Que reste-t-il du mythique quotidien d'après-guerre ? Presque rien : un nom et un site web, sans journalistes. Après plusieurs mois de procédure, France-Soir a perdu mi-août son statut de service de presse en ligne, sur décision du tribunal administratif de Paris. S'il continue d'exister, il doit se passer de certains avantages fiscaux et d'aides potentielles du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). France-Soir a annoncé sur son site faire appel de cette décision, jeudi 22 août, tout en dénonçant une "censure politique".
Dans son avis, la commission mixte paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) a estimé que le titre ne présentait pas le "caractère d'intérêt général" requis pour ce statut. France-Soir est d'ailleurs identifié comme "participant depuis 2020 de la complosphère covido-sceptique francophone", selon le site spécialisé Conspiracy Watch. Comment cette publication mythique et reconnue, dont le tirage atteignait le million d'exemplaires dans les années 1950, a pu en arriver là ? Franceinfo retrace la lente et inexorable chute du titre de presse.
France-Soir naît en 1944, "l'année zéro de la presse papier telle qu'on la connaît aujourd'hui", estime auprès de franceinfo l'historien Alexis Lévrier, spécialiste de l'histoire du journalisme. Le quotidien constitue la synthèse de deux titres : Défense de la France, un journal clandestin de la Résistance, et Paris-Soir, l'un des quotidiens phares de la presse populaire des années 1930. Pierre Lazareff, ex-directeur de la rédaction de Paris-Soir, prend la tête du quotidien et met en œuvre son savoir-faire.
"C'est un journal qui couvre tous les sujets politiques et les faits divers, qui s'adresse à toutes les classes de la population, contrairement au Monde ou au Figaro", détaille le maître de conférences à l'université de Reims. "On mise sur le terrain, la photographie, et l'hyper-immédiateté. On peut avoir six à sept éditions par jour, les colporteurs vont sur le terrain pour vendre au plus près du lecteur". En clair, France-Soir a inventé l'information en continu. Au sommet de sa gloire, la rédaction emploie 400 journalistes, dont les plus grandes plumes, comme Joseph Kessel, Henri Troyat, Georges Simenon ou Françoise Giroud.
Le quotidien, qui appartient alors à Hachette, tire à plus d'un million d'exemplaires par jour en 1953 et s'y tient pendant treize ans, relève France Culture. Pourtant, les signaux du déclin sont déjà là. "Pierre Lazareff, c'est un génie rattrapé par l'évolution technique et les pratiques culturelles. Il n'y pouvait rien, tranche Alexis Lévrier. L'âge d'or de la presse écrite a déjà disparu : c'était lors de la Belle Epoque [1871-1914]. Il a réussi à le faire revivre un peu dans les années 1950-1960 avec France-Soir."
Le modèle qui a fait le succès de France-Soir va aussi le condamner. "A l'époque, les revenus de la presse écrite reposent sur la vente en kiosque. A cause de la baisse des ventes, l'argent ne rentre plus, et faire de grands reportages, avec Albert Camus ou Jean-Paul Sartre, ça coûte cher", analyse Adrien-Guillaume Padovan, journaliste et auteur d'un mémoire (PDF) sur le quotidien. Autre écueil selon le journaliste : le manque d'identité éditoriale de la publication. "Axer sa ligne sur les faits divers ne crée pas un attachement des lecteurs au journal", estime-t-il.
A partir de la fin des années 1960, le journal amorce une lente perte d'influence, sous l'effet cumulé de la concurrence de la télévision, de la radio, puis plus tard, comme nombre d'autres journaux, d'internet. "La télévision a la capacité de toucher les gens, et l'accélération de l'information qu'elle permet condamne le modèle de Lazareff, basé sur l'instantanéité", explique Alexis Lévrier. Visionnaire jusqu'au bout, Pierre Lazareff lance en 1959 l'émission pionnière des magazines d'information, Cinq colonnes à la une. "Il s'investit là-dedans en pensant que ça va sauver son journal, avance Adrien-Guillaume Padovan. Il crée en fait France-Soir pour la télévision."
L'innovant patron de presse meurt en 1972, et avec son décès, émergent des problèmes de gestion interne. "France-Soir, c'était Pierre Lazareff. Et Pierre Lazareff, c'était France-Soir. C'est lui qui avait les idées et les impulsions. A partir du moment où la direction du journal meurt, c'est la fin", juge le journaliste. A cette époque, les tirages se maintiennent encore à environ 600 000 exemplaires quotidiens.
Rachats, plans sociaux et déboires financiers
Des employés et journalistes de "France-Soir" manifestent à l'appel des syndicats, le 10 novembre 2011 à Paris. (JACQUES DEMARTHON / AFP)
Robert Hersant rachète France-Soir en 1976. Le magnat de la presse vient déjà de s'offrir Le Figaro. Sa soif de conquête lui vaut le surnom de "Papivore", dévoreur de papier, comme le retrace France Inter. Il met en place un plan social et revend le siège historique, rue Réaumur, en plein cœur de Paris. Le quotidien est finalement cédé en 1999, trois ans après la mort de l'homme d'affaires, qui "n'a pas réussi à moderniser" le titre, selon Alexis Lévrier.
En parallèle, son concurrent, Le Parisien (créé en 1944), et son édition nationale, Aujourd'hui en France (1994), s'imposent sur le marché, se positionnant eux aussi sur le créneau "populaire". "Le quotidien est plus adapté que France-Soir, il propose des thèmes de la vie quotidienne comme le tiercé ou le sport", analyse l'historien. "Les chaînes d'information en continu lui ont ensuite porté le coup de grâce", ajoute-t-il.
Alexandre Pougatchev, fils d'un oligarque russe proche du Kremlin, rachète le titre en 2009. Entre Robert Hersant et lui, pas moins de huit présidents se sont succédé en dix ans. Les tentatives pour transformer le journal en tabloïd font un flop et font fuir une grande partie des journalistes. Le journal ne tire plus qu'à un peu plus de 20 000 exemplaires par jour. Le plan de relance du jeune milliardaire comprend une nouvelle maquette, de nouvelles signatures, un fort budget publicitaire et la baisse du prix de vente. Rien n'y fait : deux ans plus tard, France-Soir disparaît des kiosques, remplacé par une édition numérique gratuite, sur fond de forte contestation. Sur 127 emplois, 89 sont supprimés. France-Soir est placé en liquidation judiciaire en 2012
Racheté par un nouveau propriétaire, la société Cards Off SA, le titre de presse devient un temps un magazine sur tablette en 2013, mêlant information et vente en ligne. Trois ans plus tard, son président, Xavier Azalbert, devient directeur de publication du site. Les quatre seuls journalistes de la rédaction se mettent en grève en 2019, dénonçant de fortes dégradations des conditions de travail et redoutant le mélange des genres entre journalisme et communication. Ils sont licenciés pour motif économique, tandis que le site continue de produire du contenu.
Pendant la pandémie, le site de France-Soir prend un nouveau tournant, se faisant écho de la désinformation et de théories complotistes sur le Covid-19. Xavier Azalbert intervient même dans le documentaire conspirationniste Hold-up, ou encore lors d'une conférence pseudo-scientifique en 2023. "Les pires adversaires de la presse se nourrissent de l'héritage de la presse. Xavier Azalbert profite de l'image de marque de France-Soir pour mieux la trahir. C'est aussi ce que fait Vincent Bolloré avec le JDD", analyse Alexis Lévrier. En 2021, le chanteur Francis Lalanne choisit France-Soir pour publier une tribune appelant l'armée à "mettre l'Etat hors d'état de nuire" et à "destituer" Emmanuel Macron. Une enquête est alors ouverte. Préoccupée, la ministre de la Culture de l'époque, Roselyne Bachelot, demande un réexamen du statut du média en ligne, qui perd une première fois son agrément fin 2022, avant de le récupérer début 2023.
Aujourd'hui, cet agrément est de nouveau menacé, et avec lui, un taux réduit de TVA et des aides financières. "Ils vont peut-être compenser cette perte par une ligne encore plus complotiste pour satisfaire leurs donateurs, anticipe Alexis Lévrier. Ceux qui vont payer sont les plus radicalisés, hostiles à la démocratie, favorables à la Russie." France-Soir s'est déjà vu priver du service de publicités de Google, après la diffusion d'un reportage de "Complément d'enquête" en 2021. Mais la désinformation est une manne financière : selon L'Express, le site a récolté plus de 500 000 euros de dons défiscalisables entre 2020 et 2021. "La triste histoire de France-Soir raconte la chute progressive de la presse papier en France, que l'on constate tous les jours, en version plus accélérée", résume l'historien.
Propagande politique, manipulations économiques, faux contenus générés par l'intelligence artificielle... La désinformation au sens large est une menace majeure pour la liberté de la presse dans le monde, s'alarme mercredi 3 mai Reporters sans frontières (RSF) dans son 21e classement annuel.
Sans changement, le pays le mieux noté est la Norvège et le dernier la Corée du Nord. La France est 24e et gagne deux places. Globalement, les conditions d'exercice du journalisme sont mauvaises dans 7 pays sur 10. Cette édition 2023 pointe en particulier les effets de la désinformation. Au classement, les baisses les plus importantes s'observent au Pérou (110e, -33 places), au Sénégal (104e, -31 places), en Haïti (99e, -29) ou en Tunisie (121e, -27). A l'inverse, le Brésil (92e) remonte de 18 places après le départ de l'ancien président d'extrême droite Jair Bolsonaro, battu par Lula aux élections fin octobre.
Dans les deux tiers des 180 pays évalués, les spécialistes qui contribuent à l'élaboration du classement "signalent une implication des acteurs politiques" dans des "campagnes de désinformation massive ou de propagande", selon RSF. C'est le cas de la Russie, de l'Inde, de la Chine ou du Mali.
"Industrie du simulacre"
Plus largement, ce classement "met en lumière les effets fulgurants de l'industrie du simulacre dans l'écosystème numérique". "C'est l'industrie qui permet de produire la désinformation, de la distribuer ou de l'amplifier", explique à l'AFP Christophe Deloire, secrétaire général de l'ONG. C'est, selon lui, le cas des "dirigeants de plateformes numériques qui se moquent de distribuer de la propagande ou de fausses informations". Sur France Inter, mercredi, il a mis en cause "le pouvoir du patron de Twitter, Elon Musk, qui peut décider de modifier son algorithme et d'amplifier la désinformation". "L'information fiable est noyée sous un déluge de désinformation", juge Christophe Deloire, selon qui "on perçoit de moins en moins les différences entre le réel et l'artificiel, le vrai et le faux".
Mais ce qui l'inquiète tout particulièrement, c'est la capacité qu'ont certains Etats de "disposer de moyens technologiques pour exercer une propagande". "Que ce soit Moscou ou Pékin, les grandes dictatures ne se contentent pas de contrôler les esprits de leurs citoyens avec un bourrage de crâne", s'est-il désolé sur France Inter, alertant sur la volonté qu'ont la Russie et la Chine "d'exporter leur contenu de propagande et leur modèle de contrôle de l'information" au-delà de leurs frontières.
Le débat sur les retraites illustre sans ambages l'aboutissement du processus engendré par la communication internet qui, au départ, offrait la promesse d'une ouverture démocratique mais qui, à l'arrivée, se révèle être un aller direct et peut-être sans retour vers le populisme. Les fils Twitter, le réseau des journalistes et de tout le monde (il est ouvert), déclinent imperturbablement depuis trois mois une scène primitive: Emmanuel Macron («Le président des riches», narcissique, illibéral ou au contraire ultralibéral, etc.) contre le peuple («pas écouté», «méprisé», «en colère», «trahi»).
Massivement, les gazouillis de l'oiseau bleu véhiculent des variations sur ce refrain. Le plus sidérant c'est que ce prisme organise le débat presque partout ailleurs, dans les grands médias d'information, qu'ils soient publics ou privés. Ce nouveau système médiatique interroge. Comment expliquer une telle asphyxie de la pensée délibérative?
L'Italie a été le premier pays à expérimenter le populisme médiatique, raison sans doute pour laquelle les penseurs italiens rivalisent d'ironie face à la France: «Cette discipline du Macron bashing va rentrer parmi les disciplines olympiques de Paris 2024», s'amusait ainsi le journaliste Paolo Levi, au micro de RTL le 21 avril.
Dans Les Ingénieurs du chaos, l'écrivain Giuliano da Empoli décrit la montée au pouvoir, à partir de sa création en 2009, du Mouvement 5 étoiles (M5S). Une ascension qui doit tout, d'une part, à Beppe Grillo, blogueur, comique, showman de télévision, pourfendeur de la classe politique italienne, et, d'autre part, à ses conseillers experts en numérique. Le baroudeur a réussi à mobiliser des millions d'électeurs grâce à l'algorithme qui permet «de cultiver la colère de chacun sans se préoccuper de la cohérence de l'ensemble, qui dilue les anciennes barrières idéologiques et réarticule le conflit politique sur la base d'une opposition entre le peuple et les élites».
En dirigeant des messages ciblés en direction de ces masses d'individus frustrés, des discours qui discréditent un candidat et flattent l'image de l'autre, ces experts mènent de véritables guérillas virtuelles et, finalement, parviennent à influencer suffisamment de votes pour faire pencher un scrutin dans le sens souhaité. En 2013, le Mouvement 5 étoiles récoltait 23% et 25% des voix dans les deux chambres du Parlement, se hissant au second rang des partis italiens. L'expérience à été réitérée avec succès lors de la campagne présidentielle de Donald Trump aux États-Unis en 2016, ou du Brexit la même année. L'heure des Français serait-elle arrivée?
Les plateformes numériques, on le sait, inclinent, pour des motifs économiques, à aller toujours plus loin vers la diffusion de contenus ludiques, festifs, et transgressifs qui incitent les internautes à «s'engager» (liker, commenter, répondre, partager). Les médias audiovisuels anciens ont connu cette même évolution vers le divertissement dans les années 1980-1990 avec l'explosion des chaînes commerciales, mais avec une différence: en matière d'information, la plupart d'entre elles restaient généralistes et pluralistes et s'attachaient à favoriser la confrontation de points de vue et, par là, à contribuer à la conversation démocratique.
Aujourd'hui, c'est exactement le contraire: tout concourt à polariser les auditeurs et les opinions, à hystériser les esprits, même dans les grandes chaînes ou radios, peu importe qu'elles soient publiques ou privées –les chaînes tout-info poussant ce principe à l'extrême. Pourtant, le cahier des charges des grandes télévisions, soucieux de créer les conditions de la vie démocratique, multiplie les obligations en faveur du pluralisme et de l'honnêteté de l'information –un cadre juridique qui semble ne plus faire l'objet d'aucun contrôle.
Le cyclotron Twitter mouline en instantané l'information chaude. Son architecture algorithmique obéit à l'économie de l'attention, à celle de l'engagement de l'internaute, peu importe le contenu. Chaque internaute vit dans son silo, les «thread conversationnels» sont inexistants ou en tout cas tournent court très vite (4% des échanges sont des réponses sur Twitter France, contre 80% de likes), la communication s'opère par des clins d'œil, des interjections indignées, dénonciatrices ou approbatrices et, bien entendu, par la rediffusion de séquences brèves, extraites de l'actualité télévisée: celles qui, en un flash, résument une opinion radicale.
Les producteurs de contenus «énervés» sont peu nombreux, mais ils inondent le réseau, que consultent beaucoup d'internautes passifs. Ce carnaval fait fuir ceux qui sont habités par une exigence intellectuelle; ils abandonnent la foire d'empoigne Twitter et préfèrent fréquenter des espaces de discussion spécialisés ou les réseaux «pro» comme LinkedIn, et se réfugier vers les podcasts, les nouveaux magazines ou les sites de la presse généraliste. Cette désertion laisse Twitter aux internautes galvanisés par des humeurs et commentaires chargés d'émotions, ceux-là même qui appellent un émoticone d'approbation (le réseau propose des cœurs et pas d'émoticone de rejet).
Les journalistes des grands médias obsédés par le fait de sonder les attentes du public se sourcent sur Twitter, qui les branche sur la fraction la plus exaltée des internautes, et cette vision circule ensuite aussi grâce à d'autres applications, en particulier les messageries Telegram de journalistes et de communicants. Cette tonalité est dès lors transposée dans la grande information politique, le bottom-up jouant alors à plein. Parallèlement, pour affirmer leur fonction de contre-pouvoirs et forcer leur visibilité, les intervieweurs et éditorialistes construisent leurs questionnements sur de la critique, voire de l'agressivité, usant d'une tonalité empruntée à leurs collègues américains.
Enfin, beaucoup d'entre eux, en particulier les jeunes journalistes, semblent endosser les convictions de la gauche radicale, à l'instar d'une bonne partie des élites intellectuelles: on en repère les traces dans le journal Le Monde, dans les médias publics comme France Inter, des univers professionnels situés dans le halo de Sciences-Po (où 55% des étudiants ont voté pour Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle de 2022). Les médias «de référence», de ce fait, ont tourné en médias d'opinion.
Utilisation des ressources numériques, journalisme de combat et radicalisme à gauche font système: la médiasphère présente un profil beaucoup plus engagé que ne l'est la population française moyenne. Dans cette bataille culturelle, le souci du pluralisme, de la vérité, de la pondération et de l'argument rationnel passe d'évidence après d'autres considérations.
Dans The revolt of the public and the Crisis of Authority in the New Millennium, le politiste américain Martin Gurri explore le changement de paradigme né du web: en donnant la parole à tout le monde, chacun exprimant ses intérêts et ses émotions du moment, le Digital Age anéantit l'idée d'une société organisée selon une hiérarchie des savoirs et des positions –dans le gouvernement, les entreprises et les universités.
Le mode de fonctionnement ancien des sociétés devient alors illégitime. Vertical, centralisé, assis sur le socle des élites diplômées, des hauts cadres et des professionnels, pratiquant des délibérations compliquées, une obsession des normes et des procédures, guidé par des stratégies et une planification, filtré par les grands médias et les dispositifs culturels, ce modèle entre de plein fouet en conflit avec un nouvel acteur: l'amateur. L'internaute lambda exige d'être écouté et rejette spontanément les paroles issues d'un lieu d'autorité.
Martin Gurri pointe ainsi la puissance des liens faibles. Les réseaux pratiquent un égalitarisme fanatique sans craindre d'engendrer des dysfonctionnements sociaux majeurs. Ce nouvel acteur (le Public) se positionne radicalement contre le centre de la société, contre les pouvoirs organisés, campe sur un refus de l'ordre établi et s'active selon un élan unilatéral sans accorder la moindre considération aux autres parties prenantes du jeu social.
Sa dynamique et son mode de pensée s'orientent alors aisément vers une démarche nihiliste, la violence pour la violence, aucune réponse politique ne pouvant apaiser cet embrasement –qui n'a alors d'autre voie que de s'éteindre de lui-même. Dégager des leaders, prendre le pouvoir n'est pas le projet du Public, sa stratégie est plutôt de provoquer des nuisances et son principal projet, de s'opposer.
Que faire face à une foule sans tête et animée seulement par une position de refus? À tout moment, le pouvoir des faibles, coordonnés à travers des liens faibles au sein de la galaxie numérique, menace de déstabiliser le monde ancien –construit, lui, sur des liens forts (système de valeurs, cadres institutionnels, hiérarchies organisationnelles et scolaires).
Le philosophe italien Maurizio Ferraris, auteur de Postvérité et autres énigmes, établit la continuité entre le postmodernisme et le populisme avec la banalisation d'un régime de post-vérité. Il décrit le processus de l'histoire des idées qui trace ce chemin: déconstruction de la «rationalité instrumentale» perçue comme un agent de domination, affirmation du principe nietzschéen selon lequel «il n'y a pas de faits, mais seulement des interprétations», émergence de nouvelles pratiques accordant la toute première place à l'émotivité et à la solidarité, montée au pinacle de la subjectivité, avec son aboutissement, la privatisation de la vérité.
Internet galvanise ce processus, en encourageant le pouvoir direct des individus et en faisant disparaître les instances de validation. Dans l'effervescence de la communication décentralisée, créer du faux et le faire circuler, c'est d'ailleurs l'enfance de l'art –tant par la diffusion de «preuves» par des images truquées ou sorties de leur contexte, que par le martèlement d'idées ou de visions du monde mille fois partagées dans les liens numériques. Ce flot de narrations et de vérités alternatives, souvent résumées en tweets ou en statuts Facebook qui par leur abondance s'apportent une garantie réciproque, devient alors acceptable au nom du principe selon lequel chacun a droit à sa part de la vérité.
Au-delà de cet antiscientisme emboîté à la critique des sachants, d'autres éléments expliquent la crédulité d'une partie de la population face aux vrais ou demi-mensonges ainsi que, parfois, sa capacité à succomber aux fantasmes les plus délirants. À une époque où les médias et les responsables des partis de gouvernement sont souvent suspectés de mensonges –parfois à tort ou parfois à juste titre–, que des leaders populistes se jouent de la vérité, ou même inventent une réalité alternative, ce comportement n'entame pas leur crédit auprès de leurs électeurs et électrices.
Donald Trump a pu énoncer n'importe quelle énormité sans que cela ne choque ou ne lui porte préjudice. Bien au contraire, oser affirmer une chose fausse peut être perçu comme un acte d'émancipation, voire de bravoure, et celui qui ose transgresser les normes ou les vérités établies peut apparaître aux yeux de certains comme le vrai champion de leurs intérêts.
Business de la haine, révolte contre les hiérarchies, notamment celles des savoirs, mise en place de la subjectivisation de la vérité: difficile de lutter contre ces forces obscures, dont une partie relève de la puissance technologique; difficile, pour les sociétés démocratiques, d'affronter un tel chaos. Même Marshall McLuhan[1] n'aurait pas imaginé l'émergence d'un tel «moule de l'esprit».
1 — James W.Carey résume ainsi la pensée du professeur de communication: «Les technologies de la communication, loin d'être neutres, loin de se réduire à des outils de transmission, participent au sens du message: elles constituent “des choses avec quoi penser, des moules de l'esprit, des façonneurs de représentations”», Communication as Culture: Essays on Media and Society, New York & Londres, Routledge, édition révisée, 2008.
C’est un regard qui compte dans le milieu du photojournalisme. Le Genevois Niels Ackermann, cofondateur de l’agence Lundi13, auteur de plusieurs photoreportages primés, appelle les médias à bien réfléchir à leur utilisation des IA génératives comme Dall-E ou Midjourney pour illustrer leurs articles. Parce qu’elles menacent son gagne-pain? Non, rétorque-t-il. Parce que la presse doit s’ériger en rempart qui protège encore le vrai, dans un monde inondé par des contenus synthétiques.
Heidi.news — Qu’est-ce que vous inspirent ces nouveaux logiciels d’IA génératives?
Niels Ackermann — Lorsque je vois une nouvelle technologie qui émerge, mon premier réflexe est de me remémorer les précédents bouleversements qui ont affecté ma profession et que j’ai moi-même vécus. À chaque fois, il y a ceux qui ont immédiatement adopté ces nouveaux outils, et ceux qui s’y sont opposés. J’avais 13 ans quand j’ai acheté mon premier appareil photo numérique. Autour de moi, certains photographes ont regardé ces nouveaux capteurs avec mépris, estimant que seules des photos prises par des appareils avec film avaient de la valeur. Mais la technologie a modifié les attentes du marché. La possibilité d’avoir des photos numériques qui n’ont pas besoin d’être développées et peuvent être utilisées immédiatement s’est avérée utile, notamment dans les médias. Ceux qui n’ont pas voulu opérer ce virage, ou l’ont fait trop tard, ont été mis de côté.
Le même scénario s’est reproduit il y a quelques années avec Instagram. Certains photographes ont refusé de s’y inscrire. Cela les a exclus en partie du marché, car de nombreux clients s’en servent comme d’un annuaire téléphonique pour sélectionner leur photographe.
Et cela se répète donc avec les IA génératives?
Bien sûr, le processus sera le même, et peut-être même encore plus rapide. En voyant l’essor fulgurant de ces nouveaux logiciels, j’ai décidé de m’y intéresser, parce que je veux comprendre leur fonctionnement et leur utilité. J’ai testé entre autres Dall-E, ChatGPT et Midjourney. J’ai été bluffé par la puissance de ces outils. A tel point que je me suis rendu compte qu’ils pourraient rapidement affecter mes revenus.
«Il existe sans doute un marché pour le réel»
C’est-à-dire?
Aujourd’hui, l’essentiel de mon chiffre d’affaires provient de mandats dans la pub ou pour des entreprises. Mon travail de photojournaliste, bien que je l’affectionne profondément, est marginal en termes de revenus. En testant ces IA génératives, j’ai pris peur. Je me suis d’abord imaginé que n’importe quelle agence de pub pourrait les utiliser pour générer des images d’excellente qualité pour leurs campagnes. Comment moi, en tant que professionnel, pourrais-je encore justifier des devis à cinq chiffres quand de telles technologies sont disponibles, à un prix défiant toute concurrence?
Je me suis toutefois souvenu qu’il était déjà possible de réduire les coûts en ayant recours à des banques d’images. Si la plupart des agences ne l’ont pas fait jusqu’ici, c’est peut-être parce qu’elles cherchent quelque chose de plus: une certaine personne, un certain lieu, mais aussi une certaine forme d’humanité qu’on ne trouve pas forcément dans ces banques d’images. Cela m’a rassuré de me dire qu’il existe sans doute un marché pour le réel, dans un monde où la disponibilité du faux, du synthétique devient illimitée.
Un «marché pour le réel», qu’est-ce que ça veut dire?
Je suis convaincu que la photographie transmet des émotions particulières. C’est ce qui a fait le succès de ce médium et c’est une des choses qui me fait tant aimer mon travail de photojournaliste. Ces images racontent quelque chose, elles capturent une part de «vrai», une scène, un moment de l’histoire, et elles suscitent des émotions, positives ou négatives. Dans un monde où la disponibilité pour le synthétique est illimitée, j’ai la conviction que les médias doivent devenir des «marchands de vrai». Le photojournalisme m’a mené vers la publicité, qui est plus rémunératrice, mais il se peut que ces évolutions technologiques inversent cette pyramide des revenus et me pousse de la publicité vers le journalisme.
Justement, comment réagissez-vous face aux médias qui génèrent de fausses photographies pour illustrer leurs articles? Le Blick l’a fait récemment, avec une image où apparaissent cinq jeunes qui n’existent pas.
Je ne vais pas le cacher, cela m’a porté un coup au moral de voir qu’un média s’amuse à générer des deepfakes, quand bien même il s’agit de visages qui n’existent pas, et que la légende photo le précise. Je ne l’ai pas mal vécu pour des raisons financières, parce que cela m’a privé d’un quelconque revenu. S’ils n’avaient pas généré cette image, ils auraient illustré leur article par une photo tirée d’une banque d’images. Le problème, c’est que cela porte atteinte à la crédibilité des médias. Ces derniers doivent s’interroger sur leur rôle dans cette époque où l’offre de faux est illimitée et omniprésente. Selon moi, cette profession doit se considérer comme le rempart qui protège encore le vrai. Et pour pouvoir occuper ce rôle, il faut être intraitable avec la déontologie.
Ce n’est pas le cas, selon vous?
Je pense que les médias suisses ont toléré ces dernières années des pratiques qui posent question sur le plan déontologique. Qu’il s’agisse (entre autres) de publireportages plus ou moins cachés, de sujets teintés de militantisme ou d’une absence de distance vis-a-vis du langage corporate. J’ai le sentiment que ces pratiques doivent être définitivement arrêtées. En Suisse, aucun média ne m’a par exemple demandé de signer une charte pour m’imposer des limites et s’assurer de mon honnêteté. La première fois que j’ai collaboré avec le New York Times, j’ai reçu des instructions sur ce qui était acceptable ou non. Parmi cette liste figurait l’interdiction d’accepter des cadeaux, le paiement du voyage par des tiers, mais aussi des paramètres techniques à respecter dans la manière d’utiliser mon appareil pour s’assurer que les images reflètent la vérité. Le risque, si je ne respectais pas ces règles, c’est d’être tout simplement ostracisé par les médias américains, parce que le New York Times aurait fait passer le mot.
«Il faut une distinction claire entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans les médias»
Mais au fond, ne cherchez-vous pas à conserver votre gagne-pain en limitant la capacité de choisir des médias?
Non. Je peux nourrir ma famille sans la presse aujourd’hui, et je ne fais pas partie de ceux qui vont dire que cette technologie va précariser ma profession. Cela fait déjà 20 ans qu’elle est précarisée. J’ai simplement la conviction qu’un lecteur qui ouvre un journal doit avoir la garantie que la photo qu’il voit raconte bien quelque chose de réel, et qu’il n’a pas besoin de systématiquement vérifier la légende pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un contenu synthétique.
Pour moi, l’enjeu va au-delà de mon propre confort financier. Il s’agit de conserver des lieux où le réel a sa place. Si les médias ne saisissent pas cette occasion pour proposer un contenu rigoureux où le vrai est la seule boussole, alors ils ne serviront plus à rien dans le monde qui nous attend. Il faut qu’il y ait une distinction claire entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas dans les médias. Raison pour laquelle d’ailleurs je pense qu’une illustration qui a un style cartoon et qui serait générée par une IA ne poserait pas de problème pour illustrer un article. Sa dimension fictive sauterait aux yeux. Mais tout ce qui tente de simuler le réel, qui peut tromper, c’est une limite qui ne doit pas être franchie, et je m’inquiète de voir que certains médias l’ont déjà franchie sans attendre.
Que les médias diffusent uniquement de vraies photos ne changera pas le fait que l’on va s’habituer à questionner l’authenticité de chaque contenu, dès lors à quoi bon?
Peut-être, mais les lecteurs ont toujours vu les photos publiées dans la presse comme une forme de rapport au réel. Les montages, qui ne datent pas des IA génératives, ont toujours été vécus comme une tromperie. Il ne doit pas en être différemment avec ces logiciels. Préserver un espace où le réel est la règle sera d’autant plus crucial justement, parce que ce questionnement autour de l’authenticité ne sera pas nécessaire.
Au-delà du rôle des médias, je m’inquiète qu’on me demande quel «prompt» (requête adressée à l’IA, ndlr.) j’ai utilisé pour générer les photos que j’ai réellement prises, par exemple dans mes reportages en Ukraine. Je m’interroge beaucoup sur le rapport qu’auront nos enfants aux photos lorsqu’ils seront grands. J’espère qu’ils seront en mesure de les concevoir comme quelque chose qui raconte le réel, et pas uniquement comme un contenu synthétique que n’importe qui aurait pu générer. J’espère surtout que ces photographies continueront à leur véhiculer des émotions.
Nous avons besoin de vous. De votre mobilisation. Du rempart de vos consciences.
Il n’est jamais arrivé que des médias, qui défendent souvent des points de vue divergents et dont le manifeste n’est pas la forme usuelle d’expression, décident ensemble de s’adresser à leurs publics et à leurs concitoyens d’une manière aussi solennelle.
Si nous le faisons, c’est parce qu’il nous a paru crucial de vous alerter au sujet d’une des valeurs les plus fondamentales de notre démocratie: votre liberté d’expression.
Aujourd’hui, en 2020, certains d’entre vous sont menacés de mort sur les réseaux sociaux quand ils exposent des opinions singulières. Des médias sont ouvertement désignés comme cibles par des organisations terroristes internationales. Des États exercent des pressions sur des journalistes français “coupables” d’avoir publié des articles critiques.
La violence des mots s’est peu à peu transformée en violence physique.
Ces cinq dernières années, des femmes et des hommes de notre pays ont été assassinés par des fanatiques, en raison de leurs origines ou de leurs opinions. Des journalistes et des dessinateurs ont été exécutés pour qu’ils cessent à tout jamais d’écrire et de dessiner librement.
“Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi”,
proclame l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, intégrée à notre Constitution. Cet article est immédiatement complété par le suivant: “La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.”
Pourtant, c’est tout l’édifice juridique élaboré pendant plus de deux siècles pour protéger votre liberté d’expression qui est attaqué, comme jamais depuis soixante-quinze ans. Et cette fois par des idéologies totalitaires nouvelles, prétendant parfois s’inspirer de textes religieux.
Rappelons ici, en solidarité avec Charlie Hebdo, qui a payé sa liberté du sang de ses collaborateurs, qu’en France, le délit de blasphème n’existe pas.
Bien sûr, nous attendons des pouvoirs publics qu’ils déploient les moyens policiers nécessaires pour assurer la défense de ces libertés et qu’ils condamnent fermement les États qui violent les traités garants de vos droits. Mais nous redoutons que la crainte légitime de la mort n’étende son emprise et n’étouffe inexorablement les derniers esprits libres.
Que restera-t-il alors de ce dont les rédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 avaient rêvé? Ces libertés nous sont tellement naturelles qu’il nous arrive d’oublier le privilège et le confort qu’elles constituent pour chacun d’entre nous. Elles sont comme l’air que l’on respire et cet air se raréfie. Pour être dignes de nos ancêtres qui les ont arrachées et de ce qu’ils nous ont transmis, nous devons prendre la résolution de ne plus rien céder à ces idéologies mortifères.
Les lois de notre pays offrent à chacun d’entre vous un cadre qui vous autorise à parler, écrire et dessiner comme dans peu d’autres endroits dans le monde. Il n’appartient qu’à vous de vous en emparer. Oui, vous avez le droit d’exprimer vos opinions et de critiquer celles des autres, qu’elles soient politiques, philosophiques ou religieuses pourvu que cela reste dans les limites fixées par la loi. Rappelons ici, en solidarité avec Charlie Hebdo, qui a payé sa liberté du sang de ses collaborateurs, qu’en France, le délit de blasphème n’existe pas. Certains d’entre nous sont croyants et peuvent naturellement être choqués par le blasphème. Pour autant ils s’associent sans réserve à notre démarche. Parce qu’en défendant la liberté de blasphémer, ce n’est pas le blasphème que nous défendons mais la liberté.
Nous avons besoin de vous. De votre mobilisation. Du rempart de vos consciences. Il faut que les ennemis de la liberté comprennent que nous sommes tous ensemble leurs adversaires résolus, quelles que soient par ailleurs nos différences d’opinions ou de croyances. Citoyens, élus locaux, responsables politiques, journalistes, militants de tous les partis et de toutes les associations, plus que jamais dans cette époque incertaine, nous devons réunir nos forces pour chasser la peur et faire triompher notre amour indestructible de la Liberté.
DéfendonsLaLiberté
Alliance de la presse d’information générale, BFMTV, Canal+, Challenges, Charlie Hebdo, Cnews, Courrier International, Europe1, France Médias Monde, France Télévisions, L’Alsace, L’Angérien Libre, L’Avenir de l’Artois, L’Echo de l’Ouest, L’Echo de la Lys, L’Equipe, L’Essor Savoyard, L’Est-Eclair, L’Est républicain, L’Express, L’Hebdo de Charente-Maritime, L’Humanité, L’Humanité Dimanche, L’indicateur des Flandres, L’informateur Corse nouvelle, L’Obs, L’Opinion, L’Union, La Charente Libre, La Croix, La Dépêche du Midi, La Nouvelle République, La Renaissance du Loir-et-Cher, La Renaissance Lochoise, La Savoie, La Semaine dans le Boulonnais, La Tribune Républicaine, La Vie, La Vie Corrézienne, La Voix du Nord, Le Bien public, Le Canard Enchaîné, Le Courrier français, Le Courrier de Gironde, Le Courrier de Guadeloupe, Le Courrier de l’Ouest, Le Courrier Picard, Le Dauphiné libéré, Le Figaro, Le Figaro Magazine, Le HuffPost, Le Journal d’Ici, Le Journal des Flandres, Le Journal du Dimanche, Le Journal du Médoc, Le Journal de Montreuil, Le Journal de Saône-et-Loire, Le Maine Libre, Le Messager, Le Monde, Le Parisien / Aujourd’hui en France, Le Parisien Week-end, Le Pays Gessien, Le Phare Dunkerquois, Le Point, Le Progrès, Le Républicain Lorrain, Le Réveil de Berck, Le Semeur hebdo, Le Télégramme, Les Dernières Nouvelles d’Alsace, Les Echos, Les Echos du Touquet, LCI, Libération, Libération Champagne, M6, Marianne, Midi Libre, Monaco Matin, Nice Matin, Nord Eclair, Nord Littoral, Ouest France, Paris Match, Paris Normandie, Presse Océan, Radio France, RMC, RTL, Sud Ouest, TF1, Télérama, Var Matin, Vosges Matin.
Sophie Eustache écrit dans la presse professionnelle, syndicale et généraliste. Syndiquée au SNT-CGT, elle a aussi créé l’association "Journalistes debout" en 2016. Elle fait paraître aux éditions Amsterdam "Bâtonner, Comment l’argent détruit le journalisme", réquisitoire contre un "journalisme de marché".
Marianne : Que signifie "bâtonner" ?
Sophie Eustache : Le "bâtonnage" est une pratique journalistique apparue dans les services web quand il a fallu "produire du contenu", c’est-à-dire écrire le plus d’articles possibles, pour contenter les algorithmes. C’est du copier/coller amélioré, souvent de dépêches mais aussi d’articles de journaux. Le temps d’écriture est environ de 30 minutes pour pouvoir publier un article toutes les heures en moyenne. C’est donc du travail qui se fait à la chaîne. La quantité prime la qualité.
En quoi le "deskeur", celui qui "bâtonne" à son bureau, est-il typique du journalisme contemporain ?
Le travail au desk a poussé à bout la logique de concurrence mimétique, bien antérieure à Internet. Grâce aux algorithmes des réseaux sociaux, les audiences sont mesurées bien plus précisément qu’auparavant. On peut même anticiper le nombre de clics que va avoir un article avant de l’écrire ! 64% des informations sur les sites généralistes d’information, d’après l’économiste des médias Julia Cagé, sont du copier/coller.
Internet aurait pu être un outil émancipateur pour les journalistes, mais en réalité, c’est une désillusion
Vous écrivez que Google est devenu le rédacteur en chef, en particulier dans les services web des journaux. Quels furent les dommages d’Internet pour le journalisme ?
Internet aurait pu être un outil émancipateur pour les journalistes, mais en réalité, c’est une désillusion. Des pratiques comme le bâtonnage ont déqualifié le métier. Faire du copier/coller sans avoir le temps de faire des sujets originaux, d’enquêter, d’aller à la source de l’information et de réfléchir à sa propre pratique, ressemble à de l’automatisation du travail. C’est une perte de sens. L’idée qui sous-tend la production de contenus dans les médias privés, c’est d’engranger des revenus publicitaires. Les sujets sont choisis en fonction des potentiels d’audience. Il y a des magazines et des projets éditoriaux qui se créent uniquement parce que les commerciaux ont repéré un marché publicitaire… c’est le cas notamment de certains magazines lifestyle ou santé grand public.
Pourquoi écrivez-vous que les frontières entre journalisme, communication et publicité sont de plus en plus poreuses ?
C’est également lié aux outils marketing. Ils permettent non seulement d’avoir une fine connaissance des audiences mais aussi de collecter des données personnelles pour pouvoir mener des campagnes publicitaires ciblées. En rachetant Doctissimo, TF1 a mis la main sur une immense base de données qu’il peut vendre aux annonceurs. Dans l’entreprise dans laquelle je travaillais, les dossiers qui faisaient la une chaque mois étaient fixés par le service commercial. Il commençait à vendre les encarts publicitaires avant même l’écriture des articles ! Je parle également dans le livre des live media. Des médias, comme la Tribune, sponsorisent des événements dans lesquels leurs clients ont la parole autour de tables rondes animées par des journalistes de la rédaction. Ces derniers doivent poser les questions qui conviennent …
Le temps d’écriture est environ de 30 minutes pour pouvoir publier un article toutes les heures en moyenne. C’est donc du travail qui se fait à la chaîne. La quantité prime la qualité.
Vous évoquez aussi dans votre ouvrage la concentration des médias. Quels intérêts industriels cela cache-t-il ?
La plupart de ceux qui investissent dans les médias ont des activités qui dépendent des commandes ou de la régulation de l’Etat, c’est le cas de l’industrie BTP de Martin Bouygues ou des opérateurs de téléphonie mobile (Xavier Niel, propriétaire du Monde et patron de Free par exemple). Avoir un journal est un outil d’influence, même symbolique, pour peser sur les pouvoirs publics. Patrick Drahi arrive, lui, à faire de l’optimisation fiscale. Comme Libération est déficitaire, en vertu du dispositif du compte consolidé, le résultat total de son groupe baisse ainsi que le montant des impôts à payer. Avec SFR Presse, il fait appliquer la TVA de la presse sur une partie de ses abonnements. Ce qui permet encore d’économiser quelques millions ! Acheter un média permet aussi de tirer sur les concurrents par colonnes ou tribunes interposées.
Diriez-vous que le journaliste est dépossédé de son travail ?
C’est surtout vrai pour le "deskeur" : copier/coller n’a rien d’artisanal ! Dans les services web, la disparition des rubriques a dépossédé les journalistes de leur expertise. Avec la crise sanitaire actuelle, on s’aperçoit que les rédactions manquent cruellement de journalistes scientifiques. Les pigistes, eux, sont la variable d’ajustement. Ils sont plutôt dépossédés au sens où ils ont peu de contrôle sur leurs moyens d’existence. Avec le coronavirus, c’est encore pire. Beaucoup de pigistes, spécialement dans le domaine du sport et de la culture, se retrouvent sans travail à cause d’entreprises qui leur refusent le chômage partiel. Ils y ont pourtant droit s’ils sont des pigistes réguliers. Ils sont salariés au même titre que les journalistes postés. Pour les pigistes comme pour les deskeurs, les titres sont aussi souvent modifiés sans leur autorisation afin d’être plus racoleurs. Beaucoup de correspondants à l’étranger se plaignent de cette pratique qui les met parfois en danger sur le terrain.
Est-ce qu’on peut résumer les choses ainsi : un journaliste doit choisir entre bien faire son travail et être payé correctement, sauf s’il a beaucoup de "piston" ?
On peut le résumer ainsi, encore que les "pistons" ne soient pas toujours suffisants. Ceux qui ont des ressources financières, je pense notamment aux pigistes qui ont le soutien familial, arrivent encore à pratiquer leur métier plus sereinement. Si on ajoute à cela le coût des écoles de journalisme, on comprend pourquoi il y a une augmentation de la part des personnes issues de la bourgeoisie parmi les journalistes. Cela a une conséquence sur le traitement de l’information, notamment des mouvements sociaux.
Il y a une responsabilité collective, donc aussi des journalistes
Que faudrait-il faire pour donner du temps aux journalistes et les sortir de la précarité ?
Julia Cagé a développé un modèle de société de média à but non lucratif, dans lequel les journaux seraient possédés par une multitude de petits actionnaires. Son principe : mieux vaut mille petits actionnaires qu’un seul ! Le Monde diplomatique a aussi avancé un ‘projet pour une presse libre’ qui consiste à financer l’information sur le modèle de la cotisation, donc à partir de salaire socialisé, ce qui remplacerait les aides à la presse. La presse d’intérêt général pourrait en bénéficier, à condition d’être à but non lucratif et de proscrire la publicité. Un service commun fournirait, lui, les moyens techniques aux journaux (diffusion, imprimerie, recherche et développement). Enfin, on peut citer les propositions du syndicat SNJ-CGT : durcissement des lois anti-concentration des médias, suppression des aides à la presse pour les employeurs qui ne respectent pas le droit du travail (et ils sont nombreux, notamment pour les pigistes !), attribution prioritaire de ces aides pour la presse indépendante, reconnaissance de l’indépendance juridique des rédactions …
Quelle est la part de responsabilité des journalistes eux-mêmes et sont-ils prêts à changer les choses ?
Il y a une responsabilité collective, donc aussi des journalistes. La plupart d’entre eux sont apathiques à cause de la précarité mais aussi parce qu’ils ont tendance à valoriser certaines contraintes, comme l’urgence. Les journalistes sont à peine plus syndiqués que la moyenne nationale car ils sont nombreux à avoir intériorisé le discours anti-syndical que relaient les médias dominants, ce qui n’aide pas non plus à mobiliser. Pour toutes ces raisons, je suis assez pessimiste pour l’avenir proche. Mais il y a bien un moment où il faudra changer radicalement de modèle.
Quand le gouvernement vous cache la vérité, qu’est-ce qu’il vous cache ?". C'est l'unique question posée à la population locale par la quasi-totalité des journaux australiens et à la télévision à travers la publicité, ce lundi 21 octobre. Rayées de noir, caviardées, comme censurées, les Unes se ressemblaient toutes.
Ces journaux, parmi lesquels des titres aussi prestigieux que The Australian, The Sydney Morning Herald et l’Australian Financial Review, dénoncent ainsi la culture du secret au sein du gouvernement et les divers atteintes à la liberté d'expression.
Cette campagne pour le droit à l’information intervient après des descentes de la police fédérale, il y a quelques mois, chez la chaîne nationale ABC et au domicile d’une journaliste de News Corp, Annika Smethurst, qui avaient publié deux informations embarrassantes pour le gouvernement.
"Ces opérations de police (…) sont des attaques portées à la liberté de la presse en Australie mais elles ne représentent que la partie émergée de l’iceberg", a déclaré Paul Murphy, chef du syndicat Media Entertainment and Arts Alliance.
Les médias australiens demandent notamment que les journalistes ne soient pas soumis à la législation très stricte en matière de sécurité nationale qui, selon eux, complique leur travail. "La culture du secret qui découle de ces dispositions légales restreint le droit de tout Australien à être informé et cela va bien au-delà de l’intention de départ qui était la préservation de la sécurité nationale", a indiqué Paul Murphy.
À la suite des perquisitions à l’origine de la campagne, trois journalistes pourraient faire l’objet de poursuites criminelles : Annika Smethurst pour avoir révélé que le gouvernement envisageait d’espionner les Australiens, et deux journalistes d’ABC pour avoir dénoncé des crimes de guerre qui auraient été commis par les forces spéciales australiennes en Afghanistan.
En cette fin juillet 2019, les nécrologies et les hommages à Pierre Péan, décédé le 25 juillet, se sont succédé dans de nombreux médias. Dans plusieurs d'entre eux, encenser Pierre Péan a permis d'attaquer Mediapart, jugé coupable de révélations qui mettraient en péril la démocratie ou l'exercice du pouvoir.
Interviewé en 2014, Pierre Péan affirmait :
« Ça fait des années que je m'évertue à répéter que je ne me reconnais pas sous le vocable de « journaliste d'investigation. » « Investigation », c'est la traduction d'une expression américaine policière. Je préfère le mot ‘enquête’. » Je me définirai plutôt comme un « enquêteur d'initiative sur sujets sensibles. »
Il y opposait sa pratique à celle d'Edwy Plenel et de Mediapart :
« Attendre sur son bureau les PV des juges, ce n'est pas ce que j'appelle de l'enquête, mais de la simple gestion de fuites. Le journaliste devient un pion, rentrant dans les objectifs des uns et des autres, devenant l'outil de vengeances ou de stratégies judiciaires. Je revendique de prendre l'initiative, je ne suis pas un auxiliaire de justice, je n'ai pas besoin de la justice pour déterminer le sujet de mes enquêtes. »
En 2015, dans l'émission de la série « Duels », il était opposé à Edwy Plenel. L'un et l'autre développaient leur conception du journalisme.
En dépit des efforts de Pierre Péan, l'expression « journalisme d'investigation » a pris le pas sur celle de journalisme d'enquête ou d'initiative personnelle. Les méthodes du genre journalistique « investigation » sont fréquemment remises en cause par ceux que les révélations dérangent, mais aussi par une partie de l'opinion publique. La pratique du feuilleton journalistique ou les interventions jugées intempestives d'Elise Lucet dans certaines enquêtes de Cash investigation sont parfois considérées comme du marketing de la révélation, qui privilégierait la forme au détriment du fond. Pourtant, elles constituent des moyens utiles à cette révélation.
Ainsi, le feuilleton, outre qu'il fidélise la clientèle et fait vendre du papier, permet d'attendre les réactions, y compris de dénégation, de laisser la personne ou l'institution mise en cause s'enferrer et d'obtenir des confirmations par de nouvelles sources. Mediapart en a usé dans les affaires Bettencourt, Cahuzac ou De Rugy, mais Le Canard enchaîné ou Le Monde pratiquent aussi le feuilletonage depuis longtemps, par exemple pour les diamants de Giscard, le Rainbow Warrior, François Fillon ou Alexandre Benalla.
Le marketing de l'investigation en télévision doit obligatoirement passer par l'image. Il faut que le téléspectateur puisse voir ce qui se manigance ou se dissimule. Cela explique les interventions dans des cénacles généralement fermés pour y faire entrer les caméras et montrer les réactions aux téléspectateurs. L'investigation ne peut exister sans une « mise en scène » qui capte l'attention du public.
Le grand public, et certains hommes et femmes de pouvoir ou certaines institutions, croient fréquemment que les journalistes d'investigation visent une cible, qu'ils voudraient abattre. Rien de plus faux : dans l'immense majorité des enquêtes, les journalistes partent d'une source (témoignage, document ou autre), la vérifient, la recoupent, la croisent avec d'autres sources, la valident en conférence de rédaction, afin de pouvoir tirer un fil puis un autre et de dérouler l'ensemble de la pelote…
C'est pourquoi la protection de la confidentialité des sources des journalistes est essentielle au bon fonctionnement de la société démocratique. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) s'est prononcée à de multiples reprises sur cette question. Elle considère en effet la protection de la confidentialité des sources comme une « pierre angulaire » du journalisme (Arrêt Goodwin contre Royaume-Uni, 27 mars 1996) puisque « l'absence de cette protection dissuaderait le plus grand nombre de sources valables possédant des informations d'intérêt général de se confier à des journalistes ».
En 2007, la CEDH souligne que « le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de l'illicéité de leurs sources, mais comme un véritable attribut du droit à l'information ». Elle ajoute qu'il incombe à la presse d'être « le chien de garde de la démocratie », expression que l'on retrouve dans plusieurs arrêts (Handyside, Lingens, Goodwin, etc.)
C'est pourquoi les puissants ou les institutions qui souhaitent cacher des choses ou les dissimuler sous le manteau d'une communication contrôlée cherchent toujours à connaître les sources des journalistes. C'est aussi pourquoi certains confrères ou consœurs, journalistes eux-mêmes, demandent qu'on leur révèle les sources ou des preuves quand les révélations ne leur siéent pas : voir les affaires Cahuzac, Fillon, De Rugy et les réactions de quelques éditorialistes.
Toutefois, tous les journalistes d'investigation savent que les sources sont intéressées à la révélation, pour des raisons diverses : intérêt personnel, vengeance, recherche de notoriété ou autres. C'est alors à eux, et à leur rédaction, de maintenir la distance, de refuser l'instrumentalisation, de ne pas être prisonnier de leurs sources. Le fondateur du Monde, Hubert Beuve-Méry, disait que « le journalisme c'est l'art de la distance et de la proximité ».
Pierre Péan revendiquait le « journalisme d'initiative individuelle », l'enquête contre l'investigation. Les enquêtes qu'il a menées dans les années 1970 et 1980 montrent qu'il a su révéler de nombreux secrets d'État. La plus célèbre est sans doute l'affaire des diamants offerts par Bokassa à Valéry Giscard d'Estaing, révélée en octobre 1979 dans Le Canard Enchaîné.
L'une des Unes du Canard sur l'affaire des diamants de Bokassa. Canard Enchaîné/bbernard
Ensuite viennent une série de livres publiés chez Fayard, dont les titres parlent d'eux-mêmes : Les Deux Bombes, comment la France a donné la bombe à Israël et à l'Irak (1982), Affaires africaines (1983) sur les réseaux mis en place par Jacques Foccart en Afrique, V : enquête sur l'affaire des avions renifleurs et ses ramifications (1984), L'Argent noir : corruption et sous-développement (1988), L'Homme de l'ombre : éléments d'enquête autour de Jacques Foccart, l'homme le plus mystérieux et le plus puissant de la Ve République (1990), Le Mystérieux Docteur Martin, 1895-1969 (1993), ou, publié avec Christophe Nick, TF1, un pouvoir, (1997).
Mais Pierre Péan était, comme les autres, tributaire de ses sources notamment de ses relations avec des proches de François Mitterrand et de Jacques Chirac et de certaines de ses relations africaines. Ainsi en 1982, lors de l'affaire des Irlandais de Vincennes, Pierre Péan adopte une attitude différente de celle d'Edwy Plenel : « Je me pose toujours la question : quel va être l'impact de ce que je vais dire ? Exemple : l'affaire des Irlandais de Vincennes. J'avais le scoop, bien avant Le Monde. Je ne l'ai pas sorti car je pensais que cela pouvait avoir un risque sur la vie même de Bernard Jégat, un des acteurs de l'affaire. » (Entretien à Figarovox. Bernard Jégat avait dénoncé les supposés terroristes au capitaine Barril.). Zineb Dryef et David Servenay, journalistes à Rue89 posent ainsi une question : « Pierre Péan, un enquêteur au service du pouvoir ? »
Pierre Péan n'avait plus de carte de presse depuis 1987, car il ne publiait plus guère dans la presse et parce qu'il avait entamé un chemin solitaire. Or le journalisme est un artisanat qui se pratique en collectivité, au sein d'une rédaction et d'une entreprise. Ainsi, Bob Woodward et Carl Bernstein, les journalistes du Washington Post qui ont révélé l'affaire du Watergate, informaient régulièrement leur rédacteur en chef, Ben Bradlee, qui lui-même rendait compte des évolutions de l'enquête à la propriétaire du journal, Katharine Graham.
Au mitan des années 1990, Pierre Péan glisse graduellement vers des enquêtes orientées par des motifs personnels ou par des relations surprenantes, qui lui valent plusieurs polémiques. Ainsi, dans Vol UT 772 : contre-enquête sur un attentat attribué à Kadhafi (Stock, 1992), repris dans Manipulations africaines : l'attentat contre le DC 10 d'UTA, 170 morts, qui sont les vrais coupables de l'attentat du vol UTA 772 ? (Plon, 2001), il cherche à dédouaner la Libye de Kadhafi. Avec Une jeunesse française, François Mitterrand (1934-1947) (Fayard, 1994), il revient avec tendresse et avec l'assentiment de Mitterrand sur le parcours sinueux du Président en fin de vie. De même, avec Chirac, l'Inconnu de l'Élysée (Fayard, 2007).
Inversement, il attaque frontalement ceux qu'il considère comme ses ennemis, les thuriféraires du mondialisme ou les contempteurs de François Mitterrand. Le Monde selon K., une biographie critique de Bernard Kouchner, (Fayard, 2009), La Face cachée du Monde, du contre-pouvoir aux abus de pouvoir, écrit avec Philippe Cohen (Mille et une nuits, 2003), et Noires fureurs, blancs menteurs : Rwanda, 1990-1994, (Mille et une nuits, 2005), reflètent des partis-pris et des combats individuels. Son « enquête » sur le génocide des Tutsis lui vaut même d'être taxé de révisionnisme.
C'est au cours de cette période que la séparation des deux branches du journalisme d'investigation devient patente. Sur l'autre versant, Edwy Plenel et Mediapart sont accusés de jouer les procureurs, d'être des auxiliaires de police, d'attaquer des hommes plus que des systèmes, de livrer des noms et des réputations « aux chiens » (« Toutes les explications du monde [sous-entendu du journal Le Monde] ne justifieront pas qu'on ait pu livrer aux chiens l'honneur d'un homme, et finalement sa vie, au prix d'un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d'entre nous. » Discours de François Mitterrand lors des obsèques de Pierre Bérégovoy le 4 mai 1993.).
Leurs méthodes sont dénoncées comme étant celles d'inquisiteurs et de moralisateurs. Et parce que Pierre Péan était bon vivant et jovial, quoique taiseux, alors qu'Edwy Plenel est prolixe et plus sec, les commentateurs rejouent Danton contre Robespierre, celui qui connaît la vie contre l'idéologue. Pourtant, l'un n'existerait pas sans l'autre et la Révolution française n'aurait pas eu le même cours sans l'un ou l'autre.
Pour l'observateur des médias, ces deux branches du journalisme d'enquête et d'investigation sont également nécessaires : elles se complètent et se nourrissent l'une l'autre. Surtout, elles alimentent le pluralisme et le débat démocratique. Car l'important dans une société démocratique, c'est la révélation des scandales, des affaires, des manipulations, des tricheries et des conflits d'intérêts.
Qu'elle soit le résultat d'un journalisme d'enquête ou d'un journalisme d'investigation, qu'elle vienne d'une initiative personnelle ou d'une collectivité rédactionnelle, qu'elle provienne d'un témoin ou d'un document, la révélation est essentielle au bon fonctionnement de la démocratie qui repose sur le droit du public à être informé. Et Pierre Péan, comme Edwy Plenel, ont tous deux participé à la révélation de « faces cachées ». Pour le public, pour la démocratie, c'est là l'essentiel.
Une profession toujours plus précarisée, des conditions de travail qui se dégradent et une perte de sens grandissante: une étude réalisée par la Scam auprès de plusieurs milliers de journalistes dresse un portrait "extrêmement préoccupant" d'un métier sous pression.
La Société civile des auteurs multimédias, déjà à l'origine d'une première étude sur les revenus et les activités des journalistes publiée en 2013, présente ce vendredi aux Assises du journalisme de Tours un nouvel état des lieux de la profession, fruit d'une enquête à laquelle plus de 3.700 professionnels ont participé.
"C'est un tableau très noir", souligne à l'AFP Béatrice de Mondenard, qui a menée cette étude. Un exercice qui démontre "à quel point il y a un décalage entre l'image que donne la profession et les conditions de vie réelles", souligne-t-elle.
Parmi les résultats les plus frappants, la part des journalistes en salariat permanent chute de six points par rapport à 2013, à 52%, quand la part des pigistes bondit de quatorze points, à 42%.
En outre, le recours à l'intermittence, à l'auto-entrepreneuriat et au paiement en droits d'auteur (moins intéressants que des salaires, pour ceux qui les perçoivent, notamment en termes de protection sociale) se développe, constate l'étude.
Côté revenus, 11% des répondants ont déclaré toucher moins que le Smic annuel, et 28% moins de 20.000 euros par an. Les précaires ont des revenus bien inférieurs: 23% sont en dessous du Smic et 51% touchent moins de 20.000 euros par an.
Avec des inégalités entre les sexes toujours criantes: deux fois plus de femmes (15%) que d'hommes (8%) perçoivent une rémunération inférieure au Smic, alors qu'à l'autre bout de l'échelle des salaires, seules 4% gagnent plus de 60.000 euros par an, contre 10% des hommes.
Au-delà des chiffres, des statuts et des contrats, ce sont les conditions d'exercice de la profession qui deviennent problématiques, liées à l'évolution des méthodes de traitement de l'information, qui donnent le blues aux journalistes, y compris ceux en CDI ou qui travaillent pour des médias ayant pignon sur rue.
L'étude publie à ce sujet des témoignages de professionnels aux situations aussi variées que peu enviables.
Béatrice de Montenard cite notamment "des journalistes travaillant pour des magazines rachetés par le groupe Reworld et qui sont contraintes de continuer à travailler pour ces titres mais en auto-entrepreneurs, des correspondants à l'étranger qui non seulement n'ont pas la protection sociale mais en plus ont du mal à obtenir la carte de presse".
A ces cas s'ajoutent "tous les permanents qui sont soumis à des conditions de travail extrêmement dures: horaires à rallonge, stress, manque de possibilités d'aller sur le terrain ou de vérifier ses infos", résume-t-elle.
Résultat de ces conditions de travail dégradées, le mal-être s'installe chez les journalistes, explique à l'AFP Hervé Rony, directeur général de la Scam.
"Le journalisme est une profession qui était plutôt protégée historiquement, notamment grâce à une bonne convention collective et qui avait fondé son espoir sur un modèle de salariat en CDI", aujourd'hui remis en cause du fait notamment de la crise de la presse écrite, dit-t-il.
En outre, "beaucoup de journalistes se demandent désormais jusqu'à quel point ils sont libres de rédiger leurs articles ou de réaliser leurs reportages", et dans quelle mesure ils sont devenus de simples exécutants, "non pas par rapport à un risque de censure politique, mais du fait d'un changement des conditions de travail", constate-t-il.
Plusieurs témoignages évoquent en effet une dérive vers un journalisme "en kit", notamment dans certaines chaînes de télé où les journalistes en régions doivent filmer des images qui sont montées et commentées à Paris, ou alors la tendance dans de nombreuses rédactions est à recourir à des reporters "couteau suisse" qui doivent produire textes, vidéos, photos...
Conséquence probable de ce phénomène, la part des journalistes qui se considèrent comme des auteurs a chuté de 9 points depuis 2013, à 62%.
Encore une fois, l’émission Envoyé Spécial sur France 2 ne fait pas preuve d’une grande rigueur intellectuelle.
Par Laurent Pahpy.
Un article de l’Iref-Europe
Un cas d’école d’obscurantisme journalistique. C’est ce que l’on pourra retenir de l’émission « Envoyé Spécial » de jeudi soir sur le glyphosate. Durant les deux heures du reportage, Élise Lucet aura réussi à cumuler les théories du complot, la promotion d’un scientifique discrédité, l’instrumentalisation d’un enfant handicapé et de personnes malades, le tout dans une ambiance anxiogène et malhonnête.
Présenté comme un monstre à éliminer à tout prix, le glyphosate inquiète légitimement les consommateurs français. Soumis à un battage médiatique incessant et accusatoire depuis plusieurs années, il est parfaitement normal de s’inquiéter de l’utilisation massive de cet herbicide.
L’IREF avait déjà étudié cette question dans plusieurs articles en rappelant l’état du consensus scientifique, à savoir le caractère non cancérogène de cette molécule lorsqu’elle est utilisée de manière conventionnelle.
Le reportage commence par une immersion chez Vincent, utilisateur et défenseur du glyphosate sur son exploitation, et Olivier, producteur en agriculture dite « biologique ». Ce dernier aurait éliminé « tout pesticide chimique ». Première erreur d’une longue liste.
Tous les pesticides sont chimiques, car toute substance est chimique, comme l’eau ou le sel de table. L’agriculteur fait probablement référence aux pesticides de synthèse. La culture « bio » fait elle aussi appel à des pesticides, synthétiques (par dérogation), comme « naturels ». 99,99 % des pesticides que nous consommons sont produits naturellement par les plantes. La distinction « chimique »/« naturel » n’a aucun intérêt lorsqu’on aborde la toxicité d’un produit.
Olivier affirme ne pas être à l’aise lors de l’épandage du glyphosate. Son discours est basé sur des émotions et ne suit pas une démarche rationnelle. Son alternative est le labour, présentée comme une technique « ancestrale ». Seule une phrase est énoncée pour dire que cette méthode est « controversée ». Il aurait été pertinent de détailler un peu plus cette question.
Le labour détruit la vie microbiologique des sols et accélère son érosion. Le glyphosate permet l’agriculture de conservation des sols qui limite la consommation de fertilisants de synthèse, le labour, la consommation d’énergie tout en favorisant la biodiversité.
« Je ne veux pas qu’on impose le « bio » à la cantine » : Vincent pose ici une bonne question. Rien n’empêche Olivier de produire en « bio » sans glyphosate ni à ses consommateurs d’en acheter. Plusieurs formes d’agricultures peuvent coexister. Vincent et Olivier en sont la preuve. Ils ne sont pas en confrontation et cohabitent. Ce que réclame Vincent est parfaitement légitime. Laissons chacun choisir. À partir du moment où rien ne démontre que ce produit génère des nuisances externes sur le reste de la population, il est de la responsabilité de chacun de faire son arbitrage dans son mode de consommation.
Pour alimenter le climat anxiogène du reportage, Élise Lucet propose à plusieurs personnes, dont des personnalités, de mesurer la quantité de glyphosate dans leur urine. Le taux le plus élevé mesuré est de 1,26 microgramme par litre. Mais donner une concentration sans autre élément n’a aucun intérêt si ce n’est alimenter la peur, car c’est la dose qui fait le poison.
Une des personnes demande d’ailleurs comment le taux mesuré se situe par rapport à la norme. Réponse d’Élise Lucet :
On est incapable de fixer un seuil au-delà duquel c’est dangereux.
C’est un mensonge éhonté. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) fixe la dose aiguë de référence (DARf) pour le glyphosate à 0,5 milligramme par kilogramme de poids corporel, soit près de 400 fois la concentration mesurée dans l’urine.
Ce point est essentiel, car il touche à la distinction risque/danger. Le risque, c’est la probabilité d’être exposé multipliée par la dangerosité du produit. Un produit dangereux auquel on n’est pas exposé ou seulement à des doses minimes n’est pas forcément risqué. Un crash d’avion est très dangereux, mais très rare, ce qui en fait le moyen de transport le plus sûr au kilomètre parcouru.
La classification de l’herbicide en « probablement cancérogène pour l’homme » (catégorie 2A) par le Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) fait débat dans le milieu scientifique. Dans tous les cas, cette catégorisation caractérise le danger et non le risque.
Distinction essentielle qui est manifestement passée sous silence. Toutes les grandes agences sanitaires du monde, qui évaluent le risque, ne réclament pas l’interdiction du glyphosate. La consommation de charcuterie est « cancérogène pour l’homme » (catégorie 1) selon le CIRC, ce n’est pas pour autant qu’elle doit être interdite.
« Envoyé Spécial » s’attarde ensuite sur la terrible maladie de Dewayne Johnson qui a gagné un retentissant procès face à Monsanto cet été (Monsanto fait appel). Si son cancer désormais incurable ne peut laisser personne de marbre, il n’en reste pas moins que la science ne permet pas d’affirmer qu’il a été causé par son utilisation professionnelle du glyphosate. Le jury en avait pourtant jugé autrement. Nous avions expliqué dans un article en quoi cette décision est une dérive dangereuse du droit et une négation grave de la science.
L’affaire des Monsanto Papers a révélé des pressions de la firme sur les agences sanitaires et des cas de ghostwriting consistant à faire signer par des scientifiques réputés des articles largement rédigés par les toxicologues de Monsanto.
Ces pratiques, éthiquement critiquables et méthodologiquement discutables, ne permettent néanmoins pas de remettre en cause les conclusions scientifiques sur la cancérogénicité de l’herbicide selon l’EFSA car elles ne concernent que des éléments mineurs. Cela pose toutefois de vraies questions sur la nécessaire transparence des procédures d’évaluation et de mise sur le marché des intrants agricoles.
« Envoyé Spécial » frappe fort en donnant la parole pendant de longues minutes à Gilles-Éric Séralini, un scientifique largement discrédité suite à la publication d’une étude sur la cancérogénicité d’un maïs OGM résistant au glyphosate.
Depuis rétractée par le journal, cette étude a été très critiquée par la communauté scientifique sur sa méthodologie et a été jugée inadéquate par le CIRC. C’est à peine si le reportage annonce que ces résultats ont été contredits depuis par quatre expériences (Marlon, GRACE, G-TwYST et GMO 90+) qui montrent toutes l’absence d’effet sur le cancer. Mais le mal est fait. Gilles-Éric Séralini peut désormais vendre de la peur très lucrative dans ses livres et avoir l’oreille attentive d’Élise Lucet.
Théo, un enfant de 11 ans souffrant d’une anomalie congénitale est interviewé. Sa mère affirme que son handicap est apparu suite à son utilisation de l’herbicide lorsqu’elle était enceinte. Comme dans le cas de Dewayne Johnson, rien ne permet d’affirmer un lien de causalité. Élise Lucet se livre ici à une instrumentalisation révoltante de la situation de cet enfant.
Une instrumentalisation de plus au Sri Lanka. Cette fois-ci, le glyphosate serait coupable d’une épidémie de maladie rénale. Envoyé Spécial s’appuie sur des études réalisées par Channa Jayasumana pour l’affirmer (ici et ici). Ces articles restent hypothétiques et ne démontrent pas de causalité. Plusieurs facteurs sont avancés par les scientifiques, dont le glyphosate, mais l’OMS juge que ce n’est pas démontré.
Ce passage de l’émission « Envoyé Spécial » montre d’ailleurs que sans glyphosate, la seule alternative crédible est de revenir au désherbage manuel ou mécanique. Une solution qui peut coûter très cher et aller à contre-courant des gains de productivité agricoles qui permettent aux populations des pays pauvres de sortir de la misère et de la faim. L’interdiction du glyphosate a d’ailleurs été annulée en 2018 pour toutes les cultures au Sri Lanka, contrairement à ce qu’affirme le reportage.
Élise Lucet tiendrait-elle un scoop ? L’Assemblée nationale est une caisse d’enregistrement des décisions du président. Ce n’est pas comme si l’on découvrait l’utilité limitée de cette institution.
Ce passage a le mérite de montrer l’embarras des politiques qui, au mépris de la science et du droit, refusent de rappeler le consensus scientifique porté par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES).
François de Rugy, ministre de l’Écologie affirme qu’il y aura une alternative pour « en finir avec le glyphosate en 2021 ». La promesse est aisée, l’art est difficile. L’Institut national de recherche agronomique (INRA) estime qu’aucune alternative ne puisse faire aussi simple, efficace, peu toxique et peu coûteux que cette molécule. Il est peu probable qu’une meilleure solution soit trouvée et mise sur le marché d’ici 2021.
Oui le glyphosate est dangereux. Oui son utilisation doit être faite avec les précautions qui s’imposent. Oui, les méthodes de Monsanto, intégré depuis à Bayer, sont critiquables et éthiquement discutables.
Mais la science est très claire sur le sujet. L’utilisation du glyphosate de manière conventionnelle ne présente à ce jour pas de risques significatifs connus.
Élise Lucet entretient une désinformation anti-science cumulant des conditionnels, des théories du complot, des instrumentalisations révoltantes, des images-chocs, une musique anxiogène, des interviewés acculés, des chiffres présentés sous forme effrayante, mais qui n’apportent rien, des mensonges et des lacunes graves pour traiter d’un sujet pourtant essentiel.
La liberté de la presse ne dispense ni de contradicteurs ni de rigueur intellectuelle. La question des pesticides est complexe, car elle implique un arbitrage entre protection de l’environnement, maintien de la productivité agricole et sécurité sanitaire pour les producteurs et les consommateurs.
Sans vouloir minimiser les inquiétudes et les précautions concernant l’utilisation de ces intrants agricoles, l’IREF estime que le sujet aurait dû être traité de manière moins manichéenne et faire appel à des scientifiques et des spécialistes reconnus pour leur expertise en agronomie, en nutrition et en toxicologie.
Attaché à une liberté inconditionnelle de la presse, l’IREF milite pour la privatisation de France Télévisions. Cela permettra à chacun de choisir librement quel média il souhaite financer sans être forcé de subventionner les émissions comme « Envoyé Spécial » d’Élise Lucet, payée 25 000 €/mois, par la redevance audiovisuelle publique.
Les légendes des photos sont une partie importante du journalisme. Elles doivent être précises et informatives[1]. En fait, la plupart des lecteurs ont tendance à regarder les photos, puis les légendes avant de décider s'ils ont envie de lire l'histoire qui les accompagne[2]. Servez-vous de certaines astuces pour écrire une légende qui va intriguer les lecteurs et les amener à lire la suite.
1
Apprendre les bases des légendes
Vérifiez les faits. Un des aspects les plus importants de tout type de journalisme est la précision. Si vous utilisez des informations incorrectes, l'histoire ou la photo perd de sa crédibilité. Avant de confirmer ou d'imprimer une légende sur une photo, vous devez vous assurer que tout ce que vous avez mis dedans est correct[3].
N'imprimez pas une légende incorrecte si vous avez du mal à vérifier les faits, que ce soit parce que vous ne pouvez pas trouver la source ou parce que vous devez rendre l'article au plus vite. Il vaut mieux que vous omettiez une information plutôt que d'en mettre une fausse.
Décrivez quelque chose qui n'est pas évident. Si la légende ne fait que décrire ce qu'il se passe sur la photo, elle est plutôt inutile. Si vous avez une photo d'un coucher de Soleil et si vous écrivez « un coucher de Soleil », vous ne donnez pas d'informations supplémentaires au lecteur. Essayez plutôt de décrire les détails qui ne sont pas évidents, par exemple le lieu, l'heure, la saison ou un évènement spécial qui se déroulait en même temps[4].
Par exemple, si vous avez une photo d'un coucher de Soleil, vous pourriez écrire la légende suivante : « Côte d'Azur, mars 2016, depuis la jetée du port de Toulon ».
Évitez aussi les termes comme « on voit », « il apparait », « au-dessus ».
Évitez certains mots au début. Une légende ne devrait pas commencer avec un article comme « un », « une », « le » ou « la » si c'est possible. Ces mots sont trop basiques et ils occupent un espace précieux dans la légende alors qu'ils sont parfois inutiles. Par exemple, au lieu d'écrire : « un geai bleu dans la forêt boréale », écrivez simplement : « geai bleu qui vole dans la forêt boréale[5] ».
Ne commencez pas non plus la légende avec le nom de quelqu'un, démarrez avec une description et incluez le nom à la fin. Par exemple, ne dites pas : « Jean Dupont dans le parc aux platanes », mais plutôt : « Parc aux platanes et Jean Dupont faisant son jogging ».
Lorsque vous identifiez quelqu'un dans la photo, vous pouvez aussi dire : « depuis la gauche ». Il n'est pas nécessaire de dire : « de la gauche vers la droite ».
Identifiez les personnages principaux. Si votre photo inclut des gens importants, vous devez les identifier. Si vous connaissez leurs noms, marquez-les (à moins qu'ils vous aient demandé de rester anonymes). Si vous ne connaissez pas leurs noms, vous pourriez plutôt décrire qui ils sont à la place (par exemple « manifestants dans les rues de Paris »[6]).
Même si cela va sans dire, vous devez vous assurer que les noms sont bien écrits et précédés du titre qui leur convient.
Si la photo présente un groupe de personnes ou des gens qui n'ont pas de rapport avec l'histoire (c'est-à-dire que leurs noms ne sont pas importants pour l'histoire), il n'est pas nécessaire de les nommer dans la légende[7].
Soyez le plus spécifique possible. Ce conseil va de pair avec le précédent à propos de la précision des informations. Si vous n'êtes pas sûr de l'endroit où ont été prises les photos ou des personnes qui se trouvent dessus, renseignez-vous. Si vous montrez une photo sans aucune information, cela pourrait ne pas être utile au lecteur, surtout si vous ne pouvez pas l'informer du contexte dans lequel la photo a été prise[8].
Si vous travailliez avec un autre journaliste sur l'histoire, vous pouvez le contacter pour lui demander plus d'informations.
Si vous essayez d'identifier une personne en particulier sur la photo, il pourrait être utile de décrire l'endroit où elle se trouve. Par exemple, si Jean Dupont est le seul avec un chapeau, vous pouvez dire : « Jean Dupont, dernière rangée avec le chapeau ».
Même s'il vaut mieux être précis, vous pouvez aussi tourner votre phrase pour qu'elle démarre avec quelque chose de général avant d'arriver à quelque chose de plus précis ou le contraire. Une de ces méthodes vous assure d'être suffisamment précis tout en créant des phrases faciles à lire[9].
Étiquetez correctement les photos historiques. Si vous utilisez une photo historique dans votre histoire, vous devez vous assurer de lui mettre une légende correcte et d'y inclure la date (au moins l'année). Selon la personne qui détient les droits de la photo, vous allez aussi devoir mentionner un autre photographe ou une autre institution (par exemple un musée, des archives, etc.[10])
Utilisez le présent dans vos légendes. Puisque la plupart des photos présentées aux informations font partie d'évènements qui se produisent en ce moment, utilisez le présent dans vos légendes. Les photos historiques sont une exception évidente à cette règle, car vous devriez utiliser le passé[11][12].
Un des avantages du présent est de pouvoir donner un sens d'immédiateté et d'augmenter l'impact de la photo sur le lecteur.
Évitez l'humour si ce n'est pas approprié. Si la photo que vous décrivez présente un évènement sérieux ou sombre, n'essayez pas de faire de l'humour. Les légendes amusantes ne doivent être utilisées que lorsque la photo est une blague ou un évènement amusant qui est fait pour faire rire le lecteur[13].
N'oubliez jamais les crédits et les citations. Chaque photo doit inclure le nom du photographe ou de l'organisme qui en possède les droits. Dans les magazines et les publications photographiques, les photos indiquent même des détails techniques relatifs à la prise (par exemple l'aperture, la vitesse, la lentille, etc.[14])
Lorsque vous écrivez les crédits, il n'est pas nécessaire de l'indiquer de manière évidente avec des mots comme « crédits à » ou « photo par » si l'information est présentée de manière consistante et compréhensible. Par exemple, vous pourriez les écrire en italique ou dans une police plus petite.
2
Faire ressortir l'histoire avec la légende
Utilisez-la pour dire quelque chose au lecteur. Lorsqu'il regarde la photo, il va généralement ressentir certaines émotions et recevoir certaines informations (en se basant sur ce qu'il voit sur la photo). La légende, en retour, devrait lui donner des informations qu'il n'a pas vues lorsqu'il a regardé la photo. En clair, la légende est là pour apprendre quelque chose au lecteur à propos de la photo[15].
Elle doit intriguer le lecteur pour qu'il creuse plus loin dans l'histoire et recherche plus d'informations.
La légende doit aussi éviter de répéter des aspects de l'histoire. La légende et la photo doivent se compléter et éviter de répéter des informations.
Évitez les jugements. Les légendes doivent être informatives et elles ne doivent pas juger ou critiquer. À moins que vous ayez pu discuter avec les gens sur la photo pour leur demander ce qu'ils ressentent ou pensent, ne faites pas de suppositions en vous basant sur leur apparence sur la photo. Par exemple, ne dites pas : « clients mécontents qui font la queue » à moins que vous soyez sûr qu'ils étaient mécontents[16].
Le journalisme est fait pour être objectif et informatif pour le lecteur. Les journalistes sont censés présenter les faits d'une manière objective et permettre aux lecteurs de se faire leur opinion.
Ne vous inquiétez pas de la longueur. Une photo peut en dire plus que des centaines de mots, mais parfois quelques mots sont nécessaires pour mettre la photo dans son contexte. Si une description longue est nécessaire pour donner du sens à la photo, ce n'est pas un problème. Même si vous voulez être le plus clair et le plus bref possible, ne limitez les informations que vous mettez dans la légende si elles peuvent être utiles[17][18].
Écrivez dans un langage du quotidien. Le journalisme en général n'a pas besoin de langage trop compliqué. Mais il n'utilise pas non plus de clichés ou d'argot. Les légendes doivent suivre les mêmes conditions de base. Écrivez vos légendes dans un langage de la vie de tous les jours, comme vous parleriez à votre famille en leur montrant la photo en question. Évitez les clichés et l'argot (ainsi que les acronymes). N'utilisez pas de mots compliqués s'ils ne sont pas nécessaires[19].
Si la photo s'accompagne d'une histoire, essayez d'utiliser le même ton dans la légende que celui utilisé dans l'histoire[20].
Incluez des éléments moins importants. Les histoires qui accompagnent les photos ont tendance à parler de quelque chose en particulier et évidemment, à raconter une histoire. S'il y a une information utile pour comprendre la photo, mais si elle n'est pas nécessaire pour raconter l'histoire, mettez-la dans la légende au lieu de la mettre dans l'histoire[21].
Cela ne veut pas dire que les légendes ne sont utilisées que pour y mettre des informations inutiles, mais plutôt des éléments qui ne sont pas essentiels au reste de l'histoire. Voyez la légende comme une petite histoire qui inclut des éléments utilisés à l'intérieur de l'histoire elle-même.
Une fois de plus, vous devez vous souvenir que la légende et l'histoire doivent se compléter l'une l'autre. Évitez les répétitions.
Déterminez la ponctuation à utiliser. Si la photo représente simplement une personne (par exemple un portrait) ou si c'est une photo d'un objet en particulier (par exemple un parapluie), vous pouvez mettre le nom de la personne ou de l'objet dans la légende sans aucune ponctuation. Dans d'autres cas, vous pouvez utiliser des phrases incomplètes, mais cela va dépendre de la publication et des conditions qu'elle pose[22].
Voici un exemple de légende sans ponctuation : « Toyota 345X boite manuelle ».
Voici un exemple qui illustre la différence entre une légende complète et une légende incomplète : « l'actrice Ann Levy fait un tour en Acura 325 sur le circuit de test britannique à Londres » (complète), « Tour en Acura 325 » (incomplète).
Simplifiez les descriptions dans les autres légendes. S'il y a plusieurs photos dans la même histoire qui montrent le même lieu, la même personne ou le même évènement, il n'est pas nécessaire de répéter les mêmes détails dans chaque légende. Par exemple, si vous présentez la personne dans la première légende en utilisant son nom complet, vous pouvez ensuite vous y référer par son nom de famille dans le reste des légendes[23].
Vous pouvez supposer que le lecteur a vu la photo et lu la légende des photos précédentes, car vous avez probablement choisi un certain ordre pour raconter l'histoire.
Vous pouvez aussi éviter de mettre trop de détails dans la légende si l'histoire elle-même donne déjà beaucoup de détails. Par exemple, si l'histoire raconte les détails de l'évènement, vous n'avez pas à répéter ces détails dans les légendes.
Indiquez les photos retouchées. Les photos peuvent parfois être élargies, réduites ou coupées pour s'adapter à une situation, une histoire, une page, un espace, etc. Ce genre de changement ne doit pas être expliqué, car il ne change pas ce qui apparait sur l'image. Cependant, si vous avez modifié la photo d'une autre façon (par exemple en changeant la couleur, en supprimant un élément, en en ajoutant un autre, en mettant en valeur un élément, etc.), vous devez l'indiquer dans la légende[24].
Il n'est pas nécessaire d'indiquer clairement ce que vous avez changé, mais vous devriez au moins le mentionner.
Cette règle s'applique aussi aux méthodes photographiques comme des prises de vue à intervalle régulier, etc.
Envisagez d'utiliser une formule de légende. Jusqu'à ce que vous preniez l'habitude d'écrire des légendes, vous devriez commencer avec une certaine formule. Éventuellement, vos légendes vont commencer à suivre cette formule ou quelque chose de similaire sans que vous ayez à y penser. Mais jusqu'à ce que cela devienne automatique, vous devez suivre la formule pour vous assurer d'inclure les éléments nécessaires[25].
Voici un exemple de formule : [nom] [verbe] [objet direct] pendant [nom de l'évènement] à [nom du lieu]à [ville] le [jour de la semaine], [date] [mois], [année]. Vous pouvez aussi ajouter la raison ou la manière de ce qu'il s'est passé.
Voici un exemple écrit avec cette formule : « les pompiers de Dallas (nom) luttent (verbe au présent) contre un incendie (objet direct) qui s'est déclaré à la mairie (lieu) de Dallas (ville) le jeudi (jour de la semaine) 1er (date) juillet (mois) 2004 (année) »[26].
3
Éviter certaines erreurs
Évitez d'être arrogant. L'arrogance dans les légendes est le fait des journalistes qui les écrivent sans se soucier de leurs lecteurs ou qui se contentent de quelque chose de facile à écrire. Cela pourrait sembler égoïste, car l'auteur se soucie plus de lui-même que des lecteurs qui essayent de déchiffrer ce que la photo et l'histoire racontent[27].
Cela peut aussi se produire lorsque l'auteur essaye une nouvelle technique ou quelque chose d'intelligent pour se faire bien voir. Il n'est pas nécessaire de faire compliqué. Gardez les choses simples, claires et précises.
Évitez les suppositions. Dans le journalisme comme dans la vie de tous les jours, les suppositions sont une mauvaise chose. Elles pourraient se produire au niveau du journaliste, du photographe ou même de quelqu'un au journal au moment où l'article est mis en place. Ne faites pas de suppositions à propos de ce qu'il se passe sur la photo et des individus qui se trouvent dessus. Trouvez la vérité et ne tirez que des conclusions sures[28].
Il en va de même pour le style et le format. Si vous n'êtes pas sûr du format demandé par la publication, posez la question. N'en utilisez pas un que vous aimez qui devra être complètement changé plus tard parce que vous n'avez pas pris la peine de poser la question.
Ne vous relâchez pas. Cela se produit lorsque vous ne vous souciez pas de ce que vous faites ou lorsque vous ne trouvez pas que la situation est assez importante pour vérifier vos informations. Le résultat de ce comportement pourrait se manifester sous forme de fautes d'orthographe, de noms erronés, de légendes qui ne correspondent pas aux photos, de photos qui ne correspondent pas à l'histoire, etc. Si vous êtes fier de votre travail, faites de votre mieux du début à la fin[29].
Cela peut aussi se produire lorsque quelqu'un essaye d'utiliser une autre forme de langage dans la légende et ne vérifie pas si elle a été bien écrite. Google Translate ne va pas vous aider à vérifier que vous avez bien écrit la légende !
N'oubliez pas que la légende est un fait. En tant que journaliste, tout ce que vous écrivez, que ce soit dans l'histoire ou dans la légende, est considéré comme un fait par vos lecteurs. Ils supposent légitimement que vous avez fait vos recherches et que ce que vous dites est juste. Si vous avez été trop paresseux ou laxiste pour faire le travail, vous risquez de rapporter des informations incorrectes à de nombreuses personnes[30].
N'oubliez pas aussi qu'une fois que l'information se retrouve « dans la nature », il va être difficile de la corriger. C'est d'autant plus difficile si l'information est liée à un évènement tragique, stressant ou qui n'est pas encore terminé.
Conseils
La photo et la légende doivent se compléter. Elles doivent raconter une histoire ensemble. Vous devriez éviter les répétitions. Une légende devrait expliquer ce qu'il se passe, quand et où. La photo devrait surtout provoquer une réaction émotionnelle[31].
Selon les journaux, les légendes peuvent porter d'autres noms.
Les légendes des photos de National Geographic sont un bon exemple de légendes de photojournalisme. Il est célèbre pour la qualité de ses photos, mais la plupart d'entre elles dans le magazine incluent une histoire. Cependant, la plupart des lecteurs ont tendance à regarder la photo en premier, à lire la légende, à regarder la photo une deuxième fois avant de décider s'ils veulent lire l'histoire. Une bonne légende devrait permettre au lecteur de prendre la décision après avoir regardé la photo de lire l'article.
En tant que photographe, vous devez toujours avoir un carnet et un crayon sur vous pendant que vous prenez des photos. Servez-vous du temps entre chaque prise ou pendant que vous attendez un certain sujet pour noter le nom des gens sur les photos avec la bonne orthographe[32].
Avertissements
Lorsque vous écrivez des légendes, réfléchissez à celles que vous avez lues et qui vous ont embrouillé. Par exemple, certains organes de presse utilisent des photos générales pour illustrer une histoire parce qu'ils n'ont pas de photos de l'évènement. Même si ce n'est pas un problème en soi, il devrait être indiqué que la photo ne représente pas l'évènement tel qu'il s'est produit.
Sources et citations
↑ http://www.poynter.org/2002/hot-tips-for-writing-photo-captions/1753/
↑ http://nwscholasticpress.org/2012/09/30/follow-these-simple-techniques-to-write-the-perfect-caption-every-time-to-intrigue-inform-readers-2/
↑ http://www.poynter.org/2002/hot-tips-for-writing-photo-captions/1753/