Nous avons généralement appris à l’école que l’Amérique avait reçu son nom à la Renaissance, en hommage au navigateur florentin Amerigo Vespucci. Il est ainsi communément admis qu’un groupe d’érudits de Saint-Dié-des-Vosges, gravitant dans l’entourage du duc René II de Lorraine, aurait décidé en 1507 de forger le mot « America ». Ces savants humanistes, guidés par le chanoine Vautrin Lud, seraient partis du postulat que Vespucci avait été le premier à prendre conscience que les terres ouvertes à la connaissance des Européens à la fin du XVe siècle n’étaient pas une partie inconnue de l’Asie, mais un « Nouveau Monde ». Il convenait dès lors de nommer ces terres nouvelles.
Allégorie du voyage d'Amerigo Vespucci vers les Amériques, Estampe, 1589. Musée du Nouveau Monde, La Rochelle
Cette explication fait généralement consensus (tout en suscitant de nombreuses indignations) depuis la mort de Vespucci lui-même, alors que ce dernier n’a sans doute jamais eu conscience que son prénom avait été donné à une partie des terres nouvelles qu’il avait explorées à plusieurs reprises au tournant du XVIᵉ siècle.
Pourtant, depuis le dernier tiers du XIXe siècle, certains auteurs ont cherché à prouver que la filiation supposée entre le prénom de Vespucci et la dénomination du Nouveau Monde n’était qu’une grossière confusion. Usant d’arguments très variés, et surtout de motivations diverses, ils ont redoublé d’efforts pour faire admettre à la communauté historienne internationale, mais aussi au grand public que le nom de l’Amérique avait une tout autre provenance que celle qui était le plus communément admise.
C’est en particulier au début des années 1890, dans le contexte particulier du quatrième centenaire du premier voyage de Christophe Colomb (1892-93) et de l’approche de l’Exposition universelle de Chicago (ou World Columbian Exposition), que la polémique autour de l’origine du nom de l’Amérique connaît un certain essor.
On note une effervescence intellectuelle autour du mot « Amérique ». Certaines théories sont échafaudées pour tenter de prouver que ce mot n’est pas d’origine européenne, mais qu’il aurait au contraire une provenance indigène. C’est en particulier Jules Marcou, un Jurassien résidant à Cambridge (Massachusetts), qui se fait pendant deux décennies le héraut de cette théorie, à travers ses ouvrages et ses articles.
Brillant géologue, ami intime de Louis Pasteur avec qui il a partagé les bancs du lycée, il est parti aux États-Unis en 1848, s’est marié avec la fille d’un riche américain en 1850, le mettant ainsi à l’abri des contingences matérielles et lui permettant de se consacrer exclusivement à ses recherches. Il est connu pour s’être fait beaucoup d’ennemis et avoir émis des théories très controversées dans de nombreux domaines.
Carte géologique des États-Unis et des possessions britanniques de l’Amérique du Nord, d’après Jules Marcou. Gallica-BnF
Sur la question spécifique du nom de l’Amérique, il cherche à prouver que ce nom proviendrait d’une chaîne de montagnes appelée Amerrique ou Amerriques, située entre le lac Nicaragua et la mer des Antilles. La région serait habitée par une tribu d’Indiens nommée Amerriques. En langue Maya, ce nom signifierait « le pays du vent », « le pays où le vent souffle toujours ». Ayant entendu ce nom lors de l’une de ses explorations, Vespucci (qui se serait prénommé en réalité Alberico), aurait alors choisi de modifier son prénom en hommage à ces contrées sauvages.
Ces remises en cause ont été fort discutées lors de la huitième session du Congrès des Américanistes en octobre 1890 à Paris. Les conclusions en furent sans appel, réfutant totalement les conclusions de Marcou et d’autres chercheurs. Ainsi, le géographe Lucien Gallois, spécialiste de la cartographie de la Renaissance et disciple de Paul Vidal de la Blache, considère que la théorie de Jules Marcou manque de solidité et ne peut être acceptée en l’état.
Il faut dire que, pour les savants et politiques de l’ancien et du nouveau monde, l’enjeu est alors de taille. Il s’agit de savoir si l’Amérique a un nom de baptême d’origine européenne ou indigène. Si les théories de Marcou ont été réfutées assez facilement en raison de leur manque de solidité et du manque de preuves pour les étayer, cette polémique a montré qu’il existait alors un enjeu identitaire fort autour de la captation de ce nom. En effet, dans les années 1890, les États-Unis ont achevé de panser les plaies de la guerre de Sécession et sont en passe de devenir une grande puissance.
Déjà devenus la première puissance industrielle du monde, ils sont au seuil de devenir également un empire. La doctrine Monroe, élaborée en 1823, connaît alors une nouvelle lecture nationaliste, que l’on résume parfois par l’expression « l’Amérique aux Américains ». Les États-Unis ont, depuis leur indépendance, progressivement capté à leur profit le nom qui devrait normalement échoir au continent dans son ensemble, America.
Or, la question de savoir si ce nom est un toponyme originaire du Nouveau Monde ou bien s’il est un avatar dérivé du nom d’un obscur Florentin, considéré qui plus est comme un imposteur par des générations d’auteurs, est tout à fait centrale dans la construction de l’identité nationale états-unienne.
C’est pourquoi des médias américains et européens se font régulièrement l’écho, tout au long du XXe siècle, de nouvelles théories essayant de renouveler l’approche du sujet. Ainsi, en 1908, l’antiquaire de Bristol Alfred Hudd publie un article dans lequel il affirme que le nom de l’Amérique proviendrait en fait de Richard Ap Meyrick, sheriff de cette ville du sud-ouest de l’Angleterre au début du XVIe siècle et qui avait contribué financièrement aux voyages de Jean et Sébastien Cabot. Pour le remercier, ces derniers auraient décidé de donner son patronyme à l’étendue continentale sur laquelle ils avaient accosté. Cette théorie, qu’aucune étude historique sérieuse n’est venue valider, a pourtant été largement relayée depuis lors, en particulier au Royaume-Uni où l’idée que le nom de l’Amérique ait pu être originaire de Bristol s’avère séduisante.
En octobre 2019, c’est le Guardian qui publie dans son courrier des lecteurs une autre explication. Selon Colin Moffat, c’est bien Colomb qui est à l’origine du nom America. Au cours de son voyage en Islande en 1477-1478, il aurait entendu parler d’une terre nommée « Markland ». Pour convaincre les Rois Catholiques de financer son expédition, il leur aurait parlé de cette terre pleine de promesses en hispanisant son nom : ajoutant le préfixe A, puis remplaçant « land » par « -ia », « Markland » serait devenu « Amarkia », puis « America ». Peu de temps après cette explication aussi alternative qu’iconoclaste, le Guardian n’a pas tardé à publier un nouvel article contestant les propos de M. Moffat et redonnant à Vespucci la place qui est la sienne dans le panthéon des figures de l’ère des découvertes européennes.
Une telle polémique, qui pourrait prêter à sourire, montre que la question des origines du nom de l’Amérique demeure une histoire vivante et discutée, même si les arguments avancés par ceux qui rejettent la version la plus couramment admise sont rarement étayés par des preuves convaincantes. Depuis les travaux de Jules Marcou à la fin du XIXe siècle, et quelles que soient les motivations qui sous-tendent ces contestations, personne n’a jamais pu apporter la preuve irréfutable que Saint-Dié-des-Vosges ne pouvait pas réellement prétendre au statut de « marraine de l’Amérique », pour avoir abrité les travaux ayant abouti au « baptême » du Nouveau Monde en 1507.
Chaque année, le quatrième jeudi de novembre, les États-Unis célèbrent l'histoire réécrite par les vainqueurs.
Je suis arrivé aux États-Unis en 2006.
Julien Suaudeau — 28 novembre 2019 à 7h20
Longtemps, peu au fait des traditions locales, j'ai pris Thanksgiving pour une fête comme les autres –une injonction un peu niaise à exprimer sa gratitude envers les bienfaits que la vie nous adresse avec plus ou moins de générosité.
«What are you thankful for?», demande la formule consacrée.
«Ma famille», répond invariablement le chœur américain.
Avec mon mauvais esprit, ma hantise de la volaille gonflée aux hormones et mes préventions d'immigré athée, je me racontais que Thanksgiving était l'occasion inventée par un peuple superstitieux pour remercier haut et fort je ne sais quelle puissance supérieure au moment où, l'année tirant à sa fin, la puissance en question s'apprête à faire le tri de nos bonnes et mauvaises actions.
En bon Français, jamais content, j'estimais que j'avais été plutôt lésé dans la répartition et inventais toutes sortes d'excuses pour m'exempter de ce festival de bons sentiments.
En vain: il y a toujours, aux États-Unis, une âme compatissante pour vous inviter à partager la dinde familiale quand on apprend que vous n'avez rien de prévu ce jour-là. Seul à Thanksgiving, c'est le dernier degré sur l'échelle américaine de la désocialisation: «Ça doit être si triste d'être loin des siens quand tout le monde est réuni en famille.»
Étaler sa reconnaissance entre la grand-mère du Massachusetts et le cousin de l'Arkansas, ça ne coûte pas plus cher et ça ne peut pas faire de mal. Sauf à l'environnement (l'empreinte carbone de ce chassé-croisé à l'échelle d'un continent est monumentale) et à l'estomac: cette dinde farcie, aux dimensions et au poids faramineux, est de loin la chose la plus indigeste qu'il m'ait été donné de manger de part et d'autre de l'Atlantique.
Si on y ajoute la sauce aux canneberges, la tarte à la citrouille et les litres de bière qu'il convient de s'enfiler devant la parade de Macy's et le match de NFL spécialement programmés à la télé en ce jeudi de tous les dangers, l'immersion culturelle en apnée devient une longue séance de torture à la fois physique et mentale: on ne sait pas si on va mourir d'ennui ou d'occlusion intestinale.
Avec mon œil d'ethnologue à qui on ne la fait pas, j'avoue qu'il m'est arrivé de me dire dans ces moments de détresse que Thanksgiving est une coquille vide de contenu spirituel, un simple prologue à la frénésie consumériste qui s'abat sur le pays quand sonnent les douze coups de minuit, signal de Black Friday.
Coincée entre Halloween et les fêtes de fin d'année, Thanksgiving s'inscrivait pour moi dans la litanie des festivités en toc, mi-religieuses, mi-patriotiques, 100% mercantiles, qui rythment l'année américaine: Saint-Valentin, Saint-Patrick, Pâques, Memorial Weekend, Independence Day, Labor Day.
Je vivais alors dans une petite ville du New Jersey, dans la banlieue de Philadelphie. Intrigué, voire médusé par l'énergie qui s'emparait du patelin à un mois de la date fatidique, je regardais mes voisins installer et défaire leurs décorations saisonnières. La précision d'horloger et le sérieux qu'ils mettaient dans les préparatifs suscitaient en moi un mélange pas très noble d'ironie, d'envie et de honte de ma propre passivité.
Cette distance inaliénable [...] est aussi un bon poste d'observation sur l'un des mythes fondateurs des États-Unis.
L'Amérique suburbaine a horreur du vide: son année est une succession de séquences, scandées à haut débit par le pilonnage publicitaire. À peine remisé le barbecue estival, on se met à penser aux sorcières et aux squelettes qu'on accrochera à la gouttière du porche à la mi-octobre. Le 1er novembre, loups-garous et zombies tout juste remontés au grenier, il est temps de déplier les guirlandes électriques destinées à illuminer les happy holidays.
Pour montrer aux yeux de tous que nous étions des immigrés de bonne volonté, et non des agents dormants du communautarisme français, ma femme et moi déposions trois pauvres citrouilles et une malheureuse courge sur nos marches. Nous accrochions une couronne de fleurs orange à notre porte, en répétant à voix basse le mantra pascalien: «Mets-toi à genoux et tu croiras».
Aujourd'hui, je dois me rendre à l'évidence. La grâce ne m'a jamais touché: mon aversion pour Thanksgiving, aussi profonde que celle que m'inspirent le Superbowl, les sports bars et les salles de gym ouvertes à 4 heures du matin, est intacte.
Treize ans, une carte verte et la citoyenneté américaine pour en arriver à ce constat d'échec: Thanksgiving, c'est le jour où je me rappelle que je suis français, éternel étranger à la vie américaine, spectateur de ses rites.
Je sais que ce sentiment d'extériorité ne me quittera jamais.
Mais cette distance inaliénable, si elle complique le quotidien et hypothèque le bonheur à long terme, est aussi un bon poste d'observation sur l'un des mythes fondateurs des États-Unis.
La fable est connue. Les pèlerins débarquent à Plymouth. Ils rendent grâce à Dieu pour sa bonté, qui leur permet de survivre dans cette contrée hostile avec l'aide des Indiens du coin, les Wampanoag. Ces derniers, après avoir enseigné la culture du maïs aux nouveaux arrivants, se joignent à eux un jour de novembre 1621, dans le cadre d'un festin appelé à devenir un modèle de solidarité interculturelle.
Malgré de récentes initiatives pédagogiques dans le sens d'une plus grande exactitude historique, ce scénario mensonger est celui que les enfants américains apprennent et reconstituent chaque année à l'école dans les jours qui précèdent la brève coupure automnale.
Ma fille devait avoir 4 ou 5 ans lorsque j'ai assisté à son premier Thanksgiving Feast: d'un côté, les pèlerins en chapeau blanc, accessoire ridicule que j'associerai jusque sur mon lit de mort à la coiffe bretonne de Bécassine; de l'autre, les Indiens en plumes et en costumes tout droit sortis de Pocahontas, version Disney.
Et que faisaient ces enfants déguisés? Ils ânonnaient This land is your land, la chanson de Woody Guthrie devenue un hymne populaire. Comme l'écrit Philip Deloria dans The New Yorker, le refrain («This land is your land, this land is my land») repose sur une rhétorique faussement inclusive, qui nécessite en réalité l'effacement historique des peuples indigènes, dans la mesure où ils ne sauraient être ni «toi» ni «moi».
Si les Amérindiens, poursuit Deloria, ont une existence constitutionnelle (notamment dans le quatorzième amendement, où il est question de leur statut non imposable, «Indians not taxed») ce n'est que pour exister en dehors de la constitution des États-Unis: les tribus indigènes constituent des entités politiques distinctes du peuple américain, des nations souveraines qui n'ont pas de poids véritable dans le système politique national.
«Native American», par conséquent, ne saurait être une définition raciale; il s'agit d'une identité politique, et Deloria a raison de rappeler que l'insistance de l'administration Trump à enfermer les peuples indigènes dans leur ethnicité traduit une volonté profonde de détricoter les traités qui gouvernent depuis le XIXe siècle les relations entre l'État fédéral et les nations amérindiennes.
Thanksgiving, de ce point de vue, est un angle mort majuscule, une machine à transmettre et inoculer le négationnisme dès le plus jeune âge. Les festivités à l'école, la dinde, le chocolat chaud devant les vieux films qu'on regarde en famille, la version Friendsgiving pour ceux qui habitent loin de leurs bases, tout cela nimbe le fait de la colonisation des Amériques et du génocide amérindien d'une aura nostalgique, liée au paradis perdu de l'enfance, dans les vapeurs de laquelle le simulacre se substitue à l'histoire.
Dans This Land is Their Land: The Wampanoag Indians, Plymouth Colony, and the Troubled History of Thanksgiving, l'historien David Silverman renverse les perspectives. Il propose une généalogie critique de Thanksgiving, questionnant les tenants et les aboutissants de l'alliance entre le sachem Ousamequin et le gouverneur John Carver, jusqu'à sa dissolution sanglante, en 1675, dans la guerre du roi Philip.
Si le livre de Silverman est si convaincant, c'est d'abord parce qu'il envisage l'histoire du point de vue des vaincus: dans la mythologie américaine, et plus généralement dans l'inconscient occidental, les peuples indigènes n'existaient pas avant leur rencontre avec les colons européens; les Amériques et la Caraïbe n'ont pas été colonisées, elles ont été découvertes, puis évangélisées et civilisées.
Ce travail de démystification et de réappropriation historiques s'inscrit, aux États-Unis, dans la révolution copernicienne que les sciences sociales connaissent depuis plusieurs années: le monde n'est plus envisagé uniquement à travers le regard vainqueur et privilégié de l'homme blanc.
Roxanne Dunbar-Ortiz, dans An Indigenous Peoples' History of the United States, met au jour le lien organique entre idéologie de la découverte, mythe de la destinée manifeste, prédation des terres indiennes, extermination et suprématie blanche. À l'histoire du point de vue colonisateur, il s'agit d'opposer la contre-histoire des colonisés.
S'appuyant sur le jugement de D.H. Lawrence, souvent cité de manière incomplète («The essential American soul is hard, isolate, stoic, and a killer. It has never yet melted»), l'historienne analyse la continuité historique entre l'impérialisme d'hier et l'impérialisme d'aujourd'hui sur la scène internationale, et sur la scène intérieure entre les violences passées et présentes contre les minorités (incarcération de masse, brutalités policières, racisme systémique).
C'est dans le langage que les rémanences de la mentalité colonisatrice sont les plus frappantes. Quand les États-Unis font la guerre sur un théâtre d'opérations en Irak ou en Afghanistan, rappelle Dunbar-Ortiz, la terminologie militaire pour désigner la zone située au-delà des lignes ennemies demeure «Injun territory» [«Injun» est une modification du mot «Indien» en référence aux Amérindiens, ndlr]. Et le nom de code choisi pour Oussama Ben Laden, pendant la préparation de l'opération des Navy SEALs qui allait se solder par sa mort? Geronimo.
Comment vivre ensemble, par-delà tout ce mauvais sang? Comment dire «nous» et parler d'une seule voix, consciente de l'histoire, libérée des mythologies ayant pour fonction de légitimer la version officielle? Indépendamment du problème juridique des réparations, nombreux sont les artistes indigènes à se poser ouvertement la question.
Le grand T.C. Cannon, peintre Kiowa mort à 31 ans en 1978, avait donné corps dans ses tableaux aux conflits intérieurs de l'identité amérindienne, entre tradition et modernité, sacré et profane, espaces urbains et espaces ruraux, être indigène et citoyenneté américaine. Ses tableaux figuratifs (son œuvre a aussi un versant abstrait), portraits frontaux où se fait sentir l'influence de Van Gogh, présentent le corps indigène dans l'espace américain; ils nous regardent en disant: «We are still here.»
Tommy Orange, dans son roman polyphonique There There (Ici n'est plus ici), se demande quant à lui ce qui reste des Amérindiens après le génocide, la colonisation de leurs terres, la destruction de leurs cultures, l'oubli de leurs langues et de leurs traditions. De quelle quantité de sang indigène faut-il justifier pour être considéré comme un vrai Indien?
En même temps qu'il souligne l'absurdité de la question, et l'impossibilité d'y répondre, l'auteur insiste sur la responsabilité qui nous incombe de ne plus ignorer l'histoire:
La blessure qui a été infligée quand les Blancs sont venus et ont tout pris n'a jamais guéri. Une plaie qu'on ne soigne pas s'infecte. Elle devient une nouvelle blessure comme l'histoire de ce qui est arrivé devient une autre histoire. Ces histoires que nous n'avons pas racontées pendant tout ce temps, que nous n'avons pas écoutées, voilà ce que nous devons guérir.
On ne saurait mieux dire l'urgence d'en finir avec l'innocence coupable et l'esprit d'aveuglement qui se cristallisent dans l'éternel retour de Thanksgiving.
Un essaim de 3.345 petits séismes, détectés entre 2017 et 2018, a secoué la région de Maple Creek, dans le parc national de Yellowstone, au sein duquel dort le célèbre supervolcan éponyme. Il s'avère qu'une bonne partie d'entre eux sont des répliques d'un tremblement de terre de magnitude 7,2 meurtrier, survenu soixante ans plus tôt, le 17 août 1959, d'après une étude. Pour des séismes très violents, il arrive en effet que des répliques frappent plusieurs années après. Maple Creek se trouve en-dehors de la caldeira de Yellowstone et ces secousses ne devraient pas accroître les risques d'éruption, selon le premier auteur de l'étude Guanning Pang, de l'université de l'Utah.
Les essaims sismiques sont monnaie courante à Yellowstone. Trois évènements notables de ce type, provenant du magma bougeant sous la surface, ont eu lieu entre 1985 et 2010. Le quatrième en date, celui de 2017-2018, se distingue par un nombre plus élevé de séismes, dont l'origine de certains a pu être reliée au tremblement de terre de 1959, notamment parce qu'ils s'alignent sur la même faille. Par contraste, l'alignement d'un second groupe de séismes, appartenant au même essaim mais localisé plus au sud de ceux identifiés comme des répliques, est décalé de 30° par rapport à cette faille.
On pourrait croire à un mirage. Mais un immense lac s'est bien formé au beau milieu d'un des déserts les plus chauds et les plus secs du monde la semaine dernière, résultat d'une inondation éclair provoquée par de fortes précipitations. La célèbre vallée de la Mort, située dans le désert des Mojaves, en Californie, a reçu environ 22 mm de pluie entre le 5 et le 6 mars suite à un violent orage, soit « presque le tiers de la moyenne des précipitations annuelles (⋍60 mm) », d'après le météorologiste Chris Dolce de weather.com.
Le lac éphémère est apparu près de Salt Creek, dans le centre de la vallée. Il a été immortalisé par le photographe Elliot McGucken le 7 mars (images à voir sur ses comptes Instagram et Facebook). Il mesurerait jusqu'à 16-17 km de long, selon des responsables du parc de la vallée de la Mort contactés par le photographe. Ce lac n'est cependant pas le premier de son genre : en 2005, un lac nommé Badwater avait vu le jour après des précipitations records et avait persisté jusqu'en 2007 avant de s'évaporer totalement.
Il était encore très tôt, ce matin de mai 2012, lorsque Eddie Crandell a reçu le coup de téléphone qui le prévenait que les parents de son ex-femme étaient en train d'être expulsés de leur maison de la Robinson Rancheria, où ils vivaient depuis vingt ans en tant que membres de la tribu des indiens Pomos, dans la réserve fédérale du nord de la Californie.
Lorsqu’il est arrivé sur place, les membres de sa famille, qui ne s’étaient pas préparés à déménager, s’affairaient dans la maison et fourraient leurs affaires dans des cartons qu’ils chargeaient dans des véhicules sous l’œil vigilant de quatre policiers tribaux.
Le fils de Crandell, âgé de 5 ans, était interloqué. «Pourquoi vous chassez mes grands-parents?» a-t-il demandé à un policier qui n’a rien répondu. Mais Crandell, lui, savait que la famille de son ex-femme faisait l’objet d’une mesure de «disenrollment», procédure d’éviction par laquelle des Amérindiens sont déchus de leur statut de membres de la tribu. De l’autre côté de la colline, six autres familles avaient été expulsées dans le cadre d’une action à grande échelle décidée par le conseil tribal visant à chasser tous les membres qui n’étaient pas considérés comme de «vrais Indiens».
«La mesure était très controversée, rapporte Crandell. Les gens avaient peur d’être visés à leur tour s’ils parlaient (à des opposants du conseil tribal). Personne ne voulait plus approcher personne. Tout le monde avait peur.»
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Cupidité et corruption
Des milliers d’Amérindiens de tout le pays se sont vu retirer leur citoyenneté indienne lors des procédures de disenrollment qui les ont privés de leur identité, de leur statut au sein de la tribu et de leur accès à des ressources tribales comme les soins de santé et les bourses scolaires. Selon les experts, cette pratique autrefois rare s’est rapidement intensifiée mais certains membres évincés et leurs défenseurs résistent et ces dernières années, des signes indiquent qu’un vent opposé à ce phénomène d’éviction tribale est en train de se lever. Crandell, par exemple, a réussi à faire réintégrer une soixantaine de personnes, et des membres évincés ont remporté plusieurs victoires importantes dans tout le Pays indien.
Les chercheurs estiment que depuis les premiers cas d’éviction tribale dont on a une trace écrite à la fin du XIXe siècle, près de quatre-vingts tribus de vingt États se sont livrées à cette pratique qui a affecté jusqu’à 10.000 personnes, explique David Wilkins, co-auteur du livre Dismembered: Native Disenrollment and the Battle for Human Rights. Si l’éviction est un phénomène relativement récent au sein des 567 tribus reconnues par l’État fédéral, ses causes—la cupidité et la corruption—n’ont rien que de très banal.
Le succès du secteur des jeux d’argent a apporté une prospérité toute nouvelle aux tribus qui cherchaient à remédier à la pauvreté et à améliorer les conditions de vie dans les réserves. Selon les données les plus récentes de la National Indian Gaming Commission, les revenus tirés des jeux d'argent ont augmenté de plus de 4% en 2016 pour atteindre trente-et-un milliards de dollars, ce qui a stimulé le développement économique et complété les financements de l’État fédéral par le biais de paiements versés individuellement aux membres des tribus. Pour la septième année consécutive, les revenus bruts issus des jeux d’argent pour le marché tribal dans son ensemble étaient alors en hausse. Les critiques estiment que cette manne est précisément ce qui a conduit les évictions à se répandre comme une traînée de poudre. La logique est simple: réduire le nombre de membres des tribus permet à ceux qui restent de se partager davantage d’argent.
Cela a été le cas pour la Rancheria Picayune des Indiens Chukchansis, dont le nombre d’habitants, 1.800 au départ, a été divisé par deux après l’ouverture du Chukchansi Gold Resort & Casino en 2003, selon une émission de la station de radio This American Life datant de 2013. Dans cette émission, les membres de la tribu restants expliquent au journaliste David Ferry qu’ils ont constaté des augmentations de leurs indemnités après que certains membres ont été expulsés.
Les procédures d’éviction se sont poursuivies en 2016, époque où la présidente du conseil de l’époque, Claudia Gonzales, affirme avoir envoyé une douzaine de lettres d'éviction à certaines familles fondatrices de la tribu. Le différend n’a jamais été réglé mais en octobre 2017, la tribu a autorisé des candidatures libres pour la première fois de mémoire d’homme. Beaucoup considèrent que les membres sortants du conseil n’ont fait ce geste que pour gagner des soutiens quelques jours avant les élections, et il n’apparaissait pas clairement que les personnes précédemment évincées avaient le droit de proposer leur candidature.
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«Un no man’s land juridique»
Ces évictions ont lieu même au sein des tribus qui n’amassent pas de particulièrement grosses sommes grâce aux jeux d’argent. Prenons par exemple le cas de la tribu californienne des Pechanga Band of Luiseño Mission Indians, dont le conseil tribal a cherché à consolider son pouvoir en expulsant des opposants politiques de la tribu. «C’était complètement politique», explique Rick Cuevas, évincé avec presque cent membres de sa famille élargie après que le conseil de la tribu a proscrit leur ancêtre à titre posthume en 2006. «Il y avait des voix qu’ils ne pouvaient contrôler. Ce n’est pas juste une question d’argent. C’est une question de pouvoir et de contrôle.»
Contrairement à Crandell, les membres de la famille de Cuevas ont eu le droit de rester dans la réserve –dans la maison construite par son père en 1957– mais sans accès aux ressources tribales comme les soins de santé, les subventions immobilières et autres bénéfices assurés par le gouvernement fédéral, abrogés par la procédure d’éviction. «En gros, ils vivent dans un système d’apartheid, expose-t-il. Ils n’ont pas le droit d’aller au parc sans être accompagnés par un membre de la tribu. Ils n’ont pas le droit de boire aux fontaines à eau publiques. Ils n’ont pas le droit d’aller à la piscine. C’est de la ségrégation.»
«Vous êtes entre deux mondes. Les tribunaux fédéraux vous ont de fait fermé leurs portes, et les conseils tribaux ne veulent pas que leurs propres tribunaux jugent les affaires d’éviction»
David Wilkins, professeur de droit indien fédéral
Pour de nombreuses communautés d’Amérindiens, la capacité à déterminer qui est un membre et qui ne l’est pas est le plus grand indicateur de souveraineté tribale. Lorsqu’une tribu a évincé des membres, ceux-ci n’ont que très peu de recours légaux pour être réintégrés. Ils peuvent faire appel de la décision d’éviction, comme l’a fait Cuevas, mais il est très rare que les tribunaux tribaux cassent les décisions d’un conseil dans ce domaine. Et cela fait belle lurette que le gouvernement américain se lave les mains des histoires amérindiennes.
«Vous vous retrouvez dans un no man’s land juridique», expose Wilkins, professeur de droit indien fédéral et de politique amérindienne à l’Université du Minnesota. «Vous êtes entre deux mondes. Les tribunaux fédéraux vous ont de fait fermé leurs portes, et les conseils tribaux ne veulent pas que leurs propres tribunaux jugent les affaires d’éviction. Il ne vous reste plus le moindre recours, situation dans laquelle se retrouvent aujourd’hui beaucoup de ceux qui se sont fait évincer.»
Une émanation des quotas légalistes
Autrefois, les tribus précolombiennes considéraient l’appartenance en termes de groupes de parenté étendue, définie de façon très large afin de mettre l’accent sur la nécessité de l’interdépendance entre tous les membres de la tribu, explique la chercheuse cherokee Eva Marie Garroutte. Les groupes de parenté rendaient la justice, formaient les assemblées de dirigeants, organisaient l’agriculture locale et les autres aspects de la vie quotidienne.
Mais en rognant sur les territoires indiens, les États-Unis ont cherché à imposer des quotas plus légalistes mesurant le degré de «sang indien» nécessaire pour pouvoir revendiquer l’appartenance de chacun à une tribu. Les Navajos, par exemple, exigent de leurs membres qu’ils aient au moins 25% de sang navajo. Les politiciens américains du XIXe siècle espéraient qu’avec le temps, les Amérindiens se dilueraient en se mariant avec des non-Amérindiens, ce qui aurait réduit leur pourcentage de sang indien et par conséquent libéré le gouvernement de ses obligations vis-à-vis des tribus.
Pendant presque deux siècles, les gouvernements tribaux et la législation fédérale ont imposé ces exigences incompatibles et les ont appliquées n’importe comment, ce qui rendait la procédure d’intégration chez les Amérindiens extrêmement compliquée. Certaines tribus avaient si peu confiance dans le gouvernement qu’elles refusaient d’être reconnues officiellement. Les Amérindiens à l’héritage tribal mixte se contentaient de deviner leur pourcentage de sang indien. D’autres se voyaient refuser l’intégration, ou mouraient avant que la procédure ne soit arrivée à son terme. Sans ces papiers officiels et la preuve définitive de leur héritage, les Amérindiens sont devenus de plus en plus exposés à être évincés de leur tribu.
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Trouver un avocat
Les États-Unis se sont retirés de la controverse en 1934 lors du vote du Indian Reorganization Act. Cette loi imposait aux tribus une autonomie de gestion constitutionnelle incluant des critères d’appartenance qui incitèrent, dans tout le Pays indien, à accepter largement les lois sur le degré nécessaire de sang indien. Depuis, les États-Unis s’en remettent largement à la souveraineté tribale pour tout ce qui relève des différends indiens internes. En 1978, la décision de la cour suprême Santa Clara Pueblo v. Martinez, rédigée par Thurgood Marshall, explique que les Amérindiens n’ont pas le droit d’avoir recours aux tribunaux fédéraux pour rectifier les violations des droits civiques commises par les tribus. Wilkins explique que cette décision a déçu de nombreux Amérindiens, qui espéraient davantage de protection contre les gouvernements tribaux, et qu’elle a déclenché un débat autour du rôle du gouvernement fédéral dans les affaires indiennes.
«À ceux qui ont été exclus, je continue de conseiller d’agir, comme ils peuvent et quand ils peuvent, comme s’ils faisaient toujours partie de la tribu.»
Gabe Galanda, avocat
«Les États-Unis ont l'obligation morale d’assurer que les tribus subsistent et se maintiennent», explique Gabe Galanda, avocat amérindien dont le cabinet défend de nombreux membres de tribus évincés. «Cette responsabilité est envisagée d’un point de vue juridique et étroit, qui ne paraît que monétaire. Par exemple, si le gouvernement permet qu’une installation tribale tombe en décrépitude, eh bien à présent il est tenu pour responsable des répercussions financières. Ce qui a été perdu c’est la responsabilité morale. Les États-Unis ont l’obligation légale d’empêcher une tribu de s’éliminer elle-même.»
Privés de l’aide de la justice, les membres évincés se tournent vers des cabinets comme celui de Galanda pour obtenir de l’aide. Mais les avocats ont peu de moyens de changer le sort de leurs clients.
«À ceux qui ont été exclus, je continue de conseiller d’agir, comme ils peuvent et quand ils peuvent, comme s’ils faisaient toujours partie de la tribu», explique Galanda. «L’État de droit n’est plus ce qu’il était dans ce pays, mais ça marche dans les deux sens. Pourquoi un Amérindien légitime devrait-il se faire tout petit devant un politicien tribal corrompu et adhérer aux soi-disant résultats officiels d’un dirigeant corrompu?»
La bataille de l’opinion publique
Les membres exclus ont peut-être perdu la bataille dans les tribunaux, mais ils sont en train de gagner celle de l’opinion publique. Dans les années 1980, 1990 et 2000, les dirigeants de tribus ne prenaient pas position sur l’exclusion des membres parce qu’ils ne voulaient pas dire de mal des autres tribus. Circulait également l’idée fausse que garder le silence éviterait que ce phénomène ne s’applique à sa propre tribu. Mais tout ceci est en train de changer grâce à un groupe actif de réseaux sociaux, de Stop Disenrollment de Galanda à Stop Tribal Genocide d’Emilio Reyes, qui contribue à aviver les débats entre tribus autour de ce sujet autrefois tabou.
«En étant maintenu dans l’ombre pendant si longtemps, ça s’est répandu comme un cancer», raconte Galanda. «Cela a été exposé au grand jour par les médias mainstream, les actions en justice, les réseaux sociaux et les communications interpersonnelles, et tout cela a causé le déclin de la pratique auquel nous sommes en train d’assister. Dans le même temps, le tabou qui était associé à l’exclusion a décliné en faveur de la honte rejetée sur les tribus qui la pratiquent.»
Dans tout le Pays indien, des signes indiquent que cette pratique est sur le déclin. Il n’y a pas eu d’éviction de masse depuis 2016, deux ans après qu'elles s'étaient mises à exploser, et certaines tribus ont fait machine arrière et réintégré des membres exclus, explique Galanda. En août 2016, une cour d’appel tribale de l’Oregon a cassé la décision rendue par les Confederated Tribes of the Grand Ronde d’exclure soixante-six membres après trois ans de bataille. En mars 2017, la Robinson Rancheria est devenue la première tribu à réintégrer volontairement soixante membres après que Crandell a aidé à organiser la destitution par les urnes d’élus corrompus. Aujourd’hui, en tant que président du conseil, il travaille à faire voter une loi qui empêchera des exclusions injustifiées à l’avenir.
«Nous avons été capables de le faire avec l’aide des membres de la tribu», reconnaît Crandell. «C’est un plan bien orchestré que nous avons mené à bien ensemble. Nous étions tous sur la même longueur d’ondes, et cela a vraiment été un moment lourd de conséquences.»
«Pour moi, ce ne sont toujours pas des membres de la tribu. Le tribunal a dit que si, mais ils ne le sont pas.»
Brenda Gray, une ancienne de la tribu Grand Ronde
En mars 2017 toujours, en Californie, la Elem Indian Colony a annulé une motion déposée par des membres qui vivaient de la colonie, visant à exclure 132 habitants de la réserve. En août, un juge fédéral a décidé que la Nation cherokee, basée dans l’Oklahoma, devait réintégrer 2.800 descendants de personnes réduites en esclavage par la tribu après que celle-ci les avait déchus de leurs droits à l’occasion d’un vote en 2007. (Ces descendants, très proches du Caucus noir du Congrès, avaient cité une obligation du traité particulière, incitant le gouvernement fédéral –qui a le pouvoir d’intervenir en fonction de la tribu et de la situation– à mettre son grain de sel.)
Mais le combat n’est pas terminé pour les membres réintégrés. Bien que certaines tribus aient réussi à faire accéder ces ex-exclus à des postes de leadership, ils doivent toujours faire face à une discrimination à l’intérieur de la tribu. Lors d’un conseil de la tribu Grand Ronde en février dernier, une ancienne a décrété que les membres qui avaient fait l’objet d’une exclusion ne devaient pas participer au comité d’intégration de la tribu, raconte le journal tribal Smoke Signals. «Nous savons qu’ils n’ont rien de Grand Ronde, et maintenant ils font partie de notre comité d’intégration», a déploré cette ancienne, appelée Brenda Gray. «Pour moi, ce ne sont toujours pas des membres de la tribu. Le tribunal a dit que si, mais ils ne le sont pas.»
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Cette animosité persistante est inquiétante pour les activistes, qui n'en sont pas moins prudemment optimistes.
«J’ai l’impression que nous avons pris un tournant», explique Wilkins. «Je suis très prudemment optimiste, mais je ne suis pas encore certain que nous soyons tirés d’affaire encore parce que les force qui ont poussé à l’éviction de certains membres –l’augmentation des revenus, les problèmes de mesure de pureté du sang– continuent de jouer. Nous devons garder l’œil là-dessus. Le génie est sorti de la lampe, et on ne pourra pas l’y remettre.»
Pour ceux qui ont passé des vacances dans l’Ouest américain, la zone est quasi inaccessible. A 300 kilomètres du barrage sur le Colorado de Page-Lake Powell, à deux heures de route après Monument Valley, ce territoire navajo où John Ford tourna avec John Wayne La Chevauchée fantastique (1939) et Le Massacre de Fort Apache (1948) : il s’agit du parc de Bear Ears (littéralement « les oreilles de l’ours ») dans l’Utah, territoire de canyons rouges et de vestiges pueblo, dont Barack Obama avait annoncé en 2016 la protection.
Lundi 4 décembre, à Salt Lake City, la capitale de l’Utah, Donald Trump a annoncé la réduction dramatique de la surface de ce parc, qui fait partie des 129 « monuments nationaux américains » (moins protégés que les 59 parcs nationaux) : « Il y a des gens qui croient que les ressources naturelles devraient être contrôlées par une poignée de bureaucrates distants à Washington. Eh bien devinez quoi ? Ils ont tort. Les familles et les communautés de l’Utah sont celles qui connaissent et aiment le mieux leur terre, et vous savez mieux comment prendre soin de cette terre », a déclaré Donald Trump, qui va réduire de 85 % la taille de cette zone protégée de 5 500 kilomètres carrés (un département français). Un second parc sera divisé par deux : il s’agit du Grand Staircase Escalante, lui aussi dans l’Utah et protégé par Bill Clinton en 1996.
La décision d’Obama accédait à une demande des Nations indiennes de la région (Pueblo, Hopi, Navajo, Ute). Sa décision avait été immédiatement contestée par les Républicains locaux, qui veulent pouvoir exploiter économiquement ces territoires. La décision avait choqué car elle a été prise dans l’interrègne, le 31 décembre 2016, entre l’élection de M. Trump et sa prise de fonctions. Dès son arrivée à la Maison Blanche, M. Trump avait demandé à son secrétaire à l’intérieur, Ryan Zinke, de faire un rapport sur les 27 monuments nationaux créés depuis 1996. Ce dernier a remis un rapport cet été, estimant que les présidents américains avaient fait depuis vingt ans un usage excessif de leur droit et préconisé de réduire la taille de six parcs.
Le « pouvoir des agences fédérales » attaqué
A 56 ans, Ryan Zinke est un natif du Montana, proche du Parc national des Glaciers, qui n’a plus de glaciers que le nom tant ils ont fondu. Il est pourtant avec le climatosceptique de l’Oklahoma, Scott Pruitt, directeur de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), l’un des bras armés de l’administration pour défaire les législations fédérales sur l’environnement.
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En tant que ministre de l’intérieur, Ryan Zynke règne sur les territoires fédéraux et les affaires indiennes. Un pouvoir considérable dans les Etats de l’Ouest américain, que contestent les populations locales, comme le résumait à la mi-novembre Geno Palazzari, électeur de Donald Trump, responsable de la communication de la ville minière de Gillette dans le Wyoming : « Obama a décidé de transformer en monuments nationaux des domaines dont personne n’avait jamais entendu parler », proteste M. Palazarri. « Vous ne pouvez pas comprendre pourquoi l’Etat fédéral continue de prendre des terres. Il faudrait prendre ces décisions en passant par le Congrès, pas par des technocrates. Ce qui agace les gens dans les Etats de l’Ouest, c’est le pouvoir des agences fédérales. Le gouvernement possède la moitié du territoire du Wyoming et dicte ce que nous devons faire. »
Selon une étude du Congrès de mars 2017, les terres fédérales représentent 28 % du territoire états-unien (cinq fois la superficie de la France), essentiellement en Alaska (61 % du territoire est fédéral) et dans l’Ouest (Nevada, 84 % ; Utah, 65 % ; Oregon, 53 % ; Wyoming, 48 % ; Californie, 46 %) tandis que les territoires indiens représentent 225 000 kilomètres carrés (40 % de la France).
Précédent politique
Donald Trump, en réduisant la taille de deux monuments nationaux, ne change rien à cette donnée – les territoires déclassés resteront fédéraux —, mais offre à ses amis Républicains de l’Utah une victoire politique. « Notre territoire public est fait pour être utilisé par le public, pas pour des intérêts particuliers », a déclaré Ryan Zinke, applaudi par les Républicains de l’Utah, qui veulent exploiter ces territoires. « Nous sommes reconnaissants de la décision d’aujourd’hui, qui va permettre aux éleveurs de reprendre leur rôle de gardiens de la nature et de moteur des économies rurales », a déclaré le patron du Syndicat des éleveurs, Craig Uden. En réalité, les bêtes sont déjà autorisées à aller dans les pâturages. De même, les sociétés minières ne semblent pas particulièrement intéressées par Bear Ears.
Donald Trump et les Républicains tentent de créer un précédent politique. Les 3 000 manifestants qui protestaient à Salt Lake City contre M. Trump et les associations de défense de l’environnement l’ont bien compris. « Et c’est quoi la suite, président Trump ? Le Grand Canyon ? », a demandé la présidente du Conseil national de défense des ressources nationales (NRDC), Rhea Suh. Ce n’est pas la première fois qu’un président réduit la taille d’un parc national : en 1915, Woodrow Wilson avait réduit de moitié la taille du parc du mont Olympe (Etat de Washington, près de Seattle) en raison des protestations des exploitants forestiers, tandis que Franklin Roosevelt avait réduit en 1940 de 290 kilomètres carrés la taille du Parc national du Grand Canyon à la demande des éleveurs.
La nouveauté est que la décision du président Trump devrait ouvrir la voie pour la première fois à une bataille judiciaire pour savoir si l’Antiquities Act, de Theodore Roosevelt, qui permet depuis 1906 au président de protéger des sites d’intérêt scientifique et historique, donne aussi au président le pouvoir de les déclasser. Les réductions précédentes n’avaient pas été attaquées. Avec une possibilité, si Donald Trump perd, de rendre irrévocables les frontières des zones protégées, mais avec le risque, en cas de victoire, de désacraliser la protection de ces territoires.
Résistance des populations amérindiennes
Pour montrer qu’il ne contestait que les excès des décisions prises depuis vingt ans, M. Zynke a proposé la création de trois monuments nationaux supplémentaires : l’un à camp Nelson, dans le Kentucky, où furent entraînés des soldats afro-américains pendant la guerre de sécession ; un deuxième à Jackson, dans le Mississippi, dans la maison du militant des droits civiques Medgar Evers, assassiné en 1963 ; le troisième dans le Montana, à Badger-Two Medicine, lieu sacré des indiens Pieds-Noirs. En clair, oui à la mémoire de l’esclavage ou des populations précolombiennes, non au gel d’immenses territoires au développement économique.
Cette offensive a lieu alors qu’un non-dit concerne les populations natives américaines. « Nous allons nous lever et nous battre à fond », a déclaré au New York Times Russell Begaye, président de la Nation Navajo, expliquant que le gouvernement avait déjà pris « des millions d’hectares de la terre de mon peuple ». Les populations amérindiennes vivent dans un dénuement tragique, frappées par un chômage endémique (20 % chez les Crow, 42 % chez les Navajos, plus de 80 % chez les Cheyennes) et vivent sur des terres peu exploitées économiquement.
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Le contraste est saisissant avec les villes qu’ont fait pousser les Américains dans le désert, telle Las Vegas (600 000 habitants) au prix de deux barrages et d’un assèchement partiel du Colorado. Pendant qu’elles combattent les Monuments nationaux, les populations de l’Utah poursuivent un autre objectif, créer un pipeline de 270 kilomètres pour pomper l’eau du Colorado stockée dans le lac Powell – qui n’est qu’à moitié plein — et alimenter la ville-champignon de Saint George, située 150 kilomètres à l’est de Las Vegas, comme le relate le Los Angeles Times. Depuis 1990, sa population a triplé pour atteindre 160 000 habitants et elle pourrait atteindre 400 000 d’ici à 2060. Derrière l’annonce symbolique de Donald Trump, un conflit majeur sur la durabilité du développement des Etats semi-désertiques de l’Ouest américain.
Avec Atlanta, il nous a fallu du temps. Du temps pour digérer nos deux visites (2012, 2016), pour mettre toutes nos idées en place, mais aussi pour aimer cette ville (comme plein d’autres). Notre première impression sur la capitale de la Géorgie a d’abord été mitigée. En deux journées, en 2012, on y a vu un downtown spectaculaire, des autoroutes transperçant la ville, des animations maousses mais aussi quelques quartiers verts et un potentiel un peu discret. En 2016, quatre ans plus tard, nous avons pris la chose de manière complètement différente en passant plus de temps sur place. Et là, la plus grande ville de Géorgie nous a conquis, montrant d’autres facettes, assez branchées. Que voir ? Que faire ? Où manger et où dormir ? Que visiter ? On vous dit tout pour réussir votre découverte d’Atlanta avec ce city-guide.
Avant d’y aller, tout le monde ou presque a déjà entendu parler d’Atlanta. Martin Luther King, « Autant en Emporte le Vent« , les JO de 1996, « Walking Dead« , Coca-Cola… Dans les activités, il y a les traditionnels, façon « grosse Bertha » (aquarium de Géorgie, CNN, Coca-Cola, Centennial Park), par lesquels on va commencer, mais pour une découverte plus en profondeur, moins superficielle, au plus près des habitants, il y a de quoi faire. C’est parti pour la « Big Peach », la « grosse pêche », l’emblème de l’état de Géorgie, le « Peach State ».
Le supervolcan du Yellowstone National Park, capable d'engendrer un cataclysme, tremble et se déforme, causant une modification de la topologie du terrain de manière spectaculaire, selon un rapport du National Geographic. S'agit-il de signes précurseurs d'une éruption catastrophique ou d'un simple "ronflement" cyclique ?
Le point chaud de Yellowstone a produit plusieurs groupes de cratères volcaniques imbriqués, appelés caldeiras, au cours des 16 derniers millions d'années. Et, au cours des deux derniers millions d'années, trois éruptions majeures se sont produites :
La première, dénommée Heise, a eu lieu il y a 2,1 millions d'années : l'éruption a émis tellement de magma que la chambre magmatique s'est effondrée créant une dépression, la caldeira avec des dimensions impressionnantes : 80 km de long, 65 km de large et des centaines de mètres de profondeur.
La deuxième éruption, Picabo, s'est produite il y a 1,3 millions d'années ;
et la troisième il y a 631 000 ans. C'est cette dernière qui a formée la caldeira actuelle de Yellowstone qui s'étend sur 40 à 60 km[1].
Depuis, environ 30 petites éruptions, y compris une datée d'il y a seulement 70 000 ans, ont rempli la caldeira de lave et de cendres, et ont construit le paysage relativement plat que nous connaissons aujourd'hui.
Yellowstone : le plus grand réservoir de magma au monde
Le volcan du Yellowstone se caractérise par une imposante chambre magmatique souterraine dont les évaluations ne cessent d'en augmenter la taille. D'après les premières estimations, elle faisait faire plus de 70 kilomètres de large pour une hauteur de plus de 10 kilomètres.
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Toutefois, selon une étude rendue publique fin octobre 2013, les dimensions de la gigantesque chambre magmatique pourraient avoir été sous-estimées. En effet, Robert Smith de l'université de l'Utah a indiqué que la chambre magmatique résidant sous le parc de Yellowstone mesurerait 90 km de long pour 20 km de large. Par ailleurs, elle se situerait entre 2 km et 15 km de profondeur sous la caldeira, selon les endroits.
Une nouvelle étude publiée en avril 2015 par des chercheurs de l'Université de l'Utah révèle la présence d'une autre réservoir colossal sous cette première chambre. Constitué d'eau chaude et de roche partiellement en fusion, ce réservoir 4,4 fois plus volumineux que la chambre magmatique serait situé entre 19 et 45 km sous la surface. Sa capacité est telle qu'elle pourrait combler 11,2 fois le Grand Canyon, contre 2,5 fois pour la première chambre magmatique, estime le chercheur Jamie Farrell, co-auteur de l'étude publiée dans la revue Science. Cela en fait, jusqu'à preuve du contraire, la plus grande chambre magmatique connue sur Terre.
"Pour la première fois, nous avons imagé le système de plomberie volcanique continue sous Yellowstone", explique le premier auteur Hsin-Hua Huang, également chercheur en géologie et géophysique. "Cela inclut la chambre magmatique supérieure que nous avons vu précédemment, plus un réservoir de magma dans la croûte inférieure qui n'avait jamais été représenté avant et qui relie la chambre supérieure au point chaud de Yellowstone."
Cependant, contrairement à une idée reçue, la chambre magmatique et le réservoir de magma ne sont pas remplis de lave en fusion. Il s'agit davantage de roche chaude, principalement solide et spongieuse, avec des poches de roche en fusion qui représenteraient respectivement 9 % et 2 % du volume des chambres supérieures et inférieures.
University of Utah seismologists discover magma reservoir under Yellowstone (with scale in kilometers) from The University of Utah on Vimeo.
Cette nouvelle représentation du système volcanique de Yellowstone n'augmente pas le risque proche d'une éruption : "Le danger réel reste le même, mais maintenant nous avons une bien meilleure compréhension du système magmatique complet," explique le co-auteur Robert Bob Smith, un expert de longue date dans le volcanisme de Yellowstone de l'Université d'Utah, professeur émérite en géologie et en géophysique.
Les pressions du magma déforment le sol de Yellowtone
Alors que l'épaisseur de la croûte terrestre est d'environ 30 km, à Yellowstone elle n'est que de 7 à 10 kilomètres. Ce qui fait que la pression exercée par la chambre magmatique se traduit par des déformations en surface. A partir de 2004, les scientifiques ont vu le sol au-dessus de la caldeira s'élever de 7 centimètres par an. Bien que ce taux ait ralenti entre 2007 et 2010 à un centimètre par an ou moins, depuis le début de ce gonflement, le sol s'est soulevé de plus de 25 centimètres à plusieurs endroits.
« Il s'agit d'une élévation extraordinaire, car il couvre une grande surface et les taux sont très élevés », a déclaré Bob Smith. Les scientifiques pensent qu'un réservoir de magma gonfle, 7 à 10 kilomètres sous la surface de la terre, ce qui entraîne ce soulèvement. Heureusement, l'élévation ne semble pas annoncer une catastrophe imminente, a déclaré Bob Smith : « Au début nous pensions à une éruption ».
« Mais une fois que nous avons vu que le magma était à une profondeur de dix kilomètres, nous n'avons pas été si préoccupés. S'il se situait à une profondeur de deux ou trois kilomètres, là, nous aurions été beaucoup plus vigilants ». Les études offrent de précieux indices sur ce qui se passe dans la tuyauterie souterraine du volcan, ce qui pourrait éventuellement aider les scientifiques à prédire quand aura lieu la prochaine éruption volcanique à Yellowstone.
Les respirations insondables de Yellowstone
Smith et ses collègues de US Geological Survey (USGS) et de l'observatoire du volcan de Yellowstone ont cartographié les soubresauts de la caldeira à l'aide d'outils tels que les systèmes de positionnement GPS et d'interférométrie radar (InSAR), qui mesurent la déformation du sol. La déformation du sol suggère que le magma est en mouvement vers la surface, signe précurseur d'une éruption. Les flancs du mont St-Helene, par exemple, ont gonflé de façon spectaculaire dans les mois précédents l'explosion de 1980. Ce fut également le cas avant l'éruption plus modeste de l'Eyjafjallajökull en avril 2010 : son flanc avait enflé de plus de 15 centimètres environ, étant donné que le magma avait coulé dans les chambres étroites sous la montagne.
Mais il existe aussi de nombreux contre-exemples, y compris dans le cas du supervolcan de Yellowstone, où le sol enfle sans que cela soit suivi par une éruption. Selon la théorie actuelle, le réservoir magmatique de Yellowstone est alimenté par un panache de roches chaudes provenant du manteau terrestre. Lorsque la quantité de magma qui afflue dans la chambre augmente, le réservoir se gonfle comme un poumon et la surface s'élève. Lors du soulèvement des dernières années, les modèles indiquent que le réservoir s'est rempli d'environ 1 million de mètres cube de magma par an. Lorsque cet afflux ralentit, en théorie, le magma se déplace horizontalement pour se solidifier en refroidissant, ce qui fait redescendre le niveau de la surface terrestre.
"Sur la base de preuves géologiques, Yellowstone a probablement vu un cycle continu d'élévation puis de régression au cours des 15 000 dernières années, et ce cycle continuera probablement", a déclaré Bob Smith. Les enquêtes montrent, par exemple, que la caldeira a augmenté d'environ 18 centimètres entre 1976 et 1984 avant de redescendre d'environ 14 centimètres au cours de la décennie suivante. Il ajoute "ces caldeiras ont tendance à monter et descendre, mais de temps en temps, elles créent des explosions hydrothermales, des tremblements de terre, ou des éruptions volcaniques".
Les chercheurs estiment que 10 à 30% du magma présent sous Yellowstone est à l'état liquide, c'est donc encore insuffisant pour déclencher une éruption majeure (il en faudrait au moins 50%). Mais des poches de magma en fusion dans la chambre pourraient quand même causer des éruptions plusieurs fois plus fortes que celle de 1980 au Mont St Helens (Etat de Washington), prévient Jacob Lowenstern, qui dirige l'Observatoire de Yellowstone pour le compte de l'USGS de Menlo Park, en Californie.
De la difficulté de prévoir une éruption de Yellowstone
Prévoir l'imminence d'une éruption volcanique reste extrêmement difficile, en partie parce que de nombreuses données font encore défaut dans le cas de Yellowstone. De plus, les enregistrements en continu de l'activité de Yellowstone ne sont disponibles que depuis les années 1970, ce qui est insignifiant à l'échelle des temps géologiques et ne permet donc pas de tirer de conclusions sur les observations effectuées.
De toute évidence, il y a encore du magma sous Yellowstone souligne Dan Dzurisin, un expert de Yellowstone. Ceci se manifeste par l'activité hydrothermale continue juste sous la surface : geysers (il y en a plus de 500), sources d'eau chaude (plus de 10 000), boues chaudes, fumerolles qui constituent une attraction pour de nombreux touristes. Ce large système hydrothermal pourrait aussi jouer un rôle dans les déformations du sol, mais il est difficile de savoir dans quelle mesure.
Quelque 3000 tremblements de terre secouent chaque année Yellowstone[2]. Par exemple, entre le 26 décembre 2008 et le 8 janvier 2009, environ 900 séismes se sont produits dans une zone localisée autour du lac Yellowstone. Cette concentration de secousses pourrait avoir relâché la pression du magma dans le réservoir en permettant aux fluides de s'échapper ralentissant du coup l'élévation du sol, comme l'indique Smith de l'Université de l'Utah.
Ces séismes devraient fournir de précieux indices sur les relations entre la chambre magmatique et les déformations du sol.
Au final, l'histoire géologique de Yellowstone et les causes des déformations enregistrées sont devenues de plus en plus complexes avec l'évolution des techniques disponibles pour les étudier.
Vers un prochain réveil du supervolcan Yellowstone ?
Regain d'activité en 2014
Fin 2013, la gigantesque caldeira montrait des signes de réveil : activité sismique, accentuation des déformations du sol... Ainsi, Yellowstone a connu le 30 mars 2014 un séisme de magnitude 4,7 à seulement 6 km au nord-est du Norris Geyser Basin. Il s'agit du plus puissant tremblement de terre depuis le début des années 1980 dans le parc.
Pourtant, l'agence géologique américaine (USGS) se veut rassurante : ces tremblements de terre ne sont pas anormaux et ont déjà été constatés par le passé.
2017 : vague intense de séismes
Les vulcanologues de l'Université de l'Utah qui suivent le supervolcan ont enregistré un regain d'activité du 12 au 19 juin 2017 avec une série de 464 séismes (la plupart de magnitude 0 à 2) dont un de magnitude 4,5 le 15 juin. "L'épicentre du choc a été localisé dans le Parc National de Yellowstone, à 12 km au nord-nord-est de la ville de West Yellowstone, Montana" ont indiqué, dans un communiqué, les scientifiques.
Cette vague de séisme est la plus importante depuis 5 ans, mais reste inférieure aux séries enregistrées en 2002, 2004, 2008 et 2010.
Le réseau de GPS de Yellowstone permet d'enregistrer les déformations du sol et donc les variations de pression dans les profondeurs de la Terre.
déformation sol YellowstoneDéformations du sol à Yellowstone depuis 2004. Premier graphique : déplacement horizontal nord/sud. Deuxième graphique : déplacement horizontal est/ouest. Troisième graphique : déplacement vertical du sol. Station NRWY (YellowstoneContin Network)
© USGS
L'USGS souligne qu'entre 1996 et 2003, le Norris Geyser Basin avait connu une élévation de 12 cm, avant de dégonfler en 2004. Les situations de 2014 et de 2017 ne sont donc pas particulièrement alarmantes.
Doit-on s'inquiéter des animaux qui fuient Yellowstone ?
Des vidéos montrent des bisons qui semblent fuir le parc national de Yellowstone :
Contrairement aux rumeurs catastrophistes, cela ne signifie pas que ces animaux tentent d'échapper à un danger imminent mais qu'ils sont tout simplement à la recherche de nourriture, il s'agit donc d'une migration saisonnière classique comme l'explique Al Nash, chef des relations publiques pour le parc national de Yellowstone.
Pour l'instant, nous assistons donc simplement au ronflement du supervolcan... Et c'est plutôt rassurant.
Une éruption peu probable à court terme
Selon Ilya Bindeman, professeur en sciences géologiques à l'Université de l'Oregon (USA), une éruption majeure à Yellowstone devrait effectivement se produire... Mais plutôt dans 1 à 2 millions d'années. En effet, "nos recherches sur les modèles d'un tel volcanisme dans deux anciennes caldeiras complètes dans le sillage de Yellowstone suggèrent que le supervolcan est dans une phase d'endormissement plutôt que sur un cycle de montée en puissance" dit-il.
Si il ne s'agit pas d'une certitude, mais seulement d'une extrapolation à partir des témoins des éruptions passées, la prochaine éruption majeure de Yellowstone devrait donc se produire dans 1 à 2 millions d'années, dans l'Etat du Montana.
Selon Robert B. Smith, le risque que le supervolcan Yellowstone entre en éruption est, chaque année, de 1 sur 730 000[3], ce qui reste faible : "Malgré les annonces alarmistes de conséquences catastrophiques d'une éruption du supervolcan, nous affirmons qu'elle est impossible, l'épicentre du volcan s'étant déplacé sous l'épaisse lithosphère nord-américaine. Cela veut dire que pour se réveiller, le volcan aura besoin de beaucoup plus de chaleur et d'énergie que quand il se trouvait sous la couche mince et poreuse du plateau de la Snake River".
Toutefois, dans une interview accordée au New York Times le 10 octobre 2017, Hannah Shamloo, géologue à l'université d'État de l'Arizona indique que ses travaux sur les minéraux issus de cendres fossilisées de la dernière éruption du supervolcan sont surprenants. Les changements radicaux de température et de composition se sont manifestés en quelques décennies alors que les géologues pensaient qu'il fallait plusieurs milliers d'années. Ce qui signifie qu'une éruption pourrait survenir beaucoup plus rapidement que l'on ne le croit. "C'est incroyable à quel point très peu de temps suffit à un système volcanique endormi pour être au bord de l'éruption", a déclaré Hannah Shamloo.
Les conséquences cataclysmiques d'une éruption de Yellowstone
Une éruption à Yellowstone serait une catastrophe majeure, inconnue de la civilisation moderne.
Selon Bindeman, une telle éruption détruirait tout sur un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Mais ce n'est pas tout : les Etats-Unis et le Canada seraient recouverts de plusieurs centimètres de cendres qui détruiraient toute végétation jusqu'à 1 600 km du cratère. Deux tiers des États-Unis et un tiers du Canada deviendraient inhabitables. Les émanations toxiques du volcan rendraient l'air irrespirable... Un tel événement causerait des dégâts gigantesques, équivalant à environ 1 000 fois celle du mont Saint Helens (Washington - USA) en 1980. En effet, l'explosion du mont St. Helens avait engendré l'émission d'un kilomètre cube de matière dans l'air, l' éruption du mont Pinatubo aux Philippines en 1991, dix kilomètres cubes. Or, la dernière éruption de Yellowstone il y a 630 000 ans, a rejeté 1 000 kilomètres cubes de matériaux !
Enfin, du dioxyde de soufre serait libéré en grande quantité, ce qui entraînerait un refroidissement du climat planétaire pendant au moins une décennie et une altération de la couche d'ozone.
Notes
Ces éruptions ont été respectivement 2 500, 280 et 1 000 fois plus puissantes que celle du mont St-Helens de 1980.
Les secousses sismiques sur Yellowtone peuvent être suivies en direct sur la page dédiée de l'Université d'Utah. Une autre page archive toutes les secousses enregistrées sur Yellowstone.
A titre de comparaison, c'est la chance que nous avons de gagner (seulement) 6 000 euro à l'Euro million.
Sources
Yellowstone Has Bulged as Magma Pocket Swells - National Geographic
Planetary disasters: It could happen one night - Nature 493, 154–156 (10 Janvier 2013) doi:10.1038/493154a
Will the Yellowstone supervolcano erupt in our lifetime? - NSF
Yellowstone Volcano Observatory - USGS
Questions About Supervolcanoes - USGS
Auteur
Christophe Magdelaine Christophe Magdelaine / notre-planete.info
Droits de reproduction
CC BY-NC-SA (Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions)