Dans ce nouvel épisode de Complorama, Tristan Mendès France et Rudy Reichstadt explorent la fascination de la complosphère pour les mythes historiques, examinant comment ces récits sont déformés et instrumentalisés à des fins idéologiques.
Publié le 11/10/2024
Pourquoi les grands mythes de notre Histoire passionnent tant les complotistes ? La série À l'aube de notre histoire, qui défend l'existence d'une civilisation technologiquement avancée disparue à la fin de l'ère glaciaire, fait son grand retour sur Netflix pour une deuxième saison, après une première saison critiquée par les archéologues.
"En réalité, les livres et les films de Hancock sont considérés par les scientifiques comme relevant de la pseudoscience", souligne Rudy Reichstadt. La série documentaire alimente un discours anti-science en présentant Hancock comme un lanceur d'alerte face à un establishment scientifique qui cacherait la vérité. "Une partie du succès de sa série, c'est de se positionner comme une sorte de résistant à la pensée unique scientifique", analyse Tristan Mendès France.
Dans la première saison, un épisode était consacré au mythe de l'Atlantide. Graham Hancock, le narrateur de la série, n'affirme pas que l'Atlantide se trouve aux Bahamas, mais il utilise ce mythe pour appuyer sa théorie d'une civilisation avancée disparue lors de la dernière période glaciaire. "L’Atlantide c’est la preuve qu’on peut écrire, produire, rêver de quelque chose qui n’existe pas pendant des siècles littéralement parce que ça hante l’imaginaire occidental à partir de quelque chose qui est une pure une pure fiction", estime Rudy Reichstadt pour qui la complosphère instrumentalise ce mythe pour promouvoir ses propres idées.
La théorie des arbres géants, bien que moins répandue que d'autres mythes, est un exemple intéressant de la façon dont la complosphère s'empare d'observations et les déforme pour les faire correspondre à ses récits. L'idée d'arbres géants ayant existé dans un passé lointain est un phénomène réel sur TikTok et YouTube. Les tenants de cette théorie s'appuient sur des reliefs géologiques, tels que des plateaux ou des montagnes tabulaires, pour affirmer qu'il s'agirait en réalité des souches d'arbres géants. Pour Rudy Reichstadt, la croyance en l'existence d'arbres géants repose sur la paréidolie, une illusion mentale qui nous pousse à percevoir des formes familières dans des éléments aléatoires. En l'occurrence, les personnes qui adhèrent à cette théorie "projettent" l'image d'une souche d'arbre sur des formations géologiques naturelles. Cette théorie, bien que marginale, est révélatrice des mécanismes de la pensée complotiste, qui se nourrit de la fascination pour les mystères, les civilisations perdues et la défiance envers la science établie.
Les pyramides occupent une place prépondérante dans l'univers complotiste, comme le démontre l'analyse des propos de Jacques Grimault et du rappeur Gims. "On ne mesure peut-être pas bien la centralité des pyramides dans l'imaginaire complotiste international. C'est absolument dingue de voir à quel point on retrouve ces narratifs dans à peu près toute la complosphère internationale", souligne Tristan Mendès France. Le rappeur Gims, reprenant des thèses afrocentristes, affirmait que les pyramides étaient des centrales électriques(Nouvelle fenêtre) construites par une civilisation africaine avancée, dont l'existence serait cachée par les historiens.
L'influence de figures comme Maître Gims, qui diffusent ces théories à des millions d'abonnés, est préoccupante. En effet, "tout ça pourrait sembler assez anodin. (...) En fait, si on tire le fil de ce que ça implique, ça veut dire qu’on nous aurait menti sur l'origine des pyramides, que les livres scolaires ont relayé ce mensonge, que le ministre de l'éducation nationale a couvert ce mensonge et donc les gouvernements, le gouvernement couvre ce mensonge et tous les gouvernements du monde", explique Tristan Mendès France.
"Le problème, c'est que ça alimente ou ça contribue à alimenter une confusion entre la réalité et la fiction, qui pour conséquence très concrète d'abaisser le seuil d'acceptation de n'importe quelle nouvelle théorie du complot. Et puis ça nourrit au passage une défiance à l'égard des scientifiques, des institutions, une remise en cause de la parole des experts", conclut Rudy Reichstadt.