Dans la fiction, c’est une femme afro-américaine démocrate qui siège à la Maison Blanche. Mais les ressemblances avec la réalité sont nombreuses et déroutantes.
SÉRIES TÉLÉ - Il y a beaucoup d’éléments vraisemblables. Et d’autres qui auraient pu l’être. Netflix a mis en ligne depuis jeudi 20 février la mini-série Zero Day en 6 épisodes. Le thriller politique, qui met en scène Robert de Niro dans la toute première série télé de sa carrière, imagine une cyberattaque d’envergure inédite aux États-Unis, et toutes ses conséquences.
Et si une mystérieuse organisation terroriste décidait de couper pendant une longue minute toutes les transmissions numériques et technologiques d’un pays ? Les smartphones, les téléviseurs, l’électricité, mais aussi internet, les feux de circulation, les appareils médicaux ou encore les systèmes de guidage ou de freinage d’urgence des trains. C’est le point de départ de la série imaginée par Eric Newman, Noah Oppenheim et Michael Schmidt.
Dans Zero Day, suite à cette attaque, George Mullen, un ancien Président à la retraite incarné par Robert de Niro est rappelé par la Présidente des États-Unis Evelyn Mitchell (Angela Bassett) pour mener l’enquête et identifier d’urgence les coupables de cette attaque qui a entraîné plus de 2000 morts.
Ça, c’est pour le point de départ « fictif » de cette mini-série en six épisodes haletants. Viennent s’y ajouter de nombreux éléments qui ressemblent à s’y méprendre à ce qui aurait pu exister. C’est par exemple une femme noire démocrate qui réside à la Maison Blanche, après qu’un Président blanc approchant les 80 ans et démocrate lui aussi, a choisi de ne pas se représenter. Difficile de ne pas faire le parallèle avec Kamala Harris et Joe Biden, surtout lorsqu’on sait que la série a été tournée entre 2023 et 2024 alors que la campagne battait son plein.
Et puis il y a les évènements qui sont bel et bien en train de se dérouler aujourd’hui outre-Atlantique. Pour mener son enquête, George Mullen prend la tête d’une commission spéciale votée par les élus. La « Commission Zero Day » a donc les pleins pouvoirs pour fouiller dans les données privées (et la vie) des gens, et arrêter sans mandat les suspects. Impossible de ne pas penser à la commission pour l’efficacité gouvernementale (Doge) dirigée par Elon Musk.
Le grand patron de Tesla et proche de Donald Trump est d’ailleurs lui aussi évoqué via un personnage féminin très ressemblant. Monica Kidder, milliardaire et grande patronne de la tech incarnée par Gaby Hoffmann, a de l’influence jusque dans les plus hautes sphères politiques et ne se déplace jamais qu’en sweat-shirt avec une casquette vissée sur la tête.
Même chose en ce qui concerne Joe Rogan, le YouTubeur et animateur radio star qui a offert à Donald Trump une plateforme inédite pour s’exprimer pendant la campagne. Dans Zero Day, il est assez clairement identifié à travers le personnage d’Evan Green (Dan Stevens), un YouTubeur complotiste aux millions d’abonnés qui penche vers l’extrême-droite.
Des personnages qui viennent illustrer le système Trump. Même si ce dernier n’est pas « représenté » de manière aussi claire dans la série, ce qu’il incarne l’est. C’est le cas à travers les militants anti ou pro-Commission Zero Day qui ne sont pas sans rappeler les différentes manifestations des soutiens républicains du courant MAGA. C’est aussi visible avec certains discours de la classe politique ou encore dans la mise en avant des dangers de la désinformation et des fake news.
Au casting de cette série frappante de réalisme, on retrouve également Jesse Plemmons, Connie Britton, Lizzy Caplan ou encore Matthew Modine. Les six épisodes menés tambour battant se dévorent sans causer d’indigestion. Mais laissent un inquiétant arrière-goût de « et si jamais ? »
Le président américain a signalé, par l’intermédiaire de son secrétaire au Trésor, vouloir « échanger » les ressources naturelles de l’Ukraine (lithium, uranium, terres rares…) contre le maintien de l’assistance américaine dans l’attente de la conclusion d’un accord de paix. Trump considère également que l’exploitation des sols de l’Ukraine par des entreprises américaines permettrait de « rembourser » les États-Unis pour l’aide fournie depuis 2022.
L’Ukraine dispose de l’un des sols les plus riches d’Europe en minéraux, métaux et ressources naturelles. Selon le gouvernement ukrainien, le pays a les premières réserves européennes de lithium et d’uranium et détient 25 des 34 matières premières reconnues en 2023 comme « critiques » par l’Union européenne.
La valeur de ces ressources, dont seulement 15 % des gisements connus étaient exploités avant le lancement de l’invasion de 2022, est estimée par Kiev à 26 000 milliards de dollars.
Dans de nombreux documents élaborés par le ministère ukrainien de la Protection de l’environnement et des Ressources naturelles, les autorités de Kiev mettent en avant leurs ressources en graphite et lithium pour la production d’anodes et de cellules de batteries.
À elles seules, les ressources ukrainiennes dans ces deux minéraux permettraient de produire des matériaux de cathode et d’anode pour les batteries au lithium « avec une capacité totale de 1000 GW/h pour soutenir la fabrication d’environ 20 millions de véhicules électriques ».
Pour l’administration Trump, l’extraction de ces ressources cruciales pour la transition énergétique ainsi que la fabrication de composants utilisés dans les hautes technologies permettrait à la fois aux entreprises américaines de réaliser d’importants profits, mais également de réduire la dépendance des chaînes de production américaines vis-à-vis de Pékin.
La Chine concentre près de la moitié (44 millions de tonnes) des réserves mondiales de terres rares et dispose de plus des trois-quarts (77 %) des capacités mondiales de raffinage. Si le sol ukrainien contient une portion bien plus faible de ces réserves, son exploitation permettrait à Washington de diversifier considérablement ses approvisionnements.
L’extraction en Ukraine de ces ressources minières, qui constitue un processus très polluant (à toutes les étapes : traitement, séparation, concentration…), limiterait également les impacts environnementaux sur le sol américain.
Toutefois, selon plusieurs estimations, environ la moitié de la valeur des ressources de l’Ukraine est sous contrôle de l’armée russe — dont une partie importante depuis 2014 —, soit environ 12 500 milliards de dollars de minéraux, charbon, pétrole et gaz naturel.
La volonté apparente de Trump de vouloir conclure un accord rapide entre l’Ukraine et la Russie est principalement guidée par des intérêts privés, représentés notamment par l’ami de longue date du président américain, Ronald Lauder, qui s’est d’ores et déjà engagé à faire une offre pour un champ de lithium ukrainien. C’est également Lauder qui était à l’origine de l’idée du rachat du Groenland, également riche en ressources naturelles.
Par Florian Delabie président de l’Association des Archivistes Francophones de Belgique
Le limogeage de Colleen Shogan, directrice des Archives nationales américaines, par Donald Trump ne relève pas d’un simple caprice. Il s’inscrit dans une dérive plus profonde, où le contrôle de l’histoire devient un outil de pouvoir, faisant écho au monde dystopique de «1984» de George Orwell.
Colleen Shogan, ce nom ne vous dit peut-être rien. Elle était, jusqu’à ce vendredi 7 février 2025 la directrice des Archives nationales des Etats-Unis. Etait, puisqu’elle a été brutalement limogée par le président Donald Trump. Pour beaucoup, cette décision passera inaperçue, reléguée à une simple péripétie administrative. Pourtant, elle marque un tournant dangereux.
Son « tort » ? Avoir accompli son devoir en exigeant que l’administration Trump leur transmette l’ensemble des documents et traces numériques de son premier mandat, y compris les messages échangés sur WhatsApp. Cette démarche, conforme aux principes fondamentaux de la démocratie américaine, avait notamment permis de révéler le scandale des documents classifiés retrouvés dans la résidence personnelle du Président à Mar-a-Lago. Sans le professionnalisme de ces archivistes, sans leur rigueur dans l’application de la loi et leur dévouement à la préservation des traces de l’administration, ces informations ne seraient jamais connues et aucune trace n’en aurait été conservée. Or, aujourd’hui, leur cheffe de file est évincée. Quelques jours seulement après le retrait de données scientifiques publiques (open data) contraires aux idées de la nouvelle administration, c’est un nouveau coup porté à l’accès à l’information libre et contextualisée.
Ce type d’intervention politique sur les archives n’a rien d’anodin. L’histoire regorge d’exemples où la manipulation ou la destruction d’archives a servi des régimes autoritaires. De l’Allemagne nazie à l’Union soviétique, en passant par la Révolution culturelle chinoise et le régime des Khmers rouges, les archives ont toujours représenté un enjeu de pouvoir majeur. L’accès à une information libre, fiable et contextualisée est une menace pour ceux qui cherchent à réécrire l’histoire à leur avantage.
Les archives et archivistes sont bien loin des clichés poussiéreux dans lesquels on tente de les enfermer. Ils sont aux premières loges des transformations dans les pratiques de création et de partage de l’information, ils suivent et tentent d’anticiper les évolutions en matière de supports, de technologies et de compréhension de notre société. Ils jouent un rôle clé dans la gouvernance et la sauvegarde de la mémoire individuelle et collective, comme le rappelle la Déclaration universelle sur les archives. Les archives garantissent la transparence, la mémoire et la justice. Elles permettent à chacun d’accéder à des informations essentielles sur sa fiscalité, son état civil, ou encore sur les décisions prises par ses dirigeants en temps de crise.
Sans elles, comment juger les responsabilités politiques dans la gestion du Covid ? Comment comprendre la destruction de stocks de masques avant la pandémie ou les liens entre gouvernements et laboratoires pharmaceutiques ? Supprimer ou falsifier des archives, c’est effacer la possibilité d’un débat éclairé, c’est priver les citoyens de leur droit à l’information.
Le risque n’est plus théorique. Avec ce coup de force, Donald Trump ne se contente pas de contrôler le présent, il cherche à s’assurer un monopole sur l’interprétation du passé et modeler le mode de pensée future de la société américaine.
« Qui contrôle le passé contrôle le futur : qui contrôle le présent contrôle le passé », écrivait George Orwell dans 1984. Cette prophétie semble aujourd’hui, plus actuelle que jamais.
Faut-il voir dans ce licenciement un simple caprice ou le symptôme d’une dérive bien plus profonde visant à instaurer un « ministère de la vérité » ? Si nous fermons les yeux, combien de temps faudra-t-il avant que des documents disparaissent, que des traces soient altérées, que l’histoire soit remodelée selon la volonté d’une oligarchie conservatrice ?
Le département des archives représente le cœur névralgique du « Ministère de la Vérité », tel que décrit par George Orwell dans 1984. Son contrôle permet au régime d’exercer une emprise totale sur l’information, tant passée que présente, qui est ensuite diffusée à la population. Ce système confère une crédibilité redoutable et constitue le socle de la police de la pensée et du pouvoir omniprésent de « Big Brother ». Pour que 1984 reste une fiction, pour préserver notre avenir et garantir la liberté d’accès à l’information, ainsi que pour permettre aux générations futures de se forger leur propre jugement sur nos actions, il est impératif de sauvegarder nos archives.
En Europe, et particulièrement en Belgique, les archives sont trop souvent reléguées au second plan et perçues comme une dépense superflue. Pourtant, elles constituent notre meilleure défense contre l’oubli et la manipulation populiste de l’information et de l’histoire. Les démocraties doivent impérativement s’affirmer face au « nouvel ordre » mondial que Trump et son administration cherchent à imposer. L’Europe peut devenir la figure de proue de la démocratie représentative… en revalorisant ses archives et ses archivistes, gardiens de l’accès à notre mémoire collective.
Save the archives, save the world.
De passage à Paris pour la sortie en français de son nouveau livre De la liberté, Timothy Snyder revient sur la nouvelle ère qui s’ouvre aux États-Unis et livre des clefs pour résister à la dystopie que voudraient nous imposer Trump et Musk.
De la Liberté mobilise principalement des penseurs européens — ce qui peut sembler paradoxal, étant donné que les États-Unis se considèrent depuis longtemps comme la « terre de la liberté ». Pensez-vous que ces perspectives européennes puissent encore enrichir les débats américains sur cette question et, plus encore, qu’elles puissent toujours être entendues aux États-Unis ?
La dernière question est la plus simple : manifestement, oui — puisque le livre est lu aux États-Unis. Ces auteurs ne sont donc pas inaudibles.
Cela étant dit, vous avez raison de souligner que la culture européenne, en tant que telle, est de moins en moins significative dans le contexte américain. Le fait qu’une idée soit d’origine européenne ne lui confère plus de prestige particulier aux États-Unis. Si je mobilise des penseurs européens dans cet ouvrage, ce n’est donc en aucun cas pour leur notoriété. Bien au contraire, j’ai choisi des auteurs qui ne sont ni particulièrement prestigieux ni très connus.
Ce qui m’intéresse avant tout, c’est d’introduire une conception différente de la liberté. Et, pour cela, il est utile de dérouter le lecteur, de le surprendre, de l’amener à explorer des voies inattendues. Il est également précieux de partir de notions fondamentales comme l’empathie ou la corporéité — des terrains où les penseurs européens sont, en général, plus à l’aise que leurs homologues américains. Dans la tradition américaine de la liberté, nous avons tendance à tout abstraire, y compris l’existence individuelle, y compris le corps, dans une quête de clarté et de pureté conceptuelle. À l’inverse, les penseurs que je mobilise, tels qu’Edith Stein ou Simone Weil, restent ancrés dans l’expérience du corps. Cette approche m’a été extrêmement précieuse.
Le fait qu’une idée soit d’origine européenne ne lui confère plus de prestige particulier aux États-Unis.
Timothy Snyder
Comment expliquez-vous ce déclin relatif du prestige de la culture européenne aux États-Unis ?
Les causes sont d’abord démographiques. Les États-Unis sont de moins en moins composés de populations d’origine européenne. Et même pour celles qui le sont, ces populations vivent aux États-Unis depuis un nombre croissant de générations : leurs liens concrets avec l’Europe sont donc, dans la plupart des cas, assez fragiles, voire ténus.
Un autre facteur déterminant est la fin de la Guerre froide. Pendant cette période, les États-Unis se sont engagés de manière réfléchie avec l’Europe. Il s’agissait d’un véritable affrontement d’idées, auquel participaient activement des Européens. Et ces derniers jouaient même souvent un rôle de premier plan dans ces discussions. À cette époque, connaître le français, l’allemand ou le russe était donc essentiel pour prendre part au conflit.
Or cette période s’est terminée il y a 35 ans. Depuis, les États-Unis se sont lancés dans un projet global beaucoup plus confus qui, selon leur propre perception, ne nécessite aucun engagement profond avec une culture particulière. Par exemple, ils peuvent considérer la Chine comme un rival, mais cela ne les pousse pas pour autant à apprendre le mandarin. De même, ils peuvent considérer le Moyen-Orient comme une région importante, sans que cela n’encourage l’apprentissage de l’arabe. Tout cela a conduit à une forme d’éclatement des priorités. Il n’y a plus cette attention ciblée sur une région ou une culture spécifique, même de la part du gouvernement — et cela ne s’améliorera pas avec la nouvelle administration
Votre ouvrage plaide pour une intégration des libertés négative et positive. À quel moment ces deux conceptions ont-elles commencé à diverger aux États-Unis, et comment expliquer cette divergence ?
La liberté négative se définit comme la résistance à une contrainte extérieure : c’est la liberté que l’on acquiert lorsqu’on est opprimé et que l’on se rebelle, ou que l’on est emprisonné et que l’on s’évade. Elle est évidemment essentielle, mais elle ne peut être comprise sans la liberté positive. Cette dernière repose sur l’idée que ce qui rend l’oppression ou l’emprisonnement inacceptables, c’est qu’ils s’exercent sur un être humain doté de certaines capacités et d’un potentiel à réaliser : ce n’est pas le fil barbelé en lui-même qui est un problème, mais le fait qu’il entrave un individu. Mais, justement, couper ce fil ne suffit pas : il reste à déterminer ce qui est nécessaire pour faire de cette personne un être réellement libre.
Et dans ce cas, l’absence d’oppression ne suffit pas pour définir la liberté. Il faut un engagement moral en faveur de la liberté, mais aussi la création concrète et politique des conditions permettant aux individus de devenir des êtres libres. Autrement dit, la liberté négative est une composante de la liberté positive, mais seulement une partie de celle-ci.
D’un point de vue philosophique ou psychologique, défendre la liberté négative revient à ne jamais se poser la question de ce que l’on défend, mais uniquement de ce à quoi l’on s’oppose. Sur le plan politique, cela se traduit souvent par une hostilité envers l’État, perçu comme la source principale de l’oppression. On en vient alors à penser que réduire la taille de l’État accroît la liberté — ce qui est une erreur. La question n’est pas celle de la quantité, mais de la qualité : l’État contribue-t-il ou non à rendre les individus plus libres ? Il peut, certes, le faire en s’abstenant de les opprimer, mais aussi en leur fournissant des biens et services qu’ils ne peuvent obtenir par eux-mêmes, comme l’éducation, les infrastructures ou l’accès aux soins. Ainsi, ne considérer que la liberté négative conduit à une forme d’irresponsabilité morale, car on évite la question essentielle de l’identité et des valeurs que l’on défend. Politiquement, cela mène souvent à un affaiblissement excessif de l’État, qui le rend dysfonctionnel. Une fois qu’il est délégitimé, c’est la cohésion sociale elle-même qui est menacée, ouvrant la voie à des inégalités extrêmes et à une polarisation politique destructrice.
L’absence d’oppression ne suffit pas pour définir la liberté. Il faut un engagement moral en faveur de la liberté, mais aussi la création concrète et politique des conditions permettant aux individus de devenir des êtres libres. Timothy Snyder
Cette divergence entre libertés négative et positive trouve ses racines dans notre histoire politique. Dans le monde anglo-américain, nous sommes les héritiers d’une tradition britannique impériale de la liberté, qui présente le défaut commun à toutes les traditions impériales : elle tend à occulter les structures de pouvoir qui permettent à certains d’être libres. Dans les récits britanniques du XIXe siècle, la liberté est souvent dépeinte comme un idéal élégant et noble, où l’individu, dans sa dignité, est laissé en paix par l’État pour mener sa vie. Ce que ces récits ne questionnent pas, c’est comment cet individu — souvent un gentleman britannique — est devenu propriétaire, s’est enrichi et a acquis la capacité de philosopher sur la liberté. La réponse tient à la possession de terres, au contrôle du travail d’autrui et à la domination sur d’autres pays.
De manière analogue, aux États-Unis, la conception négative de la liberté découle largement de l’histoire de l’esclavage. Un propriétaire de plantation, possédant des esclaves et prospérant grâce à ce système, percevait naturellement sa propre condition comme une forme de liberté. Il ne considérait pas la situation des esclaves, ni celle des femmes ou des autres exclus du système. Il se contentait de se définir lui-même comme un homme libre.
Ce sont ces traditions historiques qui ont ancré la conception de la liberté négative dans les mentalités. Ceux qui la défendent occultent les conditions historiques et sociales qui l’ont rendue possible. Ce qui nous ramène à deux questions essentielles : comment crée-t-on un individu libre, et comment y parvenir sans oppresser autrui ? C’est, selon moi, le point de départ d’une discussion sérieuse sur la liberté.
La liberté négative fonctionne bien dans un contexte impérial. Elle a prospéré dans l’Antiquité grecque et romaine, tout comme aux États-Unis dans un contexte esclavagiste. Et même après la disparition des empires et l’abolition de l’esclavage, cette conception s’est maintenue. Aux États-Unis en particulier, l’histoire joue un rôle clef. Si vous êtes propriétaire d’esclaves, la seule entité capable de mettre fin à votre pouvoir est l’État : il est donc naturel que vous le définissiez comme un ennemi et la liberté comme l’absence d’État puisqu’il était le seul à pouvoir affranchir vos esclaves. Cette vision a persisté après l’abolition de l’esclavage.
Une erreur majeure a été commise dans les années 1980 et 1990, aux États-Unis comme au Royaume-Uni : on a interprété la chute du communisme comme la preuve que la liberté négative avait toujours été la meilleure conception. C’est, à mon sens, une incompréhension totale. Le communisme, en réalité, n’a pas grand-chose à voir avec la distinction entre liberté positive et négative. Mais il est intéressant de voir que, dans les années 1980, l’État-providence américain s’est affaibli, et qu’il a continué à décliner dans les années 1990. Pendant ce temps, au Canada et en Europe, cette dynamique a été beaucoup moins marquée.
On a interprété la chute du communisme comme la preuve que la liberté négative avait toujours été la meilleure conception. C’est, à mon sens, une incompréhension totale. Timothy Snyder
Cela dit, l’Europe commet une autre erreur : elle ne traite pas ces questions en termes de liberté. J’affirme, pour ma part, que les infrastructures, l’éducation ou la santé sont essentielles à la liberté, car elles permettent aux individus de devenir des êtres autonomes, imprévisibles, capables d’exercer pleinement leur libre arbitre. Mais en France, en Allemagne ou en Europe continentale en général, ces enjeux sont plutôt abordés sous l’angle de la solidarité, de la justice ou de l’égalité. Je ne conteste pas cette approche, mais je pense qu’elle repose sur un malentendu conceptuel : elle ne reconnaît pas ces éléments comme des composantes de la liberté elle-même.
Il n’y a donc pas eu, à proprement parler, de divergence fondamentale entre les traditions européennes et anglo-saxonnes. Il existe une forte tradition anglo-américaine de la liberté, mais fondée sur une conception erronée. Et, en parallèle, l’Europe met en place des pratiques qui garantissent la liberté, sans toutefois les désigner comme telles.
La distinction proposée par Edith Stein entre Leib et Körper constitue l’un des passages clefs dans De la liberté. En quoi l’accent mis sur le corps vécu permet-il de contrecarrer les effets déshumanisants de la culture numérique sur l’engagement civique ?
Le monde de la liberté négative repose sur un modèle issu de la physique classique. C’est un cadre conceptuel séduisant car il est simple et élégant. Dans cette perspective, l’individu est assimilé à un objet physique prévisible : ses intérêts sont quantifiables, ses désirs mesurables, et sa liberté se définit par l’absence de contraintes extérieures. On peut le représenter comme une boule de billard : il est contraint par les obstacles qu’il rencontre et libéré dès lors que l’on supprime ces entraves. Cette conception est attractive car elle est à la fois compréhensible et intuitive.
Mais ce qu’elle ignore, c’est précisément ce qui nous rend humains. Nos intérêts ne sont pas déterminés par une rationalité abstraite ; ils sont façonnés par ce que nous valorisons dans le monde. Or ces valeurs ne sont pas quantifiables. Elles sont propres à chacun et nous rendent fondamentalement imprévisibles. C’est précisément pour cette raison que la liberté doit être pensée aussi en termes positifs : il ne s’agit pas seulement de lever des obstacles, mais de créer les conditions qui permettent aux individus de s’épanouir et de devenir pleinement eux-mêmes. La liberté ne peut se limiter à un jeu de forces mécaniques ; elle suppose un développement, un épanouissement qui se déploie dans le temps.
Le lien avec l’univers mécanique est ici direct. Dans un monde régi par une logique purement instrumentale, l’individu est réduit à un module interchangeable, intégré à un réseau où il n’a rien d’unique. L’idée sous-jacente est qu’il ne possède aucune singularité essentielle, et que, dans la mesure où il en a une, il doit tendre vers la version la plus probable — c’est-à-dire la plus banale — de lui-même. Comme le disait Václav Havel, l’individu devient ainsi une version prévisible et conventionnelle de lui-même. Les réseaux sociaux exacerbent cette tendance en mettant en avant ce qui est le moins intéressant en nous : notre âge, notre genre, nos revenus, quelques pulsions superficielles. À partir de ces éléments, ils fabriquent une caricature de nous-mêmes, à laquelle nos cliques finissent par nous conformer.
La liberté ne peut se limiter à un jeu de forces mécaniques ; elle suppose un développement, un épanouissement qui se déploie dans le temps. Timothy Snyder
Progressivement, nous devenons ainsi plus prévisibles, donc plus manipulables. Et c’est là tout l’enjeu : plus nous sommes prévisibles, plus il est facile de nous cibler par la publicité, de diriger nos comportements de consommation, et d’influencer nos décisions. C’est pourquoi j’évite d’employer le mot technologie pour parler des réseaux sociaux. Une technologie, par définition, est un outil qui nous permet d’agir, qui accroît nos capacités humaines. Mais si un dispositif nous affaiblit, nous rend moins aptes, moins humains, alors ce n’est plus une technologie au sens propre, mais autre chose.
Comment contrer cette dynamique ?
Ceux qui prônent une vision mécaniste du monde ont déjà pris le contrôle du discours sur la liberté. Il est donc essentiel de redéfinir celle-ci dans une perspective plus riche, qui intègre l’humain, les valeurs, la vie et même la mort.
Pour cela, il faut agir concrètement. Il est impératif de créer des espaces où les jeunes ne soient pas rivés aux écrans, et cela nécessite une action éducative ou politique. Un exemple clef est celui de l’usage des téléphones portables dans les écoles : nous devons libérer les enfants de cette emprise numérique et leur permettre de vivre pleinement leur enfance. À la maison, il devient de plus en plus difficile de soustraire les jeunes aux écrans, tant ceux-ci sont omniprésents. L’école doit donc devenir un espace préservé, où les enfants peuvent interagir directement avec d’autres êtres humains et apprendre comme de véritables êtres humains.
En tant que professeur, je mets ces principes en pratique depuis près de vingt ans. Depuis 2006, je n’autorise aucun ordinateur dans mes cours. Cette règle a eu des effets profondément bénéfiques : mes étudiants apprennent mieux et, surtout, ils retiennent davantage. L’un des grands problèmes des écrans est qu’ils modifient notre rapport à la mémoire. Lorsqu’un individu utilise un écran, son cerveau tend à externaliser l’information : il considère que, puisque celle-ci peut être retrouvée facilement sur un appareil, il n’a pas besoin de l’enregistrer lui-même. Cette illusion d’apprentissage est trompeuse : ce qui semble acquis sur le moment disparaît rapidement, parfois en quelques minutes, et presque certainement en quelques années.
Bref, si nous voulons restaurer une forme de civisme, nous devons commencer par restaurer une liberté à la fois physique et intellectuelle — une liberté incarnée dans un rapport direct au monde et aux autres, et non sur une existence réduite à des interactions virtuelles et prévisibles.
Ces dernières années, on a assisté à une étrange fusion techno-césariste, qui s’est nourrie des idées libertariennes. Il semble que le libertarianisme soit passé d’une défense absolue de la liberté négative à une négation même de la liberté, au point de transformer le sens de ce mot. Comment expliquez-vous ce glissement, tant sur le plan philosophique que lexical ?
Si l’on se situe à gauche, au centre gauche, au centre, dans le mouvement écologiste ou même dans le camp conservateur traditionnel, il y a de quoi être préoccupé par cette évolution. Si l’on perd le mot « liberté », on perd aussi le concept. Et si l’on perd le concept, on perd la chose même. Il ne s’agit donc pas seulement d’un simple malentendu, mais de la possibilité d’une perte majeure.
À mon sens, il existe des libertariens « innocents » — c’est-à-dire des personnes qui croient sincèrement que la seule menace pour la liberté est l’État, sans avoir poussé plus loin leur réflexion. J’en ai connu — certains sont ou étaient des amis. Mais il existe aussi des libertariens qui ne sont pas innocents, et ce, de deux manières.
D’abord, il y a ceux qui, à l’image d’Elon Musk, cherchent délibérément à démanteler l’État parce qu’ils perçoivent celui-ci comme un obstacle à leur propre richesse et à leur pouvoir. Ils ne se préoccupent absolument pas de savoir si l’État entrave ou non la liberté d’autrui. Ce qui les intéresse, c’est qu’il constitue un frein à leurs propres ambitions. Leur engagement libertarien est fondé sur un intérêt personnel direct. Ensuite, il y a les libertariens qui, au fil du temps, ont glissé d’une erreur intellectuelle relativement élégante vers une position où la liberté signifie en réalité l’opposition aux autres. Ce glissement est à la fois psychologiquement et philosophiquement explicable.
Lorsqu’on adopte une vision strictement négative de la liberté et que l’on considère que le seul problème est l’État, on ne se pose jamais la question fondamentale de son propre être. C’est là le cœur du problème : on ne peut être véritablement libre si l’on se définit uniquement par son opposition à l’État. Cette posture conduit à une attitude réflexe et stérile où l’on se contente de répéter, comme un algorithme simpliste : « l’État est mauvais, l’État est mauvais, l’État est mauvais ». Mais cela ne dit rien de positif sur soi-même. Cela n’offre aucune vision constructive de la liberté, aucun projet d’émancipation. Cela ne pose jamais la question essentielle : qu’est-ce qui me rend libre ? Comment cette liberté se manifeste-t-elle dans le monde ? Ces interrogations restent sans réponse, car elles sont systématiquement projetées à l’extérieur, sur un ennemi désigné.
On ne peut être véritablement libre si l’on se définit uniquement par son opposition à l’État. Timothy Snyder
Il n’y a ainsi aucune responsabilité à assumer pour devenir un être libre, puisque toute l’action se résume à s’opposer à quelque chose. Dès lors, si l’on ne conçoit pas la liberté comme un processus de développement, d’épanouissement, de dépassement de soi, on finit inévitablement par se limiter à une posture purement réactionnaire. Ce vide conceptuel entraîne ensuite une dérive inquiétante. Si l’on conçoit la liberté comme une simple opposition, pourquoi la limiter à l’État ? Pourquoi ne pas s’opposer aussi aux migrants, aux personnes de couleur, aux femmes, ou à toute autre minorité ? Dans les deux cas, il s’agit d’une politique du « eux contre nous ». L’État est perçu comme une menace, mais mon voisin l’est aussi — car l’État le subventionnerait, ou aurait permis son arrivée dans mon pays. Ce type de discours glisse ainsi facilement d’une critique du pouvoir public vers une hostilité à l’égard des individus perçus comme des Autres. Il existe donc une véritable passerelle idéologique et politique entre le libertarianisme et le fascisme, et nous en sommes les témoins directs : le plus célèbre des libertariens américains vient, en effet, de reprendre à son compte des références à Hitler.
Avec la prolifération de la désinformation qui sape le débat public, quelles stratégies concrètes proposez-vous pour rétablir une base factuelle partagée, selon vous essentielle à la liberté ? Pensez-vous que l’histoire, en tant que discipline, puisse jouer un rôle dans ce processus ?
Nous sommes confrontés à une tentative concertée de remplacer la réalité fondée sur nos sens et notre mémoire par une réalité imposée par des récits façonnés par ceux qui ont le pouvoir de les diffuser. Dans ce monde de désinformation, les règles habituelles — cohérence logique, intégrité de la mémoire — n’ont plus cours. Peu importe que ces choses ne soient pas vraies, ce qui compte, c’est que nous y croyions.
Prenons un exemple : l’idée que les États-Unis vont envahir Gaza et en expulser tous les habitants. C’est faux, cela n’arrivera pas. Pourtant, cette idée s’inscrit dans un imaginaire qui est martelé chaque jour. De même, l’affirmation selon laquelle Donald Trump aurait remporté l’élection de 2020 est factuellement fausse. Mais ce mensonge n’est pas une simple contre-vérité : il est un élément d’un cadre narratif plus vaste que Trump veut imposer à ses partisans.
À cela s’ajoutent les algorithmes qui ne fonctionnent pas selon un principe de vérité, mais selon ce que nous voulons entendre. Or ce que nous voulons entendre est souvent ce qu’il y a de plus prévisible, et parfois de pire en nous. En nous laissant aspirer par ces récits construits sur mesure, nous perdons notre autonomie. Nous croyons suivre notre propre chemin, alors que nous nous laissons guider par des histoires que d’autres ont fabriquées pour nous.
La première chose à faire pour contrer cette dynamique est de réaffirmer une idée qui, aujourd’hui, peut sembler naïve : croire en la vérité. Je le dis souvent devant de larges publics, et je constate toujours une certaine perplexité. Après des décennies de French Theory, affirmer que la vérité existe peut sembler presque enfantin. Pourtant, abandonner cette idée, même en admettant que la vérité est une construction humaine, revient à se livrer aux manipulateurs d’émotions. Et ce faisant, on alimente une dynamique proprement fasciste, où l’émotion l’emporte sur la raison et où l’impulsion remplace l’action réfléchie.
Il faut donc d’abord affirmer que certaines choses sont vraies et d’autres ne le sont pas. Ensuite, il faut produire des faits. Nous avons assisté à un double processus : d’abord, l’érosion de la « factualité » dans l’espace public, puis la disparition de repères factuels qui permettent d’interrompre le flot des discours imposés. Les faits jouent le même rôle que des pavés sur une route accidentée : ils nous forcent à ralentir, à prêter attention à notre environnement.
Le plus célèbre des libertariens américains vient de reprendre à son compte des références à Hitler. Timothy Snyder
Or les faits ne surgissent pas spontanément. Ils nécessitent un immense travail de production et de vérification. Ceux qui les détruisent le savent très bien, ce qui explique leur méfiance envers la presse et la science. Supprimer ces sources de factualité, c’est supprimer cette « friction utile » qui nous permet de voir la réalité telle qu’elle est. Si nous voulons préserver la démocratie et garantir la liberté, nous devons donc recréer des faits en permanence. Cela passe par le soutien au journalisme, qui doit être traité comme une profession honorable et rémunérée à sa juste valeur. Cela concerne également la recherche scientifique et, bien sûr, l’éducation.
C’est ici que l’histoire joue un rôle central. Apprendre l’histoire, c’est apprendre à être un arbitre du factuel. Contrairement à une vision simpliste, l’histoire ne consiste pas à lire un document et à le prendre pour vérité. La méthode historique est un processus de reconstruction rigoureux, qui nous permet de découvrir une vérité en croisant des sources, en analysant les intentions et en reconstituant un récit plausible. C’est ce que l’intelligence artificielle ne peut pas faire : elle se contente de juxtaposer des affirmations opposées et de conclure que « la vérité se trouve sans doute au milieu » — ce qui est absurde et profondément réducteur.
L’histoire nous apprend également à distinguer ce qui est possible de ce qui ne l’est pas. Le discours libertarien et celui des géants technologiques reposent sur une promesse fallacieuse : « tout est possible ». C’est faux. Tout n’est pas possible, ne serait-ce que parce que certaines choses sont contradictoires. Et lorsqu’on se rend compte que ces promesses étaient illusoires — qu’on ne vivra pas éternellement, que notre bien-être ne s’améliore pas — on nous sert un nouveau discours : « rien d’autre n’était possible ».
Nous sommes aujourd’hui dans cette phase : celle de l’absence d’alternative. Le moment actuel rappelle l’Union soviétique sous Brejnev : on nous promettait une grande révolution technologique. À la fin, les gens se retrouvaient isolés, vivant dans de petits appartements mornes. Mais on leur répète que la révolution a bel et bien eu lieu et qu’ils vivent dans le meilleur des mondes possibles. L’histoire permet de briser ce récit. Elle nous montre que certaines choses sont possibles, que le changement est envisageable. Dire que « tout est possible » est une illusion. Dire que « rien n’est possible » est un piège. Mais affirmer que certaines choses sont possibles, en s’appuyant sur le passé pour éclairer l’avenir, est un acte profondément libérateur.
Le moment actuel rappelle l’Union soviétique sous Brejnev : on nous promettait une grande révolution technologique. À la fin, les gens se retrouvaient isolés, vivant dans de petits appartements mornes. Timothy Snyder
En tant qu’historien de l’Europe du milieu du XXe siècle, les événements actuels vous amènent-ils à reconsidérer ou à mieux comprendre certains aspects de la période sur laquelle vous travaillez ? Y a-t-il des processus ou des dynamiques que vous repensez à la lumière du présent ?
Il y a une interaction dans les deux sens : les exemples du passé aident à éclairer le présent, mais l’actualité peut aussi affiner notre compréhension des dynamiques historiques. Je tiens cependant à ne pas trop les confondre. Cela dit, je suis frappé par certaines similitudes entre les milliardaires de la Silicon Valley et les bolcheviks les plus radicalisés.
Ce qui me frappe particulièrement, c’est cette croyance quasi messianique qu’il existerait un moment de rupture absolue où l’on pourrait échapper aux contraintes du temps et des structures existantes, et repartir à zéro. Cette posture de fanatique exalté m’aide à mieux comprendre la mentalité révolutionnaire des bolcheviks, d’autant qu’il existe un parallèle de fond : dans les deux cas, on observe un déterminisme technologique, une foi aveugle dans l’idée que le progrès technique peut, à lui seul, garantir la liberté.
Chez les bolcheviks, la technologie salvatrice était la production de masse. Ils pensaient qu’en industrialisant comme les Américains, en produisant à grande échelle, ils pourraient abolir la propriété privée et rendre les individus égaux. Chez les leaders des Big Tech, l’illusion repose sur la vitesse et la puissance du numérique : grâce aux transistors et à l’informatique, nous pourrions créer un monde alternatif où chacun serait libre. Mais dans les deux cas, il s’agit d’une dépendance intellectuelle excessive à une transformation technologique, perçue comme une solution magique.
Au fond, ce que ces deux idéologies partagent, c’est une conception purement négative de la liberté. L’idée est de nous libérer — de la propriété privée pour les bolcheviks, du monde physique pour les technophiles — sans réelle vision de ce qui advient ensuite. L’une des failles majeures du bolchevisme, selon moi, réside précisément dans ce vide conceptuel : une fois la propriété privée supprimée, que se passe-t-il ? Il ne suffit pas de décréter que tous seront égaux ; cela ne correspond pas à la nature humaine. De la même manière, pour certains patrons de la tech — je pense ici aux Musk et autres techno-césaristes —, l’émancipation numérique suppose que nous nous détachions du monde physique. Or une fois cette transition opérée, il s’avère que nous ne sommes pas libres, mais réduits à des consommateurs passifs, uniformisés et vulnérables, prêts à leur céder notre argent et notre attention.
Autour de Trump, ceux qui tiennent réellement le pouvoir forment une nouvelle oligarchie, une sorte de Politburo invisible, dont les membres ne sont pas censés être identifiés comme tels. Timothy Snyder
Un autre parallèle troublant réside dans l’idée du « dépérissement de l’État ». La révolution bolchevique promettait un État transitoire, dirigé par une avant-garde, qui s’évanouirait une fois le communisme pleinement réalisé. Or, en pratique, lorsque l’État s’effondre, il est toujours remplacé par autre chose : en l’occurrence, par un comité restreint de dirigeants, le Politburo, qui centralise tous les pouvoirs. C’est précisément ce que nous observons aujourd’hui. Aux États-Unis, l’État est en train d’être affaibli de manière délibérée. Mais ceux qui tiennent réellement le pouvoir forment une nouvelle oligarchie, une sorte de Politburo invisible, dont les membres ne sont pas censés être identifiés comme tels.
Il ne s’agit pas d’une disparition du pouvoir, mais de son déplacement vers un cercle encore plus restreint et opaque.
Depuis la victoire de Donald Trump, le Parti démocrate semble désorienté, voire démuni. Pensez-vous qu’il ait les ressources nécessaires pour s’approprier pleinement la cause de la liberté telle que vous la définissez ?
Il faut d’abord préciser que l’opposition ne se résume pas au Parti démocrate. D’autres institutions peuvent jouer un rôle crucial pour résister au trumpisme, comme les syndicats — bien qu’ils soient aujourd’hui bien plus faibles qu’ils ne devraient l’être.
Il me semble aussi essentiel de distinguer deux périodes : novembre 2024 et le printemps 2025. Ce sont, à mes yeux, deux moments historiques très différents. En 2024, l’enjeu pour les démocrates était de gagner afin d’empêcher une catastrophe, mais faire campagne pour éviter un désastre n’est pas la même chose qu’organiser l’opposition. Par ailleurs, bien que ce ne soit pas une opinion très répandue, je ne suis pas convaincu que leur campagne ait été si mauvaise. Certes, il y aurait eu des ajustements à faire, mais ils affrontaient des obstacles considérables : le fait d’être sortants qui, en 2024, a joué systématiquement contre tous les candidats en place, et un environnement médiatique fortement biaisé en faveur de la droite. Malgré cela, ils ont obtenu un résultat très serré, Trump n’ayant même pas dépassé la barre des 50 %.
Le printemps 2025 ouvre une tout autre séquence. Je ne pense pas que l’essentiel soit de revenir encore et encore sur les raisons de la défaite. Ce qui compte, c’est que la situation a radicalement changé : l’ampleur du danger que représentent Musk et Trump crée de nouvelles opportunités politiques qui n’existaient pas auparavant. Désormais, Trump n’est plus un candidat s’opposant au système : il est le système et il tente de le démanteler. Cette dynamique crée des lignes d’attaque inédites. Il est possible d’exploiter l’inquiétude collective face à l’effondrement des institutions, face à la fragilité d’un État affaibli, face à une Amérique qui, loin d’avoir retrouvé sa grandeur, devient la risée du monde. Il y a aussi des préoccupations plus immédiates : personne n’aime voir des avions tomber du ciel ou constater l’effondrement des infrastructures essentielles.
La vraie question est donc la suivante : les démocrates et d’autres acteurs politiques seront-ils capables de s’adapter à cette nouvelle situation ? Paradoxalement, c’est une période prometteuse pour eux : ils peuvent attaquer tous azimuts. Qui a élu Elon Musk ? Pourquoi exerce-t-il un pouvoir si démesuré alors qu’il est massivement impopulaire ? Pourquoi détruit-il des éléments fondamentaux de la vie quotidienne alors que les citoyens y tiennent ?
Désormais, Trump n’est plus un candidat s’opposant au système : il est le système et il tente de le démanteler.
Timothy Snyder
Cela étant dit, je pense qu’il ne suffit pas de se contenter d’une opposition réactive. Il faut proposer une alternative positive. Et pour moi, cette alternative passe par une véritable réappropriation du concept de liberté. Si De la liberté est un ouvrage philosophique, il a néanmoins des implications politiques : la liberté peut être le socle qui fédère des idées issues de la gauche traditionnelle, du conservatisme modéré et du libéralisme, pour bâtir un projet institutionnel ambitieux et cohérent.
Il ne s’agit pas simplement de reprendre la notion de liberté comme un slogan tactique — ce que les démocrates ont tenté de faire. Il faut la redéfinir en profondeur, lui redonner toute sa richesse conceptuelle. Cela permettrait, par exemple, d’articuler dans un même discours l’idée qu’il est inacceptable que la technologie asservisse nos vies et que l’accès universel à l’assurance santé est une véritable libération. La liberté doit redevenir une notion englobante, un principe structurant capable de porter un projet de société.
Notre dépendance numérique aux États-Unis est extrême. Il est temps d'inclure la relocalisation numérique dans nos plans de réindustrialisation.
publié le 12 février 2025 🇬🇧 This post is also available in English
Il y a un an, nous lancions le projet "Cartes" : créer, en France, une carte numérique ouverte et écologique. Depuis, Trump a été réélu plutôt qu'incarcéré. Musk l'a beaucoup aidé en faisant de sa personnalité, notre naïveté, sa fortune et son rachat de Twitter des armes électorales décisives dans la démocratie états-unienne défaillante.
Puis il a fait un salut nazi lors de la cérémonie d'investiture du chef de l'État le plus puissant du monde, avant d'entamer une prise de pouvoir qui a tout l'air d'un coup d'État.
Le patron de Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp) a embrassé la politique ultra-conservatrice de Trump. Les autres GAFAM se sont docilement rangés comme constituants de premier niveau de ce nouveau bloc ploutocratique. Même le géant suédois de la musique Spotify, géant numérique de niveau deux, a fait acte d'allégeance au président du pays en voie de fascisation.
En France, les câbles de cet outil d'ingérence étrangère que Musk utilise pour faire élire l'extrême-droite en Europe n'ont toujours pas été coupés. On comprend pourquoi : l'écrasante majorité de nos politiciens y sont toujours hyper-actifs, de droite comme de gauche.
Pour ces membres du "front républicain", 200 000 followers (dont une part insondable de robots) valent définitivement plus qu'un boycott du plus puissant des médias d'extrême-droite où leur voix pèse moins qu'une grimace sur le plateau de Pascal Praud.
État des lieux de notre délocalisation numérique
Alors que la démocratie états-unienne se fait détricoter, peut-être ne réalisons-nous pas ce choc moral, géopolitique, politique, écologique, économique, et numérique en cours. C'est sur ce dernier que l'on va s'attarder ici.
Peut-être qu'à l'inverse nous le réalisons entièrement, mais nos réflexes de survie géopolitique ne se sont pas encore déclenchés.
En 2020, le covid a fait émerger le besoin de réindustrialisation. Ne plus être capable de produire une chose aussi élémentaire qu'un masque sanitaire ou des médicaments essentiels a fait réagir.
Nous devons comprendre qu'il en est de même pour les services numériques les plus basiques qui rythment notre vie moderne. Chaque jour, combien d'appels vers les serveurs de l'oncle Sam faisons-nous
Vous avez commencé à compter ? Bon courage. En particulier, nous n'avons aucun moteur de recherche européen digne de ce nom. Ecosia, Qwant, Lilo et les autres ne sont tous que de la peinture sur les deux index du Web ultra-dominants, Google et Bing.
Notre matos numérique lui aussi est également entièrement dépendant d'intérêts étrangers, en premier lieu nos smartphones : aucun smartphone fait en France, malgré les annonces.
On sait faire des slips made in France à 60 € pièce, mais pas l'objet qu'on consulte 500 fois par jour. Nous n'avons pas non plus de système logiciel mobile qui soit français ou européen, Android et iOS ayant détruit toute concurrence. En conséquence, nous n'avons aucun levier d'influence sur les gains comme les problèmes sociétaux que les smartphones entraînent.
Pas besoin de faire couler beaucoup d'encre pixelisée pour justifier la critique du besoin de faire défiler son mur social toutes les demi-heures. D'envoyer d'éphémères photos rigolotes à nos amis. De commander la dernière babiole à 2€68 sur Shein. D'utiliser des cartes numériques plutôt que d'interroger les passants pour trouver la boulangerie du quartier.
Mais c'est un faux-dilemme : notre dépendance numérique "flâneuse" du quotidien se retrouve insidieusement dans les usages de tant de métiers qui, coupés de ces services numériques états-uniens, s'effondreraient. Nos hopitaux dépendent de Microsoft, et plus spécifiquement de la filiale d'évasion fiscale irlandaise du M de GAFAM. Nos données de santé sont hébergées chez Microsoft.
Nos usages "loisir" du quotidien sont la partie immergée de l'iceberg de notre dépendance numérique étrangère
La SNCF, opérateur de 99 % des voyages en train (l'idéologie de la concurrence n'ayant toujours pas fait trembler la réalité du monopole naturel) a migré chez AWS, la filiale de cloud d'un des deux A de GAFAM. Ses responsables en sont très fiers. Plus d'Amazon ? Plus de voyages en TGV.
Osons espérer que seul le système de réservation serait KO, pas le numérique des gares et du réseau.
Des centaines de milliers de cadres dirigeants, dont des fonctionnaires, connectent volontairement leur messagerie pro à Gmail car ils s'estiment dépendants de la fluidité de son interface, donnant au passage accès au G de GAFAM à chacune des considérations stratégiques de l'organisation.
Combien de professions essentielles, dont des services d'urgence ou de sécurité ont leur véhicule branché à chaque trajet sur Google Maps ou Waze (filiale de Google) ? Combien d'associations ont construit l'intégralité de leur communication externe sur Facebook et interne sur Whatsapp, possédées par le F de GAFAM ?
Au sommet de l'État, Emmanuel Macron lui-même utilisait Telegram lors de son premier mandat, sans que ça ne semble choquer suffisamment en interne et dans son parti. Jusqu'à ce que la Direction du Numérique intervienne.
Il est évident que pour la SNCF, utiliser AWS est un gain de court-terme. Leur facture mensuelle doit être salée, mais pas autant qu'un fiasco numérique d'1 milliard d'€ offert par une "Entreprise de Services Numériques", ces géantes de la prestation qui souvent avalent d'immenses sommes en surfant sur l'illetrisme numérique des commanditaires ne sachant pas différencier un blog statique d'une application complexe et couteuse, et qui n'ont jamais compris qu'on peut créer un logo sur Inkscape en quelques heures plutôt que de débourser 200 000 €.
Délocaliser la production de masques, ce fut également une opération très rentable sur le court-terme, mais aux conséquences catastrophiques se chiffrant à des milliers de morts lors de la première crise sanitaire.
Peut-être sommes nous en train de vivre le même moment pour le numérique. On imagine les débats enflammés ayant lieu actuellement dans les "DSI" (direction des services informatiques) : les uns trouvant l'idée de signer un deal à des millions d'€ avec le géant états-unien soumis à Trump, scandaleuse ; les autres paralysés par l'idée de tout refaire, trouvant cela peu "pragmatique".
Et d'autres, ne les oublions pas, en accord avec les idéaux d'extrême-droite états-uniens, ces autoproclamés "patriotes" prompt à vendre notre souveraineté au dictateur qui les fascine le plus.
Relocaliser notre numérique semble physiquement moins intéressant que le reste de l'industrie. Car les paquets d'octets traversent les océans en quelques millisecondes et sans jamais s'y bloquer.
Pourtant ces autoroutes de l'information que sont les câbles sous-marins peuvent être coupés, comme le montre la "guerre hybride", maintenant ouvertement appelée guerre froide sous-marine, en mer baltique.
Une perte de réseau filaire et cellulaire peut déstabiliser une région entière, comme l'illustre grâvement la série finlandaise Conflict.
Ces coupures sont pourtant l'occasion de montrer la résilience d'internet, incomparable à la fragilité des pipelines d'hydrocarbures.
Un autre intérêt national primordial est incroyablement plus fragile qu'internet : nos démocraties. Les débats récurrents sur l'interdiction de TikTok, notamment pour cause d'ingérence dans les élections comme cela fut avéré en Roumanie lors des présidentielles 2024. C'est cela qui doit nous alerter : l'utilisation des plateformes numériques comme des armes géopolitiques.
Exercice de prospective : juin 2025, Trump amasse l'US Navy dans les eaux du sud du Groenland. Que font le Danemark, le Royaume-Uni, l'Union Européenne ?
Rejetez le réflexe de pensée "non mais il ne fera jamais ça", tout comme nous aurions du le faire avant que la Chine ne lance ses exercices militaires de pression sur Taïwan, et surtout que Poutine n'envahisse l'Ukraine, que la Corée du Nord s'implique dans l'invasion de l'Europe, que Musk fasse son salut nazi, ou que le duo Trump-Netanyahou n'expriment leur volonté de vider Gaza de ses habitants. Non, réfléchissez aux conséquences comme si c'était acté.
Pensez-vous que Trump et ses généraux sont suffisamment stupide pour ignorer que leurs GAFAM font tourner l'économie, voir les armées française et européennes ? Bien sûr que non.
La domination des GAFAM est une dissuasion nucléaire
Leur main-mise sur nos systèmes d'information est une arme atomique : elle permet de dissuader toute opposition. Car comme la bombe, son utilisation aurait des conséquences difficiles à imaginer.
Nous avons tous l'habitude d'imaginer un accident nucléaire comme la pire des attaques sur un pays. Nous avons tort : le black-out électrique est tout aussi redoutable. Quelles seraient les conséquences d'une paralysie numérique d'une grande partie de nos hôpitaux et services d'urgence ?
« Nous avons fait l'erreur de compter sur le gaz fossile de Poutine. Nous faisons aujourd'hui l'erreur de compter sur les technologies numériques de Trump. S'il décidait de nous couper l'accès aux technologies Google et Microsoft, nous serions contraints de retourner aux annuaires papier », raconte le directeur d'Ecosia en janvier dans ce papier où l'on apprend que Qwant fut mis en danger quand Bing décida il y a 2 ans d'augmenter fortement ses coûts.
La perfection des interfaces utilisateur des GAFAM, leur rapidité, leur innovations hebdomadaires, leurs mécanismes d'addiction parfaitement réfléchis par les meilleurs designers du monde sont irrésistibles : les français ont une très bonne image des GAFAM (à l'exception notable de Facebook). Nous profitons tous depuis 20 ans d'une gratuité d'accès à des services extrêmement coûteux. Gratuité de façade évidemment : nous le payons via la publicité, et surtout la perte de souveraineté numérique.
Mais comme une attaque nucléaire, la dissuasion joue dans l'autre sens : la menace accomplie, la confiance des autres pays dans les GAFAM s'effondrerait du jour au lendemain. Leur cotation boursière plongerait, car limités au marché intérieur des États-Unis, les Google et Facebook diviseraient leur nombre d'utilisateurs et donc leur revenu et influence par 10. Étant donné leur place au S&P 500, le choc financier états-unien serait immense. Google sans la confiance internationale n'est plus qu'un Qwant états-unien
Il est de coutume en France de prendre plaisir à ridiculiser nos services numériques. Nous nous démarquons par un chauvinisme inversé. Ce qui n'est pas étranger risque vite de se faire taxer de ringard. Deezer n'a aucune différence fonctionnelle importante avec Spotify, mais perdant le marché intérieur français, elle s'est faite racheter par un consortium russo-états-unien.
Instagram est une application basique qui se recode facilement, mais qui peut lutter contre l'attraction du si tendance californien insta ? Pour chaque critique des services des GAFAM, la communauté des designers numériques français en feront 10 sur SNCF-Connect. Car elle cumule trois défauts impardonnables : elle est française, elle a "SNCF" dans son nom, et elle n'est pas privée.
Pourtant, la France regorge de talents dans le monde du numérique. Les Français sont au coeur de la conception des meilleures LLM mondiales qui concurrencent ChatGPT. Les faiseurs sont présents, reste à vouloir les mobiliser, à leur faire confiance.
Aucune application numérique à succès n'a été construite par des hommes en costard dans un bureau de "maîtrise d'ouvrage" pilotant des managers d'entreprise de service numérique pilotant des consultants au turnover dit "tournesol". Aucune.
Un changement de mentalité des citoyens comme des dirigeants est un préalable à la reconstruction d'une souveraineté européenne.
Notons que l'État fait à cet égard nombre d'efforts, en déployant la messagerie chiffrée souveraine Matrix ou en créant sa suite numérique, une réponse claire à l'offre complète Gmail entreprise. Dans le privé, des acteurs comme le suisse Infomaniak ou le français Zaclys n'ont pas le budget ni le haut-parleur marketing de Google, mais déjà une partie de son talent.
Le président de la République n'utilise plus Telegram et a créé un rapport de force avec le responsable de cette messagerie qui fermait les yeux sur du trafic d'esclaves au Moyen-Orient (voir l'enquête du Monde : attention, son contenu est très dur à encaisser).
Ces initiatives ne sont qu'une continuité du lancement en 2017 du programme beta.gouv.fr, lui même porté par l'arrivée du logiciel libre au sein de l'administration confirmé par la Loi pour une République Numérique.
L'une des voies possibles pour se défaire des GAFAM consiste en effet à favoriser des intérêts privés nationaux. La France ne manque pas de puissantes sociétés privées d'informatique : Dassault Systèmes, Cap Gemini et autres ESN, Critéo, Doctolib, etc.
D'une, le risque de cette voie capitaliste traditionnelle est de reproduire nombre de problèmes propres aux GAFAM sur notre territoire national, y compris les collusions monopolistiques et duopolistiques contre lesquelles la commission européenne peine tant à lutter. Veut-on recréer un Meta français qui posséderait nos réseaux sociaux, notre messagerie instantanée, notre IA de recherche favorite, nos smartphones, leur système de paiement et leurs cartes numériques ?
De deux, le risque d'un impossible rattrapage des GAFAM via ces initiatives "boîte noire" est également important. Sans partage, sans mise en commun, certaines briques prennent une décennie à être recodées.
Si Mistral a pu talonner OpenAI, c'est grâce à l'open source, au logiciel libre. Idem pour le Chinois DeepSeek. Si Mappy peut proposer une carte numérique aussi détaillée que Google Maps sans ses milliards d'€ d'investissement, c'est grâce au projet collaboratif et libre OpenStreetMap.
Même Apple et Microsoft, pour rattraper l'immense avance de Google Maps, s'y sont mises dans une certaine mesure. Qwant avait fait de même en lançant ses Maps.
Qwant Maps est aujourd'hui repris dans les grandes lignes par Cartes.
L'équivalent d'OpenStreetMap pour les moteurs de recherche européen reste à construire et ce serait une erreur de le privatiser.
C'est grâce à leurs protocoles ouverts et la transparence de leur code que Mastodon et Bluesky ont pu concurrencer X et le Threads du F de GAFAM. Que l'association Framasoft a pu proposer des alternatives aux services Google malgré son financement lilliputien.
Dans un article intitulé La Bibliothèque Nationale de Fabrication, nous esquissions il y a 5 ans une solution radicale à notre perte de souveraineté numérique. Qui n'aura sûrement pas manqué de donner le tournis aux croyants du dogme de la main libre du marché, et dans le même temps aux partisans du repli national.
Alors que Mastodon est un projet européen, Bluesky est états-unien. Pourtant, il est entièrement open source et intéropérable, ce qui dilue énormément sa nationalité. Reste à construire une instance Bluesky sur le sol européen, maintenant que ses ingrédients nous sont servis sur un plateau.
C'est légitime, personne ne veut que l'État français stocke ses photos de vacances sur ses serveurs à la place de Google. Mais il a un rôle important à jouer pour donner des coups dans la fourmilière de notre dépendance numérique, et organiser sa colonne vertébrale logicielle open source.
Car la radicalité s'impose, face à l'adversité géopolitique. À l'instar de Poutine, chaque hésitation face à Trump et le vrai président non-elu Musk, chaque crainte de les braquer mènera à un regain de confiance de leur part quand à la faiblesse numérique européenne.
Il est urgent que l'Europe acte sa position de dominé et mise grand sur l'ouverture du code et la collaboration Européenne pour relever le défi de la relocalisation numérique.
Nous avons tous et toutes une mère et un père biologiques. Eux, à leur tour, ont eu les leurs, de sorte que nous avons deux grands-pères et deux grands-mères. Si l'on revient en arrière: huit arrière-grands-parents, seize arrière-arrière-grands-parents, etc. Si trente ans séparent chaque génération de la précédente, nous aurions pu arriver à avoir environ 16.000 ascendant·es au début du XVIIe siècle, environ 16 millions au début du XIVe siècle et environ 16 milliards à l'aube du XIe siècle, il y a environ 1.000 ans.
Vous aurez compris qu'à ce stade, c'est tout simplement impossible: il n'y a jamais eu autant d'êtres humains vivant au même moment.
Sans revenir trop en arrière, le nombre réel de nos ascendant·es est très inférieur à celui qui est calculé à travers ces opérations. La raison est simple: beaucoup de nos ancêtres appartiennent à plusieurs lignées généalogiques. Plus les ascendant·es se rapprochent dans le temps, plus cela devient improbable, mais plus nous reculons, plus la probabilité augmente.
Au début du XIVe siècle, on comptait 450 millions de personnes dans le monde (environ 70 millions en Europe). Il est donc possible de retomber sur les chiffres théoriques calculés au début de l'article: nos 16 millions d'ancêtres auraient pu vivre à cette époque en même temps.
Mais si l'on retourne au XIe siècle, on estime que seulement 400 millions vivaient sur Terre, environ 50 millions en Europe. Le calcul théorique des 16 milliards d'ancêtres devient donc faux.
Doit-on vraiment utiliser l'image d'un «arbre» généalogique?
Nous parlons, en général, d'arbre généalogique, car nous visualisons notre lignée comme un arbre qui se ramifie progressivement vers l'arrière. Mais la réalité est très différente. Quelques branches se rejoignent à partir de générations peu lointaines, et si nous remontons à une époque plus éloignée, il est inutile de parler de branches. Les lignées généalogiques structurent une espèce d'enchevêtrement ou, si vous préférez, un filet aux multiples nœuds.
D'autre part, de nombreuses lignées ne laissent aucune descendance. Au fur et à mesure que nous remontons dans le temps, le filet devient de plus en plus étroit: on calcule qu'à l'aube du Néolithique, il y a environ 12.000 ans, moins de 4 millions de personnes vivaient dans le monde, environ 60 millions à l'époque homérique, et un milliard au début du XIXe siècle.
Adam Rutherford affirme, dans son livre ADN: quand les gènes racontent l'histoire de notre espèce, que tous les individus qui ont une ascendance européenne viennent, d'une manière ou d'une autre, de Charlemagne. Par conséquent, nous appartenons tous à une lignée royale! Ce n'est pas une blague, même si cela est complètement hors-sujet. Les personnes ayant un ancêtre européen descendent non seulement de Charlemagne, mais proviennent également de tous les Européens de son époque –autour de l'an 800– qui ont laissé une descendance et sont arrivés jusqu'au XXIe siècle.
Il est inutile de remonter si loin pour déterminer le moment où se rejoignent nos descendances généalogiques. Les Européens partagent un ou une ancêtre commun qui aurait vécu il y a environ 600 ans. Et si les mêmes calculs qui ont permis d'obtenir ces chiffres se font pour toute l'humanité, on estime que tous les êtres humains partagent un ancêtre commun qui a vécu il y a 3.400 ans. Car, même si c'est difficile à croire, on ne connaît aucune population qui serait restée entièrement isolée pendant ces derniers siècles.
Ce genre de choses est assez déconcertant. Pensez-y, si vous avez déposé un échantillon de salive dans un tube pour le faire analyser par une entreprise de généalogie génétique et que l'on vous a annoncé que votre lignée rejoignait des ascendant·es de tribus guerrières de steppes russes, de braves Vikings qui semèrent le chaos et la destruction en Europe, et d'Égyptiens qui construisirent les pyramides. Il est très probable que vous ayez cette ascendance.
Comme moi.
Devinez qui a eu cette idée folle, un jour d'inventer les minuscules.
Quand on regarde notre alphabet, une particularité saute instantanément aux yeux. Chacune des vingt-six lettres qui le composent a une version minuscule et une version capitale (appelée majuscule quand elle est située au début d'une phrase ou pour les noms propres par exemple). Pour l'instant, on ne vous apprend rien.
Si l'on s'arrête un instant sur cette caractéristique, il y a malgré tout de quoi se poser une question: pourquoi? Pourquoi se barder de deux types de lettres, quand une seule aurait a priori pu suffire? Bon, d'accord, l'écriture aurait sûrement été légèrement moins esthétique, peut-être un chouïa plus rustique, mais tout de même. Pourquoi s'être autant compliqué la vie, alors qu'à elles seules, les lettres capitales auraient pu suffire?
Si l'on devait réécrire le paragraphe précédent TOUT EN CAPITALES, rien, ou presque, ne vous empêcherait en effet de le lire et de le comprendre. Complexification inutile? Esthétisation calligraphique un tantinet snob? Que nenni. Pour comprendre, il faut retourner près de treize siècles en arrière.
Aux prémices de l'histoire de l'écriture, on ne se prenait pas vraiment la tête avec cette histoire de minuscules et de capitales. Les premiers alphabets, apparus vers 3.500 avant J.-C, reposaient sur des pictogrammes et des idéogrammes, avant d'évoluer vers des alphabets plus abstraits, comme celui des Phéniciens, ancêtres de notre alphabet latin.
Vient ensuite l'Antiquité. L'écriture se faisait essentiellement en capitales, notamment en gravant des inscriptions dans la pierre ou le bois avec un burin. Cela ne nécessitait pas, là encore, d'alphabet à deux niveaux graphiques. Et l'usage des capitales s'est imposé comme standard à cette époque.
Pourquoi ne pas s'être arrêté ici, quand il était encore temps? Allez le demander à notre bon vieux Charlemagne! Eh oui, l'ancien roi des Francs et empereur carolingien a toujours eu le don de mettre un sacré coup de pied dans la fourmilière et marquer l'histoire. La façon dont il bouleversa l'usage de l'écriture le montre encore une fois. Un changement qui n'est pas amorcé par pur snobisme ou facétie, mais plutôt par nécessité… économique!
Sous le règne de Charlemagne, entre 768 et 814, les moines bénédictins, chargés de recopier les textes sacrés et administratifs, cherchaient une manière plus efficace d'écrire. Une manière moins coûteuse, aussi: les parchemins sur lesquels ils écrivaient étaient fabriqués à partir de vélin, la peau de veau mort-né plus fine que le parchemin ordinaire, et coûtaient une fortune.
Problème, l'utilisation des lettres capitales, qui était d'usage à l'époque, prenait beaucoup de place. Vraiment beaucoup de place. Les parchemins étaient remplis en deux coups de plume à cause de ces lettres imposantes.
Afin de maximiser l'espace disponible et d'écrire davantage de texte sur chaque feuille, les moines ont mis au point une écriture plus compacte: les minuscules. Cette innovation, inspirée des capitales romaines et de l'onciale, une écriture aux formes arrondies utilisée au Moyen Âge, permettait de réduire la taille des lettres tout en maintenant une bonne lisibilité. C'est ainsi qu'est née l'écriture caroline, qui servira de base à nos lettres minuscules actuelles. Le summum de l'optimisation.
Avec le temps, l'utilisation des capitales et des minuscules va prendre racine, jusqu'à l'invention de l'imprimerie en 1450, qui va définitivement en fixer l'usage. Pourquoi un tel engouement, alors que le papier est désormais moins cher et que les moines ont été remplacés par tout un chacun?
La réponse est simple, l'utilisation de ces deux graphies, notamment minuscule, a des atouts incontestables, qui peuvent séduire tout auteur. Que vous soyez moine ou non, du moment que vous écrivez à la main, vous avez déjà pu vous en rendre compte: les minuscules, plus arrondies et plus rapprochées, rendent l'écriture manuscrite bien plus rapide et moins fatigante.
C'est aussi sans compter une autre qualité indéniable à leur emploi: les majuscules donnent une meilleure lisibilité aux textes, notamment imprimés. Mise en évidence des noms propres et des débuts de phrase, fluidité de lecture, multiplication des options de design graphique… Oui, l'utilisation des minuscules et des capitales est, aujourd'hui, aussi incontournable qu'irremplaçable.
Les moyens de communication moderne ont beau se développer, il vous faut toujours peaufiner à la main ce signe distinctif
L’été dernier, le musée Guggenheim a consacré une exposition à l’artiste polonaise Agnieszka Kurant. Y figurait «The End of Signature» [«La fin des signatures»]: un stylo mécanique automatique réalisant des signatures identiques toutes les trente secondes. Cette installation avait été inspirée par «le déclin de l’écriture manuscrite et la domination des claviers et de la communication numérique». De fait, nous passons désormais bien plus de temps à tapoter sur nos claviers qu’à écrire à la main. Pour autant, la signature manuscrite ne semble pas avoir dit son dernier mot –loin de là…
Pas un jour ne passe sans que je doive signer des documents de ma propre main: achats par carte de crédit, chèques, contrats, baux, déclarations de revenus, registres d’hôtels, reçus de colis postaux... J’effectue certes certaines de ses signatures, tant bien que mal, du bout de mon index ou à l’aide d’un stylet en plastique peu maniable, et non à l’aide du traditionnel duo papier-stylo. Mais le procédé en lui-même (signer mon nom de ma propre main) demeure bien, pour l’essentiel, le même.
Vous vous êtes sans doute déjà mis en quatre pour trouver une imprimante et un scanner afin d’expédier d’importants documents ici ou là –et vous avez sans doute imploré les dieux de l’informatique pour leur demander, entre deux sanglots, s’il n’existait pas une situation plus pratique. Mais rien n’y a fait. Et si certaines pratiques ont disparu depuis longtemps (déplacement à la banque pour chaque transaction; paiement des factures par courrier), la tyrannie de la signature manuscrite perdure.
La technologie, source de mille bienfaits, n’est jamais parvenue à simplifier ce domaine a priori bien peu complexe. Pire –elle a transformé un acte simple et direct en un processus multi-technologique en trois temps: impression, signature, passage au scanner (sans parler du broyeur à papier, s’il s’agit d’un formulaire ou d’un contrat de nature confidentielle).
«Il y a une vingtaine d’années, on pensait que les signatures numériques finiraient par remplacer la signature manuscrite, explique Ronald Mann, professeur à la Columbia Law School. Technologiquement parlant, les signatures numériques sont très intéressantes, mais le processus de transition s’est avéré particulièrement complexe.»
La plupart des complications en question proviennent des conventions sociales –notre incapacité à comprendre ce que sont réellement les signatures numériques, et comment les apposer sur des documents ou sur des fichiers. Mann explique que, de nos jours, il n’existe plus guère de transactions qui requièrent des signatures manuscrites physiques – à l’exception des ventes de terrains et de biens immobiliers.
C’est toujours ainsi que nous avons formellement signalé notre volonté de créer une obligation juridiquement contraignante, et nous ne disposons pas vraiment d’une alternative
Aux États-Unis, si vous oubliez de signer le bordereau d’un paiement par carte de crédit, cela ne signifie pas que vous avez refusé de payer –le simple fait de donner votre carte indique que vous avez donné votre accord. Les Américains perdent donc leur temps lorsqu’ils signent pour acheter de la nourriture, des plantes en pot, et le reste des (rares) produits de consommation échappant encore au commerce électronique (qui, lui, ne requiert aucune signature).
Certes, une signature manuscrite ne demande que quelques secondes; la perte de temps n’est donc pas significative. (Néanmoins, l’impression, la signature et le passage au scanner peuvent être plus chronophages). Autre point, peut-être plus problématique –ces signatures véhiculent une idée fausse; elles nous donnent l’impression que ce geste est important, qu’il représente un accord, une autorisation officielle. En réalité, dans la plupart des cas, cet acte physique définitif est complètement inutile et, de fait, entièrement superflu.
«La signature était importante par le passé, mais son rôle est presque inexistant aujourd’hui. Si elle demeure monnaie courante, c’est par pure tradition, explique Mann au sujet des signatures validant un achat. C’est toujours ainsi que nous avons formellement signalé notre volonté de créer une obligation juridiquement contraignante, et nous ne disposons pas vraiment d’une alternative ou d’une méthode de remplacement efficace.»
En apparence, la signature numérique serait la candidate idéale pour le remplacement –mais son nom est quelque peu trompeur, car il suggère une transition simple. Or, elle n’est pas l’exact équivalent de la signature manuscrite; pas une simple signature physique adaptée à l’âge de l’informatique. Il ne s’agit pas non plus de notre nom en toutes lettres, parfois rédigé à l’aide d’une police en italique cursive (utilisée pour signer certains contrats en ligne). Il s’agit là d’un étrange héritage numérique du phénomène des signatures manuscrites difficiles à déchiffrer –et ce d’autant plus que mon écriture n’a jamais ressemblé à la police Lucida Handwriting.
Une signature numérique implique l’encodage des données via une méthode ne pouvant être réalisée que par la personne concernée –ou par quelqu’un possédant sa clé de cryptage. En recevant un e-mail (par exemple) comportant la signature numérique vérifiée de l’expéditeur, vous sauriez que seul ce dernier a pu envoyer ce message (à moins que sa clé de cryptage n’ait été volée). Cette signature est propre au message qu’elle accompagne, et ne peut être facilement copiée dans (ou jointe à) un autre message. Il est donc plus beaucoup plus difficile d’usurper l’identité des personnes qui authentifient leurs e-mails à l’aide de la signature numérique (mais elles ne courent pas les rues).
Le passage annoncé à la signature numérique s’est heurté à un obstacle de taille: définir ce qui constitue réellement une signature –et déterminer quelles méthodes donnent aux utilisateurs l’impression de signer réellement.
«Il est plus simple de déterminer l’intention de signer dans le domaine des signatures physiques, indique Mann. Affirmez qu’un document signé engage une personne juridiquement, et tout le monde comprendra de quoi vous parlez. En revanche, si vous dite qu’un document signé numériquement peut être considéré comme valide, personne ne saisira vraiment ce que cela signifie.»
La confusion entourant les signatures numériques ne semble toutefois pas insurmontable; et si nous parvenions enfin à surmonter cet obstacle, les bienfaits de cette méthode pourraient être considérables. D’une, le rituel de l’imprimante et du scanner passerait aux oubliettes; de deux, les signatures numériques sont bien supérieures aux manuscrites. Le fait qu’il soit nécessaire de voler la clé de cryptage d’une personne pour falsifier sa signature leur donne un bel avantage: n’importe qui pourrait imiter ma signature physique de manière relativement convaincante, surtout en ayant eu l’occasion de l’observer auparavant. En réalité, la signature physique s’avère être un outil d’authentification de plus en plus inutile: si elle demeure manuscrite, nous la réalisons de plus en plus du bout du doigt, sur des écrans, et le résultat final est souvent très éloigné de l’original.
Il est sans doute inutile de donner une seconde vie numérique à une grande partie des signatures physiques devenues presque entièrement symboliques
Des remplaçants potentiels semblent poindre à l’horizon (du moins aux États-Unis) dans le domaine de la validation d’achats par carte de crédit. Les cartes à puce avec code, très utilisée en Europe et en Australie, ne progressent que lentement sur le territoire américain. Les codes confidentiels ne sont certes pas des signatures numériques telles que nous avons tendance à les imaginer, mais l’authentification codée partage quelques points communs avec les signatures numériques: ces dernières demeurent en substance un chiffre secret connu de vous seul permettant de prouver votre identité.
Les signatures numériques se sont avérées d’une importance capitale pour sécuriser internet, et de nombreux sites que vous fréquentez disposent d’une signature cryptée: cette dernière permet de vérifier qu’ils n’ont pas usurpé l’identité d’un autre site (du moins, je l’espère!). Mais la création et l’utilisation des signatures numériques individuelles (destinées aux personnes) progressent de manière beaucoup plus lente. Et ce, en partie, parce que la configuration d’une signature numérique peut être complexe et onéreuse: si vous voulez l’adjoindre à vos e-mails, par exemple, il vous faut vous renseigner sur la marche à suivre correspondant à votre programme de messagerie –et vous pourriez vite vous prendre à regretter la douce époque du duo imprimante-scanner.
Il est facile de s’embrouiller en comparant signatures numérique et physique, et de perdre de vue le fait que ces deux méthodes sont –de bien des manières– profondément différentes. Certaines signatures manuscrites ne méritent pas d’être remplacées par un équivalent électronique. Il est sans doute inutile de donner une seconde vie numérique à une grande partie des signatures physiques devenues presque entièrement symboliques, sans réelle valeur juridique, qui subsistent dans notre vie moderne. Nous pourrions nous contenter de taper notre nom sur un clavier (en utilisant une police de caractère imitant l’écriture manuscrite, si vous tenez vraiment). Et nous pourrions tirer un trait sur ce rituel, tout simplement.
De fait, voilà bien longtemps que les signatures ont perdu une bonne de leur valeur symbolique, qu’il s’agisse de prouver son identité ou de conserver un souvenir d’une rencontre avec une célébrité. (Si j’en crois mes vagues souvenirs de lycéenne, dans la série télévisée Newport Beach, on entend la guest star Paris Hilton affirmer que «les photophones sont les autographes du XXIe siècle»; la double mention de Paris Hilton et des «photophones» fait sans doute de cette citation la référence la plus datée qui soit à l’innovation technologique du XXIe siècle).
Nous accordons peu d’importance à la signature des autres. Et peut-être encore moins d’importance à la nôtre: nous la gribouillons jour après jour, en sachant que tout le monde se contrefiche de savoir à quoi elle ressemble –et même si c’est réellement la nôtre. Tout bien considéré, la signature est déjà morte et enterrée depuis un bout de temps; nous refusons simplement de voir la réalité en face.
Nos façons d'écrire évoluent avec le temps: elles sont conditionnées par les outils que nous utilisons.
L'entreprise Bic en fait régulièrement un argument de vente: les stylos aident à préserver l'écriture manuscrite, évidence bonne à rappeler. Le stylo à bille pourtant, derrière ses allures démocratiques et traditionnelles, pourrait bien être à l'origine du déclin de l'écriture cursive.
Son usage généralisé est relativement récent dans l'histoire de l'écriture manuscrite. En 1888, un tanneur américain, John Loud, brevète la première version du stylo à bille. Lacunaire, elle devient vite caduque, et d'autres brevets se succèdent à sa suite. Il faudra attendre 1938 pour que le journaliste hongrois László Bíró, aujourd'hui considéré comme l'inventeur du stylo-bille que nous connaissons, dépose son propre brevet.
La réussite de László Bíró tient au type d'encre que lui et son frère Georg élaborent: une encre épaisse à séchage rapide, inspirée de celle utilisée pour les impressions de journaux dans les presses de l'époque. À terme, ils modifient également le design du stylo, afin que celui-ci ne fuie pas –ou moins.
Les hommes d'affaires ne tardent pas à flairer le marché. En France, l'industriel Marcel Bich rachète les droits du brevet, et bâtit sa fortune en commercialisant le produit à bas coût.
«Quand il arrive sur le marché en 1946, un stylo à bille se vend autour de 10$, ce qui correspond environ à 100$ aujourd'hui. La concurrence a fait baisser le prix de façon constante, mais la stratégie de Bich l'a tiré à ras du sol. Quand le Bic Cristal s'attaque aux marchés américains en 1959, le prix était tombé à 19 centimes le stylo. ujourd'hui, le Cristal se vend à peu près au même prix, en dépit de l'inflation», écrit Josh Giesbrecht dans The Atlantic.
C'est un succès mondial. Le stylo à bille offre dès lors un outil de longue durée, à bas coût, et qui permet de remédier aux inconvénients du stylo à plume: plus de bavures importunes causées par une main maladroite, moins de fuites, moins fragile... la seule contrepartie, ce sera une pression supplémentaire de la main, pour appuyer la bille sur le papier. Peu à peu, l'apparition du stylo-bille allait modifier l'expérience physique de l'écriture.
Dans son livre Apprenez à mieux écrire, Rosemary Sassoon relevait pour sa part que si le stylo-plume a naturellement tendance à produire une écriture attachée par la fluidité de l'encre, le stylo-bille, qui nécessite une pression plus forte et un angle de tenue plus haut et plus douloureux à long terme, pousse davantage aux lettres séparées.
L'idée la plus souvent convoquée pour expliquer le déclin de l'écriture cursive est pourtant l'arrivée des ordinateurs: ayant pris l'habitude du clavier et de son écriture tapuscrite, nous serions amenés à écrire de moins en moins, et l'écriture détachée aurait progressivement pris le pas sur l'attachée.
Cependant, comme le remarque Giesbrecht, «la technologie numérique n'a véritablement décollé que lorsque le stylo à plume avait déjà entamé son déclin, et le style à bille sa montée en puissance. Le style à bille est devenu populaire à peu près au même moment que les ordinateurs centraux. Les articles sur le déclin de l'écriture manuscrite remontent au moins aux années 1960 –bien après la machine à écrire, mais une décennie entière avant l'avènement de l'ordinateur à la maison».
Si l'on souhaite préserver l'écriture cursive, il s'agit moins de faire appel à une nostalgie de la lettrine face aux évolutions de la modernité, que de considérer les outils mêmes que nous employons, auxquels nos corps s'adaptent et qui sont susceptibles de modifier les formes de notre expression.
Pour The Atlantic, une professeure d'histoire d'une fac américaine s'interroge sur les conséquences potentielles de l'arrêt de l'apprentissage de l'écriture cursive (un type d'écriture manuscrite, lorsque les lettres sont liées entre elles). Son questionnement sur le sujet a démarré après qu'un de ses étudiants d'un niveau similaire à celui de nos licences lui a confié n'avoir pu tirer beaucoup d'informations du livre sur la guerre de Sécession que l'enseignante lui avait prêté, car il avait été incapable de déchiffrer les reproductions de manuscrits qui y figuraient.
Drew Gilpin Faust, la prof, a alors procédé à un sondage, et s'est rendue compte que les deux tiers des étudiants de cette promotion ne savaient pas lire les cursives, et qu'un nombre encore plus grand ne savait pas les écrire. D'où le début d'une réflexion, menée conjointement avec ses élèves, sur la place –et surtout l'absence– de l'écriture manuscrite dans leur existence.
Au début des années 2010, rappelle Drew Gilpin Faust, l'écriture cursive a été rayée des enseignements imposés au sein du système américain K-12, sigle désignant le cursus scolaire allant de la maternelle au secondaire. Les étudiants d'aujourd'hui étaient alors à l'école primaire, où on leur a appris à utiliser des tablettes, des ordinateurs et des tableaux numériques. La plupart d'entre eux affirment n'avoir reçu que les bases de l'écriture cursive, pendant une année maximum.
Étonnée par sa propre époque mais bien décidée à ne pas sombrer dans une observation amère de celle-ci, Drew Gilpin Faust fait preuve d'un certain fatalisme. «Le déclin de l'écriture cursive semble inévitable», écrit-elle. «Après tout, l'écriture est une technologie, et la plupart des technologies sont tôt ou tard dépassées et remplacées.» Une affirmation frappée du sceau du bon sens, même si pour la plupart d'entre nous, qui avons grandi dans un système éducatif où l'écriture cursive était au centre de tout, il semble improbable que celle-ci puisse disparaître un jour.
Il reste particulièrement difficile d'envisager que des étudiants en histoire ne sachent ni lire ni écrire en lettres cursives, étant donné qu'ils ne pourront alors déchiffrer aucun manuscrit, et qu'ils devront se contenter de lire les travaux de recherche produits par d'autres. Cela ne signifie pas pour autant qu'il leur soit impossible de mener de brillantes études d'histoire: c'est ainsi que l'un des étudiants de Faust est allé au bout de sa thèse, dont il a simplement remodelé le sujet afin de ne pas rencontrer d'obstacles liés à sa méconnaissance de cette écriture.
Pour autant, n'est-il pas regrettable de devoir limiter son champ de recherche à cause de cette compétence manquante? L'enseignante cite aussi le cas d'une étudiante passionnée par Virginia Woolf, mais qui a décidé d'abandonner ses recherches sur l'autrice car elle n'était pas capable de lire ses nombreuses correspondances, écrites à la plume.
Autre préoccupation de l'enseignante: comment font les étudiants et étudiantes pour déchiffrer les annotations laissées sur leurs copies? La réponse est simple: certains n'hésitent pas à demander à leurs professeurs, et d'autres ont purement et simplement décidé de les ignorer... ce qui est évidemment problématique. Si les uns continuent à utiliser l'écriture cursive et que les autres décident de ne même pas essayer de la lire, alors le dialogue de sourds est total.
Quid des listes de courses? Des cartes de vœux? Nous, les adeptes de l'écriture cursive, voyons mal comment nous pourrions nous en passer. La réponse est similaire à ce que Faust écrit plus haut: ce n'est qu'une technologie, elle est donc remplaçable. Tout ceci peut être fait de façon numérique, sur un smartphone ou un ordinateur –et, si besoin, à l'aide d'une imprimante.
Abandonner l'écriture cursive, c'est sans doute dire au revoir à une certaine façon de considérer la société. Cela ne signifie pas pour autant que l'on perde au change. Sauf dans des situations comme celles de ces étudiants en histoire, qui se retrouvent perdus devant une simple écriture manuscrite comme nous le serions devant des hiéroglyphes égyptiens.
L’inauguration du jardin de Dardennes, la poursuite de la réfection des grands axes routiers ou encore l’avenir de l’ancienne carrière, Ange Musso dévoile l’avenir de sa commune en 2025.
*Que retenez-vous de l’année écoulée?
On a vraiment mis la période Covid derrière nous. On a pu reprendre les activités autour du lien social notamment. Côté réalisations, je suis fier d’avoir ouvert une antenne de la protection civile sur le territoire et que l’atelier d’artistes soit enfin une réalité. Un travail important a été fait au cœur du village. Reste une dernière étape pour que l’aménagement soit complet: l’espace derrière l’église. Les bâtiments vont être détruits, on va faire un parking désimperméabilisé, la vue sur la colline sera dégagée.
*Le grand projet qui va aboutir en 2025, c’est également le jardin de Dardennes…
5.000m2 d’espaces verts vont devenir un parc public intergénérationnel. Nous sommes dans les délais et j’espère une inauguration pour la rentrée. Ce sera l’accomplissement d’un long travail. Ce projet, on l’évoquait déjà lors de mon premier mandat. Dans sa réalisation, nous avons été très soutenus, notamment financièrement, par la Région et le Département.
*Où en est-on des réfections de voiries?
L’ensemble des axes structurants seront refaits à neuf. On va également terminer le passage de l’ensemble de l’éclairage public en Leds. Nous développons le photovoltaïque sur les bâtiments municipaux... Au final, 95% de notre programme sera réalisé d’ici la fin du mandat. C’est exceptionnel, d’habitude, on est plus sur 80 ou 85%.
*Que vous reste-t-il à accomplir en tant que maire?
Beaucoup de choses! Je pense notamment à notre moulin à huile municipal. Le projet est compliqué à mettre en place. Ce n’est pas une question financière mais plutôt de fonctionnement. Nous voulions le faire marcher sur un mode associatif mais avec les normes à respecter, c’est difficile. Mais on va trouver une solution...
Autre projet que je voudrais voir se réaliser, c’est celui de l’ancienne carrière, sous le barrage. On a enfin, après une très longue bataille judiciaire, racheté le terrain. L’idée serait de démolir les bâtiments, remettre un hectare à plat... Pour en faire quoi? L’idée n’est pas encore arrêtée mais pourquoi pas du photovoltaïque. Dans la colline, l’idée serait de faire des pistes pour rejoindre le domaine de la Ripelle.
*Allez-vous vous représenter en 2026?
Je vais y réfléchir en septembre. Cela ne sert à rien d’y penser plus tôt. On a encore une grosse année de boulot avant l’échéance des municipales. Après, je n’ai aucune envie d’arrêter. Il reste plein de choses à faire ou à développer et à continuer sur la commune. Et puis je n’ai pas l’âge de la retraite !
Ville pilote "défense incendie"
"La Métropole nous a choisis comme ville pilote DECI, défense extérieure contre les incendies », entame Ange Musso. Avant de poursuivre : « l’idée est de mettre aux normes toutes nos bornes incendies. Qu’elles aient toutes une capacité de 60 m3, au lieu de 30. » La commune s’engage également à les multiplier pour pouvoir lutter efficacement contre le feu. « Et l’actualité nous montre bien, avec ce qui se passe en ce moment aux États-Unis, qu’il faut savoir se protéger."
Par Romain Gubert
Ils sont autorisés à porter l'uniforme bleu marine. Peuvent embarquer sur les bâtiments de la Marine nationale. Ils ont même un grade, celui de capitaine de frégate de la réserve citoyenne, à titre honorifique. Et peuvent signer leurs livres en accolant leur nom à une petite ancre de marine.
C'est une étrange confrérie qui compte vingt écrivains (pas un de plus) qui se choisissent par cooptation après un examen d'entrée impitoyable : il faut manier la drisse et la plume avec passion, aimer la mer et avoir suffisamment de talent pour savoir partager avec ses lecteurs la magie de l'océan.
L'idée d'une corporation des écrivains de marine est née il y a vingt ans dans la tête de l'Amiral Bellec, alors directeur du musée de la Marine et auteur d'une trentaine d'ouvrages, et de deux académiciens aujourd'hui disparus, Jean-François Deniau et Bertrand Poirot-Delpech, deux amoureux de la mer, qui ont réussi à convaincre la Royale que la littérature pouvait faire prendre conscience au grand public de la vocation maritime de la France. Avec un but : créer l'équivalent des « peintres officiels de la marine », un corps créé il y a près de deux siècles et qui a autrefois compté dans ses rangs Paul Signac et, plus récemment, Yann Arthus-Bertrand.
Les écrivains de marine ne sont pas vraiment des auteurs de salon. Ainsi, Philibert Humm, prix Interallié 2022 pour Roman Fleuve (Les Équateurs), nouvellement élu, devrait ainsi passer quelques jours au fond des mers sur l'un des sous-marins d'attaque français pour raconter ensuite son expérience. Par convention, signée avec la Marine nationale (le chef d'état-major valide les nominations), ils s'engagent à « collectivement servir la Marine, favoriser la propagation et la préservation de la culture et de l'héritage de la mer, et plus généralement la promotion de la dimension maritime de la France ». Et Royale considère ces hommes de plume comme les leurs. Aux obsèques de Bernard Giraudeau, en 2010, un béret rouge et une casquette blanche d'officier reposaient sur son cercueil.
On imagine les retrouvailles, plusieurs fois par an, de Yann Queffélec, Jean-Christophe Ruffin, Daniel Rondeau, Sylvain Tesson, Isabelle Autissier, Titouan Lamazou, Olivier Frébourg autour de quelques Amiraux sous la houlette de Patrice Franceschi qui préside l'association. Sans doute y parle-t-on davantage de voyages au long cours que de littérature. Quoi que. Il y a quelques jours, la confrérie vient ainsi de décerner son premier prix littéraire à Antoine Sénanque (Croix de cendre, Grasset) dans lequel il raconte le parcours de deux jeunes moines dominicains au XIVe siècle avec pour théâtre la peste noire qui s'abat sur le continent à cette époque (deux Européens sur trois en furent les victimes).
par Mathieu Dalaine
La dernière fois que des coups de feu ont été échangés à la poudrière des Moulins, c’était en août 1944. Des combats avaient fait rage autour du "verrou" de Toulon, dans la vallée du Las. Bilan officiel: 250 morts côté allemand, ainsi que 23 chez les libérateurs. Et un mystère en sus. Combien d’hommes (et de munitions non explosées) avaient aussi été engloutis par l’effondrement soudain de la galerie P4, aux premières heures de la bataille?
L’arrivée d’un nouveau propriétaire sur ce site situé au 245 avenue des Meuniers, sur la route qui mène au Revest, va peut-être permettre d’apporter une réponse à cette énigme historique. Le Club de tir police varois (CTPV) vient en effet d’acquérir l’endroit, jadis appelé "Établissement de Saint-Pierre", pour la modique somme d’un demi-million d’euros. Avec la ferme intention d’y tirer quelques cartouches, mais également de s’intéresser de près aux éboulis les plus intrigants de la ville.
"On était installé depuis trente ans à Lagoubran (1), sur un terrain militaire qui a longtemps abrité une usine de torpilles", explique Gilbert Tort, l’ex-commandant de police qui préside désormais aux destinées de cette structure prisée des forces de l’ordre. "Mais en début d’année, le ministère des Armées nous a informés qu’il comptait résilier notre bail."
La raison invoquée par la Défense – le besoin de récupérer de l’espace en vue du chantier préparatoire à l’accueil du futur porte-avions sur la base navale de Toulon – ne souffrait guère la contestation. Le CTPV s’est mis en quête d’un nouvel écrin pour son millier d’adhérents, civils ou assermentés.
L’entrée de l’ex-établissement Saint-Pierre, dans le quartier des Moulins, va devenir celle du Club de tir police varois dès l’an prochain. (Photo doc. F. M.).
Avec ses trois longs tunnels bétonnés, son terrain vaste (mais inconstructible), sa capacité d’accueil et son accès sécurisé, la poudrière des Moulins cochait pas mal de cases. Le décès du propriétaire de cette friche de sept hectares en fin d’année dernière, et la volonté de ses héritiers de s’en séparer, a permis la transaction.
Si tout se passe bien, après quelques travaux d’aménagement, les fines gâchettes du coin devraient pouvoir dégainer leurs armes au pied du Faron dès l’an prochain. Mais le club a une autre cible en tête.
"On connaît l’histoire de la poudrière, insiste Gilbert Tort. On sait qu’il y a un mystère autour de la galerie effondrée et on aimerait contribuer à le résoudre." L’ancien patron de la Bac nord de Marseille entend ainsi prendre attache avec le consul d’Allemagne et des associations mémorielles outre-Rhin, afin de voir sous quelle mesure une dépollution du site en profondeur, jamais vraiment réalisée jusque-là, serait susceptible d’être entreprise.
"Imaginons que le terrain puisse enfin être dépollué, poursuit Gilbert Tort. Imaginons aussi qu’on retrouve du matériel militaire. On pourrait alors transformer cette poudrière en un lieu de mémoire avec l’installation d’un petit musée, pourquoi pas, en partenariat avec le ministère des Ancien combattants. Mais bon, tout ça, c’est un sujet à long terme…" Et pas franchement la cible la plus facile à atteindre.
Généa50 est une association qui s’adresse à tous les passionnés d’histoire et de généalogie dans la Manche. En 2024, nous avons organisé plusieurs événements sur Fermanville (3 expos, 3 conférences, 1 grande vente de livres). A partir du 14 décembre commence une nouvelle exposition avec une présentation très spéciale de quelques Fermanvillais que vous reconnaîtrez peut être. D’autres manifestations se dérouleront en 2025, venez nous y revoir ou nous découvrir à ces occasions !
Après 5 ans d’existence, l’association continue son développement. Une 15aine de bénévoles, au service de nos presque 300 adhérents et des visiteurs de Fermanville et d’ailleurs, occupent divers missions : gérer notre bibliothèque (2800 ouvrages), relever des chartriers & transcrire des vieux actes, donner des cours de paléographie, développer notre arbre généalogique de la Manche de 1,7 million de personnes liées à la Manche et leurs ancêtres nobles, tenir un forum, un blog et une chaine Youtube… En plus de la publication d’une revue semestrielle, nous lançons une nouvelle activité d’édition inaugurée par « la Rue du Faubourg à Cherbourg ». D’autres livres locaux sont en préparation pour 2025.
À l’heure où l’intelligence artificielle accélère la propagation de fausses images et de photos sorties de leur contexte, apprendre aux élèves à sourcer leurs informations est plus important que jamais. Et les cours d’histoire se doivent d’intégrer aujourd’hui une formation à l’histoire numérique que peuvent faciliter des outils comme le projet VIRAPIC qui aide à repérer des photos virales.
Chaque jour, des images en lien avec des évènements historiques sont mises en ligne sans être référencées – avec leur auteur, leur date, leur localisation, leur lieu de conservation – et encore moins contextualisées par un commentaire historique. C’est le cas, par exemple, de cette photographie, la plus souvent publiée pour représenter les exactions des « mains coupées » dans le Congo de Léopold II, au tournant du XIXe au XXe siècle. En 2024, on la retrouve sur des milliers de pages web sans que l’auteur de cette photographie soit toujours mentionné et sans faire l’objet d’un commentaire historique approprié.
Cette photographie semble illustrer de manière saisissante les exactions commises par les compagnies de caoutchouc au Congo. Mais que peut-on voir de cette photographie sans connaître son histoire ? Le spectateur est ici contraint d’interpréter le message photographique au filtre de ses propres représentations, saisi par le contraste entre les victimes et les Européens habillés de blanc jusqu’au casque colonial, lesquels semblent justifier les châtiments corporels par leur pose hiératique.
En réalité, cette photographie a été prise en 1904 par une missionnaire protestante, Alice Seeley Harris, pour dénoncer ces violences et les deux hommes sur la photographie participent à cet acte de résistance photographique qui contribuera à mobiliser l’opinion publique européenne contre les crimes commis dans l’État indépendant du Congo. L’identité et les intentions du photographe ne sont pas ici un détail : ils rendent compte d’une réalité historique plus complexe, celle d’une « polyphonie morale » des sociétés européennes à la fin du XIXe siècle, divisées sur le bien-fondé et les dérives de la colonisation.
Des exemples comme celui-ci, il en existe des milliers sur le web, les publications et partages d’images générant un brouillard de photographies décontextualisées, rendues virales par les algorithmes des moteurs de recherche et des réseaux sociaux numériques.
Prenons l’exemple de ce tweet d’Eric Ciotti posté le 16 juillet 2024 en commémoration de la rafle du Vel d’Hiv :
Capture d’écran.
La photographie postée n’a pas grand-chose à voir avec les rafles des 16 et 17 juillet 1942 : il s’agit en réalité d’un cliché montrant des Français soupçonnés de collaboration enfermés au Vel d’Hiv après le Libération. Ce compte Twitter n’est pas le seul à reproduire cette erreur ; il faut noter que les algorithmes de Google images ont longtemps placé cette photographie dans les premiers résultats de recherche à la suite des mots clefs « Rafle du Vel d’Hiv ».
La rectification de cette erreur est-elle seulement l’affaire des historiens préoccupés par l’identification des sources ? En réalité, cette erreur participe à la méconnaissance historique de la rafle du Vel d’Hiv. Comme le montre l’historien Laurent Joly, il existe une seule photographie de la rafle, prise le 16 juillet 1942 à des fins de propagande et pourtant jamais publiée dans la presse. Ce détail n’est pas anodin, il révèle que les autorités allemandes ont interdit la publication des photographies de la rafle, alertées par la désapprobation de la population parisienne.
Ces quelques exemples doivent nous alerter sur l’usage illustratif de la photographie encore trop présent dans l’édition scolaire. Faute de place, les manuels se contentent, le plus souvent, d’une simple légende sans commentaire pour éclairer ou confirmer le cours de l’enseignant.
L’usage des photographies par les historiens a pourtant évolué ces dernières années, considérant désormais celle-ci comme de véritables archives auxquelles doivent s’appliquer les règles élémentaires de la critique des sources. Un tel usage gagnerait certainement à être généralisé dans l’enseignement de l’histoire pour sensibiliser les élèves à la critique documentaire – le plus souvent résumée par la méthode SANDI (Source, Auteur, Nature, Date, Intention). Car, si cette méthode est parfois jugée artificielle par les élèves, elle trouve une justification, pour ainsi dire immédiate, dans la critique de l’archive photographique.
En effet, le regard porté par les élèves sur l’image photographique change radicalement une fois connue son histoire.
Cette approche documentaire est d’autant plus nécessaire que les élèves et les étudiants s’informent aujourd’hui de plus en plus sur les réseaux sociaux, des réseaux où les photographies sont relayées par des armées de comptes sans scrupules méthodologiques et parfois orientées par des lectures complotistes du passé.
Il faut encore ajouter une autre donnée pour comprendre l’enjeu pédagogique qui attend les enseignants d’histoire dans les années à venir : d’ici 2026, selon un rapport d’Europol, la majorité du contenu disponible sur le web sera généré par l’IA. Cela impliquera probablement la publication de fausses photographies de plus en plus crédibles et sophistiquées, lesquelles tiendront lieu de preuve à des fictions déguisées en histoire.
La prolifération des IA génératives, l’accélération des échanges de photographies inventées, détournées ou décontextualisées constituent un véritable défi pédagogique. Comment enseigner l’histoire aux élèves sans leur transmettre les outils pour affronter la désinformation historique en ligne ? Comment expliquer aux élèves l’environnement numérique dans lequel ils sont immergés (IA, algorithmes, vitalités des images) sans proposer un cours d’histoire qui soit aussi un cours d’histoire numérique ?
Pour répondre à ces défis, l’Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe (EHNE-Sorbonne Université) et les équipes d’informaticiens du CERES-Sorbonne Université élaborent un nouvel outil qui vise autant un public d’enseignants que d’éditeurs et les journalistes : le projet VIRAPIC, une plate-forme numérique dont l’objectif est de repérer les photographies virales (reproduites en ligne à une très grande échelle et/ou sur un laps de temps réduit) lorsque celles-ci sont inventées, détournées ou décontextualisées des évènements historiques qu’elles prétendent illustrer.
L’objectif est double. Il s’agit d’injecter du contenu historique autour des photographies virales (source, légende, commentaire historiques) et d’analyser les viralités numériques des photographiques (Qui les publie ? Sur quels supports ? Avec quelle temporalité ?). Le projet VIRAPIC aborde surtout le problème de la désinformation historique par une approche pragmatique : lutter contre la viralité de la désinformation par le référencement du travail historien sur les moteurs de recherche.
L’originalité de cet outil tient en effet à la possibilité d’agir directement sur les pratiques des internautes grâce au référencement de l’Encyclopédie EHNE dont les pages web apparaissent dans les premiers résultats des moteurs de recherche. Ainsi, les internautes recherchant des photographies pour illustrer les évènements historiques verront apparaître les pages web EHNE/VIRAPIC dans les premiers résultats de recherche comme Google Images.
En constituant une base de référencement des photographies virales, détournées, décontextualisées ou inventées autour d’évènement historiques, le projet VIRAPIC permettra d’accéder rapidement à un contenu historique solide et critique sur les images que les élèves, enseignants ou éditeurs souhaitent publier en ligne ou utiliser en cours.
Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
La popularité de la généalogie n’est pas un vain mot. Le bâtiment des archives municipales toulonnaises qui disposent de 4,5km linéaires de documents anciens est fréquenté depuis l’an dernier chaque premier mardi du mois par des curieux ou passionnés en quête de leurs origines.
"Cet engouement n’est pas nouveau, mais entre les outils en ligne qui permettent la consultation des registres paroissiaux et d’état civil et les sites spécialisés, de plus en plus de gens se lancent dans ces recherches", constate Anne-Flore Viallet, cheffe de service conservation et valorisation de Toulon.
La numérisation varoise ne remontant pas au-delà de 1920, rien ne vaut toutefois de se frotter aux originaux bien plus anciens.
C’est ainsi que dès 2022 sa directrice, Magali Béranger, initie des ateliers généalogiques. Chaque jeudi entre janvier et avril, une dizaine d’inscrits se retrouvent pour apprendre les méthodes généalogiques et remonter le temps sur la trace de leurs ancêtres.
"La formation limitée à dix personnes est étalée sur une douzaine de séances gratuites. La prochaine en 2025 est déjà complète", note Anne-Flore Viallet. D’où la création des ateliers du mardi pour offrir des portes d’entrées supplémentaires dans les couloirs du temps avec l’archiviste chevronné Frédéric Giraldi. Compter le 7 janvier 2025 pour les prochaines places libres.
"Les gens viennent pour construire leur propre arbre ou aller plus loin s’ils l’ont débuté. Nous avons des habitués. Ils remontent sur trois-quatre générations, voire davantage! Nous leur fournissons aussi des pistes vers d’autres services comme les archives départementales qui ont aussi leurs ateliers thématiques (1), les archives nationales d’Outre-mer si un parent éloigné est passé par le bagne, le Service hstorique de la Défense, etc.", liste Anne-Flore dont les registres de baptêmes, mariages et sépultures peuvent remonter jusqu’au XVIe siècle.
"Il est également intéressant du point de vue de la culture générale de voir comment les histoires personnelles se croisent avec la grande Histoire", poursuit la cheffe de service qui vibre au rythme des découvertes d’autrui parfois bien insolites
"Mon ancêtre est le colonel Arthur Du Ferron, commandeur de la Légion d’honneur. Un Breton originaire de Saint-Malo venu passer sa retraite à Toulon. Tout ce qu’on savait, c’est qu’il était décédé quartier du Temple, le 24 avril 1888", raconte Claudine, son unique descendante venue du Vaucluse. Grâce au service des archives, elle a retrouvé sa tombe, envahie par la végétation, au cimetière central de Toulon. Il lui reste désormais à percer l’ultime mystère. Pourquoi son arrière-arrière-grand-père, héros de la campagne du Mexique (1864-1867) a choisi comme dernière demeure la capitale varoise?
La quête généalogique n’est plus l’apanage des aristocrates, elle est désormais une pratique de classe moyenne. Et serait le 3e passe-temps des Français, qui cherchent à découvrir ou retrouver leurs racines, et à transmettre l’histoire familiale.
Publié le 17/11/2024
Une vieille photo jaunie sortie d’un carton du grenier. Une histoire entre la poire et le fromage captée lors d’un repas de famille. L’envie de trouver des cousins éloignés ou la maîtresse de notre enfant qui lui demande de faire son arbre généalogique. La généalogie fait presque partie de notre vie quotidienne. Selon les dernières études, elle serait le 3e passe-temps des Français, après le bricolage et le jardinage. Et nous serions 10 millions à nous y intéresser.
"Se reconnecter aux fils de son histoire est une volonté profonde, intime, que beaucoup d’entre nous manifestent au cours de notre vie, révèle Patrick Cavallo, le président de l’Association de généalogique des Alpes-Maritimes. La quête généalogique n’est plus l’apanage des aristocrates. Aujourd’hui, c’est une pratique de classe moyenne. On pourrait aussi penser que c’est plutôt un passe-temps pour les retraités, mais ce n’est pas tout à fait juste. Il y a 70% des Français qui se disent intéressés par leurs origines, même si tous ne passent pas le pas des recherches. Cette activité a explosé pendant le confinement où on a pris un peu plus le temps de se recentrer sur nos familles. Et l’âge moyen de ces nouveaux enquêteurs est passé de 70 ans à 48 ans."
Découvrir son arbre généalogique, le visage de ses ancêtres, l’origine de son nom de famille, trouver des cousins éloignés, savoir si nous sommes apparentés à des gens célèbres ou encore déceler des secrets de famille qui peuvent peser lourd, voilà autant de – bonnes – raisons qui poussent à faire des recherches.
Pour nous y aider, il existe de nombreux sites. Filae, Geneanet, MyHeritage, Ancestry proposent gratuitement un premier pas encourageant qui conduit ensuite vers un abonnement payant. "Ils proposent aux généalogistes une expérience-client bien plus qualitative que les formules gratuites, poursuit Patrick Cavallo. Ils simplifient les recherches et fournissent aisément des premiers résultats. Ensuite il y a aussi les associations. La nôtre, l’AGAM, existe sur Nice depuis 1983 et nous aidons nos adhérents dans leur recherche, notamment grâce à notre base de données. Depuis la naissance de l’association, nous avons dépouillé 1,6 million d’actes de l’état civil et de l’Eglise."
Ces dernières années, les tests ADN sont venus chambouler la généalogie traditionnelle.
Ces prélèvements salivaires – qui coûtent entre 80 et 100 euros – sont interdits en France (ils restent accessibles via des laboratoires américains), les contrevenants risquent une amende de 3.750 euros. "Ils déterminent les origines d’une personne en comparant son ADN à celui de populations de référence, décrypte le président de l’AGAM. Ces tests attirent un nouveau public, souvent très jeune, vers une généalogie qui ne se veut plus historique, mais biologique. Mais attention, prévient Patrick Cavallo, cette pratique peut réserver de mauvaises surprises. Apprendre que votre voisin est aussi votre demi-frère a toutes les chances de donner une autre saveur aux dîners de famille!"
A la 3e journée de généalogie, ce samedi, à Castagniers, les bénévoles de l’AGAM révèlent leurs motivations pour enquêter sur le passé filial des gens, dévoiler des secrets, nouer des liens.
Publié le 17/11/2024
Certains prétendent que l’Homme descend du singe. Avec l’Association généalogique des Alpes-Maritimes, il descend plutôt de l’arbre pour puiser dans ses racines profondes et déterrer, parfois, des histoires enfouies, des secrets.
Ce samedi, à Castagniers, l’AGAM animait la 3e Journée portes ouvertes de généalogie, organisée dans la salle polyvalente par l’association Gourmands de Culture à Castagniers avec le soutien du Département.
Que des bénévoles. Qui sont, qui furent ingénieurs, banquiers, enseignants... Passionnés, donc passionnants. Pourquoi il a démarré l’aventure généalogique? Patrick Cavallo, président de l’AGAM, niçois, lève un coin de sa saga familiale: "Tous mes ancêtres avaient un nom finissant soit par « o", soit par "i", sauf une, dénommée Larousse et qui venait du Béarn. Que faisait-elle ici? Je suis allé aux archives départementales de Pau et je l’ai identifiée. Elle s’appelait Larousse Victor et c’est comme cela, que j’ai reconstitué l’histoire de mon arrière-grand-mère, qui travaillait chez un médecin, à Pau, lequel soignait une clientèle d’hivernants anglais. Avec la mode de la French Riviera, le médecin est venu à Nice et mon arrière-grand-mère l’a suivi. Et à Nice, elle a épousé un Suisse italien.... En allant sur le terrain, on fait des rencontres de personnes qui ont connu les anciens, qui montrent des habitations où ils ont vécu, parfois on se crée des amis. La généalogie, c’est aussi des relations humaines. Cette quête m’a plu...»
Quête. Enquête. Assise devant leur écran où défilent actes d’état civil, vieux écrits pas évidents à déchiffrer... Michèle et Annie expliquent comment elles aident les gens à composer leur arbre: "On ne recherche pas n’importe comment. Il faut déjà avoir un maximum de renseignements sur soi-même et ses proches - actes de naissances, de mariages, de décès, testaments, etc. -, tout noter, maîtriser les numérotations spéciales pour faire les arbres. On mène une enquête. Pouvant aboutir à la découverte d’enfants cachés, de non-dits, de secrets de famille. Parfois, on est en panne, alors on reprend des actes, on les scrute et cela peut dessiner d’autres pistes concluantes. C’est comme un puzzle."
De fins limiers. Attirés par les origines lointaines, les authenticités profondes, les rencontres directes, les contrées quelquefois inattendues, que ne facilite pas forcément la société actuelle désincarnée. Des ressentis qui font également vibrer Marc Duchassin. Étonnant personnage. Imprégné de généalogie depuis l’âge de 12 ans grâce à sa grand-mère paternelle obnubilée par son histoire. Avec son projet Augusta06 (2), Marc veut construire et partager un arbre commun pour les Alpes-Maritimes. Un travail de titan commencé il y a une dizaine d’années et comportant à ce jour plus de 500.000 personnes nées, mariées ou décédées dans le 06. Méthodique, calme, Marc est un altruiste: "Ma motivation c’est comment partager cette initiative, comment former un groupe pour que ce projet me survive."
(1) AGAM: agam.06@gmail.com ou www.agam-06.com
Le gouvernement a confirmé dans un décret publié ce vendredi15 novembre, la date butoir pour l'obligation d'équiper les parkings existants d'ombrières à énergie solaire, ranimant la colère de la grande distribution, concernée au premier chef.
Publié le 15/11/2024
La loi sur les énergies renouvelables de 2023 impose aux parkings extérieurs (neufs comme existants) d'installer sur la moitié de leur surface des ombrières photovoltaïques, des infrastructures recouvertes de panneaux solaires permettant à la fois de faire de l'ombre et de produire de l'énergie.
Les gestionnaires ont jusqu'à juillet 2026 pour les plus grands parkings (plus de 10.000 mètres carrés) et juillet 2028 pour ceux de plus petite taille (plus de 1.500 mètres carrés).
Si de nombreuses entreprises et collectivités ont commencé à s'équiper, le secteur de la grande distribution, premier concerné avec ses 21.000 magasins et centres commerciaux, et ses 70 millions de mètres carrés de parkings, avait demandé en avril un report de l'échéance "de deux ans au minimum".
Ce délai n'a pas été accordé, mais le décret publié vendredi au Journal officiel précise que les espaces verts, les zones de stockage ou les espaces logistiques ne sont pas pris en compte dans le calcul de la superficie du parking.
Les allées de circulation rentrent, elles, dans le calcul, contrairement à ce que demandaient les acteurs de la distribution.
Pour la fédération technique de la distribution (Perifem), ce décret sur les parkings existants "réitère les erreurs du précédent décret sur les parkings neufs avec une définition extensive des surfaces concernées", a déclaré à l'AFP son délégué général Franck Charton.
"Ces décisions vont avoir des conséquences importantes en figeant notamment le foncier pour des décennies. Les délais de mise en oeuvre de l'obligation n'ont même pas tenu compte des 18 mois d'attente de parution de ce décret, ni de la création d'une filière française des panneaux photovoltaïques!", a souligné M. Charton. "C'est invraisemblable et cela ne peut rester sans conséquence".
Les parkings sont exemptés s'ils bénéficient de l'ombre d'arbres sur la moitié de leur surface, à raison d'un arbre pour trois emplacements de stationnement.
Le décret exempte aussi les parkings "pour lesquels il est démontré que l'installation de ces dispositifs est impossible en raison du caractère excessif du coût total hors taxe des travaux nécessaires".
La loi prévoit des sanctions allant jusqu'à 40.000 euros par an pour les gestionnaires de parking, jusqu'à la mise en conformité.
"Dur dur de ne pas être écoutés à ce point par les pouvoirs publics!", a protesté sur X Dominique Schelcher, patron de la Coopérative U, quatrième distributeur alimentaire français. "Vivement des mesures de simplification massives en France, comme les pratiquent de nombreux autres pays dans le monde actuellement. Il en va de notre compétitivité et de la force de l'économie française", a-t-il plaidé.
Le prix du Museum of the Year est le plus largement doté du secteur, ce qui en fait depuis 1973 l'un des plus convoités par les institutions culturelles. En juillet 2024, il était décerné au Young V&A (qui reçut un joli chèque de 140.000 euros), un an à peine après sa réouverture. Douze mois qui ont suffi au premier musée de l'histoire à avoir été développé en collaboration avec des enfants pour s'imposer comme un exemple à suivre.
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Tout a commencé il y a une poignée d'années par une question: «Que pensez-vous des musées?» L'agence de conseil britannique Beano Brain a recueilli l'avis un grand nombre d'enfants nés après 2015, à la demande du Victoria and Albert Museum, incontournable institution fondée en 1852 par la reine Victoria. Le verdict est tombé: 44% d'entre eux les jugeaient ennuyeux. Et le vénérable V&A Museum of Childhood, rejeton né en 1872, n'échappait pas à la sévère sentence.
Ce musée de l'enfance, finalement, tombait dans le même écueil que beaucoup d'autres: celui d'«aborder les enfants sous l'angle du déficit», selon la professeure Monica Eileen Patterson, directrice du département d'études curatoriales de l'université Carleton, à Ottawa (Canada). En d'autres termes, nous en avions déjà parlé, les enfants sont pris pour les idiots qu'ils ne sont pas. «Ils sont traités comme des fardeaux qu'il faudrait contrôler, des apprenants qu'il faudrait éduquer, des êtres pleins d'énergie, dotés d'une faible capacité d'attention, qu'il faudrait distraire.»
Sans compter que les activités proposées aux enfants sont rarement développées de leur point de vue, mais selon celui des adultes qui «fixent les règles et le cadre, […] demandent aux enfants d'imiter le travail d'artistes adultes, ou leur parlent […] d'œuvres créées par des adultes». En bref, force est de constater que jusqu'à la naissance du Young V&A, les musées avaient tout faux.
L'heure était grave. Que faire des 5.000 mètres carrés d'exposition du musée, de ses 2.000 œuvres illustrant le monde de l'enfance au fil de sept millénaires? Les cabinets d'architecture choisis pour mener à bien la mission se sont donc installés en résidence dans les murs du V&A Museum of Childhood. Puis ont imaginé un grand laboratoire participatif au sein duquel, dix mois durant, 22.000 enfants sont venus brainstormer avec eux à tour de rôle.
Toutes les propositions des muséographes en herbe ont été considérées avec sérieux. Le «Forum pour enfants» a imposé la nécessité de créer un lieu inclusif (entrée gratuite, ateliers et expositions aménagés pour un accès en fauteuil roulant), plein d'optimisme et de positivité, «tout en tenant compte des complexités des jeunes vies d'aujourd'hui», résume la directrice du Young V&A, Helen Charman.
Les pratiques de cocréation et de co-conception ont permis de «débloquer et exprimer le potentiel créatif» du jeune public, tout en offrant un réétalonnage «du rôle du musée à une époque d'énormes défis mondiaux».
Le musée devait être ludique («le plus joyeux du monde», avaient conclu les jeunes consultants), mais également instructif et responsable. Pour Helen Charman, c'est le rôle des institutions de répondre aux questions que ces changements soulèvent: «Le dynamisme est le sine qua non de la survie –ou de l'insignifiance du risque.»
Le Young V&A affiche fièrement les résultats de sa politique zéro déchet: gravats du chantier, pots de yaourts ou meubles fatigués ont été recyclés puis transformés en tables d'atelier ou en plans de travail. Environ 17 millions d'euros ont été consacrés à la réinvention du musée, qui a duré trois ans.
Le musée dans son jus d'origine s'avérait plutôt austère: enfants et architectes ont donc planché sur les moyens de faire entrer la lumière et la couleur dans le bâtiment historique. Trois nouvelles galeries d'exposition, baptisées Play, Imagine et Design, donnent sur l'atrium central, désormais baigné de lumière naturelle, qui fait office d'immense espace de jeux. Un grand escalier en colimaçon ponctue son extrémité, surmonté d'un énorme globe réfléchissant inspiré des jeux d'illusion d'optique de la collection du V&A.
Le nom de chaque galerie s'affiche en immenses lettres capitales de couleurs vives (choisies par les enfants), chacune s'adressant à une tranche d'âge. Même les tout-petits ont droit à leur espace. Dans la galerie Play, le Mini Museum présente toutes sortes d'objets issus des collections, mais exposés de façon à stimuler les plus jeunes. Vitrines tactiles, objets réfléchissants et à hauteur des regards de visiteurs pas encore en âge de marcher, cadres et structures couverts de textiles doux, etc.
«S'il y a un objet étincelant à l'intérieur de la vitrine, il sera exposé dans un cadre étincelant», explique Helen Charman. «S'il est fait de marbre, alors les enfants pourront sentir la texture du marbre. Il y a aussi un arbre sonore qui donne vie aux objets», diffusant par exemple un bruit de pluie pour animer la reproduction d'une œuvre de David Hockney.
Plutôt qu'une scénographie statique, chaque espace opte pour une approche immersive et interactive, détaillant non seulement l'histoire des objets mais montrant aussi la façon dont ils ont été fabriqués. On trouve en outre trois espaces dédiés aux ateliers, une salle de lecture, une boutique dans le hall et un café.
À l'étage, la galerie Design met en lumière des objets innovants et des études de cas. Une cabane-atelier accueille designers ou artistes en résidence, tandis que l'Open Studio propose des défis de conception aux 11-14 ans: ceux-ci y développent notamment des objets qui sont ensuite fabriqués et vendus au sein de la boutique du musée.
Le «musée le plus joyeux du monde» ne se contente pas d'apporter de la joie à ses visiteurs: il invente de nouvelles façons de les faire participer et de pérenniser leur relation aux lieux et à sa mission. Plus d'exposition ennuyeuse ou de thème mal choisi: les enfants partagent leurs idées, décident des angles, expriment leurs souhaits et craintes.
Enfin écoutés et entendus, ils approuvent le résultat de cette entreprise pas comme les autres: depuis que les oripeaux du Museum of Childhood ont été remisés, le visitorat du Young V&A a triplé.