passionnez peut-être d’histoire ou de sociologie? Vous êtes enseignant et vous cherchez de nouveaux moyens de mettre un peu de piquant dans vos cours? Des chercheurs de l’UQTR, de l’UQAC, de l’Université de Montréal et de l’Université Laval viennent de mettre en ligne un nouveau portail, dont une partie est accessible au grand public et l’autre, réservée exclusivement aux scientifiques, qui permet d’en apprendre plus que jamais sur les générations passées du Québec.
Appelé Infrastructure intégrée des microdonnées historiques de la population du Québec (XVIIe - XXe siècles) ou IMPQ, ce nouveau portail regroupe des ensembles de données issues du dépouillement des recensements nominatifs canadiens et des registres d’état civil du Québec. [L’adresse pour le trouver est]( https://impq.cieq.ca).
Ce qu’il y a de différent, par rapport aux simples données généalogiques, c’est que ce portail fait converger une foule de données extrêmement intéressantes, que ce soit pour les chercheurs, amateurs ou professionnels, en histoire, en sociologie et autres domaines connexes.
On trouve en effet bien plus que le nom des parents, époux, enfants, frères, sœurs, cousins et cousines, mais également leur lieu de naissance, le métier que la personne pratiquait, son salaire, les études qu’elle a faites, à quel âge elle allait à l’école, la ou les langues qu’elle parlait, si elle avait des domestiques à son service de même que le nom de ces derniers, les endroits où elle a habité de même que sa religion.
Comme le fait valoir Claude Bellavance professeur en études québécoises à l’UQTR et membre régulier du Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ), qui a contribué à ce projet, la base de données ne fait pas état seulement de personnes ou familles illustres, mais de tout le monde qui a été recensé.
« D’après des collègues, au Canada anglais, à peu près rien n’existe de ce genre-là »
— Claude Bellavance
«Si vous prenez les anciens journaux, la littérature et autres sources, généralement, ce sont les gens connus dont on parle», souligne-t-il. Cette fois-ci, on pourra s’intéresser aux gens en général. «C’est d’aller chercher l’histoire de tout le monde à partir du petit peu de traces laissées par les gens ordinaires. Peu de sources permettent cela», explique le chercheur qui entend s’intéresser également aux anciens rôles d’évaluation.
Il faut vraiment visionner la vidéo de neuf minutes, sur la page d’accueil, afin d’apprendre à naviguer sur le portail et en tirer le meilleur profit.
Le portail donne accès, en tout, à quelque 12 millions de mentions d’individus enregistrés entre 1621 et 1914.
«On compte quelque 300 millions de liens familiaux», précise le professeur Bellavance. Un jumelage des recensements du Canada permet de suivre les personnes durant cette période. Les internautes qui désirent s’inscrire peuvent importer des fichiers Excel et émettre des commentaires aux administrateurs du portail.
La section réservée aux scientifiques donne également accès aux données de l’état civil qui, elles, ne sont pas publiques en ligne. C’est l’équipe de l’IMPQ qui évaluera à qui cet accès peut être accordé.
Les données accessibles sur ce portail couvrent les villes de Québec et Trois-Rivières ainsi que le Saguenay-Lac-Saint-Jean, la Gaspésie et la Côte-Nord. Le portail contient plus de 180 000 fiches de ménages de recensement.
Le projet de l’UQTR est déjà reconnu au niveau international, indique le professeur Bellavance. «D’après des collègues, au Canada anglais, à peu près rien n’existe de ce genre-là», dit-il.
Dans ce projet qui implique plusieurs universités, l’UQTR a pris la responsabilité de la section recensement. Les mariages ont été faits par Chicoutimi à l’aide du projet BALSAC pour tout le Québec depuis le XVIIe siècle.
Notons que le portail ne tient pas encore compte des gens de la région de Shawinigan. Une partie de la Rive-Sud, au Centre-du-Québec (Victoriaville et Drummondville, Saint-Grégoire, Pierreville, Warwick), sera faite et à Trois-Rivières, le territoire couvert va de Baie-Jolie à Cap-de-la-Madeleine.
«Pour les Trifluviens, c’est drôlement intéressant parce qu’on a entré toutes les familles, tous les individus qui ont vécu à Trois-Rivières depuis 1851 jusqu’à 1911» (jusqu’en 1921 dès 2019), précise le professeur Bellavance.
Pourtant, le Premier ministre Justin Trudeau s'était engagé à résoudre ce problème qui mine les réserves des Premières Nations depuis des années.
Pour boire un verre d'eau, ou même pour prendre une douche, certaines communautés des Premières Nations canadiennes ne peuvent pas se contenter d'ouvrir le robinet. Dans de nombreuses réserves du pays, l'eau courante est contaminée par les algues bleues, ou encore par des bactéries ou du mercure, rappelle dans un récent article le Washington Post.
Gérés par le Gouvernement fédéral, de nombreux systèmes d'épuration font de ce fait l'objet d'avis de non-consommation de l'eau. Certains sont entrés en vigueur récemment, mais d'autres durent depuis des années: «À Neskantaga, une réserve isolée du Nord de l'Ontario, les résidents font bouillir leur eau depuis 23 ans, décrit le Washington Post, après la panne d'une station de traitement construite en 1993.»
En novembre 2015, 105 avis préventifs «de longue durée» étaient en vigueur. Depuis, 71 ont été levés, mais 35 nouveaux ont dépassé le délai de 12 mois correspondant à cette définition. En résumé, 69 stations canadiennes fournissent de l'eau non potable depuis plus d'un an. «Et il y a toujours un risque qu'une nouvelle station rejoigne cette longue liste, ou qu'un avis de "courte durée" soit prolongé au-delà de 12 mois», prévient le quotidien américain.
Pourtant, le Gouvernement Trudeau a déjà dépensé 2 milliards d'euros pour mettre fin à ce fléau digne du «tiers-monde», selon les mots du chef d'une des réserves concernées. Une somme qui reste insuffisante, indiquait dans un rapport de 2017 un comité de surveillance.
Lourdeurs administratives et manque de personnel
Tout cet argent ne semble en effet pas suffire pour lever toutes les «lourdeurs administratives» qui empêchent de remettre en état de marche les stations défaillantes. Des études de faisabilité, des mesures, des plans, des remises aux normes... les démarches n'en finissent plus pour que les avis restrictifs prennent fin. «Je sais qu'il y a une volonté politique de la part du Premier ministre, remarque Erwin Redsky, chef d'une réserve indigène de quelques 290 personnes, mais si la bureaucratie ne change pas, rien ne changera».
Et quand bien même elles viendraient à bout de la paperasse administrative, les réserves peinent ensuite à trouver du personnel qualifié pour travailler dans ces stations de traitement des eaux; les opérateurs sont mieux formés, et mieux payés dans les grandes villes. Le Gouvernement soutient en ce sens des programmes visant à inciter ces techniciens à rester dans les réserves.
Justin Trudeau a promis que les avis de «long terme» interdisant la consommation d'eau courante seraient levés d'ici mars 2021. Mais après des années à se méfier de l'eau du robinet, les autochtones vont-ils vraiment oser la boire? Dawn Martin-Hill, professeur d'anthropologie et résident de la réserve des Six Nations, assure qu'un «problème plus important mettra plus longtemps à être résolu»: la confiance des habitants en l'eau de leur robinet.
Récits de voyages et de balades, made in adHoc
Dans la « vraie » vie, elle se nomme Irène Belley. Chaque année, à la belle saison, vêtue d’un fichu et d’une blouse à fleurs vieillotte, elle devient Dorine, une quinquagénaire à la langue bien pendue qui raconte aux visiteurs du « village de la Sagouine », à Bouctouche, la douloureuse saga des Acadiens.
Les Acadiens ? Des Français qui, venus du Poitou et d’Anjou, ont fait souche et prospéré, à partir de 1604, avec l’aide des Indiens micmacs, d’abord sur l’île sainte-Croix puis dans tout l’est de l’actuel Canada, sur le territoire de la province aujourd’hui nommée Nouveau-Brunswick, entre la baie de Fundy et la baie des chaleurs, près de Caraquet. Las, insiste Dorine, en 1713, par le traité d’Utrecht, Louis XIV cède aux Anglais une partie des territoires « français » sur lesquels vivent les Acadiens.
En 1755, les Anglais, qui se préparent à une nouvelle guerre contre la France, imposent aux 13 000 Acadiens un serment d’allégeance à la couronne britannique, avec l’éventualité de devoir prendre les armes contre la France. Devant leur refus massif, ils sont déportés dans les colonies anglaises (les futurs États-Unis). Quelques décennies plus tard, ceux qui ne sont pas morts de maladie ou de faim au cours de ce « grand dérangement » (c’est le terme consacré) seront autorisés à revenir sur leur territoire d’origine désormais exclusivement dominé par l’anglais et les Anglais.
Village de la Sagouine./Paula Boyer
Village de la Sagouine. / Paula Boyer
« Ce qui nous a sauvés, insiste Dorine, c’est la pomme de terre et notre joie de vivre ». Cette joie de vivre, le « village de la Sagouine », avec ses maisons en bois, son phare, son poste de douane, son pont d’accès en zigzag, ses personnages hauts en couleur, la cultive avec moult spectacles et concerts de groupes acadiens comme celui du violoneux Abel Cormier. Dans ce village, on fait un saut dans les années 1940-1950.
C’est aussi un voyage dans le temps que propose, près de Caraquet, le « village historique acadien » avec ses 40 maisons anciennes venant des quatre coins de la province. La plus récente est de 1949, la plus ancienne remonte à 1770, date à laquelle un certain Jean Martin est revenu de déportation. Des « interprètes » en costume d’époque y racontent l’histoire des Acadiens, leurs coutumes ancestrales et leurs métiers traditionnels.
En déambulant de maison en maison, on acquiert néanmoins la conviction que langue et culture acadiennes sont bien vivantes. Il a pourtant fallu deux siècles pour que le bilinguisme s’impose au Nouveau-Brunswick et qu’il y ait des lycées et une université francophones. Dorine reprend : « Nous le devons à Louis J. Robichaud, premier Acadien devenu premier ministre en 1960. Lui avait dû aller au Québec pour étudier le droit. » Elle insiste : « avec ses écoles et ses hôpitaux, l’Église catholique romaine nous a également beaucoup aidés. Et puis il y a eu Antonine Maillet. »
Prix Goncourt 1979, cette écrivaine rendue célèbre par La Sagouine et Pélagie-la-charrette a largement contribué à rendre aux Acadiens leur fierté et à renouer avec le fil de leur histoire. « Nos ancêtres ont été déportés car ils voulaient garder notre langue, notre culture, notre religion catholique. Pour que nos petits-enfants continuent à parler français, il faut nous battre. Quand je vais dans les écoles, je dis aux jeunes : “arrêtez de swicher l’english”, insiste Dorine.
Aujourd’hui, un tiers des habitants du Nouveau-Brunswick sont francophones. Mais, ils ont un parler bien à eux : ils ne mangent pas des toasts mais des « roties », ils « amarrent » les lacets de leurs chaussures, « embarquent dans un char » (une voiture), prennent une « assurance mourant » (assurance vie), boivent des verres de « tchekafaire » (quelque chose) et ainsi de suite.
Bleu blanc rouge avec une étoile jaune, le drapeau de la province s’affiche partout, y compris sur la façade peinte des maisons, des phares ou sur des boîtes aux lettres. Cela renforce le charme d’une escapade sur ces rivages et dans ces bourgs aux maisons colorées en bois sagement alignées, qui respirent tranquillité et prospérité.
C’est un pays attachant de forêts, de marais salés et de dunes, de tourbières (rouge vif à l’automne, leur spectacle est éblouissant), d’estuaires, de lagunes abritées, d’eau douce et salée. La mer n’est jamais très loin et dans la baie de Fundy, les marées peuvent atteindre 14 mètres : elles dévoilent, lorsque l’eau se retire à Hopewell, le pied d’étranges rochers surnommés « pots de fleurs » : creusés par les flots à la base, leur tête est couverte de végétation. La pêche est un sport national qu’il s’agisse de celle au bar rayé pratiquée, à la ligne, par les amateurs sur les plages, ou celle au homard qui mobilise les professionnels à Shédiac notamment.
Comme la « tarte au sucre » et la « poutine » (frites couvertes de fromage et de sauce), ce crustacé, vendu à prix modéré, se trouve sur toutes les tables de cette province qui a fait du « homard bleu », pourtant excessivement rare, son emblème touristique. En autres curiosités aquatiques, le centre marin de Shippagan en possède quelques exemplaires d’un étonnant bleu vif tandis que Shédiac se vante de posséder le plus gros du monde, installé au milieu d’un carrefour : cette sculpture orangée en béton, longue de 11 mètres, large de 5, pèse 90 tonnes ! Les touristes adorent grimper dessus et s’y photographier.
Dans ce port propret, Ron Cormier, un ancien pêcheur reconverti dans le tourisme, propose des « croisières homard ». Pendant la virée dans la baie, il sert avec humour force explications sur ce crustacé, sa pêche (taille minimum à respecter, etc.) et sa cuisson. Pour finir, on déguste à bord un homard cuit juste ce qu’il faut, avec une salade de chou.
Dans ce Nouveau – Brunswick, moins connu que le Québec – et c’est bien dommage –, les amateurs de nature sauvage seront comblés. Ils n’auront que l’embarras du choix : marcher sur les sentiers autour de la baie de Fundy ; observer, à Saint Andrews, des baleines, des phoques, des aigles chauves au cours d’une sortie en zodiac ; guetter du haut d’un tour en bois des ours noir en liberté à Acadieville, chez Richard Gauguin, un conducteur de bus qui, l’été, a tissé au fil des ans une étrange relation avec ces plantigrades dans un coin de forêt qui lui appartient ; découvrir des sternes dans les dunes du parc national de Kouchibouguac ou des balbuzards pêcheurs près de Caraquet ; admirer les étonnantes peintures couleur bonbon vif de l’église Sainte-Cécile de Petite Rivière ; ou encore se passionner pour les étonnantes fleurs carnivores dans les tourbières de l’île de Miscou.
Les plus courageux grimperont au sommet du phare construit au XIXe siècle sur la pointe Birch pour éviter les nombreux naufrages : de là-haut, la vue est éblouissante sur la mer, la côte et les tourbières. Partout, l’accueil des cousins acadiens sera chaleureux. Alors, n’hésitez plus, faites vos valises, pardon, « paquetez vos hardes ! ».
Une ruelle de la commune de Longueil dans le Pays de Caux (580 hab) dont est originaire Charles Le Moyne qui a donné le nom à la commune homonyme de Longueuil au Québec (240 000 hab).
Avec l’avènement d’Internet, la recherche généalogique est devenue plus accessible et se démocratise de plus en plus. Preuve en est avec le développement récent de sites dédiés à la généalogie (Ancestry, Geneanet, MyHeritage, etc.). Au Québec, elle connaît un véritable engouement et la création d’émissions télévisées qui mettent en scène des personnalités québécoises en quête de leurs origines en est le meilleur exemple. D’ailleurs, l’affirmation de l’identité québécoise (où le français est la seule langue officielle) au sein d’un Canada majoritairement anglophone n’est sûrement pas étrangère à cette activité.
Depuis quelques années, on constate en France l’émergence d’un tourisme généalogique québécois. Pourtant, cette nouvelle forme de tourisme reste confidentielle alors que son potentiel de développement économique ne serait pas négligeable à l’échelle locale, notamment pour les territoires ruraux qui ont vu partir bon nombre de pionniers. Alors, le tourisme généalogique peut-il répondre aux enjeux de redynamisation de ces campagnes qui sont de plus en plus vieillissantes et de moins en moins attractives ? Voici quelques éléments d’éclairage avec l’exemple de la région normande où ses nombreux pionniers ont laissé une descendance prolifique au Québec et dont le potentiel touristique généalogique est encore peu exploité par les acteurs territoriaux.
La maison ancestrale de Jean Giguère à Tourouvre-au-Perche (Orne), ancêtre de tous les Giguère d’Amérique du Nord. angelanoelle/Flickr
L’immigration vers la Nouvelle-France : un pan méconnu de l’histoire française
Après la découverte de l’actuel Québec par Jacques Cartier en 1534, le Royaume de France prend possession des lieux et fonde la Nouvelle-France. Après plusieurs tentatives avortées, la campagne de colonisation initiée par Samuel de Champlain en 1608 puis par la Compagnie des Cent-Associés en 1627 – notamment motivée par le commerce de fourrures – est la bonne. Dès lors, plusieurs centaines de pionniers principalement originaires des provinces de Normandie, du Perche (dont son territoire sera intégré en partie à la Normandie en 1789), d’Aunis et de Saintonge (correspondant actuellement à l’ex région Poitou-Charentes) partent défricher ce nouveau territoire dans l’espoir d’une vie meilleure.
Plaque honorifique en l’honneur des ancêtres Hamel du Québec et d’Amérique du Nord dans l’église Saint-Jacques de Dieppe (Seine-Maritime). Philippe Aubry/Flickr
Par la suite, plus de 800 femmes appelées « Filles du Roy » sont envoyées en Nouvelle-France pour se marier et fonder une famille avec les hommes sur place. Elles proviennent généralement d’orphelinats ou d’hôpitaux des villes de Dieppe, La Rochelle, Paris ou Rouen et sont âgées de 15 à 30 ans. La population de la Nouvelle-France doublera rapidement après l’arrivée de ces jeunes femmes et une nouvelle vague de nouveaux migrants de moindre importance viendra par la suite s’y installer au XVIIIe siècle. Par conséquent, il est fortement probable aujourd’hui qu’un québécois d’origine « canadien-français » ait plusieurs ancêtres parmi ces pionniers du XVIIe et XVIIIe siècles.
Plus de deux millions de Québécois porteraient un nom de famille hérité d’un ancêtre normand
Parmi les dix noms de famille les plus portés actuellement au Québec, quatre d’entre eux proviennent exclusivement d’ancêtres originaires de l’actuelle Normandie (Tremblay, Gagnon, Côté et Gagné) et cinq d’entre eux en contiennent partiellement (Roy, Gauthier, Morin, Lavoie et Fortin). Citons le plus prolifique d’entre eux, Pierre Tremblay, originaire de Randonnai (Orne) et dont son nom est désormais porté par plus de 80 000 québécois avec une descendance estimée à 150 000 personnes en Amérique du Nord. Pour l’anecdote et pour bien mesurer la descendance laissée notamment par les percherons au Québec, le géographe Élisée Reclus disait de la commune de Tourouvre (Orne) qu’elle fut « le lieu d’Europe qui a contribué, pour la plus grande part, au peuplement du Nouveau Monde ». Pas étonnant que cette commune accueille depuis 2006 le Musée de l’émigration française au Canada.
Distribution des immigrants (masculin et féminin) en Nouvelle-France par province d’origine. (Charbonneau et Guillemette, 1994)
La Normandie et l’ancienne province du Perche ont fourni 843 des 3303 individus partis peupler la Nouvelle-France (voire carte ci-dessus), soit environ un quart du contingent français. Mais d’après mes estimations personnelles à partir de diverses sources d’informations (sites généalogiques, bases de données publiques, etc.), environ un tiers des Québécois d’origine « canadien-français » porteraient un patronyme hérité d’un ancêtre originaire de Normandie, soit une population estimée de 2 à 2,5 millions de personnes. Si l’on rajoute les ancêtres féminins, la descendance laissée par les hommes et femmes originaires de Normandie sur la population québécoise est probablement beaucoup plus conséquente.
Source : Reportage du JT de France 2 (25/09/2017) : « Normandie, des Québécois en quête de leurs racines ».
Le tourisme généalogique : un levier de développement local pour les territoires ruraux ?
Le potentiel touristique généalogique est donc bien réel en Normandie si on tient compte du nombre important de Québécois concernés et de leur engouement pour la généalogie. D’ailleurs, j’ai cartographié ce potentiel touristique par commune après avoir identifié l’ensemble des ancêtres normands (masculin et féminin) qui ont laissé une descendance au Québec jusqu’à nos jours (cette recension n’est pas encore totalement exhaustive). En effet, les lieux de mémoire de ces ancêtres se concentrent presque exclusivement dans leur commune d’origine (maison ancestrale, église de baptême et/ou mariage, rue portant son nom, etc.).
Cette géographie communale d’origine de ces ancêtres montre deux choses :
Un potentiel touristique qui est hétérogène géographiquement (les 5 départements normands sont concernés même si celui de l’Eure le semble moins que les autres).
Outre trois villes de taille moyenne ou importante (Rouen, Dieppe et Caen), de nombreuses communes rurales sont concernées par ce potentiel, généralement dans des espaces ruraux peu attractifs économiquement et vieillissants (Perche, Pays de Caux, Pays d’Auge et le sud-Manche).
Cartographie du potentiel touristique généalogique québécois en Normandie. François Raulin (2017)
D’autres sites touristiques régionaux très fréquentés (Le Mont-Saint-Michel, Giverny, le Memorial de Caen, etc.) ainsi que plusieurs lieux ayant un lien avec l’histoire du Québec (Musée de l’émigration française au Canada de Tourouvre, cimetières canadiens de Dieppe et de Bény-sur-Mer, port de Honfleur qui a vu le départ de plusieurs expéditions de Samuel de Champlain, etc.) ont été rajoutés dans cette carte afin de mieux se rendre compte de ce potentiel touristique.
Dès lors, si les acteurs publics et privés du territoire décidaient de capter ce potentiel (élus locaux et entreprises dédiées au tourisme notamment), il est certain que ces territoires ruraux bénéficieront directement de retombées économiques locales (établissements hôteliers, restaurants, etc.). Face aux enjeux (difficiles) de la redynamisation des espaces ruraux, est-ce que cette nouvelle forme de tourisme peut-elle être une réponse (certes modeste) aux territoires concernés ?
Société Généalogique Canadienne-Française