Il faut oublier la représentation de Rome que l'on peut voir dans des films comme Gladiator. Celle de la série HBO Rome est beaucoup plus pertinente: rues étroites, saleté, etc. Rome était un cloaque, où les habitants s'entassaient dans des insulae, bâtiments en grande partie construits en bois et donc très inflammables.
Plus vous étiez pauvre, plus vous viviez haut dans les insulae. Évidemment, en cas d'incendie, c'était un peu la cata: vous mouriez. Certains s'étaient même enrichis grâce aux feux. Si vous voulez un vrai incendiaire, pensez à Crassus plus qu'à Néron: il semble qu'il faisait brûler les demeures pour les racheter à bas prix, et qu'il les louait ensuite avec des loyers prohibitifs.
Pour lutter contre le feu dans cette cité de 800.000 habitants, il y avait les vigiles urbani, souvent recrutés parmi les esclaves publics (esclaves appartenant à la cité et non à des particuliers), puis chez les affranchis. Au nombre de 7.000, divisés en sept cohortes de 1.000 hommes, leur rôle était moins de lutter contre les incendies que de vérifier que les habitations aient de quoi empêcher les départs de feu. C'était un métier risqué, mais gratifiant: au bout de six ans, un vigile devenait citoyen, ce qui lui permettait d'intégrer d'autres postes plus intéressants. Reste que les incendies étaient récurrents à Rome.
Mais revenons à cette nuit du 19 juillet 64, ou le douzième jour avant les calendes d'août de l'année DCCCXVII de la fondation de la ville. La nuit est chaude en ce mois de juillet, mais le vent ne permet pas de rafraîchir l'air vicié. C'est le sirocco, un vent chaud et sec qui souffle souvent en juillet à Rome. Les chariots parcourent la ville, étant interdits de le faire en journée. Rome est tout le temps active, le silence est un luxe que ne peuvent se permettre que les riches, avec leurs domus isolées sur le Palatin.
Le dirigeant, l'Imperator Nero Claudius Caesar Augustus Germanicus, dit Néron pour la postérité, n'est pas à Rome. La chaleur l'a poussé à se rapprocher du bord de la mer, dans sa ville natale d'Antium, à une heure.
On ne sait pas ce qui a déclenché l'incendie. On sait où il a débuté: dans des boutiques où des biens inflammables étaient entreposés, dans la région du Cirque Maxime qui bordait le Palatin et le Cælius. Le vent a vite fait d'étendre les flammes sur tout le pourtour du Cirque, puis dans les quartiers alentours, où les insulae s'entassaient, bordées par des rues où deux hommes ne pouvaient se croiser. Aucun temple, aucune zone n'arrête le feu. Puis c'est le Palatin qui est touché, et le Cælius. La population s'enfuit dans les zones dégagées, dans les champs alentour, dans les parcs.
Le feu dure six jours, avant de se calmer, puis de reprendre pour trois jours. Les deux tiers de la ville sont ravagés. Seuls quatre des quatorze districts urbains sont épargnés. C'est ce que nous relatent les auteurs anciens. Une cinquantaine de demeures luxueuses sont également détruites, dont une partie du palais de Néron.
Trois auteurs relatent l'incendie de Rome: Tacite, Suétone et Dion Cassius. Suétone et Dion Cassius accusent Néron de l'incendie, alors que Tacite le sous-entend sans jamais le dire.
Pourtant, les actions de Néron lors de ces événements sont toutes logiques et efficaces. Dès qu'il apprend la nouvelle de l'incendie, dans la nuit, Néron revient à Rome. Il fait distribuer des vivres, il ouvre ses propres jardins aux réfugiés. Sur ses deniers personnels, il organise la récupération des corps et l'enlèvement des débris.
Durant l'incendie même, il ordonne la destruction de maisons –non pas par plaisir, mais par une technique de «coupe-feu» bien connue. Sa reconstruction de Rome créera de plus grandes rues, des bâtiments de briques et non de bois, tout cela conçu pour limiter les dégâts des incendies.
Néron se comporte mieux que beaucoup d'autres monarques dans des circonstances identiques. En aucun cas il ne joue de la lyre en rimant sur la chute de Troie. Il s'agit d'une rumeur relatée par Suétone et Dion Cassius, mais qui ne cadre pas avec les actions de Néron relatées par Tacite.
Haï par les riches
Pourquoi est-il accusé de cet incendie, alors qu'il a agi avec responsabilité? Néron était très populaire parmi le peuple de Rome. Ce n'était pas le monstre que les images d'Épinal nous montrent. Au contraire, même s'il était considéré comme un peu original –avec son dégoût des courses et de la gladiature et son amour de la musique et du chant–, il était adoré par le peuple. Il avait même passé certaines lois que l'on pourrait juger humanistes, comme l'arrêt de la torture systématique de tous les esclaves d'un homme libre assassiné.
En revanche, les riches le détestaient. Avant l'incendie, c'était juste un mépris, une défiance. Mais après, cela devint de la haine et les conspirations se multiplièrent. Car pour rebâtir Rome, il fallut augmenter les taxes dans les provinces. Or, les riches Romains, avec leurs vastes propriétés accaparées sur le domaine public, furent les premiers touchés.
Néron a agi comme un homme d'État responsable: il n'a pas mutualisé les pertes.
De même, la dévaluation du denier décidée par Néron les toucha durement (tout en favorisant les marchands). Néron voulait que les taxes soient payées avec les anciens deniers, et non les nouveaux. Et qui avaient les anciens deniers? Bingo: les riches.
Le fait de ne donner aucun «as» pour reconstruire les riches demeures, mais de consacrer l'argent de l'État soit aux quartiers populaires, soit à sa Domus aurea, n'a pas dû aider à le faire aimer chez les élites. En gros, Néron a agi comme un homme d'État responsable: il n'a pas mutualisé les pertes. Les riches avaient les moyens de reconstruire, pas les pauvres. Donc il a aidé les pauvres.
Dion Cassius écrit 150 ans après les événements, et son ouvrage traitant de Néron est incomplet. Suétone est plus proche, mais… Tenez, parlons un peu de Suétone. Il naît en 69. Suétone, c'est un peu le Stéphane Bern de l'histoire antique. Les récits de boudoir l'intéressent plus que de relater l'histoire. Il avait accès aux archives impériales, mais elles sont bien peu présentes dans son œuvre. Sa Vie des douze Césars est à la fois une usine à ragots et une tentative de pourlécher avec humilité l'anus des Antonins, les empereurs régnants, qui avaient tout intérêt à faire détester Néron et les Julio-Claudiens.
Attention, je ne dis pas que tout Suétone est à jeter. On peut comprendre et découvrir les mœurs ou les interdits de l'époque par son œuvre, bien plus qu'en lisant d'autres auteurs plus factuels. Vingt ans après la mort de Néron, des imposteurs continuaient de s'attribuer son identité, pour rallier le peuple de Rome.