Dans L'Odyssée, la fameuse épopée grecque antique attribuée à Homère, la mer est un élément central. Tantôt peuplée de monstres, tantôt signe d'apaisement et de protection, elle est décrite par le protagoniste Ulysse sous toutes ses formes –ou presque. Étrangement, le livre ne fait mention d'aucune couleur bleue, laquelle devait pourtant être omniprésente, que ce soit dans la mer ou le ciel. L'érudit britannique William Gladstone, qui s'est intéressé à ce fait étonnant en 1850, fut l'un des premiers à notifier l'absence de la couleur bleue dans les œuvres anciennes.
Les documents historiques rédigés dans diverses langues, du grec à l’hébreu ancien, ne font aucune référence explicite au bleu, alors qu'on y trouve en revanche des termes pour d'autres teintes comme le noir et le rouge. Durant l'Antiquité, les Grecs ne voyaient-ils pas le bleu? Dans l'ouvrage The Language of color, on peut lire que des chercheurs ont également notifié un profond manque de «bleuté» dans les récits chinois et islandais, mais également dans les premières versions de la Bible.
Une première explication se trouve dans la langue. Les Grecs n'avaient peut-être tout simplement pas de mots pour cette couleur, et n'avaient donc pas la possibilité de la décrire. En grec, l'adjectif «kyaneos» qualifie aussi bien le bleu des yeux que le noir des vêtements de deuil. Dans les sociétés anciennes, on ne nomme la couleur qu'au travers des métaphores: le ciel est blanc, rouge ou noir, selon la façon dont il agit sur la vie des êtres humains.
Selon le philosophe allemand Lazarus Geiger, il existe une hiérarchie linguistique des couleurs. À travers l'étude de textes anciens et modernes, il a remarqué que les termes décrivant le blanc et le noir apparaissent plus fréquemment que ceux qui désignent les autres couleurs. Cela s'expliquerait par le fait que ces deux notions sont plus intelligibles –elles sont suivies de près par le rouge, couleur du sang, qui occupe une place particulière dans nos vies.
Bleu Klein, bleu turquoise, bleu azur… La couleur bleue est partout, tout le temps. Dans son podcast Culture Bleu, la conférencière, rédactrice et ingénieure pédagogique Delphine Peresan Roudil analyse les différents bleus, leur histoire et leur place dans la société. Abordant le sujet sous de nombreux angles, du fromage en passant par les différentes teintes de la couleur, aucun épisode ne fait pour le moment mention du bleu dans la nature. Et c'est normal.
Peu de plantes ou d'animaux sont vraiment bleus. Même le paon, s'il semble arborer la couleur, ne possède en réalité aucun pigment de bleu: son aura bleutée est seulement due à la façon dont la lumière se reflète dans ses plumes. Il en va de même pour le ciel, qui n'est en réalité pas vraiment bleu, même si nos yeux le perçoivent comme tel. Cette théorie expliquerait l'absence de description de la couleur du ciel, qui tient également au fait que pour les Grecs, du fait de son omniprésence, le bleu n'était pas intéressant, voire presque invisible à leurs yeux.
C’est une question classique, que je n’avais pas encore traitée ici. C’est en faisant un autre article sur un autre sujet que je m’en suis rendu compte, et c’est donc l’occasion de l’écrire.
Ciel bleu image de Artem Pechenkin
Déjà, non, le ciel n’est pas bleu à cause d’un pigment. L’univers et le ciel nocturne, sont essentiellement noirs à cause de l’absence de lumière. Là où il n’y a pas d’étoiles pour émettre de la lumière, il n’y a pas de lumière (visible en tout cas) et c’est donc noir.
Le bleu n’est pas non plus la couleur intrinsèque de l’air : l’air, et le dioxygène gazeux, sont transparents.
Le dioxygène liquide est en revanche légèrement bleuté, et l’ozone — ou trioxygène — liquide est lui d’un bleu foncé intense, mais leurs versions gazeuses ne sont pas colorées.
L’origine de la couleur bleue du ciel n’est donc pas pigmentaire (l’atmosphère n’est pas bleue « par nature »), mais d’origine entièrement physique.
À l’instar des plumes de paon, des bijoux à cristaux liquides, ou encore la couleur de l’or, la couleur bleutée du ciel est d’origine physique.
Dans ces exemples, les différentes longueurs d’ondes, ou couleurs, de la lumière du soleil ne sont pas absorbées et filtrées comme c’est le cas avec un pigment coloré. Elles sont annulées ou amplifiées par interférence, déviées ou partiellement réfléchies.
Dans le cas du ciel, les couleurs formant la lumière blanche sont déviées. On dit aussi diffusées. En l’occurrence, il s’agit de la diffusion de Rayleigh.
Cette diffusion se fait quand l’atome se trouve sur la trajectoire d’un rayon lumineux. L’onde, qui n’est autre qu’une oscillation périodique du champ électrique et magnétique local, provoque une oscillation des nuages d’électrons des atomes qu’elle rencontre.
En somme : les atomes sur la trajectoire de l’onde sont mis en vibration. Les atomes, pour se désexciter, vont rayonner une onde dans toutes les directions :
Principe de la diffusion de Rayleigh
Avec la diffusion de Rayleigh, l’onde émise a la même longueur d’onde que l’onde incidente (la diffusion est élastique). La couleur ne change donc pas, seule la direction de l’onde est modifiée ; et comme elle va d’une seule direction à plusieurs, on dit qu’elle est diffusée.
Toutes les longueurs d’onde sont diffusées, mais pour la diffusion de Rayleigh, l’effet est d’autant plus prononcé que la longueur d’onde est courte.
Il s’agit d’une action de la matière sur la lumière, et c’est ceci qui permet d’agir sur des couleurs précises même sans qu’il n’y ait des pigments en jeu.
La diffusion de Rayleigh a lieu dans le ciel et ce phénomène dépend de la longueur d’onde. Si la lumière incidente est blanche, et donc composée de toutes les longueurs d’onde, les courtes longueurs d’onde (violet, bleu…) vont être nettement plus diffusées que les grandes longueurs d’onde (rouge, jaune…).
Depuis le sol, ce qu’on observe est donc :
de la lumière rouge, jaune, orange qui provient directement de la source lumineuse (le soleil)
de la lumière bleue, violette, qui provient de partout, vu que l’atmosphère la diffuse un peu partout.
La diffusion de Rayleigh diffuse les courtes longueurs d’onde beaucoup plus que les grandes longueurs d’onde
Si vous voulez une petite analogie, considérez une forêt avec des arbres, des arbustes et des brindilles. Ce sont les atomes. Considérez également des boulets de canon, des ballons de football et des balles de ping-pong.
Si vous envoyez un boulet de canon dans la forêt, ce dernier ira essentiellement tout droit : traversant les brindilles, les arbustes et même les arbres. Ils ne sont pas déviés, pas diffusés.
Les ballons de football, quant à eux, sont déviés par les arbres mais arrivent à repousser les petits arbustes et les brindilles sans changer de direction. Au final, ils ne sont que peu déviés.
Les balles de ping-pong, en revanche, sont tellement légères qu’elles sont déviées par les moindres brindilles et rebondissent dessus et finissent envoyées partout en rebondissant dans toutes les directions.
En supposant que la forêt soit en pente, quelqu’un situé en bas pourra voir précisément d’où viennent les boulets de canon en regardant leur trajectoire. Les boulets n’étant pas déviés, leur trajectoire rectiligne prend obligatoirement naissance à leur source, le canon.
Les balles de ping-pong proviennent, vues d’en bas, de tous les côtés. Il sera très difficile de remonter à leur source simplement en regardant où elles tombent !
Dans le cas du ciel, c’est un peu pareil : le bleu est diffusé partout dans le ciel et chaque molécule de l’air nous en envoie un peu : le ciel nous apparaît donc clairement bleu.
Les couleurs de longueur d’onde plus grandes, moins déviées, ne proviennent-elles que de la source : c’est pour ça que le soleil nous apparaît jaune orangé.
De ce qui précède, quelques questions peuvent être posées.
Si la diffusion de Rayleigh diffuse d’autant plus que les longueurs d’onde sont petites, le violet devrait être encore plus diffusé que le bleu. Pourquoi le ciel n’est donc pas violet ?
Dans les faits, le violet est dévié, et bien plus encore que le bleu. L’astuce ici c’est que, bien que le violet fasse effectivement partie du spectre solaire, notre étoile émet nettement moins de violet que de bleu.
Ces très courtes longueurs d’onde ne sont pas très présentes dans la lumière Soleil. D’ailleurs, le pic dans le spectre, c’est-à-dire la longueur d’onde la plus émise dans le spectre solaire, est le vert. Il y a donc plus de vert que de bleu, que de violet, et même de rouge ou d’orange. On ne le voit cependant pas, car le mélange que l’on perçoit est globalement blanc, ou jaune, au niveau du sol.
Si le soleil était beaucoup plus chaud au point d’émettre davantage de violet que de bleu, le ciel serait bleu violacé.
D’ailleurs, les ultraviolets, dont la longueur d’onde est encore plus courte, sont tellement diffusés que les images des caméras UV sont naturellement floues à cause de ça, même pour un paysage pas trop éloigné.
La lumière que le Soleil émet est blanche. On le voit très bien sur les photos prises depuis l’espace, sans les effets filtrants de l’atmosphère.
Vu du sol, le bleu est diffusé et ce qui nous provient directement du Soleil est donc du blanc, moins le bleu, donc globalement du rouge, du jaune, et du vert, ce qui fait bien du jaune.
Quand le Soleil est couchant (ou levant), il se situe proche de l’horizon. La couche d’air que la lumière traverse est alors bien plus épaisse que si le soleil est à son point de culmination dans le ciel.
Dans ces conditions, même la faible déviation des longueurs d’onde que sont le vert, le jaune, le rouge finit par se voir. Le vert et le jaune sont également diffusés partout (le ciel semble plus turquoise) et seul le rouge et l’orange proviennent encore directement du Soleil dans le ciel : le Soleil couchant est alors rouge.
Sous certaines conditions, quand le ciel est particulièrement pollué (pollen, poussière, pollution, eau…), ou si l’horizon est très dégagé et loin, le rouge commence également à être diffusé de façon notable. Le ciel est dès lors entièrement rougeoyant.
Le coucher du Soleil peut par ailleurs être sujet au phénomène du rayon vert, lié à la diffusion de Rayleigh et à la diffraction, voyez mon article dédié.
Pour conclure, le ciel est bleu, car l’atmosphère diffuse le bleu de la lumière solaire nettement plus que les autres couleurs. Le bleu est donc comme étalé dans tout le ciel, alors que le vert, le jaune ou le rouge ne le sont pas (ou alors beaucoup moins).
Vu du sol, la lumière bleue nous arrive de partout, de tout le ciel, et le jaune/rouge nous provient seulement de l’endroit où apparaît le Soleil. Le ciel nous apparaît donc bleu et le Soleil davantage jaune que blanc.
Cette forme de diffusion, appelée diffusée de Rayleigh provient de l’interaction des rayons lumineux avec les molécules de l’air, qui absorbent la lumière, vibrent, puis la renvoient dans tous les sens.
Le ciel n’est pas le seul endroit où l’on rencontre cette forme de diffusion. L’aérogel, une mousse solide très légère, ou certaines pierres fines comme les opales présentent également une couleur bleutée caractéristique à cause de cela.