Tous mes Acadiens de première génération sont déjà installés en Acadie lors du recensement de 1671. Tous, sauf un !
En effet, on ne trouve la première trace de Jean (Baptiste)* DUON en Acadie que le 27 février 1713 - soit tout juste un mois et demi avant la signature du traité d'Utrecht marquant la perte définitive de l'Acadie par la France -, lorqu'il épouse Jeanne HEBERT à Port-Royal; il a 29 ans, elle 17.
Si lui est récemment arrivé sur ces terres américaines, sa jeune femme représente la 4° génération acadienne par sa grand-mère Marie GAUDET fille du pionnier Jean GAUDET, et la 3° par son grand-père Etienne HEBERT arrivé à Port Royal avant 1650.
Au recensement de 1714, Jean Baptiste apparaît sous le sobriquet de "Lyonnais" ("Lionnois"). Et c'est bien là une énigme : comment et pourquoi ce DUON s'est-il décidé un jour à émigrer en Acadie, 50 à 60 ans après la plupart des autres pionniers ? D'autant plus que, alors que la plupart des premiers acadiens étaient originaires surtout de l'Ouest de la France (Saintonge, Poitou...) et travaillaient comme laboureurs, tonneliers, maréchal-ferrand, chirurgien..., métiers indispensables à l'installation d'une colonie, lui appartenait à une famille de soyeux de St Étienne en Forez et de Lyon.
Son arrière grand père Jean DUON l'aîné (mon sosa 4992) était "marchand tissotier*" à la Metare près de Saint Etienne.
Son grand-père, Mathieu DUON (S 2496), "marchand de Saint Etienne", avait épousé Catherine PEYRIEU (S 2497), fille de Gabriel, également marchand tissotier, le 26 mai 1635 .
Son père, Jean Louis DUON (S 1248), était maître passementier*, tout comme ses oncles Jean Baptiste et Jean le Cadet. Jean Louis avait quitté St Etienne pour Lyon à l'âge de 37 ans, deux ans avant de se remarier, le 22 juin 1683, avec Jeanne CLEMENSON (S 1249). Jean Baptiste sera le premier né du couple, le 31 octobre 1684, baptisé le lendemain paroisse St Vincent. Son parrain sera son oncle Jean DUON, " marchand de soies de St Nizier, petite rue Mercière", mari de Françoise BROCHAY, fille de "feu Jean BROCHAY marchand maître teinturier de soie à Lyon".
Toute la famille de Jean (Baptiste) DUON vivait donc de la soie, et l'on se mariait entre fils et filles de maîtres passementiers, veloutiers, teinturiers en soie, guimpiers, dans une parfaite endogamie sociale... Son frère Mathieu (né en 1699) ne faillira pas à la tradition : il sera "maître fabricant d'étoffes de soie", puis "maître veloutier" ; sa soeur Simone épousera en 1729 Alexis MAYOUD, "maître boutonnier".
Alors, pourquoi donc Jean Baptiste décide-t-il un jour d'abandonner un avenir tout tracé dans la soierie lyonnaise pour traverser l'océan et aller se construire une vie totalement différente, entre mer et forêt, dans une ébauche de pays??? Ses parents sont toujours vivants lors de son départ (son père décèdera le 26 octobre 1720, sa mère plus tard). Son frère Mathieu a une douzaine d'années, sa soeur Simone deux ou trois ans... Alors qu'il est le seul jeune adulte de la fratrie, pourquoi n'a-t-il pas pris la succession de son père septuagénaire?
D'autant plus qu'il a très certainement appris le métier de son père. Il est très probablement le "Jean DUON" inscrit comme apprenti passementier en juillet 1698 : il a alors 13 ans et demi, âge classique pour entrer en apprentissage, et c'est le seul Jean de cette tranche d'âge que j'aie relevé à l'époque à Lyon. La formation durait 5 ans, ce qui lui permettait, en tant que fils de maître de devenir maître à son tour dès 18 ans et demi, son statut familial le dispensant du passage par le statut de compagnon.
"Jean DUON est inscript aprentis avec Anthoine CAPLACER(?)Maître de notre art après avoir veu son acte d'aprentissage DUON 5(??)juillet 1698. Receu de LAFAY et MONTAGNON notaire royaux de cette ville par nous le 24° août 1698"
Or curieusement, c'est précisément à cette période-là qu'il va quitter Lyon et la France. Il est tout à fait impensable qu'il soit parti chercher un nouveau débouché pour les passementeries familiales : les Acadiens étaient trop peu nombreux et ne pouvaient pas constituer un marché pour ce type de produits... S'installer à Port-Royal était pour Jean Baptiste une rupture radicale et définitive avec ses origines sociales et son mode de vie. Alors, quid? Etait-ce une question de caractère ou de circonstances? Avait-il, chevillé au corps, un véritable esprit d'aventure, l'envie de découvrir des horizons lointains...? Fuyait-il un conflit familial, un chagrin d'amour?... Avait-il des ennuis avec la justice?... Rêvait-il de grands espaces, ou était-il un fils rebelle en rupture de ban ??? Cette question restera malheureusement sans réponse, une véritable Enigme...
Toujours est-il qu'il a rapidement trouvé sa place dans la colonie de Port-Royal, comme le montre son mariage avec une toute jeune fille issue d'une déjà "vieille" famille locale. De plus, venant d'une famille plutôt aisée et éduquée, une quinzaine d'années après son arrivée, en 1727, il est nommé notaire de Port Royal par le gouverneur Armstrong....
Père de 13 enfants dont 11 deviendront adultes, après plus de 30 ans passés en Acadie, il sera inhumé à Port Royal à l'âge de 61 ans, le 6 mai 1746. Cela lui épargnera le chagrin de voir sa famille totalement éparpillée sur la planète moins de 10 ans plus tard lors de la tragédie qui allait frapper le peuple acadien.
Notes :
Glossaire :
passementier : s. m. (Art. méchaniq.) ouvrier & marchand qui fait & vend des passemens ou dentelles. Les autres ouvrages que peut fabriquer le passementier sont des guipures, des campanes, des crespines, des houpes, des gances, des lacets, des tresses, des aiguillettes, des cordons de chapeaux, des boutons, des cordonnets, des rênes, des guides & autres ouvrages & marchandises semblables. (Diderot et d'Alembert)
tissotier : ancien nom du passementier
veloutier : celui qui fabrique du velours
guimpier : fabricant de fil d'or pour les rubans, galons...
Parmi les toutes premières familles installées à Port Royal figure celle de Guillaume TRAHAN (mon sosa 2468, 2520, 9862). Alors que les origines françaises de bon nombre de pionniers restent floues et sujettes à controverses, on suit clairement la trace de Guillaume dès avant sa venue.
Il est l'un des sept enfants répertoriés de Nicolla TRAHAN et Renée DESLOGES, de Montreuil-Bellay (Indre et Loire). Il se marie1 à St Etienne de Chinon le 13 Juillet 1627 avec Françoise CORBINEAU (S 9863). Vers 1629 naît leur fille Jeanne, puis un autre enfant quelque temps après. Guillaume est maréchal de tranchant, c'est-à-dire qu'il fabrique toutes sortes d'outils tranchants: haches, couteaux, faux, serpettes, faucilles, ciseaux de menuisier, etc., et même des ustensiles de table, comme couteaux, fourchettes, cuillères...
Il mène une vie paisible auprès de ses parents, ses frères François et Nicolas, ses soeurs Renée, Anne et Lucrèce2, sa femme et ses enfants... Mais voilà qu'en 1635, il est (ainsi que quelques autres) condamné pour avoir défriché et coupé du bois dans la forêt de Bourgueil. Ces défrichages semblent avoir été habituels depuis une quarantaine d'années, il n'est visiblement pas le seul ni le premier, mais un coup d'arrêt est soudain donné par les autorités à cette pratique. Selon le jugement de la maîtrise de Chinon,
Les habitants des paroisses St Germain et St Nicolas de Bourgueil, le procureur joinct........ et en outre Messire Léonor d'Etampes......ordonne à trois religieux, deux écuyers, un garde marteau de la forêt de Bourgueil, Guillaume TRAHAN........et quelques autres personnes que ce qui a esté entrepris, usurpé et déffriché par lesdictz deffendeurs des appartenances et dépendances de ladicte fôretz de Bourgueil depuis 40 ans en ladicte conservée par les procès verbaux de visitation et d'arpentaige et prétendus baux à rente que nous avons déclaré nulz et de nul effect, sera réuny en l'avenir au corps de ladicte forêtz de Bourgueil.......faisant inhibition expresse ausdictz deffendeurs et tout aultres de deffricher abattre ne couper aucun bois ........ne changer la nature d'icelle à peine de 500 livres d'amende..... sont condamnés ..... le dict Duberlé en 50 livres d'amende ......le dict TRAHAN 20 livres d'amende et soixante dix livres pour la valleur et estymation du jeune bois qui estoit en deux arpents qu'il a fait arrachez dont partie a esté trouvée en sa maison et oultre en quarante livres pour les domaiges et intêretz.....".3
Condamné à payer un total de 130 livres (une très grosse somme!) pour avoir défriché deux arpents de forêt, Guillaume doit être furieux, sans compter que ce jugement le met probablement dans une situation financière délicate.
Or il se trouve que depuis 16324 le tourangeau Isaac de Razilly s'efforce de développer l'Acadie, avec le soutien de Samuel de Champlain et Richelieu. Et fin 1635, peu après les déboires judiciaires de Guillaume, de Razilly fait recruter dans la région paysans et artisans pour aller travailler dans la toute jeune colonie encore embryonnaire.
Plusieurs habitants de la région vont se décider à partir à l'aventure vers ce continent de tous les possibles. Il s'agit de quatre jeunes couples de laboureurs de Bourgueil, qui n'ont encore qu'un ou deux enfants, ainsi qu'une veuve et ses deux enfants. S'y ajoutent cinq laboureurs célibataires , et, venant de Chinon, un tonnelier, deux tailleurs d'habits, deux laboureurs et un savetier.
Après sa mésaventure au tribunal, on peut imaginer que Guillaume et sa femme n'ont pas hésité longtemps à aller se construire une nouvelle vie au-delà de l'océan, là où défricher ne serait plus interdit mais au contraire encouragé, et où les autorités seraient bien lointaines... Ils se joignent donc, avec leurs deux enfants d'environ 7 et 5 ans et un valet, au groupe qui descend la Loire début 1636 et rejoint un navire de 252 tonneaux, le St Jean, que Claude de RAZILLY (frère d'Isaac) a affrété pour le long voyage.
L'équipage est constitué essentiellement de matelots de la Rivière d'Auray, d'où vient également le capitaine, Pierre SAUVIC. Le navire fait d'abord voile vers Bayonne, où sont recrutés 8 charpentiers et un maître charpentier basques, ainsi que 3 matelots pour renforcer l'équipage.
Puis le Saint Jean remonte sur la Rochelle, où embarquent 4 saulniers plus un maître et sa femme "pour aller faire des marais en la Nouvelle France", ainsi que le reste des passagers : tout d'abord Nicolas Le Creux, lieutenant de de Razilly, avec sa femme, Anne Motin, ses beaux-frères et belle-soeur, une cousine, et une "fille de leur suite" (= servante?). Le Creux a également embauché des "hommes de travail" : divers laboureurs et un fendeur de bois de Dijon, un maître charpentier de moulin et deux autres charpentiers venus de Paris, 3 matelots supplémentaires, un charpentier de Saint-Malo, un maître cannonier de La Rochelle, un vigneron, un maître armurier et serrurier, un maître farinier, un maître jardinier... Embarquent également quelques autres, aux spécificités non détaillées.
Au total, ce sont donc 18 membres d'équipage et 78 passagers (dont 9 enfants) qui quittent La Rochelle le 1er avril 1636 pour le "Nouveau Monde", certains pour s'installer définitivement, d'autres juste pour remplir un engagement de quelques saisons...
Fin mai, après 2 mois de navigation, le Saint Jean jette enfin l'ancre devant la Hève, dans le sud de la péninsule acadienne. Les passagers apprennent alors qu'Isaac de Razilly est mort, et que Charles de Menou, sieur d'Aulnay, qui a pris la relève, souhaite transporter la colonie à Port Royal, sur la côte nord. En effet, à La Hève, les terres cultivables sont rares et pauvres, tandis qu'à Port Royal, les premiers défrichements effectués sont très prometteurs. Le navire va donc permettre de déménager la colonie.
Dès l'été, les gros travaux commencent : construction de 2 moulins (l'un à eau et l'autre à vent), de 5 pinasses, plusieurs chaloupes et 2 petits vaisseaux, 2 fermes, des habitations, granges, étables. On s'emploie à construire des digues et des marais salants... Nul doute que Guillaume a fort à faire à fabriquer les outils nécessaires outre ceux qui ont dû être apportés par le St Jean.
Lui qui, un an plus tôt, s'était fait sévèrement sanctionner pour avoir défriché deux arpents de forêt en France, doit se réjouir de voir ces étendues immenses d'arbres que l'on peut à loisir abattre pour construire bateaux, moulins et maisons...
Vu l'urgence de s'installer avant l'hiver, les premières maisons sont assez grossières, faites d'arbres non équarris, couvertes d'écorce de bouleau ou avec des roseaux. De l'argile mêlée de paille permet d'assurer l'étanchéité des murs. (Plus tard, la construction d'un moulin à scie permettra d'équarrir les arbres et de construire de façon plus raffinée.) Le bois permet également de fabriquer des meubles et de façonner bols, assiettes, cuillers... La forêt et ses ressources sont vitales pour la colonie naissante...
Comme il n'existe pas encore de chemins, les nouveaux colons creusent des embarcations dans des troncs d'arbre et se fabriquent des canots en écorce de bouleau, à l'instar des autochtones...
Il faut aussi rapidement labourer les terres défrichées et préparer les semences pour s'assurer l'autonomie l'année suivante... Bref, après des mois d'inaction depuis le départ de Bourgueuil, c'est l'effervescence dans la petite colonie...
Les années suivantes, tandis que les engagés peu à peu regagnent la France, les quelques familles venues s'installer définitivement s'enracinent dans le nouveau continent.
Vers 1643, Jeanne TRAHAN (ma sosa 4931), 14 ans, la fille de Guillaume venue de France sur le St Jean à l'âge d'environ 7 ans, épouse Jacob BOURGEOIS (S 4930), 22 ans, membre très actif de la colonie, arrivé en Acadie le 6 juillet 1641 sur le Saint-François en provenance de La Rochelle. Il est chirurgien, mais se fera aussi au fil du temps constructeur de navires, commerçant, interprète entre Français et Anglais, et cultivateur... Guillaume sera grand-père dès l'année suivante, et au total, le couple lui donnera 11 petits-enfants.
Le nom de Guillaume TRAHAN apparaît dans différents documents concernant l'histoire de Port Royal, et notamment le 16 août 1654, quand il signe la capitulation en tant que "syndic des habitants".
Françoise et lui n'ont apparemment pas d'autre enfant après leur arrivée en Acadie, mais Françoise est toujours en vie en 1649, puisque dans son testament, le 20 janvier 1649, Charles de Menou, gouverneur de l'Acadie, demande à sa femme de ne pas oublier la femme de Guillaume TRAHAN :
« … Je la suplye davoir soin de Laverdure de sa femme; elle noublira pas la femme Guillaume TRAHAN et le tout autant que nostre bon dieu luy donnera les moiens et des richesses»
En 1666, toutefois, Guillaume est devenu veuf, puisqu'il se remarie avec la jeune Madeleine, fille de Vincent BRUN et de Renée BREAU (ou BRAULT / BRODE), elle-même arrivée en Acadie à l'âge de 3 ans. Il est déjà âgé d'une soixantaine d'années, tandis que la jeune épousée n'a que 21 ans, un de moins que l'aînée des petits-enfants de Guillaume... Cette très grande différence d'âge ne les empêchera pas d'avoir 6 enfants, avant le décès de Guillaume vers 16845.
Guillaume aura donc vécu près de 50 ans en Acadie, entouré de ses chères forêts...
PS : j'ai choisi de centrer cet article sur mon ancêtre Guillaume TRAHAN (dont je descends trois fois, par ses deux épouses), mais la forêt n'était pas seulement une ressource en matériaux pour les Acadiens. Elle fut aussi pour eux à diverses occasions un refuge. Quand les Britanniques arrivaient par la mer pour faire des raids contre les Acadiens, allant dans certains cas jusqu'à tuer les bestiaux, détruire les récoltes et brûler les maisons, comme en septembre 1696 à Beaubassin, la population fuyait dans les bois, où les Anglais n'osaient pas pénétrer. Et plusieurs milliers d'Acadiens s'y cacheront à partir de 1755 pour fuir la déportation.
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Notes :
1 acte découvert par Jean Marie GERME. Par contre, son acte de naissance ne nous est pas parvenu, certains registres étant manquants au début du siècle à Montreuil Bellay. Il est sans doute né entre 1607 et 1609.
2 Si l'on a confirmation par leurs actes de mariage que les frères sont devenus adultes, je ne suis pas sûre du devenir des filles
3 cité par Geneviève Massignon dans sa thèse Les Parlers français d'Acadie - Sorbonne - 1962
4 29 mars1632 : traité de St Germain en Laye par lequel l'Angleterre rend la Nouvelle France dont elle s'était emparée en 1629
5 Madeleine, chargée de jeunes enfants à élever, se remariera très rapidement, avec Pierre BEZIER, dit La RIVIERE, et aura avec lui une petite fille, Suzanne (âgée de 5 mois lors du recensement de 1686). Ce second mari sera lui aussi nettement plus âgé qu'elle, puisqu'il décèdera en 1706, à l'âge annoncé de "90 ans"! même si cette estimation est sans doute excessive, il devait être pour le moins sexagénaire lors de son mariage avec Madeleine, tandis qu'elle avait tout juste la quarantaine.
Que fait la police ? Le pouvoir d’influence insoupçonné de la typographie
4 novembre 2021, par Joan Le Goff - The conversation - licence Creative Commons
Dans leur essai Mille plateaux publié en 1980, les philosophes français Gilles Deleuze et Félix Guattari montrent, de façon didactique, comment un langage apparemment creux peut, s’il s’insère dans des agencements complexes où les signes font sens, transformer les êtres.
L’appareillage conceptuel qu’ils élaborent offre ainsi une clé de compréhension de la manière dont la normalisation managériale se diffuse : leurs « mots d’ordre » forment le fil théorique qui permet d’échapper au labyrinthe qu’arpentent quotidiennement consommateurs fidèles et managers disciplinés, dédale hanté d’injonctions contradictoires, de simulacres, d’incitations hors d’atteinte et de discours soumis à un savant cryptage technique.
Sans autre objet qu’eux-mêmes et leur propre performativité, ils constituent l’instrument redoutablement efficace de la managérialisation de la société. L’ordre est contenu dans la règle (la mise en forme), et non dans le discours (l’information).
Les deux philosophes illustrent leur raisonnement avec les communiqués de la police, dont la vraisemblance importe peu et où seul compte ce qui doit être retenu. À ce stade, un autre exemple tout aussi parlant semble pouvoir être mobilisé : la police des communiqués, qui fait l’objet de nos dernières recherches.
La typographie peut être identifiée comme la voix du texte, la manière dont il est entendu quand il est lu. L’histoire de la création, de la diffusion et, le cas échéant, de la disparition des caractères d’imprimerie est une chronique culturelle où se croisent politique, religion, arts et sciences, suicides et rivalités amoureuses.
Les extravagances (parfois meurtrières) des États sont connues : on sait comment l’Allemagne hitlérienne a imposé l’impression des livres et affiches en caractères gothiques, seul lettrage susceptible d’exprimer la pureté de la Nation, à l’inverse des caractères romains « dégénérés » (Mussolini ne partageait pas cet avis), allant jusqu’à arrêter Paul Renner après une conférence où ce typographe fit l’éloge des polices romaines.
En 1941, de façon tout aussi nuancée, le Reich interdira le gothique (qualifié de « judaïque », mais dont on s’est surtout aperçu qu’il était incompréhensible pour les habitants des pays occupés) et imposera l’utilisation de Futura, caractère romain inventé par Paul Renner lui-même en 1927.
En 1969, la plaque commémorative laissée sur la lune par les Américains est gravée en Futura, sans doute jugée plus lisible pour des yeux extraterrestres que Fraktur ou tout autre caractère gothique apprécié des quotidiens sérieux (du New York Times au Monde) et des tatoueurs modernes.
Quel rapport avec la gestion et le monde de l’entreprise ? Les polices de caractères soulèvent des enjeux tout aussi passionnés pour le management contemporain, comme en témoignent de nombreux faits divers : par exemple, le « verdanagate » (pétitions, éditoriaux, polémique, excuses, etc.) que suscita en 2009 le changement par Ikea de sa police traditionnelle (une variante de Futura, utilisée depuis 50 ans) pour adopter Verdana, considérée plus adaptée au web et plus lisible sur petits écrans.
L’année suivante, c’est l’humiliation de l’État français qui dévoile le logo de son agence chargée de la protection des droits sur Internet et, donc, de la lutte contre la fraude (Hadopi), magnifiquement conçu avec la police Bienvenue, dont tout le monde (sauf Hadopi, visiblement…) savait qu’elle a été créée par le typographe Jean-François Porchez par et pour France Télécom, avec un contrat d’exclusivité.
En 2014, une controverse surgit à propos de la consommation d’encre lors d’impressions de documents et des économies que le gouvernement américain pourrait réaliser en utilisant Garamond ; ce sont ensuite des cabinets de conseils qui, pour optimiser le recrutement, proposent de l’analyse psychologique fondée sur la dissection des choix typographiques des curriculum vitæ des candidats.
Tout cela ne concerne que marginalement notre propos, même si la normalisation managériale resurgit toujours : certaines entreprises américaines imposent Verdana (une police « neutre », conçue par Matthew Carter pour Microsoft en 1996) pour éviter qu’un employé tente d’éblouir le patron avec une police atypique.
L’enjeu porte au-delà de ces usages plus ou moins adroits et renvoie directement à ce que permet la règle indépendamment des mots, pour reprendre la logique de Deleuze et Guattari. Une police de caractères dispose d’un pouvoir d’influence sur les comportements individuels qui est absolument indépendant des phrases et messages qu’elle contribue à mettre en forme. Pour le dire autrement, les choix typographiques contiennent la consigne à laquelle le destinataire va obéir.
En 1957, des typographes de la fonderie Haas créent une nouvelle police, Neue Haas Grotesk, qui va permettre d’illustrer ce pouvoir de la mise en forme du lettrage. Sous son nom commercial (Helvetica), elle devient l’une des polices de caractères les plus utilisées au monde, désormais incontournable.
Helvetica a rapidement séduit pour ses qualités objectives – équilibre, clarté, lisibilité, neutralité – qui en ont fait la police privilégiée des entreprises : American Airlines, 3M, Bell, BMW, Jeep, Lufthansa, Kawasaki, Agfa, BASF, Manpower, Caterpillar, Intel, Nestlé, Évian, Tupperware, Saab et de nombreuses autres marques vont habiller leur identité visuelle avec elle. Mais, pour les mêmes raisons, Helvetica est devenue la police des États et des administrations, pullulant sur l’affichage urbain, les formulaires fiscaux, les panneaux d’interdiction, les avertissements de sécurité, la signalétique aéroportuaire, les plans de réseaux de transport, les logos institutionnels. Sa prolifération et son apparente impartialité ont achevé de lui conférer une vertu absolue : l’autorité.
La police utilisée par le ministère de la Culture et les Nations unies, celle qui nous indique les toilettes et les sorties de secours est devenue un symbole de l’efficacité pour administrer les hommes, c’est-à-dire non pas surveiller des identités mais provoquer des conduites. Lorsqu’un message apparaît en Helvetica, le passant sait qu’il doit s’y soumettre ; plus précisément, il le sent, sans même réfléchir, car la voix qui se soucie de sa sécurité (« cédez le passage »), qui lui donne des consignes formelles (« interdit au public ») est une voix qui peut punir si on ne lui obéit pas (amende, emprisonnement ou toute autre sanction).
Cette puissance résulte de la fusion de la légitimité du droit et de l’efficacité managériale. Peu importe alors ce qu’on écrit et même si cela est lu : l’obéissance est acquise.
Pour les entreprises, ce pouvoir de la typographie constitue un atout magistral : le contenu est indifférent, la consigne sera transmise par la police et suivie à la lettre par les employés ou les clients. Diverses expériences menées en marketing ont montré qu’en changeant simplement la police de caractères sur une affiche (sans modifier produit, prix et argumentaire), les consommateurs pouvaient juger ce produit moins cher, plus propre ou plus à la mode. Sur la devanture d’un magasin, le panneau « entrée libre » provoque plus de trafic s’il est rédigé en Helvetica.
La manière dont Helvetica peut faire naître des conduites a été illustrée de façon concrète par un affrontement commercial dans lequel une victoire juridique est demeurée sans effet.
Sous la férule de Steve Jobs, l’apparition des premiers ordinateurs Apple a apporté de multiples changements majeurs pour l’informatique, notamment sur la manière même de concevoir l’interface avec l’utilisateur (les icônes, la souris, etc.). Parmi ces innovations figure le fait que les Macintosh offraient une large palette de choix de polices de caractères (Geneva, New York, Chicago, etc.), ce qui ne s’était encore jamais vu – la typographie passait pour la première fois aux mains de non-initiés.
La sensibilité de Steve Jobs sur cette question est notoire, ainsi que son érudition – il avait ainsi délibérément refusé que la police du système d’exploitation initial soit Helvetica, qui incarnait à ses yeux la guerre du Vietnam (car les entreprises finançant l’effort militaire l’employaient toutes).
Le système d’exploitation d’Apple utilise donc Lucida Grande comme police de base jusqu’à la naissance d’une nouvelle révolution Apple, l’iPhone, pour lequel la police principale a été modifiée, remplacée de façon inattendue par Helvetica. Cette décision a été prise avec l’assentiment de Steve Jobs.
Orange bénéficiera d’un contrat de distribution exclusive, garantissant au distributeur de téléphonie un chiffre d’affaires record. Ses concurrents ont contesté devant la justice l’accord d’exclusivité, avec succès. Pour autant, de façon incompréhensible pour Bouygues et SFR, leurs ventes sont restées très en deçà de celles de leur rival : sur l’écran de leur iPhone, les consommateurs voulaient le logo d’Orange et rien d’autre – ils ne le savaient pas, ne l’exprimaient pas, mais seule cette option leur apportait satisfaction.
Il s’avère que le logo d’Orange est dessiné en Helvetica maigre sur fond noir (comme la police système d’Apple) et qu’il était le seul à ne pas rompre l’esthétique d’un téléphone acheté d’abord et avant tout dans une logique d’ostentation. Helvetica criait à tous « achetez un iPhone chez Orange et nulle part ailleurs ! ». Dont acte, puisqu’en 2010, 60 % des utilisateurs d’iPhone étaient clients d’Orange.
L’ordre vient avant le langage, il est dans la règle de grammaire ; le message vient avant le texte, il est dans le choix de la police de caractères, qui charrie son histoire, son origine, ses usages et tous les messages antérieurs. La règle de grammaire dicte la conduite, la police gouverne le comportement de l’employé, du consommateur, du lecteur. Mais aussi celui de l’électeur : il faudra s’en souvenir dans les mois qui viennent, quand la campagne présidentielle couvrira les murs de nos villes d’affiches aux polices variées.
Who is winning the fish war? Will gentlemen in England still a-bed think themselves accursed they were not there?
This morning, the war looked rather, forgive me, fishy. France has suspended until Thursday its threats to disrupt the Channel Tunnel. Boris declared he would make no concessions. His bellicose promise came immediately after the UK and Channel Islands handed the French 100 more fishing permits.
Maybe it will hot up. Maybe not. French-bashing is flourishing at least. Jacob Rees-Mogg has pronounced the French to be always grumpy in October, the anniversary of Agincourt and Trafalgar. And he’s being predictably reflected in Brit-bashing from Paris, dragging out the Marquis de Ximenès’s complaint about perfidious Albion.
Is this it? In the lengthy history of Anglo-French naval engagements, this one has been a disappointment. Not a shot fired. Even the Russians did better than the French, sinking much of the North Sea fishing fleet in 1905 (albeit by accident).
Instead, all we have is a promise that negotiations will continue. Perhaps the negotiators need more time to craft a text allowing each side to declare victory with a straight face.
Whether Boris Johnson can get away with declaring a win, Macron having already won 45 more permits for the Breton scallop men and 50 more for their colleagues in Boulogne, I cannot say. Probably. It’s odd that anyone should really care. Fishing is very many decimal places away from being economically significant in the UK.
But from the southern side of the channel, Macron looks as if he’s done well. Tantrum diplomacy has worked well for him. Politically, it could hardly have been better timed for the president. A tough election looming, this allows him to claim credit not just for saving the Breton scallop men but to claim extra points for putting the United Kingdom in its place, which is never a vote-loser here.
A few weeks ago, Macron was looking battered and bruised. Humiliated by the Anglo-Saxons over submarines. Furious with the Swiss who had rejected his Rafale fighter jets. Angry with Britain over Northern Ireland. Rowing with Algeria over colonialism.
Now the French president appears seigneur over all he surveils. He’s about to assume the presidency of the European Council, where he will be capable of endless mischief. There’s a new bounce to his step, evident in the photos of him in Rome and Glasgow. At the G20 in Rome, Biden groveled to him, claiming he’d known nothing about the Aukus submarine deal. Scott Morrison, the prime minister of Australia, was collaterally humiliated, accused by Macron of being a liar.
By the time the circus arrived in Glasgow, Boris had apparently caved and the new fishing permits were being granted. Macron said he wouldn’t close the Channel Tunnel to search every lorry for ham sandwiches. We’re at status quo ante. The French and the rest can fish British waters much as they did before Brexit, and British boats can land their catches in France. The French will probably release the seized British trawler (the British-registered, Belgian-built Cornelis Gert Jan, owned by Canadians and captained by an Irishman). The UK will not take France to court, or impose ‘rigorous controls’ on EU (i.e. French) fishing boats, not that this was ever likely since the Royal Navy has barely a skeletal fisheries protection capability. Macron won’t turn off the electricity connectors. The EU will heave a sigh of relief.
Jean-Francis Pécresse, a quintessentially establishment French journalist, writing this week in Les Échos, the French business daily, says the dispute has been entirely the fault of Albion, ‘with all the perfidy of which she is capable.’ The UK is no longer a member of the EU yet continues to be a troublemaker, he complains. ‘This cannot go on any longer, when the Union already has enough to do with its eastern flank.’
Meanwhile from London the Sun declared Macron’s, ‘Le surrender,’ Laura Kuenssberg tweeted that the French have ‘stepped back,’ the Mail reported ministers ‘hailing victory’ and the Express declared, ‘Win for Boris! Macron BACKS DOWN in fishing row – changes deadline after Truss masterstroke.’
Perhaps a clearer picture of who won and who lost the Fish war might emerge in days to come. Perhaps the current truce will hold. Perhaps not. It seems from here Macron’s got what he wanted. Winner? Losers? It’s not necessarily in the interest of anyone to clarify the point. The jingoistic media are entirely predictable and it is simply more convenient to let everyone claim victory and tuck in to a nourishing plate of Coquilles Saint-Jacques, prepared with a dash of olive oil, garlic, a splash of Grenache and a pinch of spices.
Written by Jonathan Miller
Ma lettre A aurait pu être pour Aboîteaux, car qui dit Acadiens dit Aboîteaux...
A leur arrivée sur les côtes de la Baie Française (aujourd'hui Baie de Fundy) , les futurs colons, outre les immenses forêts canadiennes, découvrirent des marées impressionnantes (celles de Fundy sont les plus hautes du monde : leur marnage* peut atteindre jusqu'à 16 m), qui avaient formé de nombreux marais.
Grâce à l'ingénieux système des aboîteaux qu'ils mirent au point et à un labeur méthodique et harassant, ils allaient mettre ces espaces en valeur. Un aboîteau est une sorte de digue astucieuse, dont le clapet permet à la fois d'empêcher la mer d'envahir les terres à marée haute, et de les laver peu à peu de leur sel, grâce à l'écoulement à marée basse des eaux pluviales ou provenant de la fonte des neiges. C'est une spécifité acadienne.
Source Wikimedia Commons
Certes, il fallait attendre deux à trois ans avant de pouvoir cultiver ces terres gagnées sur la mer, mais ensuite, le rendement était magnifique, nettement supérieur à celui obtenu en défrichant la forêt. C'était la puissance des marées qui créait la fertilité de ces terres inondables, car les courants profonds et rapides de la baie, qui peuvent attendre 13 kms/h, drainent et déposent deux fois par jour des quantités formidables de sédiments.
Par ailleurs, une végétation spécifique - avec des plantes halophytes** comme la spartine - poussait sur l'estran et servait de fourrage aux bêtes avant même que les terres ne deviennent cultivables.
La technique des aboîteaux fit des Acadiens des "défricheurs d'eau" et contribua à façonner leur identité collective. En effet, la construction des digues puis leur entretien face aux coups de boutoir des grandes marées et des glaces hivernales, exigeaient un travail colossal et donc imposait la solidarité et la coopération de tous. Cela tissait des liens étroits dans les communautés, où l'on travaillait ensemble entre voisins et toutes générations confondues. Même le gouverneur de l’Acadie, Charles Menou d’Aulnay, participait à la mise en valeur des marais. Ainsi, trois jours avant de se noyer dans le retournement de son canoë à Port Royal, en mai 1650, il était lui aussi occupé à "poser des piquets, tracer les lignes et tendre les cordeaux pour faire un nouvel assèchement de terre, pendant même qu’il pleuvait averse sur lui "...
Après quelques décennies, le succès de ce type d'agriculture et l'expansion démographique de la petite colonie de Port Royal amenèrent les plus dynamiques habitants de la région à rechercher de nouveaux espaces. C'est ainsi que vers 1672, Jacob BOURGEOIS (sosa 4930), quinquagénaire déjà bien établi à Port-Royal, alla avec certains de ses fils et ses gendres fonder un nouvel établissement dans l'isthme de Chinectou, au fond de la baie de Fundy; exactement sur la frontière actuelle du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse. Très vite, la fusion de la petite colonie de Jacob avec celle, voisine, du seigneur de la Vallière, constitua l'établissement de Beaubassin qui atteindrait les 3 000 habitants huit décennies plus tard.. Peu après, vers 1675, Pierre TERRIOT, Claude LANDRY, Antoine LANDRY et René LEBLANC (Sosa 2464) allèrent s'installer à la rivière Habitants dans la région des Mines, et en 1682, d'autres familles fondèrent Grand Pré.
Les terres gagnées sur la mer allaient rapidement faire la richesse de ces nouveaux établissements, et dès le début du XVIII° siècle, la région des Mines était la plus peuplée d'Acadie, et Grand-Pré devenu "le grenier de l'Acadie" exportait céréales et autres denrées vers Port Royal et jusqu'en Nouvelle Angleterre.
Les aboîteaux étaient si connus pour être essentiels à la richesse de ces communautés qu'en 1704, lors d'un raid britannique sur la région depuis le Massachussets, les 550 assaillants, non contents de faire des prisonniers, tuer du bétail et incendier des maisons, détruisirent les digues de Grand-Pré, laissant la mer envahir les terres et détruire les cultures. Résilients et obstinés, les Acadiens reconstruisirent leurs aboîteaux patiemment...
Notes :
** plantes halophytes : plantes adaptées aux milieux salés
Un arrêt de la Cour de janvier 1767 imposa donc de reconstituer pour chaque chef de famille acadien installé à Belle Isle "la généalogie aussi exacte et étendue qu'il sera possible de ses pères et mères, du lieu de leurs naissances, de leurs mariages, et de la naissances de leurs enfants, des morts de leurs parents en ligne directe, ascendant et descendant, et en collatérale", et ceci "autant qu'ils pourront s'en souvenir", et en comptant sur l'aide des autres acadiens et de leur représentant, l'abbé LE LOUTRE. Sans doute y avait-il d'ailleurs dans le groupe de réfugiés quelque "défricheteux de parenté", comme les appelle Antonine MAILLET, chargé d'entretenir et transmettre la mémoire collective. Ces déclarations n'étaient pas une mince affaire, puisqu'il s'agissait de compenser grâce à la mémoire orale près d'un siècle et demi de registres paroissiaux perdus.
Carte de Port-Royal - 1708
Et c'est ainsi que, le 5 février 1767, "Honoré Le Blanc, acadien demeurant actuellement en cette île au village de Bordustard, paroisse Saint Gerand du Palais" se rend à la convocation des autorités et déclare en présence des témoins "être issu de Daniel LE BLANC son aïeul sorti de France avec sa seconde femme, et Marie Le Blanc, sa fille de son premier mariage et morte sans enfant, et passés tous les trois au Port Royal, chef lieu de l'Acadie, après le traité de Breda du 31 juillet 1661*. " , avant de dérouler la généalogie complète de Daniel et Françoise, la liste de leurs enfants, petits enfants, etc...
Le lendemain, 6 février, c'est au tour d' "Honoré, Olivier et Paul DAIGRE, frères demeurant au village de Chubiguer paroisse du Palais" de faire leur déclaration. Honoré indique "être né à la Rivière aux Canards, paroisse Saint Joseph, le six janvier mil sept cent vingt six, d'Olivier DAIGRE né au Port Royal en 1703 et décédé à Falmouth le 8 décembre 1756 [qui] était fils d'Olivier DAIGRE et de Jeanne BLANCHARD, tous deux décédés au Port Royal; Olivier DAIGRE issu de Jean DAIGRE venu de France, marié au Port Royal à Marie GAUDETet tous deux morts au dit lieu". S'ensuit toute la généalogie descendante de Jean et Marie.
Puis, "le 23 février 1767 a comparu Cyprien DUON, métayer acadien, demeurant au village de Calastrène paroisse de Bangor, lequel [...] a déclaré être né au Port Royal le premier avril 1729 de Jean Baptise DUON sorti de la ville de Lyon en France et marié au dit Port Royal à Agnès HEBERT fille d'Antoine HEBERT et de Jeanne CORPORON, ledit DUON mort au dit lieu. Du mariage de Jean Baptiste DUON et d'Agnès HEBERT sont nés au dit Port Royal..."
Un régal bien sûr pour la généalogiste en herbe que j'étais, même s'il y a quelques erreurs dans ces longues déclarations. Ainsi, le traité de Bréda fut signé le 31 juillet 1667 (et non 1661), par l'Angleterre, la République des Provinces Unies, la France et le Danemark. Curieusement, les déclarants acadiens de 1767 avaient bien retenu le jour et le mois, mais se trompaient sur l'année. Ce traité qui avait rendu l'Acadie à la France (mais sans que soient clairement précisés quels territoires étaient concernés, ce qui était le germe de futurs nouveaux conflits) avait visiblement marqué les esprits. Mais l'Acadie n'ayant cessé de faire des aller retours entre la France et l'Angleterre pendant plusieurs décennies, on peut comprendre les confusions de dates lors de la transmission orale un siècle plus tard.
Par ailleurs, on sait par le recensement de 1671 et par la suite même de la déclaration d'Honoré à Belle Isle ce jour-là que Daniel LEBLANC était déjà arrivé en Acadie en 1650, puisque c'est l'époque à laquelle il épouse Françoise GAUDET à Port Royal, et que plusieurs enfants du couple y naissent dès 1651 : " d'iceux Daniel Le Blanc et sa femme, sont nés René Le Blanc, Jacques Le Blanc, Antoine Le Blanc, Pierre Le Blanc, au dit Port Royal, et de Daniel Le Blanc et femme est aussi né André Le Blanc" .
Mais pour l'essentiel, les déclarations belliloises de 1767 sont une source précieuse et émouvante.
Une autre source très riche pour reconstituer une grande partie de la population du berceau de l'Acadie est le recensement effectué fin 1670-début 1671 à Port Royal, à la demande du gouverneur GRANDFONTAINE, et à destination de Jean-Baptiste COLBERT, contrôleur général des finances de France de Louis XIV.
On trouve en effet dans ce recensement la quasi totalité des patronymes acadiens, dont une bonne part concerne mes ancêtres directs, tels :
AUCOIN BAYOL BLANCHARD
BOUDROT / BOUDREAU
BOURC / BOURG / BOURQUE
BOURGEOIS
BRUN BRAUD/ BRODE
CHEBRAT COLLESON
COMEAU CORPORON / CORBERON
DAIGRE / DAIGLE
GOUGEON GRANGER
GAUDET / GODET
GAUTIER HEBERT LAMBERT
LANDRY LEBLANC LEJEUNE
RAU SAVOIE / SCAVOIS
TERRIAU / TERRIOT / THERIOT / THERIAULT
TRAHAN
il faudra ajouter à mes sosa (LE)PRINCE et DUON / DUHON, arrivés plus tard.
en italique : ceux qui ne se sont pas transmis car portés uniquement par des pionnières.
Par ces patronymes pionniers, je cousine avec pratiquement tous les acadiens de par le monde...:)
Recensement de Port-Royal - 1671 - mes Sosa :
Chirurgien - Jacob BOURGEOIS (S 4930) agé de 50 ans, sa femme Jeanne TRAHAN (S 4931) âgée de 40 ans, leurs enfans 10, deux de mariés, un garçon et une fille, Jeanne, âgée de 27 ans, Charles 25, Germain 21, Marie 19, Guillaume 16, Marguerite 13, Françoise 12, Anne (S 2465)10, Marie 7 ans, Jeanne 4 ans.
Leurs terres Labourables et en valeur en deux endroits : environ 20 arpents plus ou moins. Leurs bestiaux a cornes 33, Leurs brebis 24
Laboureur - Jean GAUDET (S 5002, 5050, 9858, 9918, 10 046 et 10 052) âgé de 96 ans (sic!), sa femme Nicole COLLESON âgée de 64 ans. Leur enfant Jean âgé de 18 ans
(NB : je descends 6 fois de Jean, aux 13° et 14° générations! par sa première épouse, dont l'identité est inconnue. Il a d'ailleurs tant de descendants qu'il a pu être surnommé "l'Abraham de l'Acadie"par le Père Archange Godbout, généalogiste québécois)
Leur terre en labour : trois arpents en deux places. Leurs bêtes à cornes 6 piéces. Leurs brebis, 3 piéces.
Laboureur - Denis GAUDET (S 5026) âgé de 46 ans, sa femme Martine GAUTIER (S 5027) âgée de 52 ans, Leurs enfants 5, et 2 de mariés. La première Anne Gaudet âgée de 25 ans, La seconde Marie (S 2513) âgée de 21 ans, Pierre âgé de 20 ans, Pierre âgé de 27 ans, Marie âgée de 14 ans, tous 5 sans métier excepté laboureurs.
Leur terre en valeur: 6 arpents. Leurs bêtes à cornes: 9 piéces. 13 brebis tant petites que grandes.
Marie GAUDET (S 2501, 2525, 4959, 5023) Veuve de Etienne HEBERT ( S 2500, 2524, 4958, 5022) âgée de 38 ans, ses enfants 10; 2 de mariées : Marie âgée de 20 ans, Marguerite âgée de 19 ans, Les autres a marier, Emmanuel âgé de 17 ans, Etienne âgé de 17 ans, Jean âgé de 13 ans, Françoise 10 ans, Catherine 9, Martine 6 ans, Michel 5 ans, Antoine 1 an.
Ses terres en labour :2 arpents, bêtes a cornes 4, et 5 paires de brebis
Laboureur - Olivier DAIGRE ( S 2512) âgé de 28 ans, sa femme Marie GAUDET (l'aînée) (S 2513), âgée de 20 ans,. Leurs enfants 3: Jean âgé de 4 ans, Jacques 2 ans, Bernard 1 an
Leurs terres en Labour deux arpents, bêtes à cornes 6 paires et 6 brebis.
Laboureur - Jean BLANCHARD (S 5028) âgé de 60 ans, sa femme Radegonde LAMBERT (S 5029) âgée de 42 ans, Leurs enfants 6, 3 de mariés : Martin Blanchard âgé de 24 ans, Magdeleine Blanchard âgée de 28 ans, Anne âgée de 26 ans
Les non mariés : Guillaume (S 2514) âgé de 21 ans, Bernard âgé de 18 ans, Marie âgée de 15 ans
Leurs terres en labour : 5 arpents. Leurs bestiaux à cornes : 12, et brebis 9
Laboureur - Jean TERRIAU (S 4948, 5012, 5036) âgé de 70 ans, sa femme Perrine RAU âgée de 60 ans. Leurs enfans 7. Ceux qui sont mariés, Claude Terriau, âgé de 34 ans, Jean âgé de 32 ans, Bonaventure (S 2474, 2506, 2518) âgé de 30 ans, Germain 25 ans, Jeanne âgée de 27 ans, Catherine âgée de 21 ans, Le non marié Pierre âgé de 16 ans
Leurs bestiaux a cornes 6, et 1 brebis; terres labourables 5 arpents.
Laboureur - François SCAVOIS (S 5006) âgé de 50 ans, sa femme Catherine LEJEUNE (S 5007) âgée de 38 ans. Leurs enfants 9, 1 fille de mariée, Françoise (S 2503) âgée de 18 ans, Les non mariés, Germain âgé de 17 ans, Marie âgée de 14 ans, Jeanne âgée de 13 ans, Catherine âgée de 9 ans, François 8, Barnabé âgé de six ans, Andrée âgée de 4 ans, Marie âgée d'1 an 1/2
bestiaux a cornes 4 piéces, terres labourables 6 arpents
Laboureur - Jean CORPORON (S 2502) âgé de 25 ans, sa femme Françoise SCAVOIS (S 2503) âgée de 18 ans, Leurs enfants : 1 fille de 6 semaines qui n'a point encore esté nommée sur les Sts fonds
On remarque que ce tout jeune couple a encore peu de moyens; Jean est arrivé depuis peu en Acadie
bête a cornes :1 vache, et 1 brebis, point de terre labourable
Laboureur - Vincent BRUN (S 4938, 5042) âgé de soixante ans, sa femme Renée BRODE (S 4939, 5043) âgée de 55 ans, Leurs enfants 5 tant mariés que non mariés, 3 de mariés, Magdeleine BRUN (S 2469, 2521) âgée de 25 ans, Andrée âgée de 24 ans, Françoise âgée de 18 ans, Les non mariés : Bastien âgé de 15 ans, Marie âgée de 12 ans
Leurs bêtes à cornes 10 piéces et 4 brebis, terre labourable 5 arpents
Maréchal - Guillaume TRAHAN (S 2468, 2520, 9862) âgé de 60 ans ou environ, sa femme Magdeleine BRUN ( S 2469, 2521) âgée de 25 ans, Leurs enfants 3. Guillaume (S 1234) âgé de quatre ans, Jean Charles (S 1260) âgé de 3 ans, Alexandre âgé d'1 an
Leurs bestiaux à cornes 8, et 10 brebis, Leurs terres en labour: 5 arpents
Laboureur - Bonaventure TERRIAU (S 2474, 2506, 2518) âgé de 27 ans, sa femme Jeanne BOUDROT (S 2475, 2507, 2519) âgée de 26 ans. Leurs enfants : 1 fille Marie 4 ans
Leurs bêtes à cornes 6 piéces, et 6 brebis, Leurs terres en labour : 2 arpents
Laboureur - Michel BOUDROT (S 4950, 5014, 5038, 5044) âgé de 71 ans, sa femme Michelle AUCOIN (S 4951, 5015, 5039, 5045) âgée de 53 ans. Leurs enfants : 11, 3 de mariés, Françoise âgée de 29 ans, Jeanne (S 2475, 2507, 2519) âgée de 26 ans, Marguerite âgée de 20 ans, Les non mariés Charles (S 2522) âgé de 22 ans, Marie âgée de 18 ans, Jean âgé de 16 ans, Abraham âgé de 14 ans. Michel âgé de 12 ans, Olivier âgé de 10 ans, Claude âgé de 8 ans, François âgé de 5 ans
Leurs bêtes à cornes 20 et 12 brebis, Leurs terres labourables 8 arpents
Laboureur - Antoine BOURC (S 5046) âgé de 62 ans, sa femme Antoinette LANDRY (S 5047) âgée de 53 ans, Leurs enfants, 11, 4 de mariés dont s'ensuivent les noms: Marie âgée de 26 ans, Francois âgé de 27 ans, Jean âgé de 24 ans, Bernard âgé de 22 ans. Les non mariés : Martin âgé de 21 ans, Jeanne âgée de 18 ans, Renée (S 2523) âgée de 16 ans, Huguette âgée de 14 ans, Jeanne 12 ans, Abraham âgé de 9 ans, Marguerite 4 ans
Leurs bêtes à cornes 12, et 8 brebis. Leurs terres labourables, 4 arpents
Matelot - Laurent GRANGER (S 2516) âgé de 34 ans, sa femme Marie LANDRY (S 2517) âgée de 24 ans. Leurs enfants 2, Marguerite âgée de 3 ans, Pierre âgé de 9 mois
Leurs bêtes à cornes 5, et 6 brebis. Leurs terres labourables 4 arpents
Laboureur - Daniel LEBLANC (S 4928) âgé de 45 ans, sa femme Françoise GAUDET (S 4929) âgée de 48 ans. Leurs enfants, 7, 1 fille de mariée Françoise âgée de 18 ans, Les non mariés, Jacques âgé de 20 ans, Etienne âgé de 15 ans, René (S 2464) âgé de 14 ans, André âgé de 12 ans, Antoine âgé de 9 ans, Pierre âgé de 7 ans
Leurs bestiaux à cornes 18, et brebis 26. Leurs terres en Labour 10 arpents en 2 places.
Laboureur - Antoine GOUGEON (S 5030) âgé de 45 ans, sa femme Jeanne CHEBRAT (S 5031) âgée de 45 ans, 1 enfant : Huguette (S 2515) âgée de 14 ans
Leurs bestiaux à cornes 20 piéces, et 17 brebis. Leurs terres labourables et en Labour 10 arpents
Tonnelier - Pierre COMMEAU (S 2526, 4954, 5018) âgé de 75 ans, sa femme Rose BAYOL (S 2527, 4955, 5019) âgée de 40 ans, leurs enfants 9, 1 de marié, Etienne, âgé de 21 ans, les non mariés, Pierre Commeau âgé de 18 ans. Françoise âgée de 15 ans, Jean âgé de 14 ans, Pierre âgé de 13 ans, Antoine âgé de 10 ans, Jeanne (S 1263) âgée de 9 ans, Marie (S 2477, 2509) âgée de 7 ans, Jean âgé de 6 ans
Leurs bêtes à cornes, 16 piéces et 22 . Leurs terres labourables 6 arpents
Laboureur - René LANDRY l'aîné (S 5034) âgé de 53 ans, sa femme Perrine BOURC (S 5035) âgée de 45 ans. Leurs enfans 7, 4 de mariés, à savoir Henriette PELLETRET (d'un premier mariage de Perrine) âgée de 30 ans, Jeanne âgée de 28 ans, Marie âgée de 25 ans, Marie (S 2517) âgée de 23 ans. Les non mariés : Magdeleine âgée de 15 ans, Pierre âgé de 13 ans, Claude âgé de 8 ans
Leurs bestiaux à cornes 10, et 6 brebis. Leurs terres en labour 12 arpents en 2 places
Un chirurgien (à l'époque, une sorte de barbier amélioré, capable de faire certains soins), un maréchal ferrant, un tonnelier, un matelot (mais qui cultivait la terre et avait vaches et brebis), et une majorité de laboureurs : voilà donc en 1671 mes ancêtres acadiens établis à Port Royal.
La colonie comptait également un tisserand ("texier"), deux armuriers, trois autres tonneliers, un maçon, un taillandier, deux charpentiers, un tailleur, et quelques autres laboureurs...Toute une communauté rurale apte à vivre en grande partie de ses propres ressources...
Tout en me réjouissant de cet "inventaire" si précieux, je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée émue pour le cordelier Laurent MOLINS, passant de ferme en ferme le long de la rivière au Dauphin dans son habit de gros drap gris, en plein hiver, dans la neige, pour questionner les habitants, sans doute accueilli dans mainte maison avec une boisson chaude et de la bienveillance, mais parfois vertement éconduit, comme chez le tailleur Pierre MELANSON, qui "a refusé de donner son âge et le nombre de ses bestiaux et terres, et sa femme [lui] a répondu [s'il était] fou de courir les rues pour des choses de même (= pareilles)", ou Etienne ROBICHAUT, qui "ne [l]'a pas voulu voir. Il a sorti de chez lui et a dit a sa femme qu'elle [lui] dise qu'il ne [lui] voulait point donner le compte de ses bestiaux et terres", ou encore le tonnelier Pierre LA NOUE, qui lui "a fait réponse lorsqu [il lui a] demandé son âge qu'il se portait bien et qu'il ne le voulait pas donner"...
sources :
Comme beaucoup de gens de ma génération, je ne goûte guère l'idéologie ambiante dominée par cette obsession quasi-maladive de tout entrevoir sous le prisme des minorités à défendre, qu'elles fussent culturelles ou sexuelles. Non pas que je trouve ces combats illégitimes –ils ne le sont pas et je partage la plupart des causes défendues–, mais les moyens employés sont si excessifs, autoritaires, parfois mêmes dictatoriaux que j'en viens par un renversement de valeurs à me détourner d'eux.
À dire vrai ils m'exaspèrent, ces nouveaux gourous de l'égalitarisme à tout crin, cette explosion de revendications tout azimuts où la moindre des peccadilles est désormais à considérer sous le rapport dominants versus dominés. Je les crois nécessaires, ces combats. Je pense qu'ils constituent un vrai progrès, une étape importante dans l'histoire de la civilisation –la reconnaissance et l'acceptation des particularismes de chacun–, mais je ne peux que déplorer la façon dont ils sont menés, cette manière très partisane de dresser les gens les uns contre les autres, cette radicalité de l'opinion où, si l'on tente d'apporter un peu de nuance dans la discussion, on est aussitôt considéré comme un ennemi à abattre.
Pire, il me semble que les méthodes employées sont à plus d'un titre contre-productives et débouchent sur des résultats inverses aux espérances affichées. Répéter à tort et à travers que l'homme blanc, quel qu'il fût, en dehors de toutes considérations entourant les circonstances de sa naissance, de son parcours éducatif et de ses conditions de ressources, est à l'origine de toutes les souffrances humaines n'aura comme résultat que de braquer toute une partie de la population au point de l'amener à épouser les causes et les combats d'extrême droite.
De fait, c'est ce qui m'inquiète le plus. Il me semble que plus nous sombrerons dans une outrance identitaire dominée par des questions de race et de genre, plus nous rendrons possible l'avènement de forces hautement réactionnaires, une révolution conservatrice d'une telle ampleur qu'elle balayera tout sur son passage, progrès social comme conquêtes émancipatrices.
Je vois déjà comment un individu comme moi, une personne à peu près raisonnable et rétive à toute forme de violence, réagit quand on lui lance à la figure toute une série d'anathèmes, d'injonctions, d'accusations qui tendraient à me prouver que je suis le dernier des hommes. Au fil du temps, je mesure mon agacement, mon énervement, ma lassitude, mon ressassement. Mais je sais que chez moi ces sentiments-là ne déboucheront sur rien d'autre qu'un simple haussement d'épaules, un long soupir qui se résumera à lui-même.
Je doute qu'il en soit de même auprès de personnes dominées par un instinct de violence, lesquelles sont bien plus nombreuses qu'on ne le suppose généralement. Jusqu'à quand un individu chez qui les fondations ne reposent pas sur une éducation dominée par un esprit de sagesse et de concorde endurera ces sommations et mises en accusation répétées? Jusqu'à quand acceptera-t-il d'être ainsi caricaturé sous les traits d'un infâme colonisateur dont la richesse acquise tout au long des siècles précédents se colore du sang de l'opprimé?
À partir de quel moment la somme de ces frustrations et de ces indignations sera telle qu'elle annihilera chez lui toute capacité de jugement, d'autant plus quand lui-même aura eu à se démener dans des vies étriquées marquées du sceau de la précarité ou de la misère? Qu'est-ce que le trumpisme, si ce n'est en partie l'expression d'un corps électoral las d'avoir à se justifier d'être ce qu'il est et qui attend du politique une remise au pas des revendications identitaires?
Non point que ces revendications identitaires ou genrées n'ont pas lieu d'être. Bien au contraire. Mais, de grâce, point de cette manière frontale où l'on confond tout avec tout, où il n'existe aucune forme possible de débats, où du haut de son intransigeance née de siècles de lutte, on refuse à l'autre de s'exprimer, d'exister, de prétendre participer à la vie culturelle de la nation. Où, au moindre écart ou prétendu tel, on le somme de démissionner, de rendre sa blouse, de s'écarter comme s'il venait de commettre le pire des crimes possibles. Où soudain l'appartenance à la majorité d'une personne présuppose chez elle tout un écheveau d'attitudes, de pensées, de raisonnements qui font d'elles une parfaite coupable.
Ce n'est point ainsi qu'on gagne une société à ces causes. Bien au contraire. Plus l'absence de discernement (et d'humour, d'autodérision!) seront présents dans les universités, au sein des rédactions, parmi les instances démocratiques, et plus la société aura tendance à marquer sa préférence pour des régimes autoritaires –le crépuscule de la gauche, du moins en France, est là pour nous le rappeler.
Que ceux qui sont à la tête de ces luttes émancipatrices s'en souviennent.
Il y a urgence.
Mais revenons à la chronologie de mes découvertes, car les recherches généalogiques sont une sorte de machine à remonter le temps, et j'ai donc commencé à faire la connaissance de mes acadiens par la fin, par leur installation dans "mon" île...
Claude Picard : l’arrivée des Acadiens en 1765 à Belle Isle. (© Citadelle Vauban)
A l'automne 1765, 363 personnes de tous âges, débarquent à Belle Isle en Mer, après des années de péripéties, pour démarrer une nouvelle vie. Ce sont des "réfugiés acadiens". Sur ces 78 familles, 5 sont celles de mes ancêtres directs. Mais les autres sont formées de frères, cousins, neveux... Tous sont liés par d'étroits liens de parenté et forment une sorte de clan : Les LE BLANC arrivent à 57, les GRANGER à 46, les TRAHAN à 49, les TERRIOT à 27 et les DAIGRE à 21, de sorte que sur les 363 personnes arrivées à Belle-Île, 200 correspondent à seulement 5 patronymes.
Source gallica.bnf.fr
Famille 11 :
Honoré Leblanc (mon sosa 616) , né à Pigiguit (Acadie) le 1er novembre 1710, veuf, père de Charles (S 308), (55 ans). Ses enfants Paul et Joseph.
Venant de Liverpool et Morlaix, installés à Bordustard (Le Palais).Famille 12 :
Charles Leblanc (Sosa 308) , né à Pigiguit en août 1734 (31 ans), fils d’Honoré (Sosa 616). Son épouse Anne Landry (sosa 309) née à la Rivière-aux-Canards (Acadie) le 24 février 1739 (26 ans). Leurs enfants : Claude-Marie et Marie.
Venant de Liverpool et Morlaix, installés à Bordrouant (Bangor).Famille 56 :
Cyprien Duon (sosa 312), né à Port-Royal (Acadie) le 18 avril 1730 ( 35 ans). Son épouse Marguerite Landry (sosa 313), née à la Rivière-aux-Canards le >15 janvier 1735 (30 ans), fille de Marie-Rose Rivet (sosa 619 et 627, implexe) veuve Landry. ( 58 ans)
Leurs enfants : Jean-Baptiste, Marie et un orphelin, Jean Vincent, neveu de Cyprien.
Venant de Liverpool et Morlaix, installés à Calastren (Bangor).Famille 70 :
Marie Rose Rivet (sosa 619 et 627, implexe) , veuve de René Landry, née à Pigiguit le 18 juillet 170 (58 ans) . Mère d’Anne (Sosa 309) (26 ans) et de >Marguerite (Sosa 313) (30 ans). Ses autres enfants : Jean et Magdeleine, Marie-Josèphe.
Venant de Liverpool et Morlaix, installés à Bordustar (Le Palais).Famille 25 :
Honoré Daigre (sosa 314), né à la Rivière-aux-Canards le 6 janvier 1726 (39 ans), veuf, sa 3ème épouse Élisabeth Trahan (sosa 315), née à la Rivière-aux-Canards le 1er janvier 1726 (39 ans), également veuve. Mariés à Falmouth le 29 septembre 1762 Sa mère Françoise Granger (sosa 629), née à Port-Royal en 1700 ( 65 ans).
Leurs enfants : Pierre, Jean, Joseph, Jean-François et Marie Terriot, (fille d'Élisabeth).
Viennent de Falmouth, de Morlaix et Tréguier, installés à Chubiguer (Le Palais).
Le 2 novembre 1765, le baron de Warren, gouverneur de l'île, écrivit à un ami : "Voilà enfin, mon cher marquis, tous les Acadiens arrivés au nombre de 77 familles. Les derniers sont arrivés avant-hier sur deux bateaux plats, le premier qui est entré dans notre port coulait bas d'eaux et le second a pensé périr sur les roches sous la citadelle ! Je vous avoue que j'aurais été furieusement touché s'il était arrivé quelques accidents à ces honnêtes gens dont je regarde leur émigration dans l'île comme le plus grand bien qui pouvait arriver dans Belle-Ile, au service du Roi et pour les intérêts de la Province...
Mais que venaient donc faire ces "acadiens", nés dans la lointaine Amérique, sur cette île ? Et en quoi pouvaient-ils présenter un intérêt pour le roi de France et la Province de Bretagne?
Nous verrons dans de prochains articles toutes les tragédies qui les ont conduits d'Acadie en France après moult détours, mais voyons pour l'instant les tenants et les aboutissants de leur installation à venir.
Je ne comprendrais rien à toute une partie de mon histoire ancestrale sans quelques informations sur la Guerre de 7 ans, cette première "guerre mondiale" de fait (car les combats se déroulèrent en Europe, Amérique du Nord et Inde) qui dura de 1756 à 1763. Elle opposa la France et la Grande Bretagne, chacune étant alliée à d'autres puissances européennes.
Dès 1755 les Acadiens en avaient été les premières victimes (article G à venir). La France y perdit notamment son empire colonial en Amérique du Nord. Et la petite île de Belle Isle elle aussi paya un lourd prix : après une grande bataille navale* auprès de ses côtes en novembre 1759 qui consacra la débâcle de la flotte française, elle subit le 7 avril 1761 l'attaque d' une flotte anglaise forte de 130 bâtiments et de 18 000 hommes ; le chevalier de Sainte Croix à la tête d'une petite garnison de 3 200 hommes, après une rude bataille, ne put guère que se replier dans la citadelle Vauban. Le siège dura jusqu'au 2 juin, mais il fallut finalement capituler, et l'île devint anglaise...Les Bellilois durent fuir sur le continent en abandonnant leurs maigres biens, ou travailler pour les Anglais.
Le Traité de Paris qui mit fin à la guerre fut signé le 10 février 1763. Entre autres, la France abandonnait la plus grande partie de ses possessions américaines; et renonçait définitivement à l'Acadie. Par ailleurs, elle rendait Minorque aux britanniques, en échange de ... Belle-Île.
Mais pendant les deux années d'occupation anglaise, l'île avait été totalement pillée, le bétail tué, les champs abandonnés étaient en friche, la plupart des maisons détruites, même leurs poutres avaient été volées pour pallier le manque de bois, etc...
Il fallait rapidement repeupler l'île et reconstruire son économie. Le Receveur du Domaine de Belle-Isle, François de Kermarquer, était de Morlaix. Il avait donc appris l'arrivée des prisonniers acadiens rendus par le roi d'Angleterre (toujours suite au Traité de Paris) et provisoirement installés à Morlaix et Saint Malo. Offre fut alors faite auxdits acadiens d'aller s'installer à Belle-Isle. Un tel projet faisait d'une pierre deux coups : repeupler l'île ravagée et donner un établissement à des réfugiés à la charge du roi.
Afin de voir si ce projet pouvait convenir à la petite communauté, trois chefs de famille acadiens, Honoré LE BLANC (mon sosa 616), Joseph TRAHAN et Simon GRANGER, vinrent à Belle Isle en juillet 1763, quelques semaines à peine après leur arrivée sur le sol français. Le baron de WARREN témoigne de la réussite de ce premier contact :"Ils ont paru très contents de ma réception et s'en sont retournés le 27. Comme ils sont gens fort industrieux et habiles cultivateurs, je serais enchanté de les voir arriver: ce serait un bon boulevard contre ceux qui les ont maltraités." *
Les États de Bretagne ratifièrent le projet, confirmé par le duc de Choiseul, ministre de Louis XV. Il fut alors procédé à l'afféagement de l'île, véritable révolution agraire, tout à fait inédite : l'île, domaine royal, allait être divisée en lots attribués aux familles acadiennes et belliloises, et ces cultivateurs, à condition de travailler les terres pendant 10 ans, en deviendraient pleinement propriétaires!
L'abbé LE LOUTRE, ancien missionnaire en Acadie auprès des autochtones MicMac, se chargea de défendre les intérêts des Acadiens Il fallut beaucoup de talent, de discussions et tractations diverses, pour faire accepter aux Bellilois, soutenus par leurs curés, la future arrivée de ces "étrangers" qui ne parlaient pas breton, et aux acadiens le fait d'être répartis dans toute l'île et non regroupés en une seule paroisse comme ils le souhaitaient.
Il fallut acheter 78 paires de bœufs, 78 chevaux, des attelages et jougs, courroies, charrettes et charrues, brouettes, ustensiles et outils - comme « 234 faucilles à raison de 3 par famille »-, etc. Il fallut aussi s’occuper de l'arpentage des terrains, de la construction des maisons - acquisition des matériaux, et recrutement des maçons venus du continent, car les Acadiens ne savaient construire qu'en bois-. Les plans des maisons furent définis avec précision par les États de Bretagne : c'étaient de très petites maisons, de 27 mètres carrés au sol, aux ouvertures basses et étroites, construites avec le schiste local, et couvertes soit de lande - c'est à dire d'ajoncs séchés mis en bottes - soit d'ardoises. Toutes les maisons devaient être identiques et pouvoir être agrandies plus tard en longères.
AD du Morbihan
En septembre 1765, Simon GRANGER et Honoré LE BLANC revinrent dans l'île pour préparer l'arrivée des familles, qui va se faire en 4 vagues, le 2 septembre, le 1er , le 18 et le 30 octobre. Les maisons n'étant pas encore construites, les Acadiens furent logés provisoirement dans des entrepôts à grains, sur la paroisse de Palais.
Logement provisoire des Acadiens à leur arrivée à Palais
En décembre 1766, les contrats d’afféagement étaient tous signés, et Joseph Simon GRANGER, Jean MELANSON et Honoré Daigre (sosa 314) concluaient ainsi une lettre de remerciement aux États de Bretagne :
Nous ne cesserons de présenter nos vœux et nos prières pour la conservation et prospérité de vos illustres personnes, et serons avec toute la soumission possible et le respect le plus profond, Nos seigneurs, vos humbles et très obéissants serviteurs...
En juillet 1767 le baron de Warren écrivait : "Ces honnêtes citoyens ont presque fini tous leurs établissements : leurs maisons sont couvertes, leurs écuries bâties et leurs terres travaillées. Ainsi j’espère qu’à la récolte de l'année prochaine, ils commenceront à recueillir les fruits de leurs travaux..."
Voici donc comment mes Acadiens trouvèrent une nouvelle patrie à Belle Isle en Mer après des années d'errance.
Mettant le point final à cette installation, le 12 janvier 1767, un arrêt de la Cour ordonna la reconstitution de l'état-civil des familles acadiennes établies à Belle Isle. Les registres paroissiaux acadiens avaient en effet été détruits ou perdus lors de la déportation, et il était urgent d'y remédier. Dans les semaines qui suivirent fut donc organisée la collecte de la mémoire généalogique acadienne. sous l'égide de l'abbé LELOUTRE et d'un notaire d'Auray.
Découvrir ces "généalogies acadiennes" établies par mes ancêtres en 1767 allait me faire faire une grande avancée dans mes recherches, et enfin quitter mon île pour faire mes premiers pas en Acadie...
Notes :
** les Cardinaux : bataille navale qui opposa Français et Anglais le 20 novembre 1759, dont le bilan fut clairement à l'avantage des seconds, puisque la marine française perdit 6 bâtiments et eut 2 000 hommes tués (300 côté britannique), et de plus les vaisseaux français qui se réfugièrent dans les estuaires de la Vilaine et de la Charente, y furent bloqués par les britanniques pendant plus de deux ans
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Sources :
Une des branches de ma famille était donc "acadienne". Mais qu'est-ce que ça voulait dire? et comment avait-elle atterri sur une petite île bretonne de 85 km² ?
Partie Orientale du Canada - Vincenzo Coronelli - Source gallica.bnf.fr
Quand j'ai questionné mon père sur ses souvenirs à ce sujet, il a commencé par me dire qu'enfant, il s'ennuyait lorsque sa grand-mère belliloise racontait les histoires du passé avec les autres vieilles du village, et que donc il n'écoutait pas... Tout juste a-t-il fini par grommeler qu'il avait entendu dire "qu'on venait du Canada"... Mais je n'ai rien pu en tirer de plus. Mon arrière-grand-mère et mon grand-père étant morts, la transmission familiale avait cessé. J'ai dû reconstituer l'histoire grâce aux archives puis à diverses lectures (difficile d'imaginer aujourd'hui ce que c'était , avant l'explosion d'internet, que de faire ce genre de recherches, qui s'opèrent aujourd'hui en deux clics).
Ne serait-ce que pouvoir situer géographiquement l'Acadie était une gageure. D'autant que l'Acadie en tant que telle n'existe plus depuis 3 siècles... Elle n'a d'ailleurs jamais constitué un pays. Il s'agissait d'une colonie de la Nouvelle France, au même titre que le Canada, la Louisiane... C'était une sorte de puzzle, de pointillé d'établissements le long des côtes de ce qui allait devenir définitivement la Nouvelle Écosse lors du traité d'Utrecht de 1713, et du futur Nouveau Brunswick.
Carte de l'Acadie - 1702 - Source gallica.bnf.fr
D'ailleurs, à l'époque où ils vivaient en Acadie, ses habitants ne se définissaient pas comme "Acadiens", mais comme "Français", ou "sujets du roi de France", puis , à partir de 1713, après la perte définitive de l'Acadie originelle par la France au profit de la Grande Bretagne, comme "Français neutres"... C'est paradoxalement au moment même où il durent quitter l'Acadie géographique, à partir de 1755, qu'ils furent définis officiellement comme "Acadiens" (souvent écrit "Accadiens"), constituant un groupe devenu différent des Français par ses particularités.
Le berceau historique de l'Acadie (celui qui concerne mes ancêtres) se situe sur la côte est du Canada, car non, ce n'est pas le Québec qui borde l'Atlantique mais les "Provinces Maritimes" - Nouveau Brunswick, Nouvelle Ecosse et Ile du Prince Edouard .
Après de probables incursions normandes dès le XI° siècle, puis la venue de l'explorateur vénitien Jean CABOT en 1497, la région de l'actuelle Nouvelle Ecosse (Nova Scotia en anglais) fut explorée en 1604/1605 par Pierre DUGUA de MONS, accompagné de Jean de POUTRINCOURT et de Samuel de CHAMPLAIN (géographe et cartographe de l'expédition). Ainsi furent nommés La Hève, le cap Nègre, la baie Sainte-Marie, le cap Sable, la baie Française, Port-Royal, le fleuve Saint-Jean, la rivière Sainte-Croix, etc, et commença le peuplement de l'Acadie par les Européens.
Port de La Heve - Illustrations des Voyages de Champlain. 1613. Source gallica.bnf.fr
Peuplement d'abord sporadique : les Français installèrent quelques postes à divers endroits de la côte, avec des succès limités, dus notamment aux difficultés d'adaptation au climat, aux luttes intestines franco-françaises, et aux fréquentes attaques anglaises.
La colonisation commença à s'organiser en 1632, quand le gouverneur Isaac de Razilly amèna les premières familles françaises en Acadie. Toutefois, tandis que les Britanniques organisaient une colonisation à grande échelle du sous continent, la France n'envoya finalement que peu de colons (815 en tout selon certains comptages) au cours du XVII° siècle (essentiellement de 1632 à 1670), puis plus du tout à partir de 1713.
Ceci explique qu'en peu de générations, les Acadiens de Nouvelle Ecosse furent tous liés par des liens de parenté et manifestèrent une forte solidarité lors des épreuves qui allaient les frapper. Mais également que la disproportion démographique entre les deux peuplements et l'abandon de fait par la France de sa colonie ne pouvaient qu'aboutir à un désastre pour l'Acadie.
Le ver était dans le fruit dès l'origine : de 1604 à 1713, le berceau de l'Acadie changea 9 fois d'allégeance. Car l'Acadie voyait ses frontières constamment contestées, et, immédiatement devenue un enjeu du séculaire conflit franco-britannique, se trouvait ballotée d'un camp à l'autre au gré des traités de (pseudo) paix. J'ignorais, quand au lycée j'entendais parler avec un certain ennui des traités de Saint-Germain-en-Laye (1632), de Breda (1667), de Ryswick (1697) ou d'Utrecht (1713), que mes propres ancêtres en avaient vu chaque fois leur quotidien bouleversé...
Certains en sont à leur quatrième fois. Plus d’un mois après sa sortie en France le 15 septembre, le cycle poursuit son cours. Dès sa première semaine, Dune (2021), toute dernière création de Denis Villeneuve avec, à l’affiche, Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson ou encore Oscar Isaac, attire plus d’un million de spectateurs, surpassant le blockbuster Marvel Shang-Chi ainsi que Bac Nord.
Plus de 50 ans après la publication du roman éponyme de Frank Herbert (Dune, 1965) et 36 ans après l’adaptation de David Lynch (Dune, 1985), Denis Villeneuve explore les enjeux d’une œuvre mythique pour une société plus que jamais concernée par la notion de crise.
Décrit comme « le meilleur démarrage depuis le début de la pandémie en mars 2020 », le film de science-fiction américano-canadien retrace le parcours de Paul Atréides, descendant aux allures messianiques chargé de rejoindre Arrakis, planète où les périls et les conflits avec les nations ennemies sont omniprésents, afin d’y exploiter une ressource essentielle à la survie des siens : l’« Epice ».
Celle-ci rend possibles à la fois la navigation interplanétaire et la confection d’explosifs ou de papier. L’Épice confère par ailleurs à ceux qui l’ingèrent d’étranges pouvoirs et le sens du mystère que cultive le récit est notamment fondé sur une onomastique (noms propres) à la fois réaliste et dépaysante faisant voyager à travers une épopée entièrement fictive.
Quelques critiques négatives reprochent toutefois à Dune son atmosphère « glacée ». Face au désintérêt de certains spectateurs peu satisfaits de la progression de l’intrigue, du manque d’émotivité ou d’action, Denis Villeneuve répond par une critique des films de l’enseigne Marvel, qu’il qualifie de « copier-coller » peu novateurs.
Il est indéniable que le format privilégié par Denis Villeneuve, soit un film en deux volets (séparés par deux ans d’attente) pose un problème structural de taille : comment satisfaire le public avec un premier volet nécessairement inachevé puisqu’il n’est qu’une première moitié ? Certains reprochent à la fin du premier volet de Dune l’absence d’une véritable conclusion, fût-elle temporaire. Celle-ci aurait-elle permis aux spectateurs de patienter plus sereinement jusqu’à la sortie du prochain volet ?
Le premier opus du Seigneur des Anneaux avait, sans conteste, davantage soigné le rythme structural de la trilogie, consistant originellement en une trilogie. Mais le sens de la conclusion n’est justement pas l’enjeu principal du premier volet de Dune, caractérisé par le mystère autant que par un sens de l’ouverture et du potentiel.
Partagé entre traditions primitives et visions futuristes, Dune est une œuvre universelle qui tend à rassembler ses spectateurs autour d’une lutte commune. Adultes comme enfants pourront voyager dans ce monde immersif où la beauté des paysages n’a d’égal que la cruauté d’habitants hostiles et divisés – les conflits demeurant adoucis, voire poétisés par le réalisateur qui précise avoir voulu créer « le film le plus populaire possible. Un film pour tous », et ce, au même titre que le roman de Frank Herbert dont il s’inspire.
En dépit des quelques objections formulées à l’encontre du film, critiques et spectateurs se plaisent à établir une analogie entre l’esthétique de Dune et celle de La Guerre des Étoiles ou encore du Seigneur des Anneaux. Dune partage à cet égard bien des points communs avec la saga Star Wars qui, dès le premier opus de 1977, n’avait pas manqué d’indigner l’auteur américain, Frank Herbert, qui renonça de peu d’intenter un procès pour plagiat contre George Lucas.
En témoignent, sous l’impulsion de Villeneuve, les paysages désertiques et minimalistes d’Arrakis, évoquant ainsi Tatooine (cité fictive de Star Wars inspirée de la ville tunisienne de Tataouine) ; l’ordre du « Bene Gesserit » rappelle l’ordre Jedi (capacités mentales hors du commun, longues toges cérémoniales, etc.). Bien des personnages issus des deux sagas semblent revêtir plus que de simples similitudes, George Lucas s’étant inspiré du roman de Herbert au préalable : il est aisé d’établir un lien entre les Fremens de Dune et les Tuskens de La Guerre des Étoiles, entre Vladimir Harkonnen et Dark Vador, entre Paul Atréides et Luke Skywalker, ou encore entre les deux Empires respectifs, au pouvoir excessif et inique.
Bien que divergeant des productions de type Marvel, Dune offre à l’écran une qualité d’image particulièrement poétique. Les images haute résolution sont partagées entre des plans panoramiques épurés où les espaces géographiques et les costumes sont légion, et des gros plans étayant l’identification du spectateur grâce aux portraits mi-réalistes, mi-fantaisistes des personnages du récit.
Les images époustouflantes de Dune sont accompagnées de sons inouïs qui compensent, à bien des égards, le manque de scènes d’action ou encore la faible émotivité des personnages. Les émotions se retrouvent notamment disséminées dans le lyrisme musical de certains titres tels qu’« Eclipse » (thème principal notamment utilisé pour la bande-annonce) ou dans la dimension épique des autres.
Intitulée The Dune Sketchbook et signée Hans Zimmer (à qui l’on doit les musiques de Tenet ou encore de la trilogie Batman de Christopher Nolan), la bande originale du dernier film de Villeneuve répond à un souhait du compositeur allemand de « créer un nouveau langage musical [et] un paysage sonore inédit », lequel serait ancré dans une « dimension spirituelle et sacrée » destinée à évoquer un sentiment mystique : c’est effectivement le rôle des tambours et des cymbales aux résonances épiques, des voix de chorale litaniques (répétitives et parfois murmurées à l’instar de la prière), des instruments à vent langoureux issus de gammes lyriques aux accents du désert oriental, ou encore des phrasés mélodiques plus froids aux allures de plain-chant (chant religieux médiéval a cappella).
C’est plus précisément l’association de textures visuelles et sonores qui confère à Dune cet équilibre exquis ayant conquis le public. Parfaitement accordées aux images qu’elles théâtralisent, les tonalités du célèbre titre « Paul’s Dream » sont si riches qu’elles en deviennent tactiles tant elles caressent l’oreille. Les amateurs de basses fréquences seront enchantés par les résonances offertes par le son IMAX, qui permet une meilleure spatialisation des sons se baladant alors, dans la salle obscure, de gauche à droite et de bas en haut. Notons qu’en attendant les prochaines innovations de l’artiste, on peut écouter la BO de Hans Zimmer pour le film James Bond : No Time to Die.
Dune fascine et ce n’est pourtant que le premier volet d’une saga qui s’achèvera probablement en 2023, avec un second opus dont le tournage est imminent (2022). Le réalisateur annonce que la suite constituera « un incroyable terrain de jeu. Un pur plaisir cinématographique. ». Sous réserve de son succès dans les salles américaines et sur la chaîne HBO Max (pour une sortie prévue le 22 octobre uniquement), Denis Villeneuve confirmera rapidement le tournage de la suite.
En attendant, outre l’adaptation de David Lynch (Dune, 1985), la lecture du roman de Frank Herbert permettra aux spectateurs de patienter quelque peu tout en se plongeant de nouveau dans l’univers unique imaginé par l’auteur.
Divertir et édifier
Publié en 1965, Dune est un roman de science-fiction de l’auteur américain Frank Herbert, qui n’a pas tant souhaité prédire avec justesse un avenir dystopique, notamment sur le plan écologique, qu’explorer les multiples périls potentiels auxquels les humains pourraient être confrontés plus tard (« Il n’y a pas d’échappatoire. Il faut payer le prix pour la violence de nos aïeux »).
C’est précisément ce qu’offrent les œuvres de fiction, destinées aussi bien à divertir qu’à édifier, et ce, en littérature comme au cinéma. Les années 60, aux États-Unis, sont celles d’une prise de conscience des dangers environnementaux et sociaux, dans un contexte d’après-guerre où le nucléaire est en constante expansion.
Dans sa saga, Frank Herbert s’attache à étudier le comportement des êtres vivants face à une adversité aussi bien naturelle et écologique que sociopolitique, et l’on s’aperçoit qu’en 2021, avec l’adaptation de Denis Villeneuve, ces prédictions étaient fondées : la foi religieuse et ses possibles excès, la question du genre et le pouvoir unique des femmes (avec l’ordre des « Bene Gesserit »), la relation entre un dirigeant et son peuple, l’union et la trahison, l’amour et la folie constituent autant de préoccupations au cœur de la modernité.
L’absence de machines (ordinateurs, robots, etc.) permet au récit d’offrir un portrait universel de peuples divisés luttant pour leur survie mais également pour le pouvoir : « On utilise le pouvoir en le tenant avec légèreté. Si on le serre trop fort, on est pris par lui, on en devient la victime ». Sans machine, l’homme a dû s’adapter et évoluer de diverses manières : grâce à leurs capacités mémorielles, mathématiques et cognitives hors du commun, les « Mentats », à titre d’exemple, ont pour tâche de prodiguer des conseils notamment stratégiques aux « Grandes Maisons », remplaçant ainsi les ordinateurs et étayant le goût du public pour les héros dotés de capacités hors normes.
C’est, somme toute, l’originalité du film de Villeneuve qui justifie sa réception, certes polarisée mais dynamique, comme le retranscrit cette critique du Monde :
« Le cinéaste fait de la saga de science-fiction une tragédie futuriste à l’esthétique très réussie. Loin des blockbusters, il a su imposer un monde qui, en dépit de sa grande violence, relève d’une esthétique du retrait. »
Les accidents se multiplient, la cause animale gagne du terrain. Et pourtant, s’étonne ce journaliste britannique, le droit de chasse, acquis pendant la Révolution, reste profondément ancré dans la culture nationale.
L’automne dans la France profonde. L’éclat du soleil sur les grappes empilées, le parfum épicé de la récolte de tournesols, les aboiements sauvages des meutes tandis que la chasse traverse les bois embrumés – et, trop souvent, la tragédie d’une personne abattue par ladite chasse.
En France, la saison de la chasse, qui débute dès le mois d’août dans certains départements du Nord-Est, bat son plein – et, inévitablement, il y aura des morts d’ici la fermeture, en mars. Selon l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), depuis 1999, on a recensé 3 000 accidents de chasse, dont plus de 420 mortels. Certaines des victimes étaient innocentes : une femme de 69 ans tuée dans son jardin quand un chasseur a tiré à travers sa haie ; un conducteur touché par une balle qui avait ricoché sur un sanglier. Mais la plupart des morts sont des chasseurs eux-mêmes, qui ont succombé à un passe-temps qui n’est pas dangereux que pour les animaux.
L’ONCFS attribue ces décès au “non-respect des règles de sécurité élémentaires”, mais il faut prendre en compte les particularités de ce loisir dans l’Hexagone. Parmi le gibier qu’il est possible de tirer en France se trouvent le cerf et le sanglier, pour lesquels il faut utiliser des balles – d’une portée dépassant le kilomètre – plutôt que de la chevrotine, courante en Grande-Bretagne, mais dont la portée n’est que de quelques mètres. Quoi qu’il en soit, la raison la plus évidente, et la plus significative sur le plan culturel, de cette mortalité, c’est tout simplement le nombre de passionnés. Si les titulaires de permis sont de moins en moins nombreux depuis le tournant du siècle, ils sont encore 1,2 million. En France, la chasse est de loin le troisième hobby le plus populaire, après le rugby et le football.
La chasse fait aussi partie de l’ADN national, de la vision qu’a la France d’elle-même. Cette dernière est peut-être le pays le plus raffiné d’Europe (les trois plus grandes marques mondiales du luxe, Louis Vuitton, Chanel et Hermès, sont toutes françaises), mais en même temps elle est obstinément rurale, les zones non urbaines abritant un tiers de la population (par rapport à la moyenne européenne de 28 %, et de 17 % au Royaume-Uni). De plus, la population rurale en France occupe 450 000 kilomètres carrés, soit une densité de tout juste 11 habitants au kilomètre carré – environ un quart de celle de l’Angleterre. Ainsi, conclut l’Institut national de la statistique, la France est le deuxième pays le plus rural d’Europe, après la Pologne.
Les Français sont aussi les plus constants dans leur hostilité à la mondialisation, les plus fervents défenseurs de la notion d’héritage, et c’est fort probablement lié. C’est un pays animé d’un fort attachement au patrimoine, où la corrida et les combats de coqs sont toujours légaux car ils préservent la tradition – et en France, le patrimoine peut passer outre à la défense des droits des animaux, pour ne rien dire des préjugés des gens des villes.
En 2019, les propriétaires de résidences secondaires sur l’île d’Oléron, sur la côte atlantique, ont intenté une action en justice contre Maurice, un coq accusé de chanter trop tôt. Les autochtones ont soutenu Maurice, et un juge a donné raison à l’auteur des cocoricos, ordonnant aux plaignants de verser 1 000 euros de dommages et intérêts à Corinne Fesseau, à qui appartenait Maurice. Dans le sillage de plusieurs affaires du même type qui avaient vu la trinité honnie des néoruraux, des expatriés britanniques et – pire que tout – des Parisiens en vacances se plaindre des mœurs bruyantes et odoriférantes de la France profonde, l’Assemblée nationale a approuvé une proposition de loi de Pierre Morel-À-L’Huissier, député de Lozère, portant sur la protection du “patrimoine sensoriel” de la France. Autrement dit, “le chant du coq, le bruit des cigales, l’odeur du fumier”.
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Avant de découvrir TikTok et l’électorat des jeunes citadins, Emmanuel Macron avait crânement tenté de s’assurer le vote rural en louant les mérites de la chasse. Il a même relancé les chasses présidentielles au sanglier à Chambord, résidence de chasse du roi François Ier, dans la vallée de la Loire. Habile, dans le cadre de ce que l’on a appelé le “pacte de Chambord”, il a réduit de moitié le prix du permis de chasse, le faisant passer à 205 euros [pour le permis national]
Contrairement au Royaume-Uni, en France, la chasse n’est pas une activité avant tout pratiquée par l’élite ; dans notre coin boisé de Charente, les chasseurs sont le boucher local, le boulanger, le garagiste, l’infirmier et l’agriculteur, qui circulent tous en Berlingo Citroën blanc. C’est la chasse qui fournit le sanglier à rôtir pour le banquet des bonnes œuvres, ce sont les gars qui y vont qui délimitent les sentiers dans la forêt pour la randonnée communale.
En France, qui veut chasser n’a littéralement pas besoin de monter sur ses grands chevaux. Les chasseurs sont le plus souvent à pied, et non juchés sur quelque équidé. C’est pendant la Révolution que le droit de tirer du gibier a été arraché à l’aristocratie, et si les droits de propriété locaux sont abscons, il est généralement admis, rapport à 1789 et tout ça, que les chasseurs ont le droit d’aller où bon leur semble, sauf interdiction expressément formulée par le propriétaire. En France, la chasse est un acte révolutionnaire plutôt que la confirmation d’un statut social.
Mais alors pourquoi les chasseurs sortent-ils donc le dimanche avec leur fusil ? Certains sont pragmatiques. “Ça fait de quoi manger pour la famille pendant une semaine”, m’a expliqué une connaissance à propos du sanglier à l’arrière de sa camionnette. D’autres estiment rendre service à la communauté quand ils tuent des sangliers et des cervidés qui ravagent les récoltes. Ce que beaucoup recherchent, c’est une immersion dans la nature, un moyen de se ressourcer ; ou, comme l’a expliqué le philosophe espagnol José Ortega Y Gasset dans Sur la chasse, un classique mondial sur le sujet : “On ne chasse pas pour tuer mais on tue pour avoir chassé.”
Ce quasi-mysticisme cynégétique est tourné en ridicule par l’association Rassemblement pour une France sans Chasse (RAC) et l’ancienne actrice Brigitte Bardot, qui défend les droits des animaux. Les adversaires de la chasse se font de plus en plus entendre, et ils pensent que le temps et la mode politique jouent en leur faveur.
Les tristes chiffres de la chasse en matière de sécurité fournissent des munitions à ses détracteurs : les appels se multiplient en faveur de restrictions afin que les joggeurs, les promeneurs, les cyclistes et les conducteurs puissent eux aussi se livrer à leurs loisirs du dimanche en paix et sans risque. Une pétition en ligne destinée au président Macron, qui réclamait purement et simplement une interdiction dominicale de la chasse, a récolté environ 200 000 signatures.
Il y a une phrase essentielle à connaître quand on vit en France : “c’est compliqué”. En juin, Macron a enfin déclaré illégale la chasse à la glu, rejoignant ainsi le reste de l’UE. Une décision qui a été interprétée comme une atteinte délibérée à la chasse. (Pendant des décennies, la France a exigé une dérogation au nom de la “préservation du patrimoine”.) En août, la chasse à l’aide de filets ou de cages a elle aussi été interdite, car jugé contraire à la “directive oiseaux” de l’UE, qui date de 2009. Environ 5 000 chasseurs s’adonneraient encore à ces pratiques, qu’exècrent même certains de leurs collègues chasseurs. Or ceux qui chassent à la glu ou au filet ne devraient-ils pas être défendus par la fraternité des nemrods – et plus généralement par le monde rural – puisque, pour paraphraser cette autre clause capitale de la vie française, “qui s’en prend à l’un s’en prend à tous” ? C’est compliqué.
Dans les tensions entre la ville et la campagne, la première n’est pas la seule à multiplier les pressions, les pétitions et les opérations de communication. La puissante Fédération nationale des chasseurs (FNC) s’est engagée à lutter contre “l’érosion de la biodiversité” – au grand soulagement de ses membres, qui se voient comme les seuls véritables amoureux et champions de la nature. Après tout, la campagne française est hérissée de petits panneaux métalliques rouges ornés d’un bandeau tricolore qui signalent la présence d’une “réserve de chasse et de faune sauvage”, conformément à une directive gouvernementale de 1991.
La FNC dénonce de plus en plus souvent les géants de l’agroalimentaire et l’agriculture intensive, ce qui trouve aisément un écho dans un pays où la notion bucolique de paysannerie fait vibrer la corde sensible. Et dans leur guerre publique que suscite leur loisir, les chasseurs se trouvent des alliés qui rafraîchissent l’image de leur activité, qui passe pour être un passe-temps réservé aux hommes d’âge moyen. L’instagrammeuse, mannequin et influenceuse Johanna Clermont est devenue l’égérie des chasseuses et des chasseurs plus jeunes, tout comme Jessica Héraud, qui, à 25 ans, dirige Les Dianes, une fédération féminine de chasse de Charente-Maritime approuvée par la FNC et dont le nom est un hommage à la déesse de la chasse des Romains.
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Les chasseurs ont aussi des amis haut placés dans le monde politique. À l’Assemblée nationale, un député sur cinq fait partie du groupe d’études Chasse, pêche et territoires ; au Sénat, le groupe compte 70 membres. Si Macron a, lui, rejoint le camp des écologistes et des défenseurs des droits des animaux, d’autres représentants importants de son parti soutiennent la chasse. Alain Perea, député En Marche à l’Assemblée nationale, est coprésident du groupe Chasse, pêche et territoires.
[Le 18 septembre], des manifestations en faveur de la chasse ont été organisées dans tout le pays. À cette occasion, les chasseurs ont joué leur atout : ils ont appelé non seulement à préserver la chasse, mais aussi à protéger la ruralité. Dans l’esprit des Français, la chasse et la campagne font toujours un, elles sont encore indissociables. “Macron fossoyeur de nos traditions”, disait une pancarte.
Il y a trois ans, les ennuis du président ont commencé avec les “gilets jaunes”. Aujourd’hui, il ferait bien de veiller à ne pas se retrouver embarqué dans un bras de fer avec les “gilets orange”. La chasse se pratique en France depuis le Paléolithique, avec ses scènes animalières peintes sur les parois des grottes de Lascaux, en Dordogne. Il va falloir du temps avant de pouvoir en sonner l’hallali.
John Lewis-Stempel
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Devenir producteur d'énergie en installant des panneaux photovoltaïques permet de réduire sa consommation d'électricité. Toutefois, une partie de cette production est inutilisée et part dans le réseau... Avec Stock-O, Systovi propose une solution de stockage inédite et propre.
Produire de l'électricité à l'aide de panneaux solaires permet non seulement de réduire la facture d'énergie mais de faire un geste pour la Planète. Toutefois, en journée quand les besoins en énergie sont les plus faibles, une partie de la production d'électricité non utilisée (le surplus) est renvoyée dans le réseau. Pour éliminer cette déperdition, et accroître la part d'autoconsommation, la solution la plus courante est d'installer des batteries... Un procédé efficace mais plus ou moins onéreux, et qui nécessite l'usage de technologies polluantes à l'image du plomb ouvert ou encore du lithium-ion.
Le saviez-vous ?
Dans un ballon d’ECS, la température du volume d’eau n’est pas constante. Elle se présente, comme dans la nature, sous forme de strates.
Fort de ce constat, le fabricant de panneaux solaires Systovi innove, en proposant Stock-O. Un ballon d’eau chaude sanitaire (ECS) de 200 litres capable de stocker l’énergie, dès que l'installation passe en surproduction. Ce dernier, d'une puissance de 2.000 W, intègre trois résistances (250, 500 et 1.250 W). Positionnées à différentes hauteurs, ces dernières sont sollicitées en fonction de la production solaire du moment jusqu'à ce que le volume d'eau contenu dans le ballon soit entièrement à température.
Un procédé innovant qui permet de stocker l'équivalent de 10 kWh, portant la part d'autoproduction d'électricité à 80 % voire plus selon les régions. Pour les propriétaires, dont les maisons sont déjà équipées de panneaux photovoltaïques, l'intégration du ballon d'ECS stock-O est tout à fait possible. Celui-ci venant en remplacement de l'ancien ballon électrique classique.
Disposer d'une réserve d'eau chaude en continu grâce à l'énergie solaire, permet de satisfaire les besoins d'un foyer de quatre voire cinq personnes, soir et matin. Disponible auprès d'installateurs professionnels ou de d'enseignes spécialisées, ce ballon ne bénéficie pas, à ce jour, d'aides financières... Toutefois, comparé à une installation faisant appel à la technologie lithium-ion, le fabricant annonce un coût global divisé par quatre.
Dune, le mégafilm de Denis Villeneuve, fait un tabac sur les écrans américains, mais Wired rappelle que le livre dont il est tiré, le chef-d’œuvre de science-fiction de Frank Herbert, publié en 1965, fait toujours le bonheur d’un groupe particulier de lecteurs : les agents de la CIA et la foule des analystes des douze agences de renseignement américaines. Pour une simple raison : l’œuvre, bourrée de génie et de superpuissances interstellaires acharnées à occuper de lointaines planètes désertiques, offre la description la plus prémonitoire et la plus pertinente qui soit des conflits d’Irak et d’Afghanistan, et de leur issue : la défaite des géants technologiques contre, oui, des vers de terre géants et carnassiers, mais surtout contre “des autochtones spartiates” adeptes des embuscades et de la “guerre asymétrique”. Dune, selon l’article, est au programme des lectures obligatoires dans certaines classes d’écoles militaires. - Présentation de Courrier International
Just before his deployment to Iraq in 2003, Ryan Kort spotted a paperback copy of Dune in a bookstore near Fort Riley, Kansas. The 23-year-old second lieutenant was intrigued by the book’s black cover, with an inset image of a desert landscape next to the title and the silhouettes of two robed figures walking across the sand. Despite its 800-plus pages, its small print made it a relatively compact cubic object. So he bought it and carried it with him to the Gulf, the only novel he packed in his rucksack along with his Army manuals and field guides.
Kort read the book during moments of downtime over the next weeks, as he led his platoon of 15 soldiers and four tanks through the Kuwaiti desert, and later when they took up residence in a powerless, abandoned building in Baghdad. It told the story of a young man who leaves a lush green world and arrives on the far more dangerous and arid planet of Arrakis, which holds beneath its sands a critical resource for all of the universe’s competing great powers. (“At the time, when people said ‘This is a war for oil,’ I would kind of roll my eyes at them,” he notes regarding the Iraq War. “I don’t roll my eyes about that anymore.”)
The parallels felt uncanny, he remembers. As the call to prayer rose up around him one afternoon in that darkened building in Iraq’s capital, he says he sensed a connection to Dune. Reading the book felt almost like seeing into a larger story that mirrored the one in which he was playing a small part. “Something in the book really clicked,” he says. “It transcended the moment I was in.”
Kort would become a Dune fanatic, reading and rereading Frank Herbert’s entire six-book series. But it was only years later, after his second deployment to Iraq—a far tougher tour of duty in which he was stationed in a hotbed of Sunni insurgency, with his troops repeatedly hit by roadside bombs—that he began to see deeper similarities.
After all, in Dune it’s the native Fremen whose insurgent, guerrilla tactics ultimately prove superior. Not those of the Atreides protagonists, the Harkonnen villains, or even the galactic emperor and his spartan Sardaukar warriors. No matter which analogy you choose for the United States—or whether the Fremen in that analogy are Iraqi or Afghan—the insurgents outmatch or outlast the superpower.
“You look at it now and you think to yourself, well, of course the lessons are there, right? We’ve learned that a preponderance of technology doesn’t guarantee success. That the military element of national power alone can’t secure your objectives at times,” says Kort, who today serves as a strategic planning and policy officer for the Army. “There are these messy human characteristics in there, where people have honor and interest bound up into it. And the adversary is sometimes willing to pay higher costs.”
In the decades since Herbert published Dune, in 1965, the book’s ecological, psychological, and spiritual themes have tended to get the credit for its breakout success beyond a hardcore sci-fi audience. In his own public commentary on the book, Herbert focused above all on its environmental messages, and he later became a kind of ecological guru, turning his home in Washington state, which he called Xanadu, into a DIY renewable energy experiment.
But reading Dune a half century later, when many of Herbert’s environmental and psychological ideas have either blended into the mainstream or gone out of style—and in the wake of the disastrous fall of the US-backed government in Afghanistan after a 20-year war—it’s hard not to be struck, instead, by the book’s focus on human conflict: an intricate, deeply detailed world of factions relentlessly vying for power and advantage by exploiting every tool available to them. And it’s Herbert’s vision of that future that is now revered by a certain class of sci-fi-reading geek in the military and intelligence community, war nerds who see the book as a remarkably prescient lens for understanding conflict on a global scale.
Written even before the advent of America’s war in Vietnam, Dune captures a world in which war is inherently asymmetric, where head-on, conventional military conflict has largely been replaced with all the subtler ways that humans seek to dominate one another: insurgency and counterinsurgency, sabotage and assassination, diplomacy, espionage and treachery, proxy wars and resource control. For the military officers and intelligence analysts who still read and reread Dune today, it presents an uncanny reflection of the state of geopolitical competition in 2021—from the pitfalls of regime change to the terra incognita of cyberwar.
On a recent Sunday afternoon, I brushed the dust off of an original Dune board game I had found in my late father’s house, a pristine cardboard relic released in 1979 that sat untouched on a shelf in my office for two years. The game, whose object is to conquer the entire territory of Arrakis, seemed like a helpful way to understand Dune’s microcosm of galactic conflict. So I persuaded some unsuspecting friends to try it.
It quickly became clear that, rather than simplifying Dune’s dynamics, the game aggressively leans into the book’s Talmudic complexity. Opting for the “basic” rather than “advanced” version of the rules, it still took two and a half hours for us to get through the first turn. Understanding any card required consulting a reference sheet that read like the fine print on a credit card statement. Rules had caveats, caveats had exceptions. And every player seemed to be able to break the rules in different ways. The Atreides player could look at cards that remained face down for the rest of us. Sandworms destroyed all the armies they touched, except the Fremen’s, who could ride them around the board. The Harkonnen player periodically revealed that other players’ characters were actually traitors secretly working for him.
A spartan native population disillusioned with invaders after a previous superpower's incursion: The parallels between Dune and Afghanistan were difficult to avoid.
Different sides even had their own paths to victory: The Fremen could win by preventing anyone else from winning. The Bene Gesserit player, representing Dune’s genetically engineered order of psycho-manipulative illuminati, wrote down a prediction before the first turn, guessing which player would win and when. If that prediction came true, they would win instead. The conflict wasn’t merely asymmetric; each player was in some sense playing a different game.
Dune’s vision of human struggle might appear on its face to be the opposite of the world in which Herbert lived in 1965, when two superpowers seemed locked in an existential stalemate. But the Cold War’s threat of mutual nuclear annihilation set the stage for the era of unconventional warfare that Herbert saw so clearly. In Dune, the Great Houses have signed a convention against the use of atomic weapons. That results in warring powers—namely the Atreides and Harkonnens—resorting to exactly the sort of restricted, covert, deceptive tactics that defined modern conflict during the Cold War and ever since.
“You have two parties that have no recourse but violent conflict. But you also have norms that mean violence must be as narrowly constrained through as tight an aperture as possible,” says Alex Orleans, a threat intelligence analyst at security firm CrowdStrike and a former analyst under contract at the Department of Homeland Security, who arrived to our interview with seven single-spaced pages of notes about Dune’s lessons for national security. “And so the idea becomes to engage in very limited, discrete, clandestine operations.”
In Dune, Herbert creates a term for that not-quite-war: kanly, defined in the book’s glossary (yes, it has a glossary) as a “formal feud or vendetta under the rules of the Great Convention, carried on according to the strictest limitations.” Just as the Harkonnens plant hunter-seeker assassination bots in the Atreides compound and the Emperor hides his Sardaukar supersoldiers in Harkonnen uniforms, Orleans sees kanly today in everything from US drone strikes to Russia’s invasion of Ukraine with “little green men” wearing no insignia.
The term kanly itself gives one hint of where Herbert pulled some of his ideas of unconventional warfare: It’s a word for “blood feud” used for centuries by some Islamic tribes of the Caucasus, which Herbert read about in historian Lesley Blanch’s 1960 book The Sabres of Paradise, an epic chronicle of those tribes’ brutal and mismatched war with Russian imperialist invaders. Herbert explicitly borrowed from that history: His Fremen speak Chakobsa, named for a language from the Caucasus, and entire lines from Blanch’s text end up in the mouths of Dune’s characters.
But in the Caucasus, the Russian invaders eventually won. In the Vietnam War, which Herbert would cover as a reporter for the Hearst newswire only years after writing Dune and its first sequel, Dune Messiah, the insurgents did. In Dune, Herbert placed his bet on the insurgents. “If you’d said in the wake of World War II that the United States would lose a war to guerrillas who didn’t have an air force or navy or even really heavy weapons, people would have just thought that you were insane,” says Major General Mick Ryan, commander of the Australian Defence College and author of the forthcoming book War Transformed. “But Dune did kind of presage that, didn’t it?”
For Ryan and other Dune-reading soldiers, the two wars in Iraq and the war in Afghanistan were even clearer echoes of Herbert’s vision. When Ryan describes serving as the commander of the Australian Army’s Reconstruction Task Force in Afghanistan’s Oruzgan Province in 2006 and 2007, he finds the parallels with Dune difficult to avoid. A spartan native population disillusioned with invaders after a previous superpower’s incursion, with the Soviet occupation of Afghanistan standing in for years of Harkonnen rule on Arrakis. Young locals whose tribal code of honor dictated that every casualty among them be avenged. The same cultural divisions—and the wholly different games each side was playing—always making victory more elusive than it first appeared.
Today, even in the wake of the Taliban’s victory in Afghanistan, Dune reads just as much like a parable about the growing tensions between China and other world powers, says Lieutenant Colonel Nate Finney, a former lead China planner for the US Army in Hawaii who’s now getting a doctorate in history at Duke University. In that analogy, it’s the Chinese who are the Atreides, a rising power threatening to shuffle the galactic order but trying to do so carefully, within the bounds of its rules. “When I started to see the interstellar politics of Dune and why certain houses are doing certain things, it just jumped out at me,” Finney says.
Compared to other works of sci-fi popular among military thinkers—he cites Ender’s Game and Starship Troopers—Finney says Herbert’s invented universe uniquely captures the human messiness and sheer complexity of conflict in the real world. “It’s really about the interesting, hard part of war. It’s not ‘a nuclear bomb goes off and this many millions of people die’ or ‘this plane can fly this far and drop this type of munitions’ or ‘this is the size of the army we need to hold a country.’ What Herbert was looking at was the human aspect,” Finney says. “When it comes to that human experience of war and politics and human interaction, in my mind, it’s Dune.”
Ryan, the commander of Australia’s Defence College, says he has included Herbert’s novel on his recommended reading lists for years for the same reason. “I think Dune is a very complete story for those who want to study war and human competition as a phenomenon,” he says. He compares its lessons to those of Thucydides’ History of the Peloponnesian War in their timelessness. “It looks at big strategic ideas and it looks at motivators for people, whether it’s ideology, whether it’s greed, whether it’s the old Greek ‘fear, honor, and interest,’” Ryan says, quoting Thucydides. “Dune represents the world as it is: a very complex, sometimes beautiful, sometimes awful thing.”
Amid all its predictions, Dune avoids thinking about how computers, the internet, and AI would reshape the world 25,000 years in the future. Herbert skirts that question by inventing a rebellion against an all-powerful sentient computer thousands of years before the events of Dune, leading to a galactic ban on “thinking machines.” The book sums up that future history in a single aphorism: “Once men turned their thinking over to machines in the hope that this would set them free. But that only permitted other men with machines to enslave them.”
But the contemporary era of cyberespionage and cyberwar has, in reality, provided yet another domain for Dune’s kanly to play out. That domain has, in some senses, proven to be the one where Herbert’s lessons about nonconventional tactics are the most apt of all, where deception, deniability, and asymmetric warfare thrive outside strictures of global conventions.
In 2014, cybersecurity threat intelligence firm iSight Partners discovered a group of Russian-speaking hackers carrying out what appeared to be a widespread espionage campaign focused on Eastern Europe. In their malware, the hackers had included strings of text to identify victims: arrakis02, BasharoftheSardaukars, SalusaSecundus2, epsiloneridani0. All references to Dune. Drew Robinson, an iSight analyst who worked on reverse-engineering the malware, remembers thinking, “Whoever these hackers were, it seems like they’re Frank Herbert fans.”
The analysts at iSight gave the hackers a fitting name: Sandworm, after the giant subterranean monsters that roam the deserts of Arrakis. Over the next four years, members of Sandworm planted their malware in the US power grid, targeted Ukrainian electric utilities with the first- and second-ever cyberattacks to trigger blackouts, attempted to sabotage the 2018 Winter Olympics while framing North Korea for the deed, helped carry out hack-and-leak operations against US and French political candidates, and unleashed a strain of self-spreading destructive malware known as NotPetya that inflicted $10 billion in damage globally, the most destructive act of cyberwar ever seen.
In their malware, the hackers had included strings of text to identify victims: arrakis02, BasharoftheSardaukars. All references to Dune.
In 2018, after iSight Partners had been acquired by the security giant FireEye and I was a year into tracking Sandworm for a book about the group, FireEye’s director of intelligence analysis, John Hultquist, sat at his kitchen table and laid out the evidence identifying its members: All signs, he said, pointed to Sandworm being Unit 74455 of the GRU, Russia’s military intelligence agency, a theory that would be confirmed by US and UK intelligence only last year.
In the same conversation, Hultquist also explained what he, after four years of analyzing Sandworm attacks, had come to believe were the group’s motives: They were carrying out a kind of guerrilla warfare much like what he’d faced while serving in Iraq and Afghanistan more than a decade prior. Rather than declare open war on the international order, Russia was using digital means to undermine it with brazen but deniable acts of cyber sabotage. “The reason you carry out terrorism is rarely to kill those particular victims,” Hultquist told me. “That’s never why someone tried to hit me with an IED. It’s about scaring the shit out of people so they lose the will to fight or change their mind about the legitimacy of their own security service, or overreact.”
In other words, Russia’s Sandworm hackers were experimenting with a fresh form of asymmetric warfare against a dominant power. After 50 years, Dune’s ideas had found new life again—not in the minds of that ruling power’s military analysts but in the minds of those seeking to topple it.
L’invention et la multiplication des automobiles ont eu pour conséquence de profondément modifier la physionomie de nos campagnes. Où l’on pouvait passer sans problème à pied, à cheval ou même avec une charrette, devenait impossible avec une voiture : trop étroit, trop pentu, trop raviné…
De nouvelles routes ont vu le jour, des chemins ont été élargis, goudronnés, d’autres, désormais sans intérêt, ont disparu au fil des ans, envahis par la végétation ou sous les socs des charrues des agriculteurs qui, année après année, se les sont appropriés.
Si aujourd’hui, on cherche souvent à aller le plus vite et au plus court, à contourner les villes et à éviter les embouteillages, autrefois, au contraire, on passait avec intérêt dans les localités, où, vu la durée des déplacements, on trouvait de quoi se loger ou se nourrir, se faire soigner, où l’on pouvait assister aux offices religieux et faire du commerce les jours de marché et lors des foires, régulièrement organisées.
La gestion des données (personnelles ou économiques) est une affaire sensible qui ne peut pas être confiée à n'importe qui. C'est en substance le message adressé le 15 septembre dernier aux secrétaires généraux des ministères par le directeur interministériel du numérique (Dinum), Nadi Bou Hanna. En pratique, selon ce document diffusé sur le site Acteurs Publics, cela signifie que l'État a décidé d'interdire à ses administrations (et donc à ses collaborateurs) de recourir à l'offre Office 365, proposée par Microsoft sur ses propres infrastructures cloud (Azure), en remplacement des solutions bureautiques et de messagerie (MS Exchange notamment) déployées sur ses serveurs. En clair, les collaborateurs de l'État pourront encore utiliser la suite Office de Microsoft, mais pas dans sa version cloud, c'est-à-dire hébergée à distance.
Le problème? C'est celui de la protection et de la confidentialité des données et en l'espèce ce qu'autorisent certaines législations étrangères, à commencer par celles des États-Unis. En effet, selon le Cloud Act, les États-Unis s'arrogent le droit de consulter toutes les données stockées en Europe par des entreprises américaines et ce, quel que soit l'endroit où ces données sont hébergées. Une pratique qui vaut tant pour les activités professionnelles que personnelles, publiques que privées. Longtemps apathiques sur ce sujet, les autorités françaises ne l'entendent plus aujourd'hui de cette oreille. En mai 2021, le Gouvernement a présenté sa nouvelle doctrine. Baptisée "Cloud au centre", celle-ci oblige désormais les ministères et les administrations à utiliser uniquement des clouds sécurisés et immunisés contre les réglementations extra-communautaires (hors UE).
L'interdiction édictée par l'État concerne l'offre cloud Microsoft 365 (ex-Office 365). Cependant cette décision souffre quelques exceptions (temporaires) et laisse entrevoir des perspectives de solutions pour les utilisateurs qui ne souhaiteraient vraiment pas se passer de Microsoft 365. Tout d'abord, cette interdiction ne concerne pas les projets de migration qui étaient déjà "très avancés" au 5 juillet 2021 (date de parution de la circulaire n° 6282-SG, texte auquel se réfère la note du 15 septembre). Dans ce cas, une demande de dérogation pourra être adressée au ministre de l'administration concernée. Cependant, cette demande ne pourra porter que sur les "seuls services de messagerie et de drive personnel". Ces fonctions ne sont en effet pas encore intégrées à l'offre interministérielle Snap (le sac à dos numérique de l'agent public). Un environnement de travail numérique construit autour de solutions françaises et open-source, conforme à la doctrine "Cloud au centre", et qui comprend d'ores et déjà des services documentaires, collaboratifs, de messagerie instantanée, d'audioconférence, de visioconférence et de webinaire. Ensuite, pour les utilisateurs "accros" à Microsoft 365, il est recommandé d'attendre le déploiement du cloud issu du consortium Bleu.
S'il est bâti sur les technologies cloud de Microsoft (Azure et Office 365), Bleu est un projet créé, géré et opéré par Orange et Capgemini qui a vocation à être conforme à la doctrine "Cloud au centre" et à obtenir la précieuse certification SecNumCloud. Cette certification dite de "cloud de confiance" est délivrée par l'ANSSI (l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information). Aujourd'hui, seules trois entreprises, (Oodrive, OVHcloud et 3DS Outscale) sont détentrices de ce label. A défaut, les utilisateurs de Microsoft 365, contraints de délaisser leur suite logicielle préférée, pourront (devront) se rabattre sur une solution cloud interne de l'État. Si elles peuvent sembler complexes, ces circonvolutions réglementaires ont le mérite de souligner les enjeux stratégiques, et donc très importants, liés à ce qu'il est convenu d'appeler "la souveraineté numérique".
Cette notion, de plus en plus revendiquée en Europe et en France, désigne l'application des principes de souveraineté au domaine des technologies de l'information et de la communication. Ainsi, dans un contexte similaire à l'interdiction qui vise aujourd'hui Microsoft 365, le Gouvernement a-t-il signifié en novembre 2020 son intention de se désengager du Health Data Hub (un hub de données sensibles que sont les données de santé) hébergé par... Microsoft. Malgré tout, à la lecture de la note diffusée le 15 septembre dernier et centrée sur Microsoft, il est permis de s'étonner de l'absence d'autres services qui, comme Google Workspace, Salesforce, Zoom ou Box, ne brillent pas non plus par leur conformité à la doctrine "Cloud au centre" établie par le Gouvernement français…
Le 15 septembre, Nadi Bou Hanna a envoyé une note aux secrétaires généraux des différents ministères pour rappeler la non-conformité d'Office365.
Ce n'est pas une surprise mais, cette fois, la clarté est totale. Plusieurs fois, Nadi Bou Hanna, directeur interministériel du numérique (directeur de la DINUM), avait expliqué que l'offre Office365 opérée par Microsoft sur son propre cloud Azure ne pouvait pas être déployée dans les administrations d'État. Malgré la circulaire Ayrault sur l'usage du logiciel libre dans les administration, le directeur ne s'était cependant jamais opposé à l'usage de la suite Office en version on premises. Après la publication début juillet de la politique de cloud de l'État, « Cloud au centre », la DINUM revient à la charge. Nadi Bou Hanna a en effet envoyé le 15 septembre 2021 une note de service formelle aux secrétaires généraux des ministères avec copie au secrétariat général du gouvernement, à l'ANSSI et aux différents directeurs du numérique des ministères. Dans celle-ci, il rappelle qu'un déploiement d'Office365 est prohibé dans les administrations.
Certains projets étaient de toute évidence bien lancés. De manière transitoire, la DINUM accepte d'accorder des dérogations pour la messagerie et les services de partage de fichiers mais exclut toute dérogation pour les autres fonctions. Le recours à l'offre utilisant les technologies Office365 mais opérée par le consortium Bleu (Capgemini et Orange) et certifiée SecNumCloud est par contre possible. Mais la DINUM recommande plutôt d'opter pour des solutions alternatives de bureautique collaborative, notamment autour de la plateforme interministérielle SNAP. Enfin, il semble surtout urgent d'attendre une plus grande maturité des offres collaboratives.
Dans cette série de tartufferies (d'Accent 1,2,3) , de Nom (1,2,3) ou de Culture (1,2) nous nous aventurons pour ce nouvel épisode de l'autre côté de l'Atlantique où mi-septembre a été révélé qu’en 2019 le Conseil scolaire catholique de Providence, rassemblant plusieurs dizaines d’écoles dans le sud de l’Ontario, a décidé, à l’invitation de Suzy Kies, qui se présentait comme une gardienne du savoir autochtone, de purger les bibliothèques scolaires de plusieurs milliers d’ouvrages accusés de relayer une vision défavorable ou négative des Amérindiens.
L'enquête menée par Radio Canada a montré que la dite Suzy Kies coprésidente de la commission des peuples autochtones du Parti libéral du Canada n'avait pas d'ascendance autochtone avérée car elle ne figure pas dans les registres des conseils de bande abénakis et on ne lui trouve aucun ancêtre autochtone jusqu'à au moins l'année 1780.
Que s'est-il donc passé en 2019 ? Sur l'injonction de cette dame, le groupe scolaire a détruit près de 5000 livres jeunesse parlant des Autochtones dans un but de réconciliation avec les Premières Nations, Une cérémonie de "purification par la flamme" s’est tenue en 2019 afin de brûler une trentaine de livres bannis, "dans un but éducatif". Les cendres ont servi "comme engrais" pour planter un arbre et ainsi "tourner du négatif en positif". Autrement dit un autodafé (étymologiquement un « acte de foi ») a été réalisé au nom de la Cancel Culture laquelle consiste à détruire ce qui n'est pas conforme aux normes du moment. Un document de 165 pages, détaille l'ensemble des titres éliminés, ainsi que les raisons invoquées. Par exemple pour "Tintin en Amérique" : le motif du retrait est un "langage non acceptable", des "informations erronées", une "présentation négative des peuples autochtones" et une "représentation fautive des Autochtones dans les dessins". Des livres qui présentaient des bricolages qualifiés d’"appropriation culturelle" ont aussi été retirés. Deux biographies de Jacques Cartier publiées dans les années 1980 ont été retirées pour des informations jugées "désuètes et fausses". La biographie de l’explorateur Étienne Brûlé, Le Fils des Hurons, a aussi fait les frais du comité, notamment pour "fausse information historique", alors que les auteurs Jean-Claude Larocque et Denis Sauvé sont deux diplômés en histoire de l’Université d’Ottawa qui ont enseigné dans des écoles francophones de l’Ontario. Leur travail a d'ailleurs reçu plusieurs distinctions.
L'idéologie "woke" qui sous-tend cet autodafé est basée sur le principe "Jamais à propos de nous sans nous", autrement dit selon Suzy Kies, un livre sur les Autochtones ne peut pas être écrit par un non-Autochtone, à moins qu’un Autochtone ait révisé l'œuvre ou y ait collaboré.. C'est une vraie préoccupation car si on applique ce principe de manière large, on voit mal comment parler de civilisations disparues, ou même accepter des recherches historiques faites par des personnes non directement concernées. On comprend mieux dans cet environnement l'appel de l'historien suisse Christophe Vuilleumier qui affiche sur son blog un plaidoyer pour l'histoire.
N'est-ce pas l'acculturation de notre jeunesse qui lui fait voir son présent partout ? Certains reconnaissant dans le tableau l'Espéré de Ferdinand Georg Waldmüller une adolescente sur son smartphone alors qu'elle lit une lettre. Faîtes vous une idée ci-dessous.

La phonologie permet de comparer les similitudes des langues modernes avec celle qui avait cours à l'époque de la Rome antique.
La langue italienne est considérée comme la plus proche du latin. Mais il y existe des arguments en faveur de certaines variantes de la langue sarde, dont la phonologie est encore plus proche de celle du latin classique que l'italien.
L'espagnol –c'est-à-dire le castillan– occupe la deuxième position. Contrairement à l'italien, l'espagnol a perdu toute voyelle longue. Tandis que l'alternance des voyelles longues et courtes est la cause principale de la musicalité de l'italien, la succession rapide des voyelles courtes dote l'espagnol d'une qualité dite militaire.
Phonologie
Le portugais en est encore plus éloigné, surtout concernant la phonologie qui confond l'écouteur inattentif, supposant qu'il entend parler une langue slave.
Le roumain ne peut pas être considéré comme la langue la plus proche du latin à cause de son superstrat slave, et de ses déclinaisons que l'on ne peut guère corréler au latin.
Et le français? C'est la langue la moins latine! Sur le plan de la phonologie, elle s'est éloignée encore plus du latin que le portugais –par l'influence des parlers germaniques limitrophes. En plus, c'est la seule langue romane où l'usage du pronom personnel est obligatoire. Même le nom des locuteurs –les Français– est dérivé d'une tribu parlant le francique, prédécesseur du… néerlandais. (Comprenne qui pourra.)
Les origines de la langue française se trouvent dans le latin vulgaire, tel qu'il était parlé dans le nord de la Gaule, et plus spécialement entre Paris et la Vallée de la Loire.
«Vulgaire» est à prendre au sens étymologique: commun, populaire, par opposition au latin classique; le mot n'a rien de péjoratif. Ce latin populaire avait gardé des traces de la langue parlée antérieurement dans la région (le gaulois), assez peu dans le vocabulaire, sans doute davantage dans la phonétique et la grammaire. Plus tard, il empruntera du vocabulaire au francique, langue des conquérants francs qui dominèrent la région après la chute de l'Empire romain.
J'en profite pour répéter –combien de fois le faudra-t-il?– que le français n'est pas:
Le système de la langue française (grammaire, formation des mots, vocabulaire fondamental) est issu de l'évolution du système latin, et non du système gaulois ou francique. La langue, ce n'est pas les mots (et d'ailleurs, plus de 80% des mots français sont d'origine latine, mais ça ne changerait rien s'ils étaient beaucoup moins nombreux).
Une fois constitué dans son originalité vers la fin du IXe siècle, le système de la langue française continua d'évoluer considérablement jusqu'à nos jours, du point de vue de la grammaire et de la phonétique. Il emprunta des mots à ses voisins (y compris ceux du territoire français, breton, langue d'oc, etc.), et se dota, à partir du bas Moyen Âge et surtout de la Renaissance, d'un vocabulaire savant gréco-latin décalqué du latin classique, bien reconnaissable car n'ayant pas subi l'évolution phonétique souvent profonde du vocabulaire hérité du latin vulgaire depuis des siècles.
Le 6 septembre, on a appris qu'en ce début de XXIe siècle, en Occident, il existait encore des censeurs capables de brûler des livres parce que leur contenu était jugé offensant.
Voici le contexte: en 2019, des écoles francophones de l'Ontario, au Canada, ont supprimé de leurs rayonnages à disposition des enfants des ouvrages accusés de propager des stéréotypes négatifs sur ceux qu'on appelle tantôt les peuples autochtones, tantôt les Premières Nations, tantôt les Amérindiens, et qu'il était autrefois d'usage d'appeler les «Indiens» (mot qui, rappelons-le, remonte à une erreur géographique du XVe siècle, lorsque les Européens crurent débarquer en Inde alors qu'ils venaient de découvrir un continent nouveau pour eux).
Comme le rapporte le journaliste Thomas Gerbet dans un article publié par Radio Canada, il s'agissait d'une grande «épuration littéraire» concernant rien moins que trente écoles. Près de 5.000 livres ont été détruits «dans un but de réconciliation avec les Premières Nations». Une cérémonie de «purification par la flamme» (sic) s'est tenue dans une école où une trentaine de livres ont été brûlés puis ont servi d'engrais pour planter un arbre et «tourner du négatif en positif». Les cérémonies programmées dans d'autres écoles ont été ajournées pour cause de pandémie.
On pourrait se croire dans une dystopie à la Atwood, Orwell ou Bradbury, mais non.
Cerise sur le gâteau flambé, Suzy Kies, l'une des principales initiatrices de cette opération, celle qui a accompagné le conseil scolaire dans la destruction de ces livres en tant que «gardienne du savoir» et revendique des racines autochtones, s'est avérée être une menteuse dépourvue de la moindre goutte de sang amérindien. Mais le Parti libéral du Canada où elle occupe le rôle de coprésidente de la commission autochtone depuis 2017, une fois ce mini-scandale révélé, a indiqué que «Mme Kies s'identifie elle-même comme Autochtone non inscrite». Comme le dit Dominique Ritchot, coordonnatrice de la Société généalogique canadienne-française, qui a collaboré avec Radio-Canada à titre de chercheuse indépendante: «La Madame, elle en beurre épais. Elle n'a aucun ancêtre autochtone sur au moins sept générations.»
Depuis, sous la pression d'une controverse qui a fait le tour de la planète, le Conseil scolaire catholique (CSC) Providence a fait machine arrière. Près de 200 livres dont le contenu était encore à évaluer échapperont, pour le moment, à une éventuelle destruction.
"Les révélations de Radio-Canada selon lesquelles la « gardienne du savoir » autochtone qui a accompagné le Conseil scolaire, Suzy Kies, n'est pas Autochtone ont accéléré la décision de la direction". https://t.co/oiDbHReuW1
— d_schneidermann (@d_schneidermann) September 10, 2021
Les livres et les raisons de leur bannissement ont été recensés dans un document faisant rien moins que 165 pages. Il n'en faut pas autant pour identifier la véritable nature de cette démarche. Cet autodafé, si effrayantes que soient les images qu'il évoque (en Europe, les brûleurs de livres ont plutôt mauvaise presse depuis 1945) a des côtés ridicules et dérisoires qui sont une douleur pour l'entendement.
« Là où on brûle des livres, on finit par brûler des hommes. » Heinrich Heine. Une trentaine de livres détruits par le par une école de l’Ontario, parce qu’ils véhiculaient des stéréotypes négatifs sur les habitants des Premières Nations du Canada. https://t.co/m2NtQFtzwl
— Licra (@LICRA) September 9, 2021
Car il s'agissait, par exemple, d'éliminer certains albums d'Astérix (une Indienne en mini-jupe, amoureuse d'Obélix, étant jugée trop sexualisée), de Tintin (qui présenterait les peuples autochtones «de façon négative», notamment par l'utilisation du mot «Peau-Rouge»), de Lucky Luke (les autochtones y sont «perçus comme les méchants»). «L'utilisation du mot Indien a aussi été un motif de retrait de nombreux livres. Un livre est même en évaluation parce qu'on y utilise le mot “Amérindien”», rapporte Radio-Canada. Un ouvrage proposant aux enfants de manger, écrire, et de s'habiller comme les Amérindiens a été considéré comme un «manque de respect envers la culture». La liste est aussi longue qu'absurde.
La littérature, dans une société démocratique, est l'ultime espace de liberté totale et il est admis que la pensée ne peut pas être censurée.
Petit rappel à l'usage des lecteurs woke et bien intentionnés désireux d'annihiler des pans entiers de la culture sous le prétexte de moraliser la société ou de racheter les fautes de leurs pères: la littérature n'existe pas pour représenter la réalité fantasmée d'une certaine catégorie de personnes. La littérature est une expression de l'imaginaire d'un ou de plusieurs auteurs et autrices, à laquelle le lecteur est libre de s'identifier ou pas.
Il n'existe pas de tables de la loi de la fiction sur lesquelles sont gravés en lettres d'or les commandements de l'écrivain. Chacun écrit ce qu'il veut. Et chacun lit ce qu'il veut. La littérature, dans une société démocratique, est le seul et ultime espace de liberté TOTALE. C'est un prolongement de la pensée et, dans les sociétés démocratiques (et ce n'est pas un détail), il est admis que la pensée ne peut pas être censurée.
Pourquoi vouloir éliminer ces livres? Parce que, selon les défenseurs des peuples brimés d'Amérique du Nord, ils leur manquent de respect. Cet argument est matière à débat, œuvre par œuvre, et si possible avec leurs auteurs (dont certains ont découvert à cette occasion qu'ils étaient racistes. «Même des auteurs autochtones ont été envoyés au recyclage, à cause de l'usage de mots jugés inappropriés. Le roman jeunesse Hiver indien, de Michel Noël, a été écarté pour propos raciste, langage plus acceptable, information fausse, pouvoir des Blancs sur les Autochtones, et incapacité des Autochtones de fonctionner sans les Blancs», explique Thomas Gerbet. Michel Noël, qui était descendant d'Algonquins et militant pour la cause autochtone, donc.)
Et si, à l'issue d'une réflexion honnête, le lecteur estime que livre est offensant, il peut, en effet, exercer sur lui la meilleure, la plus efficace des censures: ne pas le lire. En le laissant fermé, il évitera à ce macho d'Obélix de contaminer son âme pure (et celle de ses enfants, bien sûr). Pour les autres, rien de mieux que de se faire une opinion par soi-même, et, au passage, de découvrir comment pensaient, écrivaient et lisaient ceux qui sont passés sur Terre avant nous et ont ancré les racines de notre histoire.
Croire qu'un enfant n'est pas capable de comprendre que certains usages n'ont plus cours, certaines appellations sont désuètes voire insultantes, c'est le prendre pour un crétin, ce qui n'est pas très bienveillant de la part de personnes dont le but affiché est de façonner un monde de Bisounours dont toute trace négative serait extirpée. Les enfants exposés à une société progressiste et évoluée ne se transforment pas en monstres de sexisme ou de racisme dès lors qu'ils voient Pocahontas à la télé («Pocahontas, elle est tellement sexuelle et sensuelle, pour nous, les femmes autochtones, c'est dangereux», a déclaré celle-qui-s'identifiait-comme-une-autochtone, alias Suzy Kies.)
Vouloir détruire toute œuvre qui représente une époque dont on n'a pas à être fier, ou des stéréotypes éculés et indignes, qu'ils soient réels (car évidemment, il y en a) ou fantasmés (Astérix? Sérieusement?), c'est tenter de moraliser la fiction pour ne laisser que des livres «purs», qui ne risquent de choquer personne et ne relatent qu'avec un vocabulaire cautionné par les tenants du bien-parler (et de préférence en écriture inclusive) des histoires où les méchants sont parfaitement identifiés, les gentils exempts de tout défaut ou aspérité, et où la complexité humaine n'a pas sa place. C'est-à-dire, à terme, d'éliminer la littérature.
Toute la littérature (oui, même Oui-Oui, qui pollue comme un taré avec sa voiture jaune alors qu'il pourrait se déplacer à vélo, et dont l'essence provient sûrement d'un puits de pétrole en Amazonie où des peuples indigènes sont chassés de chez eux par des compagnies sans scrupules). Et vous savez qui revendique l'élimination de toute la littérature au profit de l'idéologie? Mais si, bien sûr, vous le savez (et c'est ainsi que le point taliban remplaça le point Godwin).
Ceux qui brûlent ces histoires seraient bien inspirés, avant d'allumer le bûcher, de les relire: les tyrans, ce sont souvent ceux qui perdent à la fin.
En outre, en plus d'être inepte, c'est une démarche vaine, si vaine. En effet, vous pouvez brûler un livre, le reléguer au placard, le dissoudre dans l'acide, le jeter à la mer, le faire bouffer à vos ennemis, il est déjà trop tard: il existe, et les mots, les images, les idées qu'il contient sont indestructibles. La réalité du passé, aussi déplaisante qu'elle puisse vous paraître, ne sera pas modifiée parce que vous en aurez détruit les preuves et les traces.
Sans parler de l'attrait absolu que peut constituer une «bibliothèque interdite» pour de jeunes esprits avides de transgression. Détruire un objet physique pour symboliser une volonté d'anéantissement de concepts, d'idées et d'histoires a toujours été, et sera toujours, l'apanage des tyrannies. Ceux qui brûlent ces histoires seraient bien inspirés, avant d'allumer le bûcher, de les relire: les tyrans, ce sont souvent ceux qui perdent à la fin.