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 La revue de web de Kat

D.O.G.E. : anatomie du coup d’État numérique d’Elon Musk | Le Grand Continent

Sat 29 Mar 2025 - 10:03

Stéphane Taillat 29 mars 2025
Points clefs
Depuis le 20 janvier, les participants à l’action du D.O.G.E. ont pris le contrôle de réseaux informatiques, obtenu l’accès à des bases de données et remplacé ou mis hors service des systèmes logiciels.
Ils ont ainsi retourné leurs infrastructures numériques contre les agences, tout en agissant de manière opaque dans une stratégie de fait accompli.
Ils sont en train de hacker tout l’État fédéral américain en retournant les algorithmes contre l’infrastructure numérique.
Face à cette attaque-éclair, les contre-pouvoirs risquent d’être insuffisants. S’ils s’avèrent capables de freiner certaines actions, ils sont impuissants face à des modes opératoires d’une brutalité inédite.

Durant les deux premiers mois de sa présidence, l’attention s’est principalement portée sur l’avant-scène où se produit Donald Trump. Ses annonces frénétiques, ses rebondissements continuels et la radicalité de sa posture constituent un intérêt légitime. Mais en arrière-plan, une autre pièce se joue qui, bien que documentée par les médias étatsuniens, laisse perplexes les observateurs et partiellement paralysés les premiers concernés : les fonctionnaires fédéraux et les bénéficiaires de l’aide publique fédérale. Tel un organisme parasite, l’auto-proclamé « département de l’efficience gouvernementale » (D.O.G.E.) d’Elon Musk a investi les agences fédérales et pris progressivement leur contrôle en démantelant leur ressource humaine et leur expertise.

Le pouvoir infrastructurel au temps de l’IA

Cette manœuvre éclair s’est appuyé sur un levier invisible mais crucial du fonctionnement des organisations contemporaines : leur infrastructure numérique. Celle-ci comprend les solutions logicielles, les bases de données et les réseaux informatiques qui permettent non seulement leur fonctionnement interne mais aussi l’accomplissement de leur mission et de leur raison sociale. Ces infrastructures numériques présentent une dimension ambivalente. Elles sont incontestablement un ensemble de ressources et un levier social favorisant le pouvoir infrastructurel des pouvoirs publics.

Les infrastructures numériques sont un élément essentiel au service d’une autre infrastructure : celle de l’État administratif étatsunien structuré par un réseau d’agences multiples.
Stéphane Taillat

Défini en 1984 par le sociologue Michael Mann comme « la capacité de l’État d’effectivement pénétrer la société civile et de mettre en œuvre, sur le plan logistique, les décisions politiques sur l’ensemble d’un territoire » 1, la notion de pouvoir infrastructurel permet de saisir la fonction politique des arrangements bureaucratiques, technologiques, juridiques, culturels et sociaux dans la construction de l’État. Sous cet angle, les infrastructures et les données qu’elles transportent ou qui permettent leur fonctionnement sont des instruments d’une relation de pouvoir et de contrôle qui passe par un déploiement spatial de dispositifs matériels, techniques, juridiques, administratifs et sociaux.

Le pouvoir infrastructurel implique deux dimensions :

  • le pouvoir d’extraction, à savoir la capacité de pénétrer dans la société, d’extraire et de déployer des ressources avec son consentement et sa légitimité ;
  • le pouvoir de transformation, c’est-à-dire la capacité d’initier, de parrainer et d’exploiter des innovations technologiques substantielles au profit de l’État.

En ce sens également, les infrastructures numériques sont un élément essentiel au service d’une autre infrastructure : celle de l’État administratif étatsunien structuré par un réseau d’agences multiples aux fonctions, périmètres et statuts hétéroclites mais dont les effets se font sentir dans l’ensemble de la société et sur un territoire se déployant à l’échelle nationale et internationale.

Ces infrastructures présentent une faiblesse criante. D’une part, en raison de l’architecture privée et relativement ouverte des services numériques. Mais aussi dans l’hypothèse de leur prise de contrôle par un acteur extérieur, qui se se trouve confirmée lorsque ces entités sont victimes d’intrusions informatiques. C’est ainsi qu’un piratage massif attribuée par le gouvernement étatsunien à des acteurs chinois et visant l’Office of Personnel Management (OPM) en 2014 aurait permis d’accéder aux données de plusieurs millions de fonctionnaires fédéraux et de leurs proches. À la suite de cet acte d’espionnage, des dispositions avaient été prises pour protéger les données et les systèmes d’information du secteur fédéral contre des opérations d’intrusion venant de l’extérieur ou contre des actes isolés venant de l’intérieur 2.

À compter de 2021, l’agence de cybersécurité et de sécurité des infrastructures (CISA) du département de la sécurité intérieure a été l’acteur principal visant à construire des réseaux informatiques sécurisés et résilients dans l’ensemble des agences fédérales 3. Ces dispositions présentent toutefois deux angles morts. En premier lieu, elles ne peuvent pas compter sur des bases juridiques et constitutionnelles solides. Celles-ci encadrent d’ailleurs de manière trop imprécises les préjudices collectifs et individuels découlant de l’intrusion sur les infrastructures numériques fédérales. Ainsi par exemple du Privacy Act censé protéger les données des citoyens étatsuniens collectées et traitées par les administrations publiques, mais qui, pris à la suite de l’affaire du Watergate, date de 1974 4. En second lieu, les dispositifs de cybersécurité ne disent rien d’une menace provenant de l’intérieur des agences et appuyée par des moyens institutionnels. Autrement dit, les infrastructures numériques fédérales ne sont que faiblement protégées face à des agents provenant du cœur du pouvoir exécutif américain et s’appuyant sur le principe des chaînes hiérarchiques.

L’action menée par les employés du D.O.G.E. peut donc être interprétée comme un acte de hacking visant à s’emparer de l’État pour le subvertir. Si cette manœuvre et les résistances qu’elle suscite permettent de rendre visible et de documenter cette double infrastructure numérique et administrative — notamment de la cartographier dans son étendue spatiale mais aussi dans sa profondeur socioéconomique et culturelle — elles interrogent sur ses implications de court, moyen et long terme.

Les infrastructures numériques fédérales ne sont que faiblement protégées face à des agents provenant du cœur du pouvoir exécutif américain et s’appuyant sur le principe des chaînes hiérarchiques. Stéphane Taillat

Hacker l’État

Dans son acception la plus commune et la plus synthétique, la sécurité de l’information dans le domaine numérique — ou cybersécurité — consiste à protéger la confidentialité, l’intégrité et la disponibilité des données et des systèmes d’information.

Depuis le 20 janvier, les participants à l’action du D.O.G.E. ont pris le contrôle de réseaux informatiques, obtenu l’accès à des bases de données et remplacé ou mis hors service des systèmes logiciels. Ils ont ainsi retourné leurs infrastructures numériques contre les agences, tout en agissant de manière opaque dans une stratégie de fait accompli.

La prise de contrôle des infrastructures numériques a obéi à un mode opératoire qui peut être analysé à l’aune de celui des cyber opérations : acquérir l’accès à un système, se déployer sur une cible pour y produire des effets 5. Les agents du DOGE ont commencé par obtenir ce qui s’apparente à des privilèges et des droits administrateurs sur l’ensemble du secteur fédéral à partir d’entités qui, parce qu’elles administrent les systèmes informatiques et physiques de l’infrastructure de l’État administratif, en sont des éléments clefs 6. À partir de l’administration des services généraux (GSA) et plus particulièrement de son service de transformation technologique 7 (TTS), les opérateurs du DOGE ont pris le contrôle du parc immobilier fédéral ainsi que des outils informatiques déployés au service du grand public et des standards encadrant les marchés publics de services numériques 8. Au département du trésor, une bataille s’est engagée pour l’accès aux systèmes sécurisés (et sensibles) qui gèrent les transferts financiers et les paiements effectués par le gouvernement 9, conduisant à la démission du ministre par intérim 10. D’autres organes cruciaux, comme les services de collecte des impôts (IRS) ou l’administration de la sécurité sociale (SSA) ont été rapidement investis en raison du caractère stratégique de leurs bases de données qui concernent les citoyens étatsuniens 11.

Une fois pris le contrôle de ces organes cruciaux, il a été possible aux hommes de Musk de manœuvrer latéralement en se déployant progressivement dans toutes les agences 12. Pour chacune d’entre elles, le procédé a suivi la même logique : une entrée par la ruse ou par la force pour prendre le contrôle des systèmes sensibles, en exclure les utilisateurs légitimes — c’est-à-dire les fonctionnaires de carrière — et détourner l’ensemble 13. Les infrastructures numériques ont donc été exploitées pour procéder à des licenciements massifs et indiscriminés, à des coupes importantes dans les dépenses ou à la suppression d’importants programmes incluant aides financières, programmes éducatifs, supervision de contrats publics ou protection des consommateurs. Certaines d’entre elles semblent même être utilisées comme moyens d’intimidation ou de pression sur les récipiendaires de l’aide sociale 14. En outre, l’accès aux systèmes centraux de l’appareil fédéral (Office of Personnel Management et GSA) a permis au D.O.G.E. de s’adresser directement par mail à l’ensemble des fonctionnaires fédéraux. Parce que les systèmes informatiques sont partiellement compartimentés et propres à chaque agence, cela s’est fait en détournant les mesures fondamentales de la sécurité informatique au risque de violer les lois contre le piratage 15.

Cette purge de l’État administratif à partir du levier de contrôle et de coercition que représentent les infrastructures numériques s’est opérée selon une logique d’opacité et de secret 16.

Les déclarations de l’administration Trump ou d’Elon Musk sur la « transparence » concernant les mesures du D.O.G.E. ont laissé perplexes les juges chargés d’examiner les dizaines de plaintes déposées pour les arrêter ou les annuler. La suspicion des observateurs s’est notamment focalisée sur le statut du D.O.G.E. ainsi que sur l’identité de son chef 17. La stratégie juridique et de communication de la Maison-Blanche ou du ministère de la justice a consisté à affirmer alternativement que le D.O.G.E. n’avait pas les responsabilités et les devoirs d’une agence fédérale tout en bénéficiant des privilèges attachés à ce statut. D’un autre côté, les juristes représentant le gouvernement ont soutenu qu’Elon Musk n’était pas l’administrateur de « département » mais simple conseiller spécial du président.

La purge de l’État administratif s’opère selon une double logique : opacité et fait accompli. Stéphane Taillat

Cette opacité repose sur une ambiguïté qui s’explique par la position du D.O.G.E. dans l’organigramme de la Maison-Blanche. Le 20 janvier en effet, le décret présidentiel établissant ce service l’a greffé sur le US Digital Service, un bureau créé à la Maison-Blanche en 2013 pour faciliter la modernisation et l’accès des citoyens à certains services fédéraux, ce dernier changeant de nom. D’où une confusion terminologique savamment entretenue entre le D.O.G.E. d’Elon Musk et l’US DOGE Service, qui comprend les employés « historiques » de l’USDS exclus de la mission du premier 18. Le directeur général du D.O.G.E. semble être un lieutenant de Musk nommé Steve Davis 19 tandis que l’administratrice de l’USDS est Amy Gleason qui peut ainsi être opportunément présentée comme la directrice de l’ensemble.

Outre son caractère opaque, l’action du D.O.G.E. peut être définie comme une stratégie du fait accompli 20.

L’intérêt des infrastructures numériques comme point d’entrée pour contrôler l’État fédéral apparaît ici clairement. S’emparer de ces ressources offre deux avantages comparatifs.

Le premier a trait à la lenteur proverbiale des organisations bureaucratiques à s’adapter. Dans cette représentation, il est plus simple, pense-t-on, de court-circuiter les chaînes hiérarchiques complexes et les lourdeurs procédurières en s’appuyant sur des outils systémiques qui permettent d’exclure, de contrôler l’information et de paralyser des organisations.

Le second avantage concerne les contre-pouvoirs. Qu’il s’agisse des médias ou du système judiciaire, agir avec opacité — qui plus est sur des infrastructures caractérisées par leur invisibilité habituelle ainsi que leur très haute technicité — permet de créer de la confusion et de l’incertitude par la saturation (« flooding the zone ») et de prendre de vitesse les adversaires. C’est ainsi que les premières décisions entravant les opérations du D.O.G.E. ou ordonnant le retour à la situation antérieure — réintégration des fonctionnaires licenciés, réinstauration des programmes financiers, sécurisation des bases de données — interviennent peut-être trop tard.

La prochaine étape pourrait consister à fusionner les données des administrations ainsi que celles que détiennent les États fédérés dans le cadre des financements fédéraux 21. Si un tel décloisonnement pourrait faire sens dans une perspective d’efficacité et d’interopérabilité entre les agences, il est hautement problématique 22. Il pourrait permettre de contourner et de prendre de vitesse les contre-pouvoirs en cas d’utilisation menaçant les droits et libertés individuelles.

La prochaine étape pourrait consister à fusionner les données des administrations ainsi que celles que détiennent les États fédérés dans le cadre des financements fédéraux.
Stéphane Taillat

Une stratégie de subversion

Ces modes opératoires semblent obéir à une logique subversive évidente.

Elle pourrait être caractérisée par l’exploitation des ressources ou des caractéristiques d’un système — sociotechnique ou sociopolitique — contre lui-même afin d’en éroder la légitimité, de l’affaiblir voire de le renverser.

Le D.O.G.E., ses promoteurs et ses défenseurs justifient ces mesures sous l’angle des économies budgétaires — par l’élimination de la « fraude, du gaspillage et des abus » — mais aussi en s’appuyant sur la mission définie par les décrets présidentiels du 20 janvier 23 et du 11 février 24, à savoir la « modernisation technologique de la bureaucratie » 25.

Le groupe se présente ainsi comme une entreprise salutaire destinée à simplifier et à rendre plus efficient le gouvernement mais aussi à le faire entrer dans le XXIe siècle en profitant des compétences d’ingénieurs formés dans les start-ups de la Silicon Valley 26.

Cette argumentation ne tient pas — pour au moins trois raisons. Parmi les postes et programmes supprimés, on trouve notamment l’initiative 18F 27 du service de transformation technologique attaché aux services généraux. Cette initiative vise à recruter des ingénieurs et fondateurs de start-ups technologiques pour un emploi temporaire au service de la modernisation technologique de l’État, en intégrant les outils d’intelligence artificielle générative dans l’interface des services publics ou en développant des services pour déclarer ses impôts en ligne ou renouveler son passeport. Plus largement d’ailleurs, les licenciements de fonctionnaires fédéraux ont été indiscriminés et non fondés sur l’examen des performances et de l’utilité des postes ainsi supprimés. De plus, l’annonce des économies ainsi ou des fraudes soi-disant identifiées — ressemble davantage à de la communication politique 28 qu’à une action de transparence à destination du grand public comme semblent le démontrer les nombreuses erreurs, approximations et exagérations 29 repérées sur le site officiel du D.O.G.E. 30 Enfin, ses procédures ne peuvent en aucun cas être considérées comme des actions d’audits ou de contrôle en raison de leur manque de précaution et de leur précipitation 31.

En étudiant les logiques et les représentations sous-jacentes de ces opérations, on voit comme elles semblent s’inscrire dans une coalition idéologique dont le seul point commun est de vouloir s’emparer de l’État pour le défaire et le reconfigurer à son propre compte.

Cette coalition comprend des représentations contestant la légitimité de l’action de l’État administratif qu’il s’agirait de « restructurer » — comme on restructure une entreprise. Elle inclut aussi des acteurs qui pensent qu’il faut entraver la bureaucratie régulatrice et qui rejettent l’expansion de ses prérogatives redistributrices depuis le New Deal et la Great Society. Elle est aussi structurée autour des « accélérationnistes » et des anarcho-capitalistes 32 qui cherchent la privatisation ou la fragmentation de l’État. En toile de fond, les promoteurs de la théorie maximaliste du pouvoir exécutif 33 — une version plus radicale de la théorie du pouvoir exécutif unitaire chère aux juristes conservateurs — fournissent une fin pour les uns et un moyen pour les autres.

La subversion couvre ainsi un vaste éventail de moyens dont l’action du D.O.G.E. est un facilitateur.

La mise au pas des fonctionnaires fédéraux et l’élimination de ce qui est perçu comme une base sociale et politique pour les démocrates et les libéraux est la traduction en acte d’un programme explicite : « traumatiser les bureaucrates » 34.

L’élimination de ce qui est perçu comme une base sociale et politique pour les démocrates et les libéraux est la traduction en acte d’un programme explicite : « traumatiser les bureaucrates ». Stéphane Taillat

L’agenda idéologique passe également par la traque et l’élimination des programmes « diversité, égalité et inclusion » (DEI) dans l’action de l’État à l’échelle nationale et internationale, cherchant ainsi à mener les « batailles culturelles » à leur terme. La menace de suppression ou de limitation des aides sociales (Medicaid, sécurité sociale) obéit à la logique de promotion d’une « méritocratie » libertarienne hostile à la redistribution. L’intrusion dans les bases de données du service des impôts (IRS) permet aussi d’utiliser les leviers de l’État contre de potentiels adversaires et ennemis politiques. Le démantèlement des agences chargées de la régulation ou de la protection des consommateurs — comme le Consumer Financial Protection Bureau créé après la crise financière de 2008 — de même que la promotion de certains produits et services par des administrateurs qui sont aussi des chefs d’entreprises montre la volonté de dérégulation structurelle que promet le D.O.G.E. 35 Enfin, la solution technologique « miracle » de l’IA est un outil de capture des marchés publics autant qu’un prétexte aux licenciements massifs de fonctionnaires au nom du traitement supposément efficace, neutre et rationnel des données.

Cet agenda idéologique de subversion est cependant traversé de contradictions et de tensions. S’il s’accommode bien d’une stratégie de normalisation de l’incertitude et du chaos, il illustre surtout des biais qui entravent la compréhension de ce que sont réellement les entités subverties ou démantelées. Celles-ci ne sont pas des agents autonomes en quête de prérogatives exorbitantes en matière de pouvoir extractif et coercitif. Il s’agit d’un archipel d’acteurs institutionnels participant d’une technologie culturelle et sociale de grande échelle : des véhicules fonctionnels pour résoudre ou répondre à des problèmes socioéconomiques et sociopolitiques spécifiques. En d’autres termes : il existe une infrastructure administrative qui n’est pas distincte de la société civile mais avec qui elle est étroitement enchevêtrée.

Un autre biais tend à occulter l’hétérogénéité des systèmes, des outils logiciels et des bases de données des infrastructures numériques 36 — minimisant par conséquent la complexité de l’ensemble

De l’État administratif en Amérique

Dans ces conditions opérationnelles et idéologiques, il n’est pas étonnant que se multiplient les erreurs de la part du D.O.G.E. 37 — licenciements de personnels sensibles qu’il faut réembaucher, divulgation de données classifiées, cessations de bail pour des bâtiments fédéraux sur lesquels il faut revenir, etc. Ce ne sont pas des incidents isolés mais des caractéristiques de son mode de fonctionnement. Les conséquences ne se font cependant pas immédiatement sentir, sauf peut-être pour l’aide humanitaire à l’étranger mais les risques existent pour les plus vulnérables. Il fait cependant peu de doutes que la perte d’expertise, l’invisibilisation, l’exploitation ou la suppression des données détenues par le secteur public autant que la friction voire l’arrêt dans certains services essentiels causeront des préjudices profonds au sein de la société étatsunienne. Géographiquement d’ailleurs, le chômage des fonctionnaires fédéraux aura un impact dans l’ensemble des États, qu’ils soient démocrates ou républicains.

Ces dysfonctionnements et le démantèlement d’une partie de l’État administratif ne concernent pas uniquement la société civile mais aussi la sécurité nationale et les instruments sur lesquels repose une partie importante de la stratégie des États-Unis en matière de sécurité et de coercition économiques. Il est difficile de savoir dans quelle mesure le secteur de sécurité nationale — cette autre face de l’État administratif 38 — est concernée par les manœuvres du D.O.G.E.

Certains indices peuvent laisser penser qu’il ne sera pas épargné mais il est peu probable que les agents de renseignement et les militaires protesteront publiquement ou poursuivront l’administration en justice 39. La vision étriquée, obsolète et mythologique de « l’État » qui sous-tend la subversion dont le DOGE est l’instrument néglige ainsi les développements du pouvoir infrastructurel des Etats-Unis à l’échelle globale.

Henry Farrell et Abraham Newman ont documenté la manière dont les administrations successives ont progressivement construit et raffiné les leviers de contrôle et de coercition permis par les technologies numériques en matière d’informations financières ou de renseignement. Plus récemment, Edward Fishman a montré combien la sophistication croissante de l’appareil de coercition économique des États-Unis repose sur des bureaucrates et des agences qui coordonnent de plus en plus leurs outils 40 — un phénomène déjà à l’œuvre à l’époque du premier impérialisme étatsunien 41.

Le bilan temporaire du D.O.G.E. est loin des annonces spectaculaires de Musk ou de la Maison-Blanche. Stéphane Taillat

À un moment où s’institutionnalise, se renforce et se complexifie l’instrumentalisation des infrastructures financières, judiciaires et informationnelles transnationales et globales comme goulets d’étranglement, on ne peut exclure les effets négatifs produits par la perte d’expérience, d’expertise et de données consécutive à l’infiltration et à la subversion des entités fédérales. De la même manière, l’action contre les agences chargées d’analyser le changement climatique 42 ou de promouvoir des analyses sur les conflits armés et les crises humanitaires aura un effet sur l’influence des États-Unis et son rôle de leadership.

Comme l’ont montré les recherches en sociologie des sciences et techniques sur les infrastructures, celles-ci émergent souvent à l’attention de l’observateur à l’occasion de crises, d’incidents ou de pannes 43. La capture des infrastructures numériques de certaines agences fédérales met ainsi à nu le déploiement et l’enchevêtrement social de l’État fédéral étatsunien en tant qu’infrastructure. L’invisibilité habituelle des « bureaucrates » — cet État « immergé » 44 — explique en partie la difficulté à se mobiliser pour le défendre et la facilité à l’accabler des maux de l’inefficacité et du gaspillage voire du parasitage. Ce n’est pas là l’un des moindres effets inattendus de cette action du D.O.G.E. que de conduire les chercheurs, les analystes, les journalistes et même les électeurs et contribuables à s’intéresser au fonctionnement de la machinerie.

Deux mois après l’investiture de Donald Trump, cette stratégie est néanmoins confrontée à des limites. D’une part, le nombre de fonctionnaires ayant volontairement démissionné reste faible par rapport à une année standard — 75 000 selon la Maison-Blanche. D’autre part, plusieurs arrêts en première ou seconde instance ont bloqué les licenciements ou ordonné le retour des fonctionnaires sur leur poste. Sur ce sujet comme sur celui des économies supposées, le bilan temporaire du D.O.G.E. est loin des annonces spectaculaires de Musk ou de la Maison-Blanche.

Il n’en reste pas moins que les contre-pouvoirs risquent d’être insuffisants. S’ils s’avèrent capables de freiner certaines actions, ils sont cependant impuissants face aux modes opératoires du D.O.G.E.

Il est possible également qu’ils ne puissent agir avec suffisamment de rapidité pour empêcher les préjudices qui en découleront. La question de la résilience est ici essentielle : les États-Unis reposent aussi sur d’autres pouvoirs administratifs qui s’appliquent aux échelles fédérées ou locales. Mais l’analyse des opérations du D.O.G.E. éclaire en creux les évolutions du fédéralisme au profit du pouvoir central — une infrastructure administrative renforcée et démultipliée par son infrastructure numérique.

https://legrandcontinent.eu/fr/2025/03/29/d-o-g-e-anatomie-du-coup-detat-numerique-delon-musk/

Kit de survie pour tenir 72 heures en autonomie: ce que contient le sac de résilience que chaque habitant de l'Union européenne devrait avoir - Var-Matin

Fri 28 Mar 2025 - 13:23

De l'eau, des allumettes ou des barres vitaminées... L'Union européenne souhaite que les habitants des 27 États membres aient chez eux un sac contenant de quoi être autonome pendant 72 heures en cas de situation de crise ou de conflit.

La Commission européenne a proposé mercredi 26 mars une "stratégie de préparation et de gestion de crises", a expliqué la commissaire européenne en charge de ce dossier, Hadja Lahbib, dans un entretien à l'AFP.

"Nous allons soutenir les Etats membres dans la confection de ce qu'on appelle un sac de résilience, et donc avoir tous les citoyens prêts à résister, à être en autonomie stratégique pendant minimum 72 heures", a-t-elle ajouté.

Avec une liste d'une dizaine de produits jugées indispensables pour remplir ce kit de survie, qui vont de la bouteille d'eau à la lampe torche en passant par les papiers d'identité ou les allumettes.
Ce que contient ce sac de survie

Dans une vidéo reprenant avec humour les codes des réseaux sociaux, Hadja Lahbib explique ce qu'il faut dans ce sac de survie:

  • papiers d'identité dans une pochette étanche,

  • médicaments et lunettes,

  • une lampe de poche à piles ou à manivelle,

  • doubles des clés,

  • chargeur de téléphone,

  • radio à pile pour suivre les consignes des autorités,

  • eau potable,

  • nourriture non périssable,

  • vêtements chauds.
    "Jour de préparation nationale" dans l'UE

Autre proposition, la création d'un "jour de préparation nationale" dans l'UE. "Savoir ce qu'on doit faire en cas de danger, avoir différents scénarios, c'est aussi éviter les mouvements de panique", explique Hadja Lahbib, rappelant que, lors de l'épidémie de Covid, les gens "se ruaient dans les magasins pour acheter du papier toilette".

La commissaire européenne évoque une stratégie spécifique pour les écoles afin d'avoir "quelque chose de plus harmonisé" au sein des 27. "Tout cela vient en support des stratégies nationales", souligne-t-elle. "Il s'agit de mieux coordonner, de mieux soutenir les États membres dans leurs stratégies".

La Commission européenne s'est inspirée du rapport remis à l'automne 2024 par l'ancien président finlandais Sauli Niinistö visant à "améliorer l'état de préparation de l'Europe en matière civile et de défense".

Dans un courrier adressé à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, trois eurodéputés du groupe centriste Renew ont suggéré d'aller plus loin en préconisant qu'un "guide complet" soit distribué à tous les ménages de l'UE pour se préparer à "diverses crises, y compris les conflits potentiels, les catastrophes climatiques, les pandémies et les cybermenaces".

https://www.varmatin.com/conflits/kit-de-survie-pour-tenir-72-heures-en-autonomie-ce-que-contient-le-sac-de-resilience-que-chaque-habitant-de-l-union-europeenne-devrait-avoir-979835

L'UE préconise un kit de survie de 72 heures pour se préparer aux crises et aux conflits à venir

Fri 28 Mar 2025 - 10:49

Le kit contient une liste d'une dizaine de produits jugés indispensables, entre bouteille d'eau, lampe torche et allumettes. L'Union européenne propose aussi la création d'un "jour de préparation nationale".

De l'eau, des allumettes, des barres vitaminées... L'Union européenne souhaite que les habitants des 27 pays membres aient chez eux un sac contenant de quoi être autonome pendant 72 heures en cas de situation de crise ou de conflit. La Commission européenne a proposé mercredi 26 mars une "stratégie de préparation et de gestion de crise", a expliqué la commissaire européenne chargée de ce dossier, Hadja Lahbib, dans un entretien à l'AFP.

"Nous allons soutenir les Etats membres dans la confection de ce qu'on appelle un sac de résilience, afin que tous les citoyens soient prêts à résister, à être en autonomie stratégique pendant au minimum 72 heures", a-t-elle ajouté. Une dizaine de produits jugés indispensables constituerait ce kit de survie, de la bouteille d'eau à la lampe torche en passant par les papiers d'identité ou les allumettes. Autre proposition, la création d'un "jour de préparation nationale" dans l'UE.

"Savoir ce qu'on doit faire en cas de danger, avoir différents scénarios, c'est aussi éviter les mouvements de panique", explique Hadja Lahbib, rappelant que, lors de l'épidémie de Covid, les gens "se ruaient dans les magasins pour acheter du papier toilette". La commissaire européenne évoque une stratégie spécifique pour les écoles afin d'élaborer "quelque chose de plus harmonisé" au sein des 27. "Tout cela vient en support des stratégies nationales, souligne-t-elle. Il s'agit de mieux coordonner, de mieux soutenir les Etats membres dans leurs stratégies."

La Commission européenne s'est inspirée du rapport remis à l'automne 2024 par l'ancien président finlandais Sauli Niinistö visant à "améliorer l'état de préparation de l'Europe en matière civile et de défense". Dans un courrier adressé à la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, trois eurodéputés du groupe centriste Renew ont suggéré d'aller plus loin en préconisant qu'un "guide complet" soit distribué à tous les ménages de l'UE pour se préparer à "diverses crises, y compris les conflits potentiels, les catastrophes climatiques, les pandémies et les cybermenaces".

https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/union-europeenne/l-ue-preconise-un-kit-de-survie-de-72-heures-pour-se-preparer-aux-crises-et-aux-conflits-a-venir_7156668.html

Trump II : interdire de dire pour mieux empêcher de penser

Fri 14 Mar 2025 - 20:04

Le New York Times a compilé plus de 200 mots que la nouvelle administration Trump aimerait bannir des documents et sites web officiels, dont « femme », « racisme » ou encore « pollution ». Des mots liés au genre, aux minorités sexuelles ou ethniques, ainsi qu’au changement climatique. Cette liste bouleverse la communauté scientifique et universitaire mondiale, mais les attaques sur la langue font partie de l’arsenal habituel des totalitarismes.

Le 7 mars dernier, le New York Times publiait la liste des mots déconseillés « déconseillés » par l’administration Trump pour l’ensemble des acteurs publics des États-Unis, sans distinction. En ces temps de sidération où les impérialismes et les totalitarismes reviennent à la mode, on pourrait prendre le risque confortable d’analyser cet épisode trumpiste en citant le fameux roman 1984, de George Orwell, et les liens qu’il y tisse entre langue et idéologie. Cette analogie est partiellement pertinente et montre surtout que nous avons plus que jamais besoin des sciences du langage pour comprendre les dérives populistes de nos démocraties.
L’arme du langage, un classique des régimes totalitaires

De nombreux travaux en sciences du langage, dans une grande variété d’approches et de domaines, ont assez largement montré que les attaques sur la langue font partie de l’arsenal habituel des totalitarismes : il s’agit en effet de s’attacher uniquement aux symboles et de leur faire prendre toute la place, pour effacer progressivement toute forme de nuance et de sens des mots. On préfère donc les références vagues et généralisantes, qui offrent une forme de « prêt à réagir » commode, en excitant les émotions et les affects, et qui ne s’embarrassent pas de complexité.

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Bien sûr, les régimes totalitaires européens ont été maintes fois étudiés pour comprendre leur rapport au langage. En effet, il s’agit par le langage de transmettre l’idéologie du pouvoir en place, d’utiliser certains effets de style rhétoriques pour détourner l’attention et imposer une vision du monde par la force et, ce faisant, de créer une véritable ingénierie linguistique qui a ensuite pour but d’inhiber certains comportements et de favoriser la dissémination des croyances autorisées par le pouvoir en place. Ces éléments se vérifient un peu partout – que l’on parle d’Hitler, de Staline, de Mussolini, de Poutine ou bien encore de Trump.
La langue, instrument du pouvoir trumpien : mots interdits, livres interdits et langue nationale

Alors bien sûr, si l’on revient très précisément à la liste des mots interdits, et que l’on se focalise exclusivement dessus, force est de constater que l’on y retrouve une liste assez incroyable de notions : même des termes comme « genre », « femme », « pollution », « sexe », « handicap », « traumatisme » ou « victime » se retrouvent visés.

Mais s’en étonner, c’est ignorer la construction d’un véritable programme antiwoke qui anime les franges républicaines radicales depuis plusieurs années déjà. Et cette réalité concerne tous les pays du monde, car il s’agit ici du programme d’une véritable internationale réactionnaire qui s’inscrit dans une patiente évolution politique et économique, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans le paradigme du capitalisme néolibéral international.

De ce fait, tout ceci n’est donc pas qu’une histoire de mots. En réalité, dès le début du nouveau mandat de Trump, son administration s’est attaquée au langage sous toutes ses formes. Ainsi, l’interdiction d’une grande variété de livres dans les écoles et les bibliothèques a atteint de nouveaux sommets et, le 2 mars dernier, Trump a signé un décret pour faire de l’anglais la langue officielle des États-Unis – une manière claire d’affirmer la suprématie blanche et anglo-saxonne (une antienne classique des communautés WASP – pour White Anglo-Saxon Protestant, ndlr ) sur les autres communautés états-uniennes, en mettant ainsi de côté la langue espagnole et son essor considérable aux États-Unis, notamment.
Attaquer la langue, c’est attaquer la science

Si l’on revient à cette fameuse liste de mots, on remarque également qu’une grande majorité d’entre eux est en lien direct avec les sciences humaines et sociales et les sciences de l’environnement, et ce, de manière éclatante – sans parler des connexions évidentes avec les sphères militantes progressistes.

Une rapide analyse par le logiciel Tropes, notamment, permet de mettre en lumière les grands champs thématiques ciblés par cette liste, à savoir l’environnement, la diversité, la justice et les inégalités sociales, la santé et le handicap, la dimension psychoaffective, la sexualité, les discriminations et, bien sûr, le langage.

On retrouve dans cette liste, outre des généralités confondantes de stupidité (comment simplement éliminer le mot « féminin » des politiques publiques), les thématiques centrales des recherches en sciences humaines et sociales et en sciences de l’environnement – thématiques qui ont à la fois été partagées par les sphères activistes et par des décisions politiques progressistes. Le plus intéressant est ce que cette liste nous dit du logiciel idéologique du musko-trumpisme : un masculinisme raciste, sexiste, transphobe, suprémaciste et climaticide qui se moque des inégalités sociales et de leurs conséquences économiques et communautaires, tout en étant antiscience et pro-ingénierie.

En effet, le concept de « matière noire sémantique » montre que les mots absents nous disent autant de choses que les mots présents. Une mise en miroir commode qui montre donc que si la liste évacue le mot « féminin (female) », c’est que le mot « masculin (male) » semble considéré comme important et central. Ce petit exercice peut se faire avec n’importe quel terme et montre l’étendue du programme idéologique de ce nouveau mandat du président Trump.

Mais il ne s’agit pas que de mots ; en lien avec cette liste, des actions politiques très concrètes sont menées. Par exemple, le fait que cette liste de mots interdits soit suivie du licenciement de la scientifique en chef de la Nasa, à savoir la climatologue Katherine Calvin, n’est pas une coïncidence.
« Aucune chance que ça arrive en France » – vraiment ?

Vu de France, l’accélération dystopique que représente la présidence de Trump pourrait paraître lointaine, si elle ne s’accompagnait pas d’une progression des thèmes de l’extrême droite partout en Europe, ainsi que d’une influence croissante de Poutine sur les vies de nos démocraties (et sur l’avenir de l’Europe, bien évidemment).

Et pourtant, sans aller jusqu’à une interdiction langagière officielle, on entend les mêmes petites musiques s’élever doucement, lorsque le président Macron rend les sciences sociales coupables « d’ethnicisation de la question sociale », quand l’ancien ministre Blanquer nourrit une obsession pour l’« islamogauchisme » qui serait partout tout en restant indéfinissable – ou quand certains intellectuels, non spécialistes mais forts de leurs opinions, confondent science et sentiment personnel dans un colloque contre le wokisme, tout en ciblant délibérément les travaux des sciences humaines et sociales, en se vautrant dans la création d’un think tank qui se donne des airs d’observatoire scientifique.

Si l’Histoire des États-Unis et celle de la France n’ont pas grand-chose en commun, mis à part le creuset idéologique des Lumières et le sentiment d’avoir une mission universaliste à accomplir auprès du reste du monde, il n’en reste pas moins que le modèle républicain, dans sa version la plus homogénéisante de l’universalisme, est souvent tentée d’interdire – surtout quand il s’agit de femmes ou de personnes issues de la communauté musulmane, comme cela a été le cas avec la désolante polémique du burkini.

S’attaquer aux mots est donc tout à fait à notre portée – surtout pour un pays qui a longtemps maltraité ses langues régionales et dont les représentants s’enfoncent régulièrement dans la glottophobie, pour reprendre les travaux de Philippe Blanchet sur le sujet. En tout état de cause, la cancel culture ne vient pas toujours de là où l’on croit – et interdire de dire les termes, c’est empêcher d’accéder au réel.

1984 censure totalitarisme écrire
https://theconversation.com/trump-ii-interdire-de-dire-pour-mieux-empecher-de-penser-252129

uBlock Origin n'est pas un adblocker — MiddleEarth

Fri 7 Mar 2025 - 21:47

C'est un outil de sécurité indispensable.

Petit retour d'expérience d'un lot d'incidents de sécurité traités au taf.

Jeudi notre EDR (un antivirus) remonte des alertes concernant un logiciel qui semble malveillant, OneStart.exe. On investigue rapidement, et on se rend compte qu'il est installé par les collaborateurs depuis des publicités Google Ads.

Quelques exemples de sites ayant affiché ces publicités malveillantes :

bimmer.work
companieslogo.com
estatuto.co
file-examples.com
moovitapp.com
quizlet.com
teet.eklablog.com
www.calendriergratuit.fr
www.freecram.net
www.gerencie.com
www.i2pdf.com
www.itineraire-metro.paris
www.manager-go.com
www.mdecoder.com
www.pngegg.com

On pourrait se dire que c'est pas très grave, ça pue le site où de toute façon mettre les pieds n'est pas très conseillé. Mais aussi, et c'est là que ça devient vraiment problématique :

notepad-plus-plus.org
keepass.info
france-cadastre.fr
www.dafont.com

Ces sites sont officiels, de référence et correspondent aux attentes des utilisateurs. Ce ne sont pas des sites contrefaits. Ils ont pignon sur rue. Leur notoriété est acquise. Ils ne sont pas référencé dans les listes de sites "potentiellement malveillant".

Bref ça m'énerve fort. Très fort.

Insérer de la publicité sur votre site via un outil tiers est un risque de sécurité majeur. Même si on met de coté le problème de tracking lié à ces publicités, les groupes malveillants profitent de votre image pour pousser leurs malwares. Ce qui s'affiche sur votre site est, dans l'esprit de vos visiteur·ices, aussi légitime que votre propre contenu.

Si vous ne pouvez pas contrôler ce qui est affiché chez vous, n'en faites par l'intégration. C'est votre responsabilité d'éditeur qui est en jeu.

Les pubs contribuent à rendre le net moins sécurisé. En tant que site disposant d'une aura de référence, vous posez un risque de sécurité majeur à l'écosystème.

La conséquence est que bloquer la publicité est maintenant une mesure de sécurité incontournable. Installez un adblocker performant, et installez-le pour vos collègues. Ce n'est plus qu'une question de confort, de vie privée ou d'écologie. C'est une putain de question de sécurité.

Je préconise uBlock Origin sur Firefox, Chrome et ses dérivés ayant imposé des restrictions techniques visant à rendre moins efficace les adblockers (via Manifest v3).

Au taf on est en train de regarder pour déployer automatiquement uBlock sur tous les navigateurs autorisés. Ça nous fera moins d'incidents à gérer. Et l'équipe réseau nous remerciera aussi d'avoir divisé par 2 la bande passante.

Alors oui ça me gonfle. Ça me gonfle que le Web soit pourri à ce point par la pub. Ça me gonfle de passer des heures à analyser des dizaines de PC parce que france-cadastre a affiché un putain de message "pour visualisez votre PDF installez cette merde". Alors bloque la pub. Et passe le bloqueur à tes voisin·es.

Pub UblockOrigin
https://blog.middleearth.fr/ublock-origin-nest-pas-un-adblocker.html

Le masculin l'a-t-il toujours emporté sur le féminin ? - jeannesorin.com

Mon 3 Mar 2025 - 15:52

La règle de grammaire « le masculin l’emporte sur le féminin » ne date que du 17ème siècle. Difficile à croire, et pourtant. Avant cette époque, on utilisait les accords de proximité et de majorité, et les noms de métiers exercés par des femmes étaient tous féminisés. On parlait de poétesse ou encore de peintresse.
femme du 17ème siècle qui se bat contre la règle du masculin qui l'emporte sur le féminin
La langue française avant le 17ème siècle

Des documents datant du 13ème siècle, prouvent que des femmes travaillaient hors du foyer depuis longtemps et que leurs métiers étaient nommés au féminin. Cette découverte m’a beaucoup surprise, croyant que les femmes avaient toujours souffert de la domination masculine dans la langue française.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le masculin ne l’a donc pas toujours emporté. Cela ne signifie pas pour autant que les femmes étaient traitées de manière égale aux hommes. Sous Napoléon, les femmes étaient tenues de prendre le nom et le prénom de leur mari. Par exemple, on disait « madame Pierre Dufour ». Avec une telle appellation, on peut se demander, comment une femme existe-t-elle par et pour elle-même ?

Comment s’est imposée la règle du « masculin l’emporte sur le féminin » ?

Au 17ème siècle et plus particulièrement en 1635, la langue française atteint un statut de prestige, notamment avec la création de la fameuse Académie française. À cette époque, c’est Richelieu qui est chargé de mettre en place cette institution de régulation de la langue. L’assemblée de l’Académie française, composée d’hommes nobles ayant servi le royaume, décide que le masculin doit l’emporter sur le féminin dans la langue, puisque l’homme est plus noble que la femme : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle » (Beauzée, Grammaire générale, 1767).

À l’époque, il s’agit d’une décision politique visant à invisibiliser les femmes de pouvoir. Le refus de voir les femmes agir sur le même terrain qu’eux, les amène à masculiniser la langue et notamment les noms de métier : « Il faut dire cette femme est poète, est philosophe, est médecin, est auteur, est peintre ; et non poétesse, philosophesse, médecine, autrice, peintresse, etc.», écrit Andry de Boisregard (Réflexions sur l’usage présent de la langue françoise, 1689).

C’est seulement plus tard qu’on tente d’expliquer cette règle, en disant que le masculin générique fait le neutre.
Les conséquences néfastes de la masculinisation de la langue française

Le problème réside dans le fait que, en n’incluant pas les femmes dans la langue, nous les rendons invisibles. Notre cerveau associe le masculin générique à des représentations masculines. Son utilisation influence donc nos représentations mentales, et participe par conséquent à invisibiliser les femmes dans la langue et dans la société.

Grammaticalement, cette règle est inutile et cause des dommages. « Cette règle incrustée dans la tête des enfants y installe un message politique sans doute tout aussi nocif que les stéréotypes de sexe », écrit Eliane Viennot.

Comment s’exprimaient les gens avant d’utiliser le masculin générique ?

Avant l’utilisation du masculin générique soit du « masculin qui l’emporte », on féminisait les noms de métiers, et on adoptait l’accord de majorité et celui de proximité.

L’accord de majorité se réfère à l’accord grammatical basé sur le genre qui était le plus représenté. Exemple d’accord de majorité : s’il y avait 10 femmes et 2 hommes dans un groupe, on pouvait aisément dire « Elles étaient présentes ».

L’accord de proximité signifie que l’on accordait avec le substantif le plus proche. La règle d’accord en genre et en nombre avec le substantif le plus proche (règle de proximité), était utilisée par tout le monde jusqu’au 17ème siècle et restait en usage courant jusqu’à la Révolution. Exemple d’accord de proximité : « Le client et la cliente présente » ou encore « Les hommes et les femmes intelligentes ».
Qui régule la langue aujourd’hui ?

On peut se demander si en réadoptant ces accords ou en féminisant des noms de métiers, nous ne risquerions pas de faire des erreurs, d’autant plus que notre correcteur automatique nous reprend systématiquement. La question à se poser est donc la suivante : qui régule la langue ? Les dictionnaires ont-ils un rôle de régulation de la langue ? Est-ce l’Académie française ou alors, est-ce l’usage ? Eh bien, c’est l’usage qui régule la langue. Nous avons donc toutes et tous le pouvoir de faire évoluer la langue française, pour la rendre, ainsi que la société, plus juste et équitable.
Conclusion

Le langage inclusif n’est pas une nouvelle lubie féministe. Avant le 17ème siècle, il se pratiquait naturellement. Aujourd’hui, la langue inclusive se soucie de contourner la règle injuste du masculin qui l’emporte pour promouvoir la justice et d’égalité. Alors, pour celles et ceux pour qui le langage inclusif résonne, sachez qu’en l’utilisant, vous participez grandement à faire évoluer les mœurs.

écrire écriture-inclusive
https://jeannesorin.com/le-masculin-lemporte-t-il-sur-le-feminin-depuis-toujours/

États-Unis : une censure conservatrice "sans précédent" prive les écoles de milliers de livres

Tue 25 Feb 2025 - 15:20

Julianne Moore s'est dite "choquée". Alors qu'elle venait de publier son tout premier livre pour enfants, racontant l'histoire de "Freckleface Strawberry", une enfant constellée de petites taches de rousseurs, l'actrice américaine a vu son œuvre – semi-autobiographique – interdite par l'administration Trump dans les écoles gérées par le ministère de la Défense (représentant plus de 20 000 élèves sur le territoire des États-Unis). Écoles dans lesquelles l'actrice, fille de militaire, a elle-même été scolarisée.

"Je n'aurais jamais cru voir cela dans un pays où la liberté d'expression est un droit constitutionnel", a-t-elle réagi, atterrée, dimanche 16 février sur Instagram.

Les interdictions de livres ont pourtant bel et bien augmenté ces dernières années aux États-Unis, coïncidant avec la montée en puissance du camp conservateur, puis le retour au pouvoir de Donald Trump. Les œuvres visées sont principalement des livres jeunesse, sensibilisant au racisme, aux inégalités de genre et à l'histoire, et dont les auteurs sont des personnes racisées, femmes ou membres de la communauté LGBTQ+.

"C'est vraiment depuis 2021 – donc depuis la défaite de Donald Trump en 2020 – qu'il y a eu cette résurgence", affirme Esther Cyna, historienne spécialiste des questions de racisme, de l'histoire politique et de l’éducation aux États-Unis. Elle explique que les conservateurs se sont mobilisés à l'échelle locale après avoir vu leur candidat se faire battre dans la course à la Maison Blanche. "Cela a accéléré le mouvement qui, aujourd'hui, est sans précédent."

Inquiète, l'une des plus grandes organisations à but non lucratif des États-Unis dédiées à la protection de la liberté d'expression dans la littérature, PEN America, a dénoncé ce déluge d'interdictions, lui trouvant de "dangereuses" ressemblances avec "les régimes autoritaires de l'histoire."

Plus de 10 000 œuvres interdites en 2023-2024

"Le phénomène de censure a toujours existé, souvent dans des moments de pouvoir conservateur, mais cette fois, c'est inédit en termes de volume et de rapidité", analyse Esther Cyna. "C'est aussi sans précédent par rapport à l'emprise que ça a sur les discussions locales, et sur la couverture médiatique".

Selon l'historienne, il existe trois niveaux de censure : à l'échelle locale, dans un district scolaire qui a décidé de faire circuler une liste de livres auxquels les parents se sont opposés ; à l'échelle des États, où le gouverneur décide de bannir certains œuvres, comme l'Utah, l'Oklahoma ou encore l'Arizona ; et au niveau fédéral, où la situation est "plus compliquée, parce qu'il n'y a pas vraiment d'écoles fédérales, sauf celles dont on parle par exemple dans le cas de Julianne Moore".

Au cours de l'année scolaire 2023-2024, PEN America a recensé un total de 10 046 titres interdits, dont plus de 4 000 ont été retirés des bibliothèques scolaires. Parmi les livres les plus censurés figure "L'Œil le plus bleu" de Toni Morrison, prix Nobel de Littérature. Également retirés des étagères de certaines bibliothèques publiques ou scolaires, des classiques tels que "Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur", d'Harper Lee, "Le Meilleur des mondes", d'Aldous Huxley, "Maus", d'Art Spiegelman, ou encore " Gender Queer", de Maia Kobabe.

Parmi les œuvres censurées, 57 % incluaient des "thèmes ou représentations liés au sexe" ; plus de 30 % incluaient des représentations d'agressions ou de violences sexuelles, et plus de 5 % étaient axées sur la puberté, l'éducation sexuelle ou la santé sexuelle.

"Il y a eu des censures de manuels scolaires dès le début du XXe siècle. Aujourd'hui, on voit beaucoup de censure autour d'œuvres de littérature, avec toujours le même argument selon lequel 'c'est inapproprié' et 'ça pervertit la jeunesse'", poursuit Esther Cyna.

Dans le sillage de la publication par PEN America de ses statistiques sur l'année scolaire 2023-2024, "la plus marquée par les censures" littéraires, l'autrice américaine Jodi Picoult a publié une vidéo Instagram fin octobre, à la veille de la présidentielle américaine, expliquant pourquoi son livre "Nineteen Minutes", était "le livre le plus interdit du pays l'année dernière".

Son œuvre raconte l'histoire d'une fusillade dans une école, mais Jodi Picoult affirme que la raison de sa censure se situe ailleurs. La décision serait "liée à une seule page, qui décrit un viol et qui utilise des mots anatomiquement corrects pour le corps humain", explique l'autrice diplômée de Princeton et de Harvard, déplorant que l'étiquette d'œuvre "pornographique" ait été collée à son livre par les censeurs.

Bien d'autres titres, parfois très populaires, ont été visés par cette interdiction au motif qu'ils contenaient du contenu "pornographique", à l'instar de "La servante écarlate" de Margaret Atwood, ou encore de la saga "Twilight" de Stephanie Meyer.

"Nier l'existence de certaines personnes"

En ce qui concerne le livre de Julianne Moore, s'il ne traite pas de sujets explicitement politiques ou polémiques, l'administration Trump semble l'avoir ciblé dans le cadre d'une politique plus large de censure.

"Le livre parle de l'acceptation de soi, avec un message de diversité, et a dû simplement être identifié comme ayant un message progressiste", suppose Esther Cyna. "Tout ce qui tourne autour de la diversité fait désormais l'objet d'une surveillance accrue. De plus, l'héroïne est une femme, cela a donc pu être vu comme un peu féministe."

La décision s'inscrit donc dans une vague plus générale de restrictions à l'encontre des livres abordant des thèmes perçus par certains mouvements conservateurs comme une forme de "propagande woke".

Par ailleurs, le fait que Julianne Moore, engagée politiquement en faveur des droits LGBTQ+ et du contrôle des armes à feu, se soit à plusieurs reprises exprimée publiquement contre les politiques et les actions de Donald Trump, pourrait ne pas avoir joué en sa faveur.

Selon Esther Cyna, s'il est correct de faire le parallèle avec d'autres vagues de censure qui visaient déjà à "faire taire les idées politiques dissidentes" – dans les années 1950, par exemple, le maccarthysme cherchait à limiter la diffusion du communisme en visant de nombreux créateurs et leurs œuvres –, le mouvement massif d'interdictions à l'œuvre aujourd'hui aux États-Unis se distingue en allant globalement plus loin encore : "Là, on voit que c'est une attaque directe qui vise à nier l'existence, l'identité de certaines personnes", affirme l'historienne.

Selon le recensement de PEN America pour 2023-2024, les États républicains enregistrent sans surprise un nombre plus élevé d’interdictions de livres. La Floride du gouverneur républicain Ron DeSantis est de loin l'État ayant enregistré le plus grand nombre d’interdictions, avec plus de 4 500 cas d’interdictions dans 33 districts scolaires. L'État se distingue en la matière en raison d'un activisme local particulièrement efficace, facilité par des lois récentes.

Parmi elles, le House Bill 1069, adopté sous l'impulsion de Ron DeSantis, permet aux parents de contester des livres qu'ils jugent inappropriés, entraînant leur retrait immédiat des bibliothèques scolaires et des salles de classe.

Évoquant ces "lois visant à faciliter l'interdiction des livres" dans certains États, Jodi Picoult dénonçait plus largement dans sa vidéo le "Blueprint Project 2025" – une initiative menée par Heritage Foundation, groupe de réflexion conservateur américain – dont l'un des objectifs était de "faire de même au niveau national".

"Le projet 2025 – dont Trump a essayé dans un premier temps de se distancer – articule la vision ultraconservatrice et extrémiste du parti républicain", explique Esther Cyna. "On y trouve ce qui est en train de se faire aujourd'hui, c'est-à-dire un démantèlement complet de ce qu'eux appellent 'diversité, équité et inclusion', mais qui en fait désigne les avancées du mouvement pour les droits civiques."

Face à ces "canulars", point de garde-fous ?

"Sous prétexte de protéger les enfants et de garantir une prétendue 'neutralité idéologique', ils [l'administration Trump et les États républicains] veulent interdire des livres, bannir des sujets considérés comme trop 'polémiques' et limiter les discussions sur des enjeux sociaux et historiques", s'alarmait le 22 janvier Shophika Vaithyanathasarma, spécialiste des sujets éducation pour le Journal de Montréal.

"Ces politiques transformeront les écoles et les campus en lieux de contrôle idéologique, où enseignants et élèves s’autocensureront par peur de représailles, voire de poursuites judiciaires", poursuit-elle, ajoutant que trois États américains ont "déjà voté des lois criminalisant certains libraires qui refusent de retirer des livres de leur rayons".

Fin janvier, l’administration Trump a demandé au ministère de l’Éducation de mettre fin à ses enquêtes sur les interdictions de livres, les qualifiant de "canulars". Une décision qui a renforcé la colère des groupes de défense des droits et des libertés civiles.

Dans la foulée, le Bureau des droits civils du ministère a dit avoir rejeté 11 plaintes liées à des interdictions de livres et annoncé qu'il n'emploierait plus de "coordinateur des interdictions de livres" pour enquêter sur les districts scolaires locaux et les parents. Dans son communiqué de presse, celui-ci justifie ces interdictions par le fait que les districts scolaires et les parents ont "mis en place des processus de bon sens pour évaluer et supprimer les documents inappropriés à l’âge des élèves".

Autant de décisions qui font craindre une absence totale de garde-fous. Mais sur ce point, Esther Cyna prône la nuance, au moins pour ce qui est de l'échelle locale. "Les parents d'élèves des districts scolaires, s'ils ne sont pas d'accord avec la censure, peuvent voter pour d'autres représentants", dit-elle, admettant que les choses sont plus compliquées au niveau des États et à l'échelle fédérale.

"Avant les élections de mi-mandat, en 2026, a priori rien ne va bouger", affirme l'historienne, qui précise que le parti républicain concentre pour l'instant tous les pouvoirs. "Le président, en revanche, est là pour quatre ans. Donc pour ce qui est des écoles militaires et du livre de Julianne Moore, ça ne va pas changer."

America censure lire
https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20250219-etats-unis-censure-conservatrice-prive-ecoles-milliers-de-livres

Wikipédia est-il de gauche ? – Authueil

Tue 25 Feb 2025 - 11:08

Un récent article du Figaro évoque la question de l »orientation politique de Wikipédia, qualifiant l’encyclopédie en ligne de « woke ». Rien de surprenant, cette vision étant attendue, voire recherchée par le lectorat du Figaro, le journaliste ne fait que donner à son public, ce qu’il a envie de lire et conforte ses opinions.

Mais sur le fond, est-ce vrai ? La réponse ne peut être que nuancée, et donc inaudible pour des journalistes et des lecteurs qui veulent des certitudes et des positions arrêtées et binaires.

Oui, Il existe un biais « de gauche » à Wikipédia, par son objet même, la libre diffusion du savoir, et ses modalités, la libre réutilisation sous licence libre. La création et l’entretien d’un commun, c’est davantage dans le logiciel idéologique de la gauche, moins dans celui de la droite. Cela fait déjà un premier tri, à un niveau qui relève de l’engagement idéologique et philosophique, sans que ça soit, pour autant, un engagement partisan.

La communauté des contributeurs de Wikipédia est très typée. En résumé (un peu caricatural), c’est « homme blanc, jeune, urbain, diplômé » qui se rapproche assez du lectorat type de Libé. Si vous êtes une femme des classes populaires, issue d’une minorité ethnique, vous êtes un OVNI dans ce monde. Inutile de vous dire que les engagements partisans ces couches surreprésentées dans la communauté vont plutôt vers la gauche, voire l’extrême-gauche.

Mais…

Une grande partie de cette communauté est loin, voire très loin, d’être politisée. Dans le profil type « homme blanc diplômé », il faut ajouter aussi « informaticien » car il y a quand même un coût d’entrée dans la communauté « centrale », celle qui pèse sur les décisions. Même si la contribution a été grandement facilitée par des outils comme l’éditeur visuel, dès que vous entrez dans le dur, et donc la maintenance, il faut savoir coder un minimum, connaitre des procédures et des codes internes. Ce n’est pas à la portée de tout le monde. Or, cette branche de la communauté est moins sensibilisée à des problématiques partisanes. Même s’ils ont leurs opinions politiques, une grande majorité des contributeurs n’en fait pas l’alpha et l’omega de son engagement contributif sur Wikipédia. Pour beaucoup, c’est même assez marginal, et l’engagement en faveur du projet et de ses buts est bien plus important que militer en faveur de telle ou telle autre idéologie. Vous pouvez donc parfaitement vous penser de gauche, et considérer que les revendications « woke » n’ont strictement rien à faire sur Wikipédia, parce que contraires aux principes fondateurs.

En résumé, il y a sans doute plus de gens de gauche que de droite dans la communauté wikipédienne, mais cela n’a pas un effet si important que ça sur le contenu et les biais, car il existe plusieurs mécanismes stabilisateurs.

Les décisions les plus importantes sont prises dans la discussion, avec de nombreux débats. Ce que le journaliste du Figaro présente comme des « batailles » ou des « guerres » internes, ne sont en fait que des discussions, plus ou moins vigoureuses, qui sont le mode de fonctionnement normal de la communauté wikipédienne. Ces discussions ont très souvent tendance à aboutir à des compromis « centristes » où les contributeurs idéologiquement très marqués ont beaucoup de mal à imposer leurs vues.

L’exemple le plus frappant est celui de l’écriture inclusive. Si la communauté wikipédienne était si woke que ça, son utilisation y serait systématique, et ne ferait pas débat. Or, un sondage de 2022, dont les résultats sont toujours valides, a montré qu’une majorité (60-70%) y est hostile, avec une acceptation plus grande pour ce qui est passé dans l’usage courant (féminisation des fonctions) et une hostilité marquée pour le point médian et les pronoms façon « iel ». Ce n’est pas faute aux partisans de cette écriture inclusive d’avoir fait le forcing. Sur d’autres sujets, comme les conventions sur les rédactions des articles des personnes trans, ce groupe militant, abusivement classé sous la bannière de l’association « les sans pagEs », a également beaucoup de mal à imposer ses vues, provoquant des débats tendus, voire violents.

La contribution et la communauté sont encadrées par un corpus de règles, de recommandations et de pratiques qui limitent les effets de l’entrisme militant. L’une de ces règles est le respect d’un minimum de savoir-vivre, et l’obligation de se plier à des discussions parfois longues. Si certains militants (pov-pushers dans le jargon wikipédien) savent utiliser et jouer avec les règles, une grande majorité, qui est dans le passionnel, perd vite patience. Les insultes et les tentatives de passage en force arrivent assez rapidement, et permettent de les sortir, non pas pour des désaccords de fond, mais pour des raisons de forme. C’est assez efficace pour faire le ménage.

Il faut aussi voir que la wikipédia en français compte 2 660 000 articles, dont l’écrasante majorité ne pose aucun problème de biais militant. C’est tout au plus 10 à 20 000 articles, essentiellement sur des biographies de personnes vivantes et sur les sujets sociétaux, qui concentrent les tensions. C’est une goutte d’eau. Ces articles « tendus » portent sur des sujets qui font eux-même l’objet de vives tensions dans le débat public en général. Et contrairement à ce que laissent penser cet article du Figaro, les principaux points de tensions ne sont pas le sociétal, mais le géopolitique. Les articles autour du conflit israélo-palestinien, les régimes autoritaires (Azerbaïdjan, Qatar…) ou encore les rivalités entre marocains, algériens et tunisiens sont bien plus problématiques.

Les grands enjeux pour wikipédia sont tout autres que ces querelles « woke ou pas woke ». Les préoccupations portent plutôt sur les questions de fiabilité de l’information, avec les multiples campagnes de désinformation, ou encore l’utilisation de l’IA, qui ciblent Wikipédia, mais aussi et surtout les sources utilisées pour écrire des articles sur Wikipédia. En effet, la règle de base est que Wikipédia ne peut être qu’une synthèse du savoir existant, et n’est en aucun cas un lieu de production de savoir inédit. Donc si les sources utilisées sont « corrompues », cela se retrouvera nécessairement sur Wikipédia.

Plutôt que d’aller regarder sous le capot de Wikipédia, pour savoir si c’est de gauche ou pas, les journalistes feraient mieux de se préoccuper de la fiabilité des informations qu’ils publient et de leurs propres biais

Wikipédia
https://authueil.fr/2025/01/22/wikipedia-est-il-de-gauche/

« Zero Day » sur Netflix : Trump, Musk… Il y a beaucoup de vrai dans cette mini-série avec Robert de Niro - Huffington Post

Sat 22 Feb 2025 - 09:24

Dans la fiction, c’est une femme afro-américaine démocrate qui siège à la Maison Blanche. Mais les ressemblances avec la réalité sont nombreuses et déroutantes.

SÉRIES TÉLÉ - Il y a beaucoup d’éléments vraisemblables. Et d’autres qui auraient pu l’être. Netflix a mis en ligne depuis jeudi 20 février la mini-série Zero Day en 6 épisodes. Le thriller politique, qui met en scène Robert de Niro dans la toute première série télé de sa carrière, imagine une cyberattaque d’envergure inédite aux États-Unis, et toutes ses conséquences.

Et si une mystérieuse organisation terroriste décidait de couper pendant une longue minute toutes les transmissions numériques et technologiques d’un pays ? Les smartphones, les téléviseurs, l’électricité, mais aussi internet, les feux de circulation, les appareils médicaux ou encore les systèmes de guidage ou de freinage d’urgence des trains. C’est le point de départ de la série imaginée par Eric Newman, Noah Oppenheim et Michael Schmidt.

Dans Zero Day, suite à cette attaque, George Mullen, un ancien Président à la retraite incarné par Robert de Niro est rappelé par la Présidente des États-Unis Evelyn Mitchell (Angela Bassett) pour mener l’enquête et identifier d’urgence les coupables de cette attaque qui a entraîné plus de 2000 morts.

Ça, c’est pour le point de départ « fictif » de cette mini-série en six épisodes haletants. Viennent s’y ajouter de nombreux éléments qui ressemblent à s’y méprendre à ce qui aurait pu exister. C’est par exemple une femme noire démocrate qui réside à la Maison Blanche, après qu’un Président blanc approchant les 80 ans et démocrate lui aussi, a choisi de ne pas se représenter. Difficile de ne pas faire le parallèle avec Kamala Harris et Joe Biden, surtout lorsqu’on sait que la série a été tournée entre 2023 et 2024 alors que la campagne battait son plein.

Une fiction qui illustre le système Trump

Et puis il y a les évènements qui sont bel et bien en train de se dérouler aujourd’hui outre-Atlantique. Pour mener son enquête, George Mullen prend la tête d’une commission spéciale votée par les élus. La « Commission Zero Day » a donc les pleins pouvoirs pour fouiller dans les données privées (et la vie) des gens, et arrêter sans mandat les suspects. Impossible de ne pas penser à la commission pour l’efficacité gouvernementale (Doge) dirigée par Elon Musk.

Le grand patron de Tesla et proche de Donald Trump est d’ailleurs lui aussi évoqué via un personnage féminin très ressemblant. Monica Kidder, milliardaire et grande patronne de la tech incarnée par Gaby Hoffmann, a de l’influence jusque dans les plus hautes sphères politiques et ne se déplace jamais qu’en sweat-shirt avec une casquette vissée sur la tête.

Même chose en ce qui concerne Joe Rogan, le YouTubeur et animateur radio star qui a offert à Donald Trump une plateforme inédite pour s’exprimer pendant la campagne. Dans Zero Day, il est assez clairement identifié à travers le personnage d’Evan Green (Dan Stevens), un YouTubeur complotiste aux millions d’abonnés qui penche vers l’extrême-droite.

Des personnages qui viennent illustrer le système Trump. Même si ce dernier n’est pas « représenté » de manière aussi claire dans la série, ce qu’il incarne l’est. C’est le cas à travers les militants anti ou pro-Commission Zero Day qui ne sont pas sans rappeler les différentes manifestations des soutiens républicains du courant MAGA. C’est aussi visible avec certains discours de la classe politique ou encore dans la mise en avant des dangers de la désinformation et des fake news.

Au casting de cette série frappante de réalisme, on retrouve également Jesse Plemmons, Connie Britton, Lizzy Caplan ou encore Matthew Modine. Les six épisodes menés tambour battant se dévorent sans causer d’indigestion. Mais laissent un inquiétant arrière-goût de « et si jamais ? »

America politique-fiction série
https://www.huffingtonpost.fr/culture/article/zero-day-sur-netflix-trump-musk-il-y-a-beaucoup-de-vrai-dans-cette-mini-serie-avec-robert-de-niro-clx1_246356.html

Pourquoi Trump veut-il les ressources de l’Ukraine ? | Le Grand Continent

Wed 19 Feb 2025 - 08:16

Le président américain a signalé, par l’intermédiaire de son secrétaire au Trésor, vouloir « échanger » les ressources naturelles de l’Ukraine (lithium, uranium, terres rares…) contre le maintien de l’assistance américaine dans l’attente de la conclusion d’un accord de paix. Trump considère également que l’exploitation des sols de l’Ukraine par des entreprises américaines permettrait de « rembourser » les États-Unis pour l’aide fournie depuis 2022.

L’Ukraine dispose de l’un des sols les plus riches d’Europe en minéraux, métaux et ressources naturelles. Selon le gouvernement ukrainien, le pays a les premières réserves européennes de lithium et d’uranium et détient 25 des 34 matières premières reconnues en 2023 comme « critiques » par l’Union européenne.

La valeur de ces ressources, dont seulement 15 % des gisements connus étaient exploités avant le lancement de l’invasion de 2022, est estimée par Kiev à 26 000 milliards de dollars.

Dans de nombreux documents élaborés par le ministère ukrainien de la Protection de l’environnement et des Ressources naturelles, les autorités de Kiev mettent en avant leurs ressources en graphite et lithium pour la production d’anodes et de cellules de batteries.
À elles seules, les ressources ukrainiennes dans ces deux minéraux permettraient de produire des matériaux de cathode et d’anode pour les batteries au lithium « avec une capacité totale de 1000 GW/h pour soutenir la fabrication d’environ 20 millions de véhicules électriques ».

Pour l’administration Trump, l’extraction de ces ressources cruciales pour la transition énergétique ainsi que la fabrication de composants utilisés dans les hautes technologies permettrait à la fois aux entreprises américaines de réaliser d’importants profits, mais également de réduire la dépendance des chaînes de production américaines vis-à-vis de Pékin.

La Chine concentre près de la moitié (44 millions de tonnes) des réserves mondiales de terres rares et dispose de plus des trois-quarts (77 %) des capacités mondiales de raffinage. Si le sol ukrainien contient une portion bien plus faible de ces réserves, son exploitation permettrait à Washington de diversifier considérablement ses approvisionnements.
L’extraction en Ukraine de ces ressources minières, qui constitue un processus très polluant (à toutes les étapes : traitement, séparation, concentration…), limiterait également les impacts environnementaux sur le sol américain.
Toutefois, selon plusieurs estimations, environ la moitié de la valeur des ressources de l’Ukraine est sous contrôle de l’armée russe — dont une partie importante depuis 2014 —, soit environ 12 500 milliards de dollars de minéraux, charbon, pétrole et gaz naturel.

La volonté apparente de Trump de vouloir conclure un accord rapide entre l’Ukraine et la Russie est principalement guidée par des intérêts privés, représentés notamment par l’ami de longue date du président américain, Ronald Lauder, qui s’est d’ores et déjà engagé à faire une offre pour un champ de lithium ukrainien. C’est également Lauder qui était à l’origine de l’idée du rachat du Groenland, également riche en ressources naturelles.

Ukraine
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/19/pourquoi-trump-veut-il-les-ressources-de-lukraine/

Trump instaure son ministère de la vérité… - Le Soir

Tue 18 Feb 2025 - 16:49

Par Florian Delabie président de l’Association des Archivistes Francophones de Belgique

Le limogeage de Colleen Shogan, directrice des Archives nationales américaines, par Donald Trump ne relève pas d’un simple caprice. Il s’inscrit dans une dérive plus profonde, où le contrôle de l’histoire devient un outil de pouvoir, faisant écho au monde dystopique de «1984» de George Orwell.

Colleen Shogan, ce nom ne vous dit peut-être rien. Elle était, jusqu’à ce vendredi 7 février 2025 la directrice des Archives nationales des Etats-Unis. Etait, puisqu’elle a été brutalement limogée par le président Donald Trump. Pour beaucoup, cette décision passera inaperçue, reléguée à une simple péripétie administrative. Pourtant, elle marque un tournant dangereux.

Son « tort » ? Avoir accompli son devoir en exigeant que l’administration Trump leur transmette l’ensemble des documents et traces numériques de son premier mandat, y compris les messages échangés sur WhatsApp. Cette démarche, conforme aux principes fondamentaux de la démocratie américaine, avait notamment permis de révéler le scandale des documents classifiés retrouvés dans la résidence personnelle du Président à Mar-a-Lago. Sans le professionnalisme de ces archivistes, sans leur rigueur dans l’application de la loi et leur dévouement à la préservation des traces de l’administration, ces informations ne seraient jamais connues et aucune trace n’en aurait été conservée. Or, aujourd’hui, leur cheffe de file est évincée. Quelques jours seulement après le retrait de données scientifiques publiques (open data) contraires aux idées de la nouvelle administration, c’est un nouveau coup porté à l’accès à l’information libre et contextualisée.

Les archives, un enjeu de pouvoir majeur

Ce type d’intervention politique sur les archives n’a rien d’anodin. L’histoire regorge d’exemples où la manipulation ou la destruction d’archives a servi des régimes autoritaires. De l’Allemagne nazie à l’Union soviétique, en passant par la Révolution culturelle chinoise et le régime des Khmers rouges, les archives ont toujours représenté un enjeu de pouvoir majeur. L’accès à une information libre, fiable et contextualisée est une menace pour ceux qui cherchent à réécrire l’histoire à leur avantage.

Les archives et archivistes sont bien loin des clichés poussiéreux dans lesquels on tente de les enfermer. Ils sont aux premières loges des transformations dans les pratiques de création et de partage de l’information, ils suivent et tentent d’anticiper les évolutions en matière de supports, de technologies et de compréhension de notre société. Ils jouent un rôle clé dans la gouvernance et la sauvegarde de la mémoire individuelle et collective, comme le rappelle la Déclaration universelle sur les archives. Les archives garantissent la transparence, la mémoire et la justice. Elles permettent à chacun d’accéder à des informations essentielles sur sa fiscalité, son état civil, ou encore sur les décisions prises par ses dirigeants en temps de crise.

Sans elles, comment juger les responsabilités politiques dans la gestion du Covid ? Comment comprendre la destruction de stocks de masques avant la pandémie ou les liens entre gouvernements et laboratoires pharmaceutiques ? Supprimer ou falsifier des archives, c’est effacer la possibilité d’un débat éclairé, c’est priver les citoyens de leur droit à l’information.

Le risque n’est plus théorique. Avec ce coup de force, Donald Trump ne se contente pas de contrôler le présent, il cherche à s’assurer un monopole sur l’interprétation du passé et modeler le mode de pensée future de la société américaine.

« Qui contrôle le passé contrôle le futur : qui contrôle le présent contrôle le passé », écrivait George Orwell dans 1984. Cette prophétie semble aujourd’hui, plus actuelle que jamais.

Faut-il voir dans ce licenciement un simple caprice ou le symptôme d’une dérive bien plus profonde visant à instaurer un « ministère de la vérité » ? Si nous fermons les yeux, combien de temps faudra-t-il avant que des documents disparaissent, que des traces soient altérées, que l’histoire soit remodelée selon la volonté d’une oligarchie conservatrice ?

L’instrument d’une emprise totale sur l’information

Le département des archives représente le cœur névralgique du « Ministère de la Vérité », tel que décrit par George Orwell dans 1984. Son contrôle permet au régime d’exercer une emprise totale sur l’information, tant passée que présente, qui est ensuite diffusée à la population. Ce système confère une crédibilité redoutable et constitue le socle de la police de la pensée et du pouvoir omniprésent de « Big Brother ». Pour que 1984 reste une fiction, pour préserver notre avenir et garantir la liberté d’accès à l’information, ainsi que pour permettre aux générations futures de se forger leur propre jugement sur nos actions, il est impératif de sauvegarder nos archives.

Notre défense contre l’oubli et la manipulation

En Europe, et particulièrement en Belgique, les archives sont trop souvent reléguées au second plan et perçues comme une dépense superflue. Pourtant, elles constituent notre meilleure défense contre l’oubli et la manipulation populiste de l’information et de l’histoire. Les démocraties doivent impérativement s’affirmer face au « nouvel ordre » mondial que Trump et son administration cherchent à imposer. L’Europe peut devenir la figure de proue de la démocratie représentative… en revalorisant ses archives et ses archivistes, gardiens de l’accès à notre mémoire collective.

Save the archives, save the world.

Archives
https://www.lesoir.be/655205/article/2025-02-13/trump-instaure-son-ministere-de-la-verite

«Je suis frappé par les similitudes entre les milliardaires de la Silicon Valley et les bolcheviks les plus radicalisés», une conversation avec Timothy Snyder | Le Grand Continent

Sat 15 Feb 2025 - 09:44

De passage à Paris pour la sortie en français de son nouveau livre De la liberté, Timothy Snyder revient sur la nouvelle ère qui s’ouvre aux États-Unis et livre des clefs pour résister à la dystopie que voudraient nous imposer Trump et Musk.

De la Liberté mobilise principalement des penseurs européens — ce qui peut sembler paradoxal, étant donné que les États-Unis se considèrent depuis longtemps comme la « terre de la liberté ». Pensez-vous que ces perspectives européennes puissent encore enrichir les débats américains sur cette question et, plus encore, qu’elles puissent toujours être entendues aux États-Unis ?

La dernière question est la plus simple : manifestement, oui — puisque le livre est lu aux États-Unis. Ces auteurs ne sont donc pas inaudibles.

Cela étant dit, vous avez raison de souligner que la culture européenne, en tant que telle, est de moins en moins significative dans le contexte américain. Le fait qu’une idée soit d’origine européenne ne lui confère plus de prestige particulier aux États-Unis. Si je mobilise des penseurs européens dans cet ouvrage, ce n’est donc en aucun cas pour leur notoriété. Bien au contraire, j’ai choisi des auteurs qui ne sont ni particulièrement prestigieux ni très connus.

Ce qui m’intéresse avant tout, c’est d’introduire une conception différente de la liberté. Et, pour cela, il est utile de dérouter le lecteur, de le surprendre, de l’amener à explorer des voies inattendues. Il est également précieux de partir de notions fondamentales comme l’empathie ou la corporéité — des terrains où les penseurs européens sont, en général, plus à l’aise que leurs homologues américains. Dans la tradition américaine de la liberté, nous avons tendance à tout abstraire, y compris l’existence individuelle, y compris le corps, dans une quête de clarté et de pureté conceptuelle. À l’inverse, les penseurs que je mobilise, tels qu’Edith Stein ou Simone Weil, restent ancrés dans l’expérience du corps. Cette approche m’a été extrêmement précieuse.

Le fait qu’une idée soit d’origine européenne ne lui confère plus de prestige particulier aux États-Unis.
Timothy Snyder

Comment expliquez-vous ce déclin relatif du prestige de la culture européenne aux États-Unis ?

Les causes sont d’abord démographiques. Les États-Unis sont de moins en moins composés de populations d’origine européenne. Et même pour celles qui le sont, ces populations vivent aux États-Unis depuis un nombre croissant de générations : leurs liens concrets avec l’Europe sont donc, dans la plupart des cas, assez fragiles, voire ténus.

Un autre facteur déterminant est la fin de la Guerre froide. Pendant cette période, les États-Unis se sont engagés de manière réfléchie avec l’Europe. Il s’agissait d’un véritable affrontement d’idées, auquel participaient activement des Européens. Et ces derniers jouaient même souvent un rôle de premier plan dans ces discussions. À cette époque, connaître le français, l’allemand ou le russe était donc essentiel pour prendre part au conflit.

Or cette période s’est terminée il y a 35 ans. Depuis, les États-Unis se sont lancés dans un projet global beaucoup plus confus qui, selon leur propre perception, ne nécessite aucun engagement profond avec une culture particulière. Par exemple, ils peuvent considérer la Chine comme un rival, mais cela ne les pousse pas pour autant à apprendre le mandarin. De même, ils peuvent considérer le Moyen-Orient comme une région importante, sans que cela n’encourage l’apprentissage de l’arabe. Tout cela a conduit à une forme d’éclatement des priorités. Il n’y a plus cette attention ciblée sur une région ou une culture spécifique, même de la part du gouvernement — et cela ne s’améliorera pas avec la nouvelle administration

Votre ouvrage plaide pour une intégration des libertés négative et positive. À quel moment ces deux conceptions ont-elles commencé à diverger aux États-Unis, et comment expliquer cette divergence ?

La liberté négative se définit comme la résistance à une contrainte extérieure : c’est la liberté que l’on acquiert lorsqu’on est opprimé et que l’on se rebelle, ou que l’on est emprisonné et que l’on s’évade. Elle est évidemment essentielle, mais elle ne peut être comprise sans la liberté positive. Cette dernière repose sur l’idée que ce qui rend l’oppression ou l’emprisonnement inacceptables, c’est qu’ils s’exercent sur un être humain doté de certaines capacités et d’un potentiel à réaliser : ce n’est pas le fil barbelé en lui-même qui est un problème, mais le fait qu’il entrave un individu. Mais, justement, couper ce fil ne suffit pas : il reste à déterminer ce qui est nécessaire pour faire de cette personne un être réellement libre.

Et dans ce cas, l’absence d’oppression ne suffit pas pour définir la liberté. Il faut un engagement moral en faveur de la liberté, mais aussi la création concrète et politique des conditions permettant aux individus de devenir des êtres libres. Autrement dit, la liberté négative est une composante de la liberté positive, mais seulement une partie de celle-ci.

D’un point de vue philosophique ou psychologique, défendre la liberté négative revient à ne jamais se poser la question de ce que l’on défend, mais uniquement de ce à quoi l’on s’oppose. Sur le plan politique, cela se traduit souvent par une hostilité envers l’État, perçu comme la source principale de l’oppression. On en vient alors à penser que réduire la taille de l’État accroît la liberté — ce qui est une erreur. La question n’est pas celle de la quantité, mais de la qualité : l’État contribue-t-il ou non à rendre les individus plus libres ? Il peut, certes, le faire en s’abstenant de les opprimer, mais aussi en leur fournissant des biens et services qu’ils ne peuvent obtenir par eux-mêmes, comme l’éducation, les infrastructures ou l’accès aux soins. Ainsi, ne considérer que la liberté négative conduit à une forme d’irresponsabilité morale, car on évite la question essentielle de l’identité et des valeurs que l’on défend. Politiquement, cela mène souvent à un affaiblissement excessif de l’État, qui le rend dysfonctionnel. Une fois qu’il est délégitimé, c’est la cohésion sociale elle-même qui est menacée, ouvrant la voie à des inégalités extrêmes et à une polarisation politique destructrice.

L’absence d’oppression ne suffit pas pour définir la liberté. Il faut un engagement moral en faveur de la liberté, mais aussi la création concrète et politique des conditions permettant aux individus de devenir des êtres libres. Timothy Snyder

Cette divergence entre libertés négative et positive trouve ses racines dans notre histoire politique. Dans le monde anglo-américain, nous sommes les héritiers d’une tradition britannique impériale de la liberté, qui présente le défaut commun à toutes les traditions impériales : elle tend à occulter les structures de pouvoir qui permettent à certains d’être libres. Dans les récits britanniques du XIXe siècle, la liberté est souvent dépeinte comme un idéal élégant et noble, où l’individu, dans sa dignité, est laissé en paix par l’État pour mener sa vie. Ce que ces récits ne questionnent pas, c’est comment cet individu — souvent un gentleman britannique — est devenu propriétaire, s’est enrichi et a acquis la capacité de philosopher sur la liberté. La réponse tient à la possession de terres, au contrôle du travail d’autrui et à la domination sur d’autres pays.

De manière analogue, aux États-Unis, la conception négative de la liberté découle largement de l’histoire de l’esclavage. Un propriétaire de plantation, possédant des esclaves et prospérant grâce à ce système, percevait naturellement sa propre condition comme une forme de liberté. Il ne considérait pas la situation des esclaves, ni celle des femmes ou des autres exclus du système. Il se contentait de se définir lui-même comme un homme libre.

Ce sont ces traditions historiques qui ont ancré la conception de la liberté négative dans les mentalités. Ceux qui la défendent occultent les conditions historiques et sociales qui l’ont rendue possible. Ce qui nous ramène à deux questions essentielles : comment crée-t-on un individu libre, et comment y parvenir sans oppresser autrui ? C’est, selon moi, le point de départ d’une discussion sérieuse sur la liberté.

La liberté négative fonctionne bien dans un contexte impérial. Elle a prospéré dans l’Antiquité grecque et romaine, tout comme aux États-Unis dans un contexte esclavagiste. Et même après la disparition des empires et l’abolition de l’esclavage, cette conception s’est maintenue. Aux États-Unis en particulier, l’histoire joue un rôle clef. Si vous êtes propriétaire d’esclaves, la seule entité capable de mettre fin à votre pouvoir est l’État : il est donc naturel que vous le définissiez comme un ennemi et la liberté comme l’absence d’État puisqu’il était le seul à pouvoir affranchir vos esclaves. Cette vision a persisté après l’abolition de l’esclavage.

Une erreur majeure a été commise dans les années 1980 et 1990, aux États-Unis comme au Royaume-Uni : on a interprété la chute du communisme comme la preuve que la liberté négative avait toujours été la meilleure conception. C’est, à mon sens, une incompréhension totale. Le communisme, en réalité, n’a pas grand-chose à voir avec la distinction entre liberté positive et négative. Mais il est intéressant de voir que, dans les années 1980, l’État-providence américain s’est affaibli, et qu’il a continué à décliner dans les années 1990. Pendant ce temps, au Canada et en Europe, cette dynamique a été beaucoup moins marquée.

On a interprété la chute du communisme comme la preuve que la liberté négative avait toujours été la meilleure conception. C’est, à mon sens, une incompréhension totale. Timothy Snyder

Cela dit, l’Europe commet une autre erreur : elle ne traite pas ces questions en termes de liberté. J’affirme, pour ma part, que les infrastructures, l’éducation ou la santé sont essentielles à la liberté, car elles permettent aux individus de devenir des êtres autonomes, imprévisibles, capables d’exercer pleinement leur libre arbitre. Mais en France, en Allemagne ou en Europe continentale en général, ces enjeux sont plutôt abordés sous l’angle de la solidarité, de la justice ou de l’égalité. Je ne conteste pas cette approche, mais je pense qu’elle repose sur un malentendu conceptuel : elle ne reconnaît pas ces éléments comme des composantes de la liberté elle-même.

Il n’y a donc pas eu, à proprement parler, de divergence fondamentale entre les traditions européennes et anglo-saxonnes. Il existe une forte tradition anglo-américaine de la liberté, mais fondée sur une conception erronée. Et, en parallèle, l’Europe met en place des pratiques qui garantissent la liberté, sans toutefois les désigner comme telles.

La distinction proposée par Edith Stein entre Leib et Körper constitue l’un des passages clefs dans De la liberté. En quoi l’accent mis sur le corps vécu permet-il de contrecarrer les effets déshumanisants de la culture numérique sur l’engagement civique ?

Le monde de la liberté négative repose sur un modèle issu de la physique classique. C’est un cadre conceptuel séduisant car il est simple et élégant. Dans cette perspective, l’individu est assimilé à un objet physique prévisible : ses intérêts sont quantifiables, ses désirs mesurables, et sa liberté se définit par l’absence de contraintes extérieures. On peut le représenter comme une boule de billard : il est contraint par les obstacles qu’il rencontre et libéré dès lors que l’on supprime ces entraves. Cette conception est attractive car elle est à la fois compréhensible et intuitive.

Mais ce qu’elle ignore, c’est précisément ce qui nous rend humains. Nos intérêts ne sont pas déterminés par une rationalité abstraite ; ils sont façonnés par ce que nous valorisons dans le monde. Or ces valeurs ne sont pas quantifiables. Elles sont propres à chacun et nous rendent fondamentalement imprévisibles. C’est précisément pour cette raison que la liberté doit être pensée aussi en termes positifs : il ne s’agit pas seulement de lever des obstacles, mais de créer les conditions qui permettent aux individus de s’épanouir et de devenir pleinement eux-mêmes. La liberté ne peut se limiter à un jeu de forces mécaniques ; elle suppose un développement, un épanouissement qui se déploie dans le temps.

Le lien avec l’univers mécanique est ici direct. Dans un monde régi par une logique purement instrumentale, l’individu est réduit à un module interchangeable, intégré à un réseau où il n’a rien d’unique. L’idée sous-jacente est qu’il ne possède aucune singularité essentielle, et que, dans la mesure où il en a une, il doit tendre vers la version la plus probable — c’est-à-dire la plus banale — de lui-même. Comme le disait Václav Havel, l’individu devient ainsi une version prévisible et conventionnelle de lui-même. Les réseaux sociaux exacerbent cette tendance en mettant en avant ce qui est le moins intéressant en nous : notre âge, notre genre, nos revenus, quelques pulsions superficielles. À partir de ces éléments, ils fabriquent une caricature de nous-mêmes, à laquelle nos cliques finissent par nous conformer.

La liberté ne peut se limiter à un jeu de forces mécaniques ; elle suppose un développement, un épanouissement qui se déploie dans le temps. Timothy Snyder

Progressivement, nous devenons ainsi plus prévisibles, donc plus manipulables. Et c’est là tout l’enjeu : plus nous sommes prévisibles, plus il est facile de nous cibler par la publicité, de diriger nos comportements de consommation, et d’influencer nos décisions. C’est pourquoi j’évite d’employer le mot technologie pour parler des réseaux sociaux. Une technologie, par définition, est un outil qui nous permet d’agir, qui accroît nos capacités humaines. Mais si un dispositif nous affaiblit, nous rend moins aptes, moins humains, alors ce n’est plus une technologie au sens propre, mais autre chose.

Comment contrer cette dynamique ?

Ceux qui prônent une vision mécaniste du monde ont déjà pris le contrôle du discours sur la liberté. Il est donc essentiel de redéfinir celle-ci dans une perspective plus riche, qui intègre l’humain, les valeurs, la vie et même la mort.

Pour cela, il faut agir concrètement. Il est impératif de créer des espaces où les jeunes ne soient pas rivés aux écrans, et cela nécessite une action éducative ou politique. Un exemple clef est celui de l’usage des téléphones portables dans les écoles : nous devons libérer les enfants de cette emprise numérique et leur permettre de vivre pleinement leur enfance. À la maison, il devient de plus en plus difficile de soustraire les jeunes aux écrans, tant ceux-ci sont omniprésents. L’école doit donc devenir un espace préservé, où les enfants peuvent interagir directement avec d’autres êtres humains et apprendre comme de véritables êtres humains.

En tant que professeur, je mets ces principes en pratique depuis près de vingt ans. Depuis 2006, je n’autorise aucun ordinateur dans mes cours. Cette règle a eu des effets profondément bénéfiques : mes étudiants apprennent mieux et, surtout, ils retiennent davantage. L’un des grands problèmes des écrans est qu’ils modifient notre rapport à la mémoire. Lorsqu’un individu utilise un écran, son cerveau tend à externaliser l’information : il considère que, puisque celle-ci peut être retrouvée facilement sur un appareil, il n’a pas besoin de l’enregistrer lui-même. Cette illusion d’apprentissage est trompeuse : ce qui semble acquis sur le moment disparaît rapidement, parfois en quelques minutes, et presque certainement en quelques années.

Bref, si nous voulons restaurer une forme de civisme, nous devons commencer par restaurer une liberté à la fois physique et intellectuelle — une liberté incarnée dans un rapport direct au monde et aux autres, et non sur une existence réduite à des interactions virtuelles et prévisibles.

Ces dernières années, on a assisté à une étrange fusion techno-césariste, qui s’est nourrie des idées libertariennes. Il semble que le libertarianisme soit passé d’une défense absolue de la liberté négative à une négation même de la liberté, au point de transformer le sens de ce mot. Comment expliquez-vous ce glissement, tant sur le plan philosophique que lexical ?

Si l’on se situe à gauche, au centre gauche, au centre, dans le mouvement écologiste ou même dans le camp conservateur traditionnel, il y a de quoi être préoccupé par cette évolution. Si l’on perd le mot « liberté », on perd aussi le concept. Et si l’on perd le concept, on perd la chose même. Il ne s’agit donc pas seulement d’un simple malentendu, mais de la possibilité d’une perte majeure.

À mon sens, il existe des libertariens « innocents » — c’est-à-dire des personnes qui croient sincèrement que la seule menace pour la liberté est l’État, sans avoir poussé plus loin leur réflexion. J’en ai connu — certains sont ou étaient des amis. Mais il existe aussi des libertariens qui ne sont pas innocents, et ce, de deux manières.

D’abord, il y a ceux qui, à l’image d’Elon Musk, cherchent délibérément à démanteler l’État parce qu’ils perçoivent celui-ci comme un obstacle à leur propre richesse et à leur pouvoir. Ils ne se préoccupent absolument pas de savoir si l’État entrave ou non la liberté d’autrui. Ce qui les intéresse, c’est qu’il constitue un frein à leurs propres ambitions. Leur engagement libertarien est fondé sur un intérêt personnel direct. Ensuite, il y a les libertariens qui, au fil du temps, ont glissé d’une erreur intellectuelle relativement élégante vers une position où la liberté signifie en réalité l’opposition aux autres. Ce glissement est à la fois psychologiquement et philosophiquement explicable.

Lorsqu’on adopte une vision strictement négative de la liberté et que l’on considère que le seul problème est l’État, on ne se pose jamais la question fondamentale de son propre être. C’est là le cœur du problème : on ne peut être véritablement libre si l’on se définit uniquement par son opposition à l’État. Cette posture conduit à une attitude réflexe et stérile où l’on se contente de répéter, comme un algorithme simpliste : « l’État est mauvais, l’État est mauvais, l’État est mauvais ». Mais cela ne dit rien de positif sur soi-même. Cela n’offre aucune vision constructive de la liberté, aucun projet d’émancipation. Cela ne pose jamais la question essentielle : qu’est-ce qui me rend libre ? Comment cette liberté se manifeste-t-elle dans le monde ? Ces interrogations restent sans réponse, car elles sont systématiquement projetées à l’extérieur, sur un ennemi désigné.

On ne peut être véritablement libre si l’on se définit uniquement par son opposition à l’État. Timothy Snyder

Il n’y a ainsi aucune responsabilité à assumer pour devenir un être libre, puisque toute l’action se résume à s’opposer à quelque chose. Dès lors, si l’on ne conçoit pas la liberté comme un processus de développement, d’épanouissement, de dépassement de soi, on finit inévitablement par se limiter à une posture purement réactionnaire. Ce vide conceptuel entraîne ensuite une dérive inquiétante. Si l’on conçoit la liberté comme une simple opposition, pourquoi la limiter à l’État ? Pourquoi ne pas s’opposer aussi aux migrants, aux personnes de couleur, aux femmes, ou à toute autre minorité ? Dans les deux cas, il s’agit d’une politique du « eux contre nous ». L’État est perçu comme une menace, mais mon voisin l’est aussi — car l’État le subventionnerait, ou aurait permis son arrivée dans mon pays. Ce type de discours glisse ainsi facilement d’une critique du pouvoir public vers une hostilité à l’égard des individus perçus comme des Autres. Il existe donc une véritable passerelle idéologique et politique entre le libertarianisme et le fascisme, et nous en sommes les témoins directs : le plus célèbre des libertariens américains vient, en effet, de reprendre à son compte des références à Hitler.

Avec la prolifération de la désinformation qui sape le débat public, quelles stratégies concrètes proposez-vous pour rétablir une base factuelle partagée, selon vous essentielle à la liberté ? Pensez-vous que l’histoire, en tant que discipline, puisse jouer un rôle dans ce processus ?

Nous sommes confrontés à une tentative concertée de remplacer la réalité fondée sur nos sens et notre mémoire par une réalité imposée par des récits façonnés par ceux qui ont le pouvoir de les diffuser. Dans ce monde de désinformation, les règles habituelles — cohérence logique, intégrité de la mémoire — n’ont plus cours. Peu importe que ces choses ne soient pas vraies, ce qui compte, c’est que nous y croyions.

Prenons un exemple : l’idée que les États-Unis vont envahir Gaza et en expulser tous les habitants. C’est faux, cela n’arrivera pas. Pourtant, cette idée s’inscrit dans un imaginaire qui est martelé chaque jour. De même, l’affirmation selon laquelle Donald Trump aurait remporté l’élection de 2020 est factuellement fausse. Mais ce mensonge n’est pas une simple contre-vérité : il est un élément d’un cadre narratif plus vaste que Trump veut imposer à ses partisans.

À cela s’ajoutent les algorithmes qui ne fonctionnent pas selon un principe de vérité, mais selon ce que nous voulons entendre. Or ce que nous voulons entendre est souvent ce qu’il y a de plus prévisible, et parfois de pire en nous. En nous laissant aspirer par ces récits construits sur mesure, nous perdons notre autonomie. Nous croyons suivre notre propre chemin, alors que nous nous laissons guider par des histoires que d’autres ont fabriquées pour nous.

La première chose à faire pour contrer cette dynamique est de réaffirmer une idée qui, aujourd’hui, peut sembler naïve : croire en la vérité. Je le dis souvent devant de larges publics, et je constate toujours une certaine perplexité. Après des décennies de French Theory, affirmer que la vérité existe peut sembler presque enfantin. Pourtant, abandonner cette idée, même en admettant que la vérité est une construction humaine, revient à se livrer aux manipulateurs d’émotions. Et ce faisant, on alimente une dynamique proprement fasciste, où l’émotion l’emporte sur la raison et où l’impulsion remplace l’action réfléchie.

Il faut donc d’abord affirmer que certaines choses sont vraies et d’autres ne le sont pas. Ensuite, il faut produire des faits. Nous avons assisté à un double processus : d’abord, l’érosion de la « factualité » dans l’espace public, puis la disparition de repères factuels qui permettent d’interrompre le flot des discours imposés. Les faits jouent le même rôle que des pavés sur une route accidentée : ils nous forcent à ralentir, à prêter attention à notre environnement.

Le plus célèbre des libertariens américains vient de reprendre à son compte des références à Hitler. Timothy Snyder

Or les faits ne surgissent pas spontanément. Ils nécessitent un immense travail de production et de vérification. Ceux qui les détruisent le savent très bien, ce qui explique leur méfiance envers la presse et la science. Supprimer ces sources de factualité, c’est supprimer cette « friction utile » qui nous permet de voir la réalité telle qu’elle est. Si nous voulons préserver la démocratie et garantir la liberté, nous devons donc recréer des faits en permanence. Cela passe par le soutien au journalisme, qui doit être traité comme une profession honorable et rémunérée à sa juste valeur. Cela concerne également la recherche scientifique et, bien sûr, l’éducation.

C’est ici que l’histoire joue un rôle central. Apprendre l’histoire, c’est apprendre à être un arbitre du factuel. Contrairement à une vision simpliste, l’histoire ne consiste pas à lire un document et à le prendre pour vérité. La méthode historique est un processus de reconstruction rigoureux, qui nous permet de découvrir une vérité en croisant des sources, en analysant les intentions et en reconstituant un récit plausible. C’est ce que l’intelligence artificielle ne peut pas faire : elle se contente de juxtaposer des affirmations opposées et de conclure que « la vérité se trouve sans doute au milieu » — ce qui est absurde et profondément réducteur.

L’histoire nous apprend également à distinguer ce qui est possible de ce qui ne l’est pas. Le discours libertarien et celui des géants technologiques reposent sur une promesse fallacieuse : « tout est possible ». C’est faux. Tout n’est pas possible, ne serait-ce que parce que certaines choses sont contradictoires. Et lorsqu’on se rend compte que ces promesses étaient illusoires — qu’on ne vivra pas éternellement, que notre bien-être ne s’améliore pas — on nous sert un nouveau discours : « rien d’autre n’était possible ».

Nous sommes aujourd’hui dans cette phase : celle de l’absence d’alternative. Le moment actuel rappelle l’Union soviétique sous Brejnev : on nous promettait une grande révolution technologique. À la fin, les gens se retrouvaient isolés, vivant dans de petits appartements mornes. Mais on leur répète que la révolution a bel et bien eu lieu et qu’ils vivent dans le meilleur des mondes possibles. L’histoire permet de briser ce récit. Elle nous montre que certaines choses sont possibles, que le changement est envisageable. Dire que « tout est possible » est une illusion. Dire que « rien n’est possible » est un piège. Mais affirmer que certaines choses sont possibles, en s’appuyant sur le passé pour éclairer l’avenir, est un acte profondément libérateur.

Le moment actuel rappelle l’Union soviétique sous Brejnev : on nous promettait une grande révolution technologique. À la fin, les gens se retrouvaient isolés, vivant dans de petits appartements mornes. Timothy Snyder

En tant qu’historien de l’Europe du milieu du XXe siècle, les événements actuels vous amènent-ils à reconsidérer ou à mieux comprendre certains aspects de la période sur laquelle vous travaillez ? Y a-t-il des processus ou des dynamiques que vous repensez à la lumière du présent ?

Il y a une interaction dans les deux sens : les exemples du passé aident à éclairer le présent, mais l’actualité peut aussi affiner notre compréhension des dynamiques historiques. Je tiens cependant à ne pas trop les confondre. Cela dit, je suis frappé par certaines similitudes entre les milliardaires de la Silicon Valley et les bolcheviks les plus radicalisés.

Ce qui me frappe particulièrement, c’est cette croyance quasi messianique qu’il existerait un moment de rupture absolue où l’on pourrait échapper aux contraintes du temps et des structures existantes, et repartir à zéro. Cette posture de fanatique exalté m’aide à mieux comprendre la mentalité révolutionnaire des bolcheviks, d’autant qu’il existe un parallèle de fond : dans les deux cas, on observe un déterminisme technologique, une foi aveugle dans l’idée que le progrès technique peut, à lui seul, garantir la liberté.

Chez les bolcheviks, la technologie salvatrice était la production de masse. Ils pensaient qu’en industrialisant comme les Américains, en produisant à grande échelle, ils pourraient abolir la propriété privée et rendre les individus égaux. Chez les leaders des Big Tech, l’illusion repose sur la vitesse et la puissance du numérique : grâce aux transistors et à l’informatique, nous pourrions créer un monde alternatif où chacun serait libre. Mais dans les deux cas, il s’agit d’une dépendance intellectuelle excessive à une transformation technologique, perçue comme une solution magique.

Au fond, ce que ces deux idéologies partagent, c’est une conception purement négative de la liberté. L’idée est de nous libérer — de la propriété privée pour les bolcheviks, du monde physique pour les technophiles — sans réelle vision de ce qui advient ensuite. L’une des failles majeures du bolchevisme, selon moi, réside précisément dans ce vide conceptuel : une fois la propriété privée supprimée, que se passe-t-il ? Il ne suffit pas de décréter que tous seront égaux ; cela ne correspond pas à la nature humaine. De la même manière, pour certains patrons de la tech — je pense ici aux Musk et autres techno-césaristes —, l’émancipation numérique suppose que nous nous détachions du monde physique. Or une fois cette transition opérée, il s’avère que nous ne sommes pas libres, mais réduits à des consommateurs passifs, uniformisés et vulnérables, prêts à leur céder notre argent et notre attention.

Autour de Trump, ceux qui tiennent réellement le pouvoir forment une nouvelle oligarchie, une sorte de Politburo invisible, dont les membres ne sont pas censés être identifiés comme tels. Timothy Snyder

Un autre parallèle troublant réside dans l’idée du « dépérissement de l’État ». La révolution bolchevique promettait un État transitoire, dirigé par une avant-garde, qui s’évanouirait une fois le communisme pleinement réalisé. Or, en pratique, lorsque l’État s’effondre, il est toujours remplacé par autre chose : en l’occurrence, par un comité restreint de dirigeants, le Politburo, qui centralise tous les pouvoirs. C’est précisément ce que nous observons aujourd’hui. Aux États-Unis, l’État est en train d’être affaibli de manière délibérée. Mais ceux qui tiennent réellement le pouvoir forment une nouvelle oligarchie, une sorte de Politburo invisible, dont les membres ne sont pas censés être identifiés comme tels.

Il ne s’agit pas d’une disparition du pouvoir, mais de son déplacement vers un cercle encore plus restreint et opaque.

Depuis la victoire de Donald Trump, le Parti démocrate semble désorienté, voire démuni. Pensez-vous qu’il ait les ressources nécessaires pour s’approprier pleinement la cause de la liberté telle que vous la définissez ?

Il faut d’abord préciser que l’opposition ne se résume pas au Parti démocrate. D’autres institutions peuvent jouer un rôle crucial pour résister au trumpisme, comme les syndicats — bien qu’ils soient aujourd’hui bien plus faibles qu’ils ne devraient l’être.

Il me semble aussi essentiel de distinguer deux périodes : novembre 2024 et le printemps 2025. Ce sont, à mes yeux, deux moments historiques très différents. En 2024, l’enjeu pour les démocrates était de gagner afin d’empêcher une catastrophe, mais faire campagne pour éviter un désastre n’est pas la même chose qu’organiser l’opposition. Par ailleurs, bien que ce ne soit pas une opinion très répandue, je ne suis pas convaincu que leur campagne ait été si mauvaise. Certes, il y aurait eu des ajustements à faire, mais ils affrontaient des obstacles considérables : le fait d’être sortants qui, en 2024, a joué systématiquement contre tous les candidats en place, et un environnement médiatique fortement biaisé en faveur de la droite. Malgré cela, ils ont obtenu un résultat très serré, Trump n’ayant même pas dépassé la barre des 50 %.

Le printemps 2025 ouvre une tout autre séquence. Je ne pense pas que l’essentiel soit de revenir encore et encore sur les raisons de la défaite. Ce qui compte, c’est que la situation a radicalement changé : l’ampleur du danger que représentent Musk et Trump crée de nouvelles opportunités politiques qui n’existaient pas auparavant. Désormais, Trump n’est plus un candidat s’opposant au système : il est le système et il tente de le démanteler. Cette dynamique crée des lignes d’attaque inédites. Il est possible d’exploiter l’inquiétude collective face à l’effondrement des institutions, face à la fragilité d’un État affaibli, face à une Amérique qui, loin d’avoir retrouvé sa grandeur, devient la risée du monde. Il y a aussi des préoccupations plus immédiates : personne n’aime voir des avions tomber du ciel ou constater l’effondrement des infrastructures essentielles.

La vraie question est donc la suivante : les démocrates et d’autres acteurs politiques seront-ils capables de s’adapter à cette nouvelle situation ? Paradoxalement, c’est une période prometteuse pour eux : ils peuvent attaquer tous azimuts. Qui a élu Elon Musk ? Pourquoi exerce-t-il un pouvoir si démesuré alors qu’il est massivement impopulaire ? Pourquoi détruit-il des éléments fondamentaux de la vie quotidienne alors que les citoyens y tiennent ?

Désormais, Trump n’est plus un candidat s’opposant au système : il est le système et il tente de le démanteler.
Timothy Snyder

Cela étant dit, je pense qu’il ne suffit pas de se contenter d’une opposition réactive. Il faut proposer une alternative positive. Et pour moi, cette alternative passe par une véritable réappropriation du concept de liberté. Si De la liberté est un ouvrage philosophique, il a néanmoins des implications politiques : la liberté peut être le socle qui fédère des idées issues de la gauche traditionnelle, du conservatisme modéré et du libéralisme, pour bâtir un projet institutionnel ambitieux et cohérent.

Il ne s’agit pas simplement de reprendre la notion de liberté comme un slogan tactique — ce que les démocrates ont tenté de faire. Il faut la redéfinir en profondeur, lui redonner toute sa richesse conceptuelle. Cela permettrait, par exemple, d’articuler dans un même discours l’idée qu’il est inacceptable que la technologie asservisse nos vies et que l’accès universel à l’assurance santé est une véritable libération. La liberté doit redevenir une notion englobante, un principe structurant capable de porter un projet de société.

Liberté
https://legrandcontinent.eu/fr/2025/02/15/je-suis-frappe-par-les-similitudes-entre-les-milliardaires-de-la-silicon-valley-et-les-bolcheviks-les-plus-radicalises-une-conversation-avec-timothy-snyder/

Relocalisation numérique - https://cartes.app/blog

Thu 13 Feb 2025 - 14:14

Notre dépendance numérique aux États-Unis est extrême. Il est temps d'inclure la relocalisation numérique dans nos plans de réindustrialisation.
publié le 12 février 2025 🇬🇧 This post is also available in English

Il y a un an, nous lancions le projet "Cartes" : créer, en France, une carte numérique ouverte et écologique. Depuis, Trump a été réélu plutôt qu'incarcéré. Musk l'a beaucoup aidé en faisant de sa personnalité, notre naïveté, sa fortune et son rachat de Twitter des armes électorales décisives dans la démocratie états-unienne défaillante.

Puis il a fait un salut nazi lors de la cérémonie d'investiture du chef de l'État le plus puissant du monde, avant d'entamer une prise de pouvoir qui a tout l'air d'un coup d'État.

Le patron de Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp) a embrassé la politique ultra-conservatrice de Trump. Les autres GAFAM se sont docilement rangés comme constituants de premier niveau de ce nouveau bloc ploutocratique. Même le géant suédois de la musique Spotify, géant numérique de niveau deux, a fait acte d'allégeance au président du pays en voie de fascisation.

En France, les câbles de cet outil d'ingérence étrangère que Musk utilise pour faire élire l'extrême-droite en Europe n'ont toujours pas été coupés. On comprend pourquoi : l'écrasante majorité de nos politiciens y sont toujours hyper-actifs, de droite comme de gauche.

Pour ces membres du "front républicain", 200 000 followers (dont une part insondable de robots) valent définitivement plus qu'un boycott du plus puissant des médias d'extrême-droite où leur voix pèse moins qu'une grimace sur le plateau de Pascal Praud.
État des lieux de notre délocalisation numérique

Alors que la démocratie états-unienne se fait détricoter, peut-être ne réalisons-nous pas ce choc moral, géopolitique, politique, écologique, économique, et numérique en cours. C'est sur ce dernier que l'on va s'attarder ici.

Peut-être qu'à l'inverse nous le réalisons entièrement, mais nos réflexes de survie géopolitique ne se sont pas encore déclenchés.

En 2020, le covid a fait émerger le besoin de réindustrialisation. Ne plus être capable de produire une chose aussi élémentaire qu'un masque sanitaire ou des médicaments essentiels a fait réagir.

Nous devons comprendre qu'il en est de même pour les services numériques les plus basiques qui rythment notre vie moderne. Chaque jour, combien d'appels vers les serveurs de l'oncle Sam faisons-nous

Pourrions-nous encaisser un embargo numérique ?

Vous avez commencé à compter ? Bon courage. En particulier, nous n'avons aucun moteur de recherche européen digne de ce nom. Ecosia, Qwant, Lilo et les autres ne sont tous que de la peinture sur les deux index du Web ultra-dominants, Google et Bing.

Notre matos numérique lui aussi est également entièrement dépendant d'intérêts étrangers, en premier lieu nos smartphones : aucun smartphone fait en France, malgré les annonces.

On sait faire des slips made in France à 60 € pièce, mais pas l'objet qu'on consulte 500 fois par jour. Nous n'avons pas non plus de système logiciel mobile qui soit français ou européen, Android et iOS ayant détruit toute concurrence. En conséquence, nous n'avons aucun levier d'influence sur les gains comme les problèmes sociétaux que les smartphones entraînent.

Une décroissance numérique bénéfique ?

Pas besoin de faire couler beaucoup d'encre pixelisée pour justifier la critique du besoin de faire défiler son mur social toutes les demi-heures. D'envoyer d'éphémères photos rigolotes à nos amis. De commander la dernière babiole à 2€68 sur Shein. D'utiliser des cartes numériques plutôt que d'interroger les passants pour trouver la boulangerie du quartier.

Mais c'est un faux-dilemme : notre dépendance numérique "flâneuse" du quotidien se retrouve insidieusement dans les usages de tant de métiers qui, coupés de ces services numériques états-uniens, s'effondreraient. Nos hopitaux dépendent de Microsoft, et plus spécifiquement de la filiale d'évasion fiscale irlandaise du M de GAFAM. Nos données de santé sont hébergées chez Microsoft.

Nos usages "loisir" du quotidien sont la partie immergée de l'iceberg de notre dépendance numérique étrangère

Le bug de l'an 2025

La SNCF, opérateur de 99 % des voyages en train (l'idéologie de la concurrence n'ayant toujours pas fait trembler la réalité du monopole naturel) a migré chez AWS, la filiale de cloud d'un des deux A de GAFAM. Ses responsables en sont très fiers. Plus d'Amazon ? Plus de voyages en TGV.

Osons espérer que seul le système de réservation serait KO, pas le numérique des gares et du réseau.

Des centaines de milliers de cadres dirigeants, dont des fonctionnaires, connectent volontairement leur messagerie pro à Gmail car ils s'estiment dépendants de la fluidité de son interface, donnant au passage accès au G de GAFAM à chacune des considérations stratégiques de l'organisation.

Combien de professions essentielles, dont des services d'urgence ou de sécurité ont leur véhicule branché à chaque trajet sur Google Maps ou Waze (filiale de Google) ? Combien d'associations ont construit l'intégralité de leur communication externe sur Facebook et interne sur Whatsapp, possédées par le F de GAFAM ?

Au sommet de l'État, Emmanuel Macron lui-même utilisait Telegram lors de son premier mandat, sans que ça ne semble choquer suffisamment en interne et dans son parti. Jusqu'à ce que la Direction du Numérique intervienne.

Nous payons des décennies de sous-investissement

Il est évident que pour la SNCF, utiliser AWS est un gain de court-terme. Leur facture mensuelle doit être salée, mais pas autant qu'un fiasco numérique d'1 milliard d'€ offert par une "Entreprise de Services Numériques", ces géantes de la prestation qui souvent avalent d'immenses sommes en surfant sur l'illetrisme numérique des commanditaires ne sachant pas différencier un blog statique d'une application complexe et couteuse, et qui n'ont jamais compris qu'on peut créer un logo sur Inkscape en quelques heures plutôt que de débourser 200 000 €.

Délocaliser la production de masques, ce fut également une opération très rentable sur le court-terme, mais aux conséquences catastrophiques se chiffrant à des milliers de morts lors de la première crise sanitaire.

Peut-être sommes nous en train de vivre le même moment pour le numérique. On imagine les débats enflammés ayant lieu actuellement dans les "DSI" (direction des services informatiques) : les uns trouvant l'idée de signer un deal à des millions d'€ avec le géant états-unien soumis à Trump, scandaleuse ; les autres paralysés par l'idée de tout refaire, trouvant cela peu "pragmatique".

Et d'autres, ne les oublions pas, en accord avec les idéaux d'extrême-droite états-uniens, ces autoproclamés "patriotes" prompt à vendre notre souveraineté au dictateur qui les fascine le plus.

La fin de la libre circulation des octets ?

Relocaliser notre numérique semble physiquement moins intéressant que le reste de l'industrie. Car les paquets d'octets traversent les océans en quelques millisecondes et sans jamais s'y bloquer.

Pourtant ces autoroutes de l'information que sont les câbles sous-marins peuvent être coupés, comme le montre la "guerre hybride", maintenant ouvertement appelée guerre froide sous-marine, en mer baltique.

Une perte de réseau filaire et cellulaire peut déstabiliser une région entière, comme l'illustre grâvement la série finlandaise Conflict.

Couper les octets, ou les corrompre ?

Ces coupures sont pourtant l'occasion de montrer la résilience d'internet, incomparable à la fragilité des pipelines d'hydrocarbures.

Un autre intérêt national primordial est incroyablement plus fragile qu'internet : nos démocraties. Les débats récurrents sur l'interdiction de TikTok, notamment pour cause d'ingérence dans les élections comme cela fut avéré en Roumanie lors des présidentielles 2024. C'est cela qui doit nous alerter : l'utilisation des plateformes numériques comme des armes géopolitiques.

Exercice de prospective : juin 2025, Trump amasse l'US Navy dans les eaux du sud du Groenland. Que font le Danemark, le Royaume-Uni, l'Union Européenne ?

Rejetez le réflexe de pensée "non mais il ne fera jamais ça", tout comme nous aurions du le faire avant que la Chine ne lance ses exercices militaires de pression sur Taïwan, et surtout que Poutine n'envahisse l'Ukraine, que la Corée du Nord s'implique dans l'invasion de l'Europe, que Musk fasse son salut nazi, ou que le duo Trump-Netanyahou n'expriment leur volonté de vider Gaza de ses habitants. Non, réfléchissez aux conséquences comme si c'était acté.

Pensez-vous que Trump et ses généraux sont suffisamment stupide pour ignorer que leurs GAFAM font tourner l'économie, voir les armées française et européennes ? Bien sûr que non.

La domination des GAFAM est une dissuasion nucléaire

Leur main-mise sur nos systèmes d'information est une arme atomique : elle permet de dissuader toute opposition. Car comme la bombe, son utilisation aurait des conséquences difficiles à imaginer.

Nous avons tous l'habitude d'imaginer un accident nucléaire comme la pire des attaques sur un pays. Nous avons tort : le black-out électrique est tout aussi redoutable. Quelles seraient les conséquences d'une paralysie numérique d'une grande partie de nos hôpitaux et services d'urgence ?

« Nous avons fait l'erreur de compter sur le gaz fossile de Poutine. Nous faisons aujourd'hui l'erreur de compter sur les technologies numériques de Trump. S'il décidait de nous couper l'accès aux technologies Google et Microsoft, nous serions contraints de retourner aux annuaires papier », raconte le directeur d'Ecosia en janvier dans ce papier où l'on apprend que Qwant fut mis en danger quand Bing décida il y a 2 ans d'augmenter fortement ses coûts.

Brossés dans le sens du scroll

La perfection des interfaces utilisateur des GAFAM, leur rapidité, leur innovations hebdomadaires, leurs mécanismes d'addiction parfaitement réfléchis par les meilleurs designers du monde sont irrésistibles : les français ont une très bonne image des GAFAM (à l'exception notable de Facebook). Nous profitons tous depuis 20 ans d'une gratuité d'accès à des services extrêmement coûteux. Gratuité de façade évidemment : nous le payons via la publicité, et surtout la perte de souveraineté numérique.

Mais comme une attaque nucléaire, la dissuasion joue dans l'autre sens : la menace accomplie, la confiance des autres pays dans les GAFAM s'effondrerait du jour au lendemain. Leur cotation boursière plongerait, car limités au marché intérieur des États-Unis, les Google et Facebook diviseraient leur nombre d'utilisateurs et donc leur revenu et influence par 10. Étant donné leur place au S&P 500, le choc financier états-unien serait immense. Google sans la confiance internationale n'est plus qu'un Qwant états-unien

Comment relocaliser notre numérique ?

Il est de coutume en France de prendre plaisir à ridiculiser nos services numériques. Nous nous démarquons par un chauvinisme inversé. Ce qui n'est pas étranger risque vite de se faire taxer de ringard. Deezer n'a aucune différence fonctionnelle importante avec Spotify, mais perdant le marché intérieur français, elle s'est faite racheter par un consortium russo-états-unien.

Instagram est une application basique qui se recode facilement, mais qui peut lutter contre l'attraction du si tendance californien insta ? Pour chaque critique des services des GAFAM, la communauté des designers numériques français en feront 10 sur SNCF-Connect. Car elle cumule trois défauts impardonnables : elle est française, elle a "SNCF" dans son nom, et elle n'est pas privée.

Pourtant, la France regorge de talents dans le monde du numérique. Les Français sont au coeur de la conception des meilleures LLM mondiales qui concurrencent ChatGPT. Les faiseurs sont présents, reste à vouloir les mobiliser, à leur faire confiance.

Aucune application numérique à succès n'a été construite par des hommes en costard dans un bureau de "maîtrise d'ouvrage" pilotant des managers d'entreprise de service numérique pilotant des consultants au turnover dit "tournesol". Aucune.

Un changement de mentalité des citoyens comme des dirigeants est un préalable à la reconstruction d'une souveraineté européenne.

Le coup de pouce de la puissance publique

Notons que l'État fait à cet égard nombre d'efforts, en déployant la messagerie chiffrée souveraine Matrix ou en créant sa suite numérique, une réponse claire à l'offre complète Gmail entreprise. Dans le privé, des acteurs comme le suisse Infomaniak ou le français Zaclys n'ont pas le budget ni le haut-parleur marketing de Google, mais déjà une partie de son talent.

Le président de la République n'utilise plus Telegram et a créé un rapport de force avec le responsable de cette messagerie qui fermait les yeux sur du trafic d'esclaves au Moyen-Orient (voir l'enquête du Monde : attention, son contenu est très dur à encaisser).

Ces initiatives ne sont qu'une continuité du lancement en 2017 du programme beta.gouv.fr, lui même porté par l'arrivée du logiciel libre au sein de l'administration confirmé par la Loi pour une République Numérique.

La relocalisation numérique, un sombre repli national ?

L'une des voies possibles pour se défaire des GAFAM consiste en effet à favoriser des intérêts privés nationaux. La France ne manque pas de puissantes sociétés privées d'informatique : Dassault Systèmes, Cap Gemini et autres ESN, Critéo, Doctolib, etc.

D'une, le risque de cette voie capitaliste traditionnelle est de reproduire nombre de problèmes propres aux GAFAM sur notre territoire national, y compris les collusions monopolistiques et duopolistiques contre lesquelles la commission européenne peine tant à lutter. Veut-on recréer un Meta français qui posséderait nos réseaux sociaux, notre messagerie instantanée, notre IA de recherche favorite, nos smartphones, leur système de paiement et leurs cartes numériques ?

De deux, le risque d'un impossible rattrapage des GAFAM via ces initiatives "boîte noire" est également important. Sans partage, sans mise en commun, certaines briques prennent une décennie à être recodées.

Une course coopérative

Si Mistral a pu talonner OpenAI, c'est grâce à l'open source, au logiciel libre. Idem pour le Chinois DeepSeek. Si Mappy peut proposer une carte numérique aussi détaillée que Google Maps sans ses milliards d'€ d'investissement, c'est grâce au projet collaboratif et libre OpenStreetMap.

Même Apple et Microsoft, pour rattraper l'immense avance de Google Maps, s'y sont mises dans une certaine mesure. Qwant avait fait de même en lançant ses Maps.

Qwant Maps est aujourd'hui repris dans les grandes lignes par Cartes.

L'équivalent d'OpenStreetMap pour les moteurs de recherche européen reste à construire et ce serait une erreur de le privatiser.

C'est grâce à leurs protocoles ouverts et la transparence de leur code que Mastodon et Bluesky ont pu concurrencer X et le Threads du F de GAFAM. Que l'association Framasoft a pu proposer des alternatives aux services Google malgré son financement lilliputien.

Dans un article intitulé La Bibliothèque Nationale de Fabrication, nous esquissions il y a 5 ans une solution radicale à notre perte de souveraineté numérique. Qui n'aura sûrement pas manqué de donner le tournis aux croyants du dogme de la main libre du marché, et dans le même temps aux partisans du repli national.

Alors que Mastodon est un projet européen, Bluesky est états-unien. Pourtant, il est entièrement open source et intéropérable, ce qui dilue énormément sa nationalité. Reste à construire une instance Bluesky sur le sol européen, maintenant que ses ingrédients nous sont servis sur un plateau.

Top départ

C'est légitime, personne ne veut que l'État français stocke ses photos de vacances sur ses serveurs à la place de Google. Mais il a un rôle important à jouer pour donner des coups dans la fourmilière de notre dépendance numérique, et organiser sa colonne vertébrale logicielle open source.

Car la radicalité s'impose, face à l'adversité géopolitique. À l'instar de Poutine, chaque hésitation face à Trump et le vrai président non-elu Musk, chaque crainte de les braquer mènera à un regain de confiance de leur part quand à la faiblesse numérique européenne.

Il est urgent que l'Europe acte sa position de dominé et mise grand sur l'ouverture du code et la collaboration Européenne pour relever le défi de la relocalisation numérique.

Europe GAFAM
https://cartes.app/blog/relocalisation-numerique

Si vous avez une ascendance européenne, vous descendez de Charlemagne | Slate.fr

Mon 3 Feb 2025 - 07:39

Nous avons tous et toutes une mère et un père biologiques. Eux, à leur tour, ont eu les leurs, de sorte que nous avons deux grands-pères et deux grands-mères. Si l'on revient en arrière: huit arrière-grands-parents, seize arrière-arrière-grands-parents, etc. Si trente ans séparent chaque génération de la précédente, nous aurions pu arriver à avoir environ 16.000 ascendant·es au début du XVIIe siècle, environ 16 millions au début du XIVe siècle et environ 16 milliards à l'aube du XIe siècle, il y a environ 1.000 ans.

Vous aurez compris qu'à ce stade, c'est tout simplement impossible: il n'y a jamais eu autant d'êtres humains vivant au même moment.

Sans revenir trop en arrière, le nombre réel de nos ascendant·es est très inférieur à celui qui est calculé à travers ces opérations. La raison est simple: beaucoup de nos ancêtres appartiennent à plusieurs lignées généalogiques. Plus les ascendant·es se rapprochent dans le temps, plus cela devient improbable, mais plus nous reculons, plus la probabilité augmente.

Au début du XIVe siècle, on comptait 450 millions de personnes dans le monde (environ 70 millions en Europe). Il est donc possible de retomber sur les chiffres théoriques calculés au début de l'article: nos 16 millions d'ancêtres auraient pu vivre à cette époque en même temps.

Mais si l'on retourne au XIe siècle, on estime que seulement 400 millions vivaient sur Terre, environ 50 millions en Europe. Le calcul théorique des 16 milliards d'ancêtres devient donc faux.
Doit-on vraiment utiliser l'image d'un «arbre» généalogique?

Nous parlons, en général, d'arbre généalogique, car nous visualisons notre lignée comme un arbre qui se ramifie progressivement vers l'arrière. Mais la réalité est très différente. Quelques branches se rejoignent à partir de générations peu lointaines, et si nous remontons à une époque plus éloignée, il est inutile de parler de branches. Les lignées généalogiques structurent une espèce d'enchevêtrement ou, si vous préférez, un filet aux multiples nœuds.

D'autre part, de nombreuses lignées ne laissent aucune descendance. Au fur et à mesure que nous remontons dans le temps, le filet devient de plus en plus étroit: on calcule qu'à l'aube du Néolithique, il y a environ 12.000 ans, moins de 4 millions de personnes vivaient dans le monde, environ 60 millions à l'époque homérique, et un milliard au début du XIXe siècle.

Adam Rutherford affirme, dans son livre ADN: quand les gènes racontent l'histoire de notre espèce, que tous les individus qui ont une ascendance européenne viennent, d'une manière ou d'une autre, de Charlemagne. Par conséquent, nous appartenons tous à une lignée royale! Ce n'est pas une blague, même si cela est complètement hors-sujet. Les personnes ayant un ancêtre européen descendent non seulement de Charlemagne, mais proviennent également de tous les Européens de son époque –autour de l'an 800– qui ont laissé une descendance et sont arrivés jusqu'au XXIe siècle.

Il est inutile de remonter si loin pour déterminer le moment où se rejoignent nos descendances généalogiques. Les Européens partagent un ou une ancêtre commun qui aurait vécu il y a environ 600 ans. Et si les mêmes calculs qui ont permis d'obtenir ces chiffres se font pour toute l'humanité, on estime que tous les êtres humains partagent un ancêtre commun qui a vécu il y a 3.400 ans. Car, même si c'est difficile à croire, on ne connaît aucune population qui serait restée entièrement isolée pendant ces derniers siècles.

Ce genre de choses est assez déconcertant. Pensez-y, si vous avez déposé un échantillon de salive dans un tube pour le faire analyser par une entreprise de généalogie génétique et que l'on vous a annoncé que votre lignée rejoignait des ascendant·es de tribus guerrières de steppes russes, de braves Vikings qui semèrent le chaos et la destruction en Europe, et d'Égyptiens qui construisirent les pyramides. Il est très probable que vous ayez cette ascendance.

Comme moi.

Généalogie
https://www.slate.fr/story/186029/vous-descendez-charlemagne-genealogie-origines-europeens

Pourquoi a-t-on inventé les lettres minuscules, alors que les capitales suffiraient? | Slate.fr

Mon 3 Feb 2025 - 07:30

Devinez qui a eu cette idée folle, un jour d'inventer les minuscules.

Quand on regarde notre alphabet, une particularité saute instantanément aux yeux. Chacune des vingt-six lettres qui le composent a une version minuscule et une version capitale (appelée majuscule quand elle est située au début d'une phrase ou pour les noms propres par exemple). Pour l'instant, on ne vous apprend rien.

Si l'on s'arrête un instant sur cette caractéristique, il y a malgré tout de quoi se poser une question: pourquoi? Pourquoi se barder de deux types de lettres, quand une seule aurait a priori pu suffire? Bon, d'accord, l'écriture aurait sûrement été légèrement moins esthétique, peut-être un chouïa plus rustique, mais tout de même. Pourquoi s'être autant compliqué la vie, alors qu'à elles seules, les lettres capitales auraient pu suffire?

Si l'on devait réécrire le paragraphe précédent TOUT EN CAPITALES, rien, ou presque, ne vous empêcherait en effet de le lire et de le comprendre. Complexification inutile? Esthétisation calligraphique un tantinet snob? Que nenni. Pour comprendre, il faut retourner près de treize siècles en arrière.

C'est ce... sacré Charlemagne

Aux prémices de l'histoire de l'écriture, on ne se prenait pas vraiment la tête avec cette histoire de minuscules et de capitales. Les premiers alphabets, apparus vers 3.500 avant J.-C, reposaient sur des pictogrammes et des idéogrammes, avant d'évoluer vers des alphabets plus abstraits, comme celui des Phéniciens, ancêtres de notre alphabet latin.

Vient ensuite l'Antiquité. L'écriture se faisait essentiellement en capitales, notamment en gravant des inscriptions dans la pierre ou le bois avec un burin. Cela ne nécessitait pas, là encore, d'alphabet à deux niveaux graphiques. Et l'usage des capitales s'est imposé comme standard à cette époque.

Pourquoi ne pas s'être arrêté ici, quand il était encore temps? Allez le demander à notre bon vieux Charlemagne! Eh oui, l'ancien roi des Francs et empereur carolingien a toujours eu le don de mettre un sacré coup de pied dans la fourmilière et marquer l'histoire. La façon dont il bouleversa l'usage de l'écriture le montre encore une fois. Un changement qui n'est pas amorcé par pur snobisme ou facétie, mais plutôt par nécessité… économique!

«MONEY, Money, money»

Sous le règne de Charlemagne, entre 768 et 814, les moines bénédictins, chargés de recopier les textes sacrés et administratifs, cherchaient une manière plus efficace d'écrire. Une manière moins coûteuse, aussi: les parchemins sur lesquels ils écrivaient étaient fabriqués à partir de vélin, la peau de veau mort-né plus fine que le parchemin ordinaire, et coûtaient une fortune.

Problème, l'utilisation des lettres capitales, qui était d'usage à l'époque, prenait beaucoup de place. Vraiment beaucoup de place. Les parchemins étaient remplis en deux coups de plume à cause de ces lettres imposantes.

Afin de maximiser l'espace disponible et d'écrire davantage de texte sur chaque feuille, les moines ont mis au point une écriture plus compacte: les minuscules. Cette innovation, inspirée des capitales romaines et de l'onciale, une écriture aux formes arrondies utilisée au Moyen Âge, permettait de réduire la taille des lettres tout en maintenant une bonne lisibilité. C'est ainsi qu'est née l'écriture caroline, qui servira de base à nos lettres minuscules actuelles. Le summum de l'optimisation.

De nombreux atouts

Avec le temps, l'utilisation des capitales et des minuscules va prendre racine, jusqu'à l'invention de l'imprimerie en 1450, qui va définitivement en fixer l'usage. Pourquoi un tel engouement, alors que le papier est désormais moins cher et que les moines ont été remplacés par tout un chacun?

La réponse est simple, l'utilisation de ces deux graphies, notamment minuscule, a des atouts incontestables, qui peuvent séduire tout auteur. Que vous soyez moine ou non, du moment que vous écrivez à la main, vous avez déjà pu vous en rendre compte: les minuscules, plus arrondies et plus rapprochées, rendent l'écriture manuscrite bien plus rapide et moins fatigante.

C'est aussi sans compter une autre qualité indéniable à leur emploi: les majuscules donnent une meilleure lisibilité aux textes, notamment imprimés. Mise en évidence des noms propres et des débuts de phrase, fluidité de lecture, multiplication des options de design graphique… Oui, l'utilisation des minuscules et des capitales est, aujourd'hui, aussi incontournable qu'irremplaçable.

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https://www.slate.fr/societe/lexplication/pourquoi-invention-lettres-minuscules-capitales-majuscules-atouts-ecriture-typographie-textes-histoire-charlemagne-moines-calligraphie-imprimerie-lecture

Pourquoi la signature manuscrite survit à internet | Slate.fr

Mon 3 Feb 2025 - 07:23

Les moyens de communication moderne ont beau se développer, il vous faut toujours peaufiner à la main ce signe distinctif

L’été dernier, le musée Guggenheim a consacré une exposition à l’artiste polonaise Agnieszka Kurant. Y figurait «The End of Signature» [«La fin des signatures»]: un stylo mécanique automatique réalisant des signatures identiques toutes les trente secondes. Cette installation avait été inspirée par «le déclin de l’écriture manuscrite et la domination des claviers et de la communication numérique». De fait, nous passons désormais bien plus de temps à tapoter sur nos claviers qu’à écrire à la main. Pour autant, la signature manuscrite ne semble pas avoir dit son dernier mot –loin de là…
Pas un jour ne passe sans que je doive signer des documents de ma propre main: achats par carte de crédit, chèques, contrats, baux, déclarations de revenus, registres d’hôtels, reçus de colis postaux... J’effectue certes certaines de ses signatures, tant bien que mal, du bout de mon index ou à l’aide d’un stylet en plastique peu maniable, et non à l’aide du traditionnel duo papier-stylo. Mais le procédé en lui-même (signer mon nom de ma propre main) demeure bien, pour l’essentiel, le même.

Conventions sociales

Vous vous êtes sans doute déjà mis en quatre pour trouver une imprimante et un scanner afin d’expédier d’importants documents ici ou là –et vous avez sans doute imploré les dieux de l’informatique pour leur demander, entre deux sanglots, s’il n’existait pas une situation plus pratique. Mais rien n’y a fait. Et si certaines pratiques ont disparu depuis longtemps (déplacement à la banque pour chaque transaction; paiement des factures par courrier), la tyrannie de la signature manuscrite perdure.

La technologie, source de mille bienfaits, n’est jamais parvenue à simplifier ce domaine a priori bien peu complexe. Pire –elle a transformé un acte simple et direct en un processus multi-technologique en trois temps: impression, signature, passage au scanner (sans parler du broyeur à papier, s’il s’agit d’un formulaire ou d’un contrat de nature confidentielle).

«Il y a une vingtaine d’années, on pensait que les signatures numériques finiraient par remplacer la signature manuscrite, explique Ronald Mann, professeur à la Columbia Law School. Technologiquement parlant, les signatures numériques sont très intéressantes, mais le processus de transition s’est avéré particulièrement complexe.»

La plupart des complications en question proviennent des conventions sociales –notre incapacité à comprendre ce que sont réellement les signatures numériques, et comment les apposer sur des documents ou sur des fichiers. Mann explique que, de nos jours, il n’existe plus guère de transactions qui requièrent des signatures manuscrites physiques – à l’exception des ventes de terrains et de biens immobiliers.
C’est toujours ainsi que nous avons formellement signalé notre volonté de créer une obligation juridiquement contraignante, et nous ne disposons pas vraiment d’une alternative

Aux États-Unis, si vous oubliez de signer le bordereau d’un paiement par carte de crédit, cela ne signifie pas que vous avez refusé de payer –le simple fait de donner votre carte indique que vous avez donné votre accord. Les Américains perdent donc leur temps lorsqu’ils signent pour acheter de la nourriture, des plantes en pot, et le reste des (rares) produits de consommation échappant encore au commerce électronique (qui, lui, ne requiert aucune signature).

Un acte inutile et superflu?

Certes, une signature manuscrite ne demande que quelques secondes; la perte de temps n’est donc pas significative. (Néanmoins, l’impression, la signature et le passage au scanner peuvent être plus chronophages). Autre point, peut-être plus problématique –ces signatures véhiculent une idée fausse; elles nous donnent l’impression que ce geste est important, qu’il représente un accord, une autorisation officielle. En réalité, dans la plupart des cas, cet acte physique définitif est complètement inutile et, de fait, entièrement superflu.

«La signature était importante par le passé, mais son rôle est presque inexistant aujourd’hui. Si elle demeure monnaie courante, c’est par pure tradition, explique Mann au sujet des signatures validant un achat. C’est toujours ainsi que nous avons formellement signalé notre volonté de créer une obligation juridiquement contraignante, et nous ne disposons pas vraiment d’une alternative ou d’une méthode de remplacement efficace.»

En apparence, la signature numérique serait la candidate idéale pour le remplacement –mais son nom est quelque peu trompeur, car il suggère une transition simple. Or, elle n’est pas l’exact équivalent de la signature manuscrite; pas une simple signature physique adaptée à l’âge de l’informatique. Il ne s’agit pas non plus de notre nom en toutes lettres, parfois rédigé à l’aide d’une police en italique cursive (utilisée pour signer certains contrats en ligne). Il s’agit là d’un étrange héritage numérique du phénomène des signatures manuscrites difficiles à déchiffrer –et ce d’autant plus que mon écriture n’a jamais ressemblé à la police Lucida Handwriting.

Message codé

Une signature numérique implique l’encodage des données via une méthode ne pouvant être réalisée que par la personne concernée –ou par quelqu’un possédant sa clé de cryptage. En recevant un e-mail (par exemple) comportant la signature numérique vérifiée de l’expéditeur, vous sauriez que seul ce dernier a pu envoyer ce message (à moins que sa clé de cryptage n’ait été volée). Cette signature est propre au message qu’elle accompagne, et ne peut être facilement copiée dans (ou jointe à) un autre message. Il est donc plus beaucoup plus difficile d’usurper l’identité des personnes qui authentifient leurs e-mails à l’aide de la signature numérique (mais elles ne courent pas les rues).
Le passage annoncé à la signature numérique s’est heurté à un obstacle de taille: définir ce qui constitue réellement une signature –et déterminer quelles méthodes donnent aux utilisateurs l’impression de signer réellement.

«Il est plus simple de déterminer l’intention de signer dans le domaine des signatures physiques, indique Mann. Affirmez qu’un document signé engage une personne juridiquement, et tout le monde comprendra de quoi vous parlez. En revanche, si vous dite qu’un document signé numériquement peut être considéré comme valide, personne ne saisira vraiment ce que cela signifie.»

La confusion entourant les signatures numériques ne semble toutefois pas insurmontable; et si nous parvenions enfin à surmonter cet obstacle, les bienfaits de cette méthode pourraient être considérables. D’une, le rituel de l’imprimante et du scanner passerait aux oubliettes; de deux, les signatures numériques sont bien supérieures aux manuscrites. Le fait qu’il soit nécessaire de voler la clé de cryptage d’une personne pour falsifier sa signature leur donne un bel avantage: n’importe qui pourrait imiter ma signature physique de manière relativement convaincante, surtout en ayant eu l’occasion de l’observer auparavant. En réalité, la signature physique s’avère être un outil d’authentification de plus en plus inutile: si elle demeure manuscrite, nous la réalisons de plus en plus du bout du doigt, sur des écrans, et le résultat final est souvent très éloigné de l’original.

Il est sans doute inutile de donner une seconde vie numérique à une grande partie des signatures physiques devenues presque entièrement symboliques

Des remplaçants potentiels semblent poindre à l’horizon (du moins aux États-Unis) dans le domaine de la validation d’achats par carte de crédit. Les cartes à puce avec code, très utilisée en Europe et en Australie, ne progressent que lentement sur le territoire américain. Les codes confidentiels ne sont certes pas des signatures numériques telles que nous avons tendance à les imaginer, mais l’authentification codée partage quelques points communs avec les signatures numériques: ces dernières demeurent en substance un chiffre secret connu de vous seul permettant de prouver votre identité.

Sécuriser internet

Les signatures numériques se sont avérées d’une importance capitale pour sécuriser internet, et de nombreux sites que vous fréquentez disposent d’une signature cryptée: cette dernière permet de vérifier qu’ils n’ont pas usurpé l’identité d’un autre site (du moins, je l’espère!). Mais la création et l’utilisation des signatures numériques individuelles (destinées aux personnes) progressent de manière beaucoup plus lente. Et ce, en partie, parce que la configuration d’une signature numérique peut être complexe et onéreuse: si vous voulez l’adjoindre à vos e-mails, par exemple, il vous faut vous renseigner sur la marche à suivre correspondant à votre programme de messagerie –et vous pourriez vite vous prendre à regretter la douce époque du duo imprimante-scanner.

Il est facile de s’embrouiller en comparant signatures numérique et physique, et de perdre de vue le fait que ces deux méthodes sont –de bien des manières– profondément différentes. Certaines signatures manuscrites ne méritent pas d’être remplacées par un équivalent électronique. Il est sans doute inutile de donner une seconde vie numérique à une grande partie des signatures physiques devenues presque entièrement symboliques, sans réelle valeur juridique, qui subsistent dans notre vie moderne. Nous pourrions nous contenter de taper notre nom sur un clavier (en utilisant une police de caractère imitant l’écriture manuscrite, si vous tenez vraiment). Et nous pourrions tirer un trait sur ce rituel, tout simplement.

De fait, voilà bien longtemps que les signatures ont perdu une bonne de leur valeur symbolique, qu’il s’agisse de prouver son identité ou de conserver un souvenir d’une rencontre avec une célébrité. (Si j’en crois mes vagues souvenirs de lycéenne, dans la série télévisée Newport Beach, on entend la guest star Paris Hilton affirmer que «les photophones sont les autographes du XXIe siècle»; la double mention de Paris Hilton et des «photophones» fait sans doute de cette citation la référence la plus datée qui soit à l’innovation technologique du XXIe siècle).
Nous accordons peu d’importance à la signature des autres. Et peut-être encore moins d’importance à la nôtre: nous la gribouillons jour après jour, en sachant que tout le monde se contrefiche de savoir à quoi elle ressemble –et même si c’est réellement la nôtre. Tout bien considéré, la signature est déjà morte et enterrée depuis un bout de temps; nous refusons simplement de voir la réalité en face.

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https://www.slate.fr/story/120997/pourquoi-signature-manuscrite-survit

Comment le stylo-bille a tué l'écriture cursive | Slate.fr

Mon 3 Feb 2025 - 07:20

Nos façons d'écrire évoluent avec le temps: elles sont conditionnées par les outils que nous utilisons.

L'entreprise Bic en fait régulièrement un argument de vente: les stylos aident à préserver l'écriture manuscrite, évidence bonne à rappeler. Le stylo à bille pourtant, derrière ses allures démocratiques et traditionnelles, pourrait bien être à l'origine du déclin de l'écriture cursive.

Son usage généralisé est relativement récent dans l'histoire de l'écriture manuscrite. En 1888, un tanneur américain, John Loud, brevète la première version du stylo à bille. Lacunaire, elle devient vite caduque, et d'autres brevets se succèdent à sa suite. Il faudra attendre 1938 pour que le journaliste hongrois László Bíró, aujourd'hui considéré comme l'inventeur du stylo-bille que nous connaissons, dépose son propre brevet.

Une nouvelle vedette dans le monde de l'écriture

La réussite de László Bíró tient au type d'encre que lui et son frère Georg élaborent: une encre épaisse à séchage rapide, inspirée de celle utilisée pour les impressions de journaux dans les presses de l'époque. À terme, ils modifient également le design du stylo, afin que celui-ci ne fuie pas –ou moins.

Les hommes d'affaires ne tardent pas à flairer le marché. En France, l'industriel Marcel Bich rachète les droits du brevet, et bâtit sa fortune en commercialisant le produit à bas coût.

«Quand il arrive sur le marché en 1946, un stylo à bille se vend autour de 10$, ce qui correspond environ à 100$ aujourd'hui. La concurrence a fait baisser le prix de façon constante, mais la stratégie de Bich l'a tiré à ras du sol. Quand le Bic Cristal s'attaque aux marchés américains en 1959, le prix était tombé à 19 centimes le stylo. ujourd'hui, le Cristal se vend à peu près au même prix, en dépit de l'inflation», écrit Josh Giesbrecht dans The Atlantic.

C'est un succès mondial. Le stylo à bille offre dès lors un outil de longue durée, à bas coût, et qui permet de remédier aux inconvénients du stylo à plume: plus de bavures importunes causées par une main maladroite, moins de fuites, moins fragile... la seule contrepartie, ce sera une pression supplémentaire de la main, pour appuyer la bille sur le papier. Peu à peu, l'apparition du stylo-bille allait modifier l'expérience physique de l'écriture.

Le faux procès du numérique

Dans son livre Apprenez à mieux écrire, Rosemary Sassoon relevait pour sa part que si le stylo-plume a naturellement tendance à produire une écriture attachée par la fluidité de l'encre, le stylo-bille, qui nécessite une pression plus forte et un angle de tenue plus haut et plus douloureux à long terme, pousse davantage aux lettres séparées.

L'idée la plus souvent convoquée pour expliquer le déclin de l'écriture cursive est pourtant l'arrivée des ordinateurs: ayant pris l'habitude du clavier et de son écriture tapuscrite, nous serions amenés à écrire de moins en moins, et l'écriture détachée aurait progressivement pris le pas sur l'attachée.

Cependant, comme le remarque Giesbrecht, «la technologie numérique n'a véritablement décollé que lorsque le stylo à plume avait déjà entamé son déclin, et le style à bille sa montée en puissance. Le style à bille est devenu populaire à peu près au même moment que les ordinateurs centraux. Les articles sur le déclin de l'écriture manuscrite remontent au moins aux années 1960 –bien après la machine à écrire, mais une décennie entière avant l'avènement de l'ordinateur à la maison».

Si l'on souhaite préserver l'écriture cursive, il s'agit moins de faire appel à une nostalgie de la lettrine face aux évolutions de la modernité, que de considérer les outils mêmes que nous employons, auxquels nos corps s'adaptent et qui sont susceptibles de modifier les formes de notre expression.

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https://www.slate.fr/story/168551/comment-le-stylo-bille-tue-lecriture-cursive

L'écriture cursive est-elle vouée à disparaître? | Slate.fr

Mon 3 Feb 2025 - 07:18

Pour The Atlantic, une professeure d'histoire d'une fac américaine s'interroge sur les conséquences potentielles de l'arrêt de l'apprentissage de l'écriture cursive (un type d'écriture manuscrite, lorsque les lettres sont liées entre elles). Son questionnement sur le sujet a démarré après qu'un de ses étudiants d'un niveau similaire à celui de nos licences lui a confié n'avoir pu tirer beaucoup d'informations du livre sur la guerre de Sécession que l'enseignante lui avait prêté, car il avait été incapable de déchiffrer les reproductions de manuscrits qui y figuraient.

Drew Gilpin Faust, la prof, a alors procédé à un sondage, et s'est rendue compte que les deux tiers des étudiants de cette promotion ne savaient pas lire les cursives, et qu'un nombre encore plus grand ne savait pas les écrire. D'où le début d'une réflexion, menée conjointement avec ses élèves, sur la place –et surtout l'absence– de l'écriture manuscrite dans leur existence.

Au début des années 2010, rappelle Drew Gilpin Faust, l'écriture cursive a été rayée des enseignements imposés au sein du système américain K-12, sigle désignant le cursus scolaire allant de la maternelle au secondaire. Les étudiants d'aujourd'hui étaient alors à l'école primaire, où on leur a appris à utiliser des tablettes, des ordinateurs et des tableaux numériques. La plupart d'entre eux affirment n'avoir reçu que les bases de l'écriture cursive, pendant une année maximum.

Étonnée par sa propre époque mais bien décidée à ne pas sombrer dans une observation amère de celle-ci, Drew Gilpin Faust fait preuve d'un certain fatalisme. «Le déclin de l'écriture cursive semble inévitable», écrit-elle. «Après tout, l'écriture est une technologie, et la plupart des technologies sont tôt ou tard dépassées et remplacées.» Une affirmation frappée du sceau du bon sens, même si pour la plupart d'entre nous, qui avons grandi dans un système éducatif où l'écriture cursive était au centre de tout, il semble improbable que celle-ci puisse disparaître un jour.
Il reste particulièrement difficile d'envisager que des étudiants en histoire ne sachent ni lire ni écrire en lettres cursives, étant donné qu'ils ne pourront alors déchiffrer aucun manuscrit, et qu'ils devront se contenter de lire les travaux de recherche produits par d'autres. Cela ne signifie pas pour autant qu'il leur soit impossible de mener de brillantes études d'histoire: c'est ainsi que l'un des étudiants de Faust est allé au bout de sa thèse, dont il a simplement remodelé le sujet afin de ne pas rencontrer d'obstacles liés à sa méconnaissance de cette écriture.

Pour autant, n'est-il pas regrettable de devoir limiter son champ de recherche à cause de cette compétence manquante? L'enseignante cite aussi le cas d'une étudiante passionnée par Virginia Woolf, mais qui a décidé d'abandonner ses recherches sur l'autrice car elle n'était pas capable de lire ses nombreuses correspondances, écrites à la plume.

Communication rompue

Autre préoccupation de l'enseignante: comment font les étudiants et étudiantes pour déchiffrer les annotations laissées sur leurs copies? La réponse est simple: certains n'hésitent pas à demander à leurs professeurs, et d'autres ont purement et simplement décidé de les ignorer... ce qui est évidemment problématique. Si les uns continuent à utiliser l'écriture cursive et que les autres décident de ne même pas essayer de la lire, alors le dialogue de sourds est total.

Quid des listes de courses? Des cartes de vœux? Nous, les adeptes de l'écriture cursive, voyons mal comment nous pourrions nous en passer. La réponse est similaire à ce que Faust écrit plus haut: ce n'est qu'une technologie, elle est donc remplaçable. Tout ceci peut être fait de façon numérique, sur un smartphone ou un ordinateur –et, si besoin, à l'aide d'une imprimante.

Abandonner l'écriture cursive, c'est sans doute dire au revoir à une certaine façon de considérer la société. Cela ne signifie pas pour autant que l'on perde au change. Sauf dans des situations comme celles de ces étudiants en histoire, qui se retrouvent perdus devant une simple écriture manuscrite comme nous le serions devant des hiéroglyphes égyptiens.

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https://www.slate.fr/story/233890/disparition-ecriture-cursive-manuscrite-etudiants-histoire-technologie

"Au Revest, 95 % de notre programme sera réalisé" affirme le maire Ange Musso - Var-Matin

Sat 11 Jan 2025 - 10:31

L’inauguration du jardin de Dardennes, la poursuite de la réfection des grands axes routiers ou encore l’avenir de l’ancienne carrière, Ange Musso dévoile l’avenir de sa commune en 2025.

*Que retenez-vous de l’année écoulée?

On a vraiment mis la période Covid derrière nous. On a pu reprendre les activités autour du lien social notamment. Côté réalisations, je suis fier d’avoir ouvert une antenne de la protection civile sur le territoire et que l’atelier d’artistes soit enfin une réalité. Un travail important a été fait au cœur du village. Reste une dernière étape pour que l’aménagement soit complet: l’espace derrière l’église. Les bâtiments vont être détruits, on va faire un parking désimperméabilisé, la vue sur la colline sera dégagée.

*Le grand projet qui va aboutir en 2025, c’est également le jardin de Dardennes…

5.000m2 d’espaces verts vont devenir un parc public intergénérationnel. Nous sommes dans les délais et j’espère une inauguration pour la rentrée. Ce sera l’accomplissement d’un long travail. Ce projet, on l’évoquait déjà lors de mon premier mandat. Dans sa réalisation, nous avons été très soutenus, notamment financièrement, par la Région et le Département.

*Où en est-on des réfections de voiries?

L’ensemble des axes structurants seront refaits à neuf. On va également terminer le passage de l’ensemble de l’éclairage public en Leds. Nous développons le photovoltaïque sur les bâtiments municipaux... Au final, 95% de notre programme sera réalisé d’ici la fin du mandat. C’est exceptionnel, d’habitude, on est plus sur 80 ou 85%.

*Que vous reste-t-il à accomplir en tant que maire?

Beaucoup de choses! Je pense notamment à notre moulin à huile municipal. Le projet est compliqué à mettre en place. Ce n’est pas une question financière mais plutôt de fonctionnement. Nous voulions le faire marcher sur un mode associatif mais avec les normes à respecter, c’est difficile. Mais on va trouver une solution...

Autre projet que je voudrais voir se réaliser, c’est celui de l’ancienne carrière, sous le barrage. On a enfin, après une très longue bataille judiciaire, racheté le terrain. L’idée serait de démolir les bâtiments, remettre un hectare à plat... Pour en faire quoi? L’idée n’est pas encore arrêtée mais pourquoi pas du photovoltaïque. Dans la colline, l’idée serait de faire des pistes pour rejoindre le domaine de la Ripelle.

*Allez-vous vous représenter en 2026?

Je vais y réfléchir en septembre. Cela ne sert à rien d’y penser plus tôt. On a encore une grosse année de boulot avant l’échéance des municipales. Après, je n’ai aucune envie d’arrêter. Il reste plein de choses à faire ou à développer et à continuer sur la commune. Et puis je n’ai pas l’âge de la retraite !
Ville pilote "défense incendie"

"La Métropole nous a choisis comme ville pilote DECI, défense extérieure contre les incendies », entame Ange Musso. Avant de poursuivre : « l’idée est de mettre aux normes toutes nos bornes incendies. Qu’elles aient toutes une capacité de 60 m3, au lieu de 30. » La commune s’engage également à les multiplier pour pouvoir lutter efficacement contre le feu. « Et l’actualité nous montre bien, avec ce qui se passe en ce moment aux États-Unis, qu’il faut savoir se protéger."

Revest
https://www.varmatin.com/politique/-au-revest-95-de-notre-programme-sera-realise--967029

Écrivains de marine… La littérature au nom de la mer - L Point

Thu 12 Dec 2024 - 17:49

Par Romain Gubert

Ils sont autorisés à porter l'uniforme bleu marine. Peuvent embarquer sur les bâtiments de la Marine nationale. Ils ont même un grade, celui de capitaine de frégate de la réserve citoyenne, à titre honorifique. Et peuvent signer leurs livres en accolant leur nom à une petite ancre de marine.

C'est une étrange confrérie qui compte vingt écrivains (pas un de plus) qui se choisissent par cooptation après un examen d'entrée impitoyable : il faut manier la drisse et la plume avec passion, aimer la mer et avoir suffisamment de talent pour savoir partager avec ses lecteurs la magie de l'océan.

Gens de mer et gens de lettres

L'idée d'une corporation des écrivains de marine est née il y a vingt ans dans la tête de l'Amiral Bellec, alors directeur du musée de la Marine et auteur d'une trentaine d'ouvrages, et de deux académiciens aujourd'hui disparus, Jean-François Deniau et Bertrand Poirot-Delpech, deux amoureux de la mer, qui ont réussi à convaincre la Royale que la littérature pouvait faire prendre conscience au grand public de la vocation maritime de la France. Avec un but : créer l'équivalent des « peintres officiels de la marine », un corps créé il y a près de deux siècles et qui a autrefois compté dans ses rangs Paul Signac et, plus récemment, Yann Arthus-Bertrand.

Les écrivains de marine ne sont pas vraiment des auteurs de salon. Ainsi, Philibert Humm, prix Interallié 2022 pour Roman Fleuve (Les Équateurs), nouvellement élu, devrait ainsi passer quelques jours au fond des mers sur l'un des sous-marins d'attaque français pour raconter ensuite son expérience. Par convention, signée avec la Marine nationale (le chef d'état-major valide les nominations), ils s'engagent à « collectivement servir la Marine, favoriser la propagation et la préservation de la culture et de l'héritage de la mer, et plus généralement la promotion de la dimension maritime de la France ». Et Royale considère ces hommes de plume comme les leurs. Aux obsèques de Bernard Giraudeau, en 2010, un béret rouge et une casquette blanche d'officier reposaient sur son cercueil.

On imagine les retrouvailles, plusieurs fois par an, de Yann Queffélec, Jean-Christophe Ruffin, Daniel Rondeau, Sylvain Tesson, Isabelle Autissier, Titouan Lamazou, Olivier Frébourg autour de quelques Amiraux sous la houlette de Patrice Franceschi qui préside l'association. Sans doute y parle-t-on davantage de voyages au long cours que de littérature. Quoi que. Il y a quelques jours, la confrérie vient ainsi de décerner son premier prix littéraire à Antoine Sénanque (Croix de cendre, Grasset) dans lequel il raconte le parcours de deux jeunes moines dominicains au XIVe siècle avec pour théâtre la peste noire qui s'abat sur le continent à cette époque (deux Européens sur trois en furent les victimes).

http://about://reader?url=https%3A%2F%2Fwww.lepoint.fr%2Fculture%2Fecrivains-de-marine-la-litterature-au-nom-de-la-mer-16-11-2023-2543363_3.php
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