La sociabilité est un vaste sujet qui concerne autant les réunions informelles que celles structurées ou dictées par le rythme des saisons, les habitudes locales ou nationales. En Provence, elle a été l’objet de nombreuses études, tant historiques [Agulhon, 1979] qu’ethnologiques [Roubin, 1970]. À notre tour, nous examinerons ce sujet [Chabert, 1991] à travers une structure assez répandue dans les villes et les villages, le « cercle ».
Régie par la loi de 1901 sur les associations, cette institution regroupe principalement des hommes. Elle possède un conseil d’administration, délivre des cartes à ses membres après le paiement d’une cotisation annuelle, qui permettra au trésorier de constituer un budget. Pour le visiteur, le cercle se présente sous la forme commune d’un bar : on y boit, on y joue aux cartes ou aux boules. Seules différences, son appellation : « Cercle de… », et la non-consommation de boissons habituelles. Ce bar est le siège d’une association, donc un lieu privé. Ainsi conçu, le cercle constitue une véritable « société » au sens juridique et, comme toute association, se trouve être polymorphe. On remarque, pour l’ensemble de ces cercles, une inclination vers le corporatisme lorsqu’il devient lieu de réunion des chasseurs ou des pêcheurs. C’est le cas à Tourves, à Vauvenargues ou aux Martigues. On devine également des connexions avec la coopérative viticole, lorsque le local du cercle est intégré à son bâtiment, comme à Camps. L’aspect ludique est récurrent, par-delà les cartes et les boules, mais certains cercles (tel celui d’Auriol) se consacrent essentiellement à la musique, avec la présence d’un orphéon. Enfin, d’autres nous intéressent plus particulièrement, pour avoir conservé jusqu’à ce jour une fonction politique, très importante par le passé, notamment durant la IIIe République. C’est en particulier sur ce dernier type d’association que portera notre étude, du point de vue de l’anthropologie politique.
Antérieurement à cette loi de 1901, le cercle existait déjà en Provence, ainsi nommé dans les villes, plutôt désigné par les termes « chambre » ou « chambrette » dans les campagnes (chambro ou chambreto, en langue d’oc) [Roubin, 1970]. Une rapide prospection dans les archives des communes indique un véritable fourmillement de chambrées tout au long du xixe siècle ; au xviiie siècle, le terme chambro peut désigner une société de pénitents. Dans le reste de la France, la structure-cercle s’est répandue sous la forme d’une association plutôt bourgeoise [Agulhon, 1977] sous la monarchie de Juillet. Durant la IIIe République, son expansion est due à un effet de « mode politique ». Peu après, elle s’est estompée un peu partout en France. Son existence, bien réelle et actuelle en Provence aujourd’hui, provient sans doute d’un effet lié au « substrat » de cette sociabilité, caractérisé par la densité et la proximité sociale. Ce qui tendrait à faire de cette sociabilité une exception provençale.
Dans le cercle, de manière récurrente, des banquets sont organisés, ainsi que des concours de pétanque, des célébrations en l’honneur de la société, bref, tout ce qui privilégie le versant ludique de la sociabilité. Si cette attitude est commune à tous les cercles, certains d’entre eux s’inspirent, à travers le ludique, d’une Histoire qui circule encore. En effet, si un banquet peut être anodin, il peut aussi s’inscrire dans un calendrier commémoratif donné ; un concours de pétanque a moins de chance d’être porteur d’un sens historique clair, bien qu’il puisse appartenir à une « syntaxe » festive qui, elle, détient une valeur affective forte pour la communauté villageoise. Les connotations sont fréquemment d’ordre politique et rappellent le rôle joué dans ce domaine par certains cercles.
Notre étude concerne essentiellement les cercles politisés d’aujourd’hui, ceux qui témoignent d’un profond enracinement dans les valeurs de la IIIe République. Il demeure cependant difficile de prouver la continuité du rôle de la sociabilité au travers d’une politisation antérieure au xixe siècle, même si le rôle des confréries aux xviiie et xviie siècles est déterminant quant à la notion de communauté d’habitants [Baudot, 1984].
Sociabilité et vie politico-festive
L’aire provençale offre une certaine théâtralisation de la sociabilité, tant dans le paysage villageois que dans le discours de ses habitants. Ainsi, l’utilisation d’un vocabulaire emprunté au théâtre n’a pas pour but de ridiculiser les acteurs – en membres du cercle ou villageois –, mais consiste en une façon d’aborder les événements, d’autant que la « communauté » elle-même n’hésite pas à se mettre en scène. Par contre, on ne peut être aussi affirmatif avec l’aire de l’ancien comté de Nice, où le discours ne convoque pas les mêmes pratiques et où la configuration des villages n’est pas tout à fait identique. Le cercle semble plus en retrait dans la géographie communale, et le discours porte encore les traces des confraternités de pénitents. Néanmoins, la fête recèle une volonté certaine de mettre en scène l’histoire locale. Enfin, on soulignera que dans deux cas sur trois, à Utelle et à Breil, le cercle est et a été l’organisateur de ces fêtes. Il devient un relais des abbayes de la jeunesse, ces anciennes associations/confréries d’hommes non mariés [Ariès, 1973 : ix]. Comment s’exprime donc la dimension politique de la sociabilité ?
Depuis les travaux des historiens [Agulhon, 1979], on connaît la spécificité des villages provençaux, principalement ceux du Var. Ce qu’il faut en retenir, c’est qu’ils ressemblent davantage à des petites villes, à des « bourgs » : leur sociabilité est celle d’une société complexe avant l’heure, l’heure de la Révolution bien sûr. Cette propension d’une certaine sociabilité provençale à « s’urbaniser » nous oblige à un raccourci historique : elle va sans doute chercher ses racines bien loin dans l’histoire, une histoire déjà pétrie par les légionnaires romains et leur système apparemment égalitaire des centuries, mais cette « urbanisation de l’esprit » s’effectue même dans les plus petits quartiers ruraux qui pensent comme leurs aînés. Malgré tout, rappelons ex abrupto que le cercle s’inscrit dans la problématique d’un individualisme qui jouxte une apparente solidarité.
Les données immédiates que l’observable nous présente et qui par conséquent nous permettent d’objectiver le cercle politisé sont les indicateurs topographiques par exemple, facilement décelables pour un œil averti. Globalement, le village a une physionomie qui renvoie à une variété de commune à laquelle son histoire a largement contribué. Il est probable qu’un village perché ou présentant même une faible pente ait connu, ou connaît toujours, une opposition entre le haut et le bas alors qu’il semble groupé et uni autour du campanile. La présence d’un cercle en haut du village et/ou en bas peut nous mettre sur une piste d’autant plus sérieuse qu’une proximité de la mairie dans un cas, ou de l’église dans l’autre, apporte des soupçons que l’enquête orale devra dissiper. On pense ainsi aux villages de Fuveau et d’Auriol dans les Bouches-du-Rhône. L’un est un village perché où l’on observe un clivage entre le haut et le bas, mais a contrario Auriol est un village-rue où le clivage s’effectue dans l’horizontalité, en amont et en aval de la rivière, l’Huveaune. Ces deux situations extrêmes peuvent sans doute s’expliquer par un phénomène d’« aimantation ». À Fuveau, le cercle d’en haut est proche de l’église et le cercle d’en bas est placé sur un boulevard ; à Auriol, le cercle en amont de la rivière est placé sur le cours, en face du monument aux morts et près de la mairie, le second cercle est en aval, assez éloigné. L’enquête orale nous apprend que le cercle de Fuveau qui est près de l’église, en haut, est un cercle qualifié de « blanc » et que celui d’en bas est « rouge » ; à Auriol, celui qui est placé près de la mairie est un ancien cercle dit « rouge ».
Outre le titre du cercle qui est susceptible de connotations évidentes, mais dont il faut se méfier, puisqu’un cercle dit « de l’Union » peut être un titre abrégé (« de l’Union Républicaine »), l’intérieur du cercle délivre sans ambages une réponse aux interrogations du promeneur. L’iconographie (bustes de Marianne, de Jean Jaurès ou de Jules Guesde ; tableaux de Rouget de Lisle, drapeaux rouges) nous dirige vers la voie d’une interprétation sans équivoque, de même que les bustes de saints ou les croix, ainsi que des enseignes ornées du labarum (étendard impérial institué par Constantin et portant)
Il faut souligner l’absence assez continue du buste de Marianne dans les cercles des Alpes-Maritimes, surtout sur la rive gauche du Var, historiquement ancien comté de Nice. Dans cette aire, les titres des cercles ne comportent généralement pas de connotation politique ; leurs présidents se refusent d’ailleurs à toute activité politique susceptible, selon eux, « de semer la discorde » [déclaration d’un informateur], mais, a contrario, la production de vin « favorise la solidarité »
Ainsi plantés, les décors vont s’animer dans le discours et dévoiler dans un système métonymique leur forte charge symbolique. Le décodage, d’abord topographique, montrera le jeu des oppositions, ou des agencements des groupes, comme on l’a rapidement évoqué précédemment. Cela n’est pas sans rappeler les remarques de Jacques Lévy [fnsp, 1991 : 213] : « Il existe différentes combinaisons interholistiques dont on peut supposer qu’elles fonctionnent sur le modèle qu’André Siegfried avait défini pour l’Ardèche [Siegfried, 1949] : une première opposition religieuse (Catholique/Protestant), une seconde en fonction du mode d’exploitation agricole, mais avec une vaste gamme de variantes si l’on change l’ordre des facteurs. »
La question qui se pose est celle d’une reconnaissance des indices topographiques et iconographiques dans le discours, soit une vérification de l’externe dans l’interne. L’émergence des discriminants dans le discours s’effectue sous la forme d’un paradigme récurrent qui use de codes à la fois topographique, patronymique, social, chromatique et de classe d’âge. On peut convoquer à ce propos la notion littéraire d’« isotopie » qui désigne un réseau de signifiés plus large qu’un champ sémantique. On obtient ainsi dans le discours de certains informateurs, sous une forme saturée, les formules suivantes pour le Var :
« En haut » « En bas »
« L’Union » « Le Progrès »
« Les Riches » « Les Pauvres »
« Les Blancs » « Les Rouges »
« Les Anciens » « Les Jeunes »
Dans les Alpes-Maritimes, le code ne met pas en avant une dichotomie par les cercles, mais se réfère essentiellement aux codes des confraternités, c’est-à-dire des confréries de pénitents, ce qui a pour effet d’effacer le code Rouge/Blanc, ce qui doit pouvoir s’expliquer par l’histoire du comté de Nice qui est resté étranger à la Révolution française ; les cercles n’étant pas encodés, le résultat est le suivant :
« En haut » « En bas »
« Les Pénitents Blancs » « Les Pénitents Noirs »
« Les Riches » « Les Pauvres »
Dans cette aire, l’ensemble de la communauté est comprise dans une répartition très claire, grâce au système des codes en vigueur aussi bien dans l’espace ludique, festif, que dans celui des processions ou du travail.
Au sujet des institutions qui produisent leur vin, on précisera que cette originalité ne figure pas dans les statuts des sociétés, mais se trouve juste expliquée par les sociétaires, qui considèrent qu’une telle pratique consolide les liens et présente des avantages économiques. Ne s’agit-il pas d’une transposition des pratiques dites « autarciques » qui existèrent naguère et se trouvent aujourd’hui transférées dans le cercle, alors même que la production de raisin disparaît dans le terroir et que le raisin est acheté dans le Var ? Rappelons que les coopératives vinicoles n’existent pas dans ce département, peut-être du fait de la forte déclivité des terrains ou d’une tradition politique qui manque et limite les innovations, telles que les coopératives viticoles.
Une originalité supplémentaire de l’ancien comté réside dans la propension à mettre en scène les tensions intra/intercommunautaires qui ponctuèrent la vie locale avant le rattachement (1860). Nous en donnerons quelques exemples.
La célèbre fête du Cepoun à Utelle se concrétise par un jeu qui se déroule depuis le XVe siècle, le 15 août, sur la place de l’église. M. Jean Gavot [1971 : 75] déclare : « Il consiste, pour les célibataires du pays à attaquer et à s’emparer, si possible, d’un morceau de tronc d’arbre, d’environ 80 kilogrammes, défendu avec acharnement par les hommes mariés qui en sont les gardiens. Le sens du jeu changea vers 1430 ou 1450, à la faveur d’un événement très important. Comme Utelle, Peille et Lucéram étaient des communes libres, elles décidèrent de signer un pacte d’assistance en cas de danger, d’où qu’il vienne. Peille et Lucéram furent attaquées, elles firent appel à Utelle, mais les jeunes Utellois refusèrent de se battre, les anciens durent remplacer les jeunes défaillants, et les combats se prolongèrent assez longtemps pour que les femmes des guerriers s’ennuient… Et qu’elles se divertissent avec les jeunes. »
À Levens, un festin a lieu le 2 septembre, dont l’origine se trouve dans le fait historique suivant : « Quand les Levensois qui, sous le régime de leur seigneur, avaient un “parlement” (réunion des chefs de famille), voulurent se soustraire à la suzeraineté des Grimaldi, ils offrirent le 29 août 1699, seize mille lires au duc de Savoie, pour n’être désormais tenus qu’à ce seul vasselage, la commune fut alors investie du “fèude, noble et lige” mais sans titre comtal. Les habitants marquèrent leur affranchissement en plantant, au milieu de la place, devant l’entrée du château du seigneur, une grosse pierre conique “lou boutau”, que l’on saute » [Gavot, 1971 : 68].
Enfin, à Breil, a lieu la fête d’A’ Stacada. « Cette reconstitution commémore une petite révolution qui permit aux Breillois de faire abolir le droit de cuissage dont usait le bailli de l’époque. Au XVIIe siècle, les membres du conseil de Communauté étaient élus par les chefs de famille (cap d’oustau), et élisaient à leur tour et à leur tête les syndics (maires) au nombre de deux. Le bailli du lieu, personnage central de la Stacada représentait le seigneur de Breil et réglait la justice » [Gavot, 1971 : 99]. On devine la suite, le bailli abuse de son droit de cuissage, et la communauté se révolte.
Globalement, la longue durée nous offre un paysage politique partagé entre les « cap d’oustau » qui tentent de se faire entendre et le seigneur. Le clivage dans la sociabilité ne se politise pas pour autant, on a davantage affaire à des jacqueries ou à des révoltes sporadiques qu’à un mouvement global comme en Provence. Là, la Révolution va, semble-t-il, entraîner un processus dichotomique à l’intérieur du premier groupe qui donnera vraisemblablement naissance aux Rouges et aux Blancs. Mais, au lendemain de la Révolution, quand les corporations sont pourchassées et qu’on assiste à un vide associatif, l’éclatement des chefs de maison en deux factions crée de facto une sociabilité politisée, après un passage par les clubs révolutionnaires.
Néanmoins, on peut se demander si la constitution du cercle en véritable corps ne nous renvoie pas à une attitude « inconsciente » qui s’enracine dans la longue durée et renvoie au mécanisme d’opposition. Pour mémoire, on notera qu’au lendemain de la Révolution les maires sont élus, mais qu’ensuite et jusque vers 1831 ils sont nommés. Ce n’est qu’en 1831 qu’une loi permettra l’élection des conseillers municipaux. C’est alors que Charles Dunoyer écrit : « L’État moderne est un producteur de sociabilité » [Coquelin, Guillaumin, 1852, t. 2 : 837].
Mais il faut aller plus loin que la mise au jour de cette interaction globale entre le fait politique et sa théâtralité. L’attitude réflexive, d’autodérision assez répandue dans le Midi se retrouve sans doute dans ce jeu de l’acteur/spectateur de son histoire, peut-être le cercle est-il aussi un effet de cette « double énonciation » si connue au théâtre ?
En Provence, le cercle aimante une grande partie des autres associations du village. Ce phénomène fait du cercle un forum, ce qui lui confère, de fait, une légitimité implicite. Il est un pion incontournable sur l’échiquier de la commune. On y trouve par exemple les associations de chasseurs, pêcheurs, boulistes, coopérateurs, anciens combattants, libres-penseurs et, surtout, celle du comité des fêtes. Sur ce dernier point, le cercle remplit les fonctions d’abbaye de la jeunesse, puisqu’on y retrouve le groupe des jeunes. Cette stratégie permet sans aucun doute à l’institution de maintenir son patrimoine culturel, de le produire et de le reproduire afin de le conserver. Enfin, cette capitalisation associative met en relief les réseaux basés sur le clientélisme et la notion de famille, réelle ou idéologique. Apparemment, le cercle appartient à ce que Maurice Duverger [1968 : 454] qualifie de « groupes de pression étroitement liés à un parti et soumis en fait à un parti », mais les faits ne sont pas aussi simples et ce serait compter sans le non-dit inhérent au village lui-même.
La pratique du cercle s’effectue dans un continuum où le caractère rituel de l’acte politique est fondamental. On n’appartient à un cercle que si l’on est domicilié dans la commune. Se retrouve la vieille notion d’« étranger » (en tant que non-indigène à la commune) : on se doit d’être parrainé, d’attendre quinze jours d’affichage pour connaître la réponse. N’oublions pas qu’il s’agit d’entrer dans un lieu qui porte souvent à l’entrée la mention « Privé ». Il faut souligner également que ce sont surtout les anciennes familles (tant chez les Rouges que chez les Blancs) qui occupent le conseil d’administration de la société. Les anciens sont souvent surnommés lei cepoun (les piliers). Ce sont eux qui font autorité – leur père sinon leur grand-père ayant, la plupart du temps, été membres –, et sont par conséquent des références et des garanties d’une légitimité incontournable (lou cepoun désigne à la fois un cep de vigne et la marque du grade de centurion, qui était un sarment de vigne lui servant à imposer son autorité). Bref, cette place des anciens est justifiée par les actions politiques des ancêtres, qui sont à l’origine de la fondation du cercle ou de la coopérative, ou du syndicat. Le prestige provient ainsi d’actions illustres que la mémoire conserve dans les noms des rues, des quartiers ou des salles de fêtes.
Le fondateur est plus souvent évoqué chez les Rouges, puisqu’il est à l’origine du processus d’achat du local sous la forme de quotes-parts ou d’actions, ce qui fait du cercle un bien en indivision dont les membres sont copropriétaires, système égalitaire qui satisfait l’ensemble de la société. Par contre, chez les Blancs, c’est un grand propriétaire terrien ou un châtelain qui a fait don du local où le cercle s’est installé ; ainsi a-t-il été élu maire, conséquemment à ce mécanisme de don et de contre-don. Mais les Rouges peuvent parfaitement pratiquer une transmission familiale du titre. On voit le fils succéder au père dans les fonctions de premier magistrat de la commune : il y a là légitimité traditionnelle.
Enfin, une solution ultime reste possible pour tous si les tensions sont trop vives et si personne ne veut s’engager sur la voie de l’élection : le recours au système du « podestat » consistant à convaincre une personne étrangère à la commune, ou qui n’y réside que depuis peu, de se présenter aux élections. Sans devenir une tête de Turc ou un caramentran, elle pourra concrétiser une sorte d’arbitre passager (Caramentran, ou « Sa Majesté Carnaval » est ici évoquée, car nombre de maires battus aux élections voyaient, il y a peu, leur effigie brûlée ou leur veste pendue en place publique).
De la mémoire à l’imaginaire, il n’y a qu’un pas. Que l’on continue à qualifier une partie du village de « Rouge » ou de « Blanc » renvoie à une époque qui n’existe peut-être plus, mais est toujours perçue de la sorte. De plus, l’absence d’un code métaphorique Rouge/Blanc dans les Alpes-Maritimes à propos des cercles connote certes une « autre Histoire », puisque le rattachement, qui date de 1860, a « favorisé » le maintien d’un code métaphorique lié aux confréries de pénitents, Noir/Blanc. Cette « transmétaphorisation » ou cette métaphorisation dans le temps peut sans doute s’expliquer, d’une part, par la place du soleil dans les proverbes météorologiques provençaux (le soleil couchant très rouge annonçant le beau temps), et, d’autre part, par leur utilisation en période politique. Frédéric Mistral l’illustre avec l’anecdote de la vieille Riquelle [Mistral, 1971 : 160]. S’agit-il d’un déplacement métaphorique lié à un héliotropisme – on substitue au Noir le Rouge, et à l’ancien ordre social, un nouvel ordre politique ? Ce code ressurgit régulièrement, dès que le discours politique sur le cercle s’engage, mais est-ce suffisant pour dire que le mythe solaire est associé hic et nunc à la politique et à la sociabilité ? Est-ce suffisant pour affirmer que la nouvelle métaphore politique entraîne avec elle un nouveau langage, un peu comme « la poésie qui ne détruit le langage ordinaire que pour se reconstruire sur un plan supérieur » [Ricœur, 1975 : 206] ?
Quoi qu’il en soit, dans l’Ouest varois, un usage est à remarquer qui consiste, selon un rituel plus ou moins consciemment réalisé, à entamer sa carrière politique locale par la présidence de la coopérative, ou de la société de chasse comme nous l’indique Christian Bromberger. Ensuite vient la présidence du cercle, ou inversement, et enfin l’accession au pouvoir municipal. C’est dans cet ordre que se situe un parcours sans erreur.
Pour les « Blancs », la course au pouvoir s’inscrivant dans un autre système qui met en place un café et des caves privées, le cursus honorum s’établit ainsi :
Rouges : Présidence du cercle et/ou de la coopérative. Mairie
Blancs : Café et caves privées. Mairie
Il existait une variante plus ancienne de conquête de la municipalité, très répandue dans l’entre-deux-guerres : la présence de deux infrastructures de couleur politique différente. Dans chacune d’elles, on rencontrait un cercle et une coopérative. Ce dispositif est encore partiellement en place. C’est dire l’usure en cours du dispositif. De même, il est clair que le terme « coopérative » s’efface peu à peu des frontons de ces bâtiments, laissant place à celui de « cave ». Le cadre dans lequel ces cercles s’épanouissaient a largement évolué : au début du siècle, les Rouges étaient réunis sous le titre de « Fédération des cercles rouges ». Les Blancs, eux, participaient, du moins dans les Bouches-du-Rhône, de « L’œuvre des cercles catholiques d’ouvriers », fondée par Albert de Mun à la fin du xixe siècle. Dans le Var, l’implantation de ce réseau n’a pas eu lieu. Sans doute, cela peut-il s’expliquer par la présence dans les cercles blancs de quelques royalistes, et par une composition sociale où les ouvriers étaient absents ; par contre, les grands propriétaires fonciers étaient largement représentés.
Parallèlement à ces réseaux, il est clair que l’homogénéité sociale des cercles n’a cessé d’évoluer. Globalement, ceux du début du siècle présentent un lien social très fort entre les familles du terroir et la profession : on observe ainsi des cercles d’agriculteurs ou de charretiers, de pêcheurs ou, dans les villes, des cercles de négociants, sinon d’avocats ou de chapeliers. Dans l’entre-deux-guerres, les faits évoluent vers une plus grande diversité. Malgré tout, n’imaginons pas le cercle comme un système hermétique, car les instituteurs y étaient très activement présents et s’attachaient à l’embrigadement des jeunes dans les orphéons. Cette culture orphéonique passée de mode, c’est le sport qui prendra le relais. Du côté des Blancs, c’était généralement un prêtre qui s’occupait du patronage, destiné également à former une chorale ou à jouer la célèbre pièce de théâtre, La Pastorale, véritable cheval de Troie que les Blancs représentaient régulièrement au cours de leurs « virantes » dans les villages voisins.
Les bagarres entre les écoliers de l’école laïque et ceux de l’école religieuse étaient nombreuses jusque vers 1939 environ. La période de l’Occupation fut particulièrement néfaste pour les sociétés des Rouges, alors interdites, et dont les membres furent l’objet de tracasseries [Guillon, 1983 ; Girault, 1995 ; Rinaudo, 1982 ; Constant, 1977].
Aujourd’hui, ces tensions ont à peu près disparu, les « cercles » étant avant tout composés d’employés. L’homogénéité sociale demeure, mais le travail qui réunissait naguère les hommes se trouve peu à peu remplacé par les loisirs. C’est sans doute la raison pour laquelle les « cercles » se dépolitisent. On peut dire cependant que l’institution « est le prisme d’une relation de pouvoir autant que l’incarnation d’une culture singulière dont on perçoit les effets en termes de productions d’identités » [Abélès, Jeudy, 1997 : 135]. Quant à la mémoire du « cercle », elle demeure, grâce au rituel festif par exemple, qui réunit les membres de certains « cercles » rouges autour d’un banquet républicain, le 24 février. Ce jour-là, les membres boivent le vin « français » dont la recette ressemble sensiblement à une sorte de sangria et qui a pour objet de rappeler aux membres « ceux de 1851 » qui, réunis dans leurs chambrettes, goûtaient ce breuvage en attendant des jours meilleurs. La fête de ces « cercles » qu’on peut qualifier de « quarante-huitarde » leur est spécifique dans la mesure où il s’agit de « leur » fête. Quant à elle, la commune fêtera le 14 juillet, mais les participants éprouvent le besoin de se démarquer. On retrouve en ces termes le vieux débat de l’Histoire et de la mémoire de l’Histoire.
Autre particularité festive, c’est l’attachement des « cercles » communistes de la région d’Aubagne au 21 septembre, cette date constituant d’ailleurs, comme le 24 février, le titre de certains d’entre eux. Il faut y ajouter le 1er mai, jour au cours duquel le drapeau rouge est hissé devant l’entrée.
Notons que ces lieux sont précisément définis par les locuteurs : « Le cercle, c’est la mairie ! » Malgré tout, au village, on ne parle pas de parti politique, comme s’il existait un tabou à cet endroit, à moins que ce soit par simplification, ce qui expliquerait la persistance de la formule paradigmatique et certes ancienne, « les Rouges et les Blancs ». Ainsi que le remarque très justement Irène Bellier [Abélès, Jeudy, 1997 : 136], la question est de savoir si les individus font de l’institution un lieu de culture et si l’institution est le foyer d’une culture singulière. Dans le cas du « cercle », il semble bien que l’institution en question réponde à ces interrogations en tant que lieu de production et de reproduction culturelle notamment par le biais du rituel festif.
Dans cette interaction au sein de la commune, à quoi correspond réellement le cercle ?
« Réfléchir à l’institution en partant de l’idée qu’elle constitue un microcosme permet aussi bien d’explorer ses frontières et les relations qu’elle entretient avec des unités semblables ou d’ordre distinct, que de considérer les pratiques de ses “ressortissants” et les idées qu’ils mettent en œuvre » [Abélès, Jeudy, 1997 : 134]. Dans cette perspective, nous avons vu cette institution comme un contre-pouvoir ou une sorte d’antichambre de la mairie. C’est, en effet, à la fois une manière de préparer les élections et de contrôler le maire quand il a été élu. Peut-être aussi une façon de considérer qu’en fait tout se joue au cercle et non à la mairie. Les faits paraissent relativement clairs dans les écrits d’un militant communiste d’Aubagne [Grimaud, 1980] : « La proclamation des résultats des municipales de 1965 déchaîna l’enthousiasme et cette foule en délire, nouveaux élus en tête, se dirigea vers le cours Beaumond, vers ce cercle de l’Harmonie qui, il faut bien le dire, était le vainqueur de cette journée […], dans ces heures de joie, nous nous sentions près de nos Anciens, nous leur apportions, dans les murs qu’ils avaient bâtis, la réalisation de leurs rêves […]. Le doyen d’âge prit la parole et remercia le cercle de l’Harmonie et son président pour l’appui apporté pendant la campagne électorale. Le maire prit place dans le fauteuil. » On le voit, la mairie, c’est bien sûr le but, mais est-ce que tout n’a pas déjà été joué ailleurs ? Peut-on aller jusqu’à avancer l’idée d’un doublet de la mairie incarné par le cercle ? À moins qu’il ne s’agisse d’une manifestation de ce goût pour la liberté, tant apprécié par les Provençaux ? Les règles du jeu politique obligent à la confrontation, surtout lorsque deux « cercles » sont en présence. Le champ lexical de la guerre chez les locuteurs est riche : le cercle adverse « doit être démoli », les « processions interdites », la « date de Carnaval déplacée » dans le calendrier. On oublie pour un temps les moqueries à l’égard des communes voisines, et « l’état de guerre engendre une situation de contre-société animée par la tension interne et la propension révulsive » [Abélès, Jeudy, 1997 : 113]. L’état de guerre est à la fois une rupture – ici une rupture pour la conquête de la mairie – et une façon de consolider la cohésion du groupe et d’assurer sa continuité.
Quant au ressort réel qui pousse les bellicistes vers l’extrémisme, il paraît bien appartenir au domaine du symbolique et plus précisément du patrimoine symbolique, de l’identité politique, mais la guerre aura-t-elle jamais lieu ? Dans cet état plus ou moins chronique de guerre, l’observateur est tenté de qualifier cet aspect de « jeu politique critique » qui oscille dangereusement vers la fragmentation extrême de la sociabilité. C’est notamment le cas avec la commune de Saint-Zacharie, qui a connu le cercle des Rouges, celui des Blancs et celui des Jaunes (fondé par des dissidents des Rouges). Ces conditions conduisent à la prise de conscience d’un risque de fracture irrémédiable, comme cela se passe dans les communes modestes où la fusion des deux « cercles » est un mariage de raison. Dans ces perspectives, un discours digne d’intérêt est celui tenu par bon nombre de membres qui regrettent la trop grande fragmentation des partis politiques au plan national, ce qui finit par « brouiller les pistes » et gêner le débat. En fait, avec cette remarque, on met le doigt sur une divergence importante entre, d’une part, la politique au village qui s’inscrit dans une dichotomie qui puise ses origines très loin dans l’histoire, dans la mémoire et les choix locaux de chacun, et, d’autre part, la politique nationale qui s’avère plus anonyme et comme échappant aux villageois par la complexité des divisions et des repères.
À ce propos, la théorie du contrat social resurgit dans ce microcosme politique qui s’avère être un laboratoire de sciences politiques ; dans une pénétrante analyse de la souveraineté [Esprit, 2002 : 156] Mickael Foessel insiste sur ce point en citant Rousseau et « son refus de toute représentation de la souveraineté [qui] s’explique par le souci de ne pas séparer l’origine de toute légitimité politique (le peuple) de l’exercice du pouvoir ». Mais n’imaginons pas le village provençal comme un camp retranché où chacun vit de son côté. Certes, il y a les habitudes, mais, interrelations aidant, le moment des élections cristallise des conflits qui sommeillaient. Conflits enracinés dans l’imaginaire autant que liés aux engagements historiques (récents ou anciens) : Occupation, Front populaire, séparation de l’Église et de l’État, 1851, Révolution… Il est vrai que derrière l’enjeu d’une « appropriation de la commune » par un maire d’une certaine « couleur » politique se profile la continuité de l’appartenance du village à une histoire locale cohérente, et son basculement remet en question l’identité même à laquelle les habitants sont attachés. C’est pourquoi, au-delà du choix électoral individuel, se situe l’image du village, qui fut pour certains d’abord situé en haut de la colline, là où l’on trouve toujours le cercle des Blancs ou des Anciens, alors que pour d’autres elle se vit là où les Rouges ou les Jeunes venus après eux se sont installés, où se trouvent leur « cercle », les travailleurs, leur coopérative : en bas.
D’ailleurs, dans cette dialectique qui puise dans un culte unanime des Anciens (même les Jeunes ont leurs Anciens), chacun obéit et se subordonne à son mythe politique fondateur, tout en le transmutant en pouvoir par le biais d’un puissant esprit de liberté. Rappelons le passage d’un discours de Fabre d’Églantine le 3 brumaire an II [Le Moniteur, 18 : 683] qui met en relief la place de l’imaginaire, même si le terme est absent : « Il faut se saisir de l’imagination des hommes pour la gouverner. » Le prolongement du capital symbolique en tant que légitimité traditionnelle, on le retrouve encore dans les monographies, qu’elles soient écrites par un « bord » ou par un autre. C’est bien dans l’écriture de son histoire, qu’on peut (ou pas) s’identifier et cristalliser l’imaginaire, aussi bien que dans la guerre des noms de rues ou dans le choix des journaux, des écoles… La délimitation de l’espace du politique passe même par les proverbes. Ainsi, à Aubagne, la règle du jeu est claire : « Un cop, cadun, maire d’Aubagno » et ce goût bien méridional pour le jeu se retrouve dans les jeux de cartes, le jeu de boules, la chasse ou le jeu de ballon.
Ces pratiques ne sont pas innocentes : sont-elles initiation ou jeu politique ? On l’a vu, enfermer uniquement la politique du village dans des luttes électorales serait réducteur. Il semble à la fois que le cercle constitue une sorte de « forum intérieur » où les élections se préparent selon des critères ne coïncidant pas nécessairement avec ceux de la nation ; et que le jeu politique relève d’une mentalité globale régulant la vie quotidienne dont la dimension rituelle est importante. La culture dite « traditionnelle » peut éventuellement confirmer ces recherches. La Pastorale (pièce de théâtre en langue d’oc régulièrement jouée à Noël) met en scène une communauté villageoise réconciliée autour de la naissance de l’Enfant Jésus. D’une certaine manière, elle se fait l’écho utopique d’un village idéal, impossible à concevoir. Cette mise en « abyme » via La Pastorale est d’autant plus savoureuse qu’elle est souvent représentée par et dans un cercle.
Enfin, la longue durée montre combien, dès le xive siècle, la confrérie du Saint-Esprit est à la source de la notion de communauté d’habitants [Baudot, 1984 : 235-244]. Celle-ci possédait déjà un grenier, produisait son vin et établissait ses réunions dans la chapelle.
Soulignons que fréquemment le capitaine de bravade ou l’abbé de la jeunesse, sinon le recteur de la confrérie, est un consul. Là encore, on retrouve le lien discret entre espace festif et espace politique.
Maillon essentiel dans la transmission du pouvoir et du savoir politique, le cercle, par le rôle qu’il accorde au rituel, et surtout par son caractère de propriété indivise entre les membres qui garantit l’égalité entre eux, montre qu’il existe un lien entre les modes de transmission du patrimoine en général et du patrimoine symbolique auquel participe le politique. Ainsi, on rejoint Marie Cuillerai et Marc Abélès : « Individus et groupes produisent leurs propres paysages, les ethnoscapes, eu égard à leurs propres origines et aux avatars qu’ils subissent. La notion de paysage est elle-même ambiguë : elle connote tout à la fois l’extérieur, le monde tel qu’il nous apparaît, mais tout autant l’intériorité, la représentation que nous portons en nous » [2002 : 17]. Mais le cercle peut aussi s’interpréter en tant que théâtre, espace, où le fait politique est dédramatisé par sa mise en scène. Ou bien encore être vu comme synthèse relativement réussie de la vie privée et de la vie publique, puisque c’est dans cet espace privé qu’on débat de la vie politique. Enfin, on a déjà indiqué [Chabert, 1991] combien les pratiques provençales (tout au moins pour ce qui est de la sociabilité) présentaient d’affinités avec notre voisin italien. Il est clair que les cercles socialistes, tant à Florence (« Circolo arci ») que dans le nord de l’Italie avec « Forza Italia » (mouvement politique de droite) autour de Silvio Berlusconi, y sont puissamment organisés. Ainsi lit-on dans le journal Le Monde [2003] : « Forza Italia est pourtant devenue aujourd’hui une formation solidement enracinée grâce aux liens noués avec les cercles et les associations professionnelles. » ?
Le Cercle Républicain du 21 Septembre, une institution dont l'histoire se confond avec celle du village, est, de ce fait, un intéressant reflet de l'évolution de la société zacharienne, depuis sa fondation en 1882 jusqu'à nos jours. Jean-Claude Haingue, président de l'association "Rencontres de Mémoires", historien amateur particulièrement consciencieux, a plongé dans les archives disponibles pour en extraire l'histoire très fouillée de l'association la plus vieille du village, née de la volonté républicaine de quelques villageois désireux de marquer leur opposition à la restauration éventuelle de la monarchie ou d'un nouvel empire bonapartiste. La date choisie du 21 septembre, tout un symbole, est celle du 21 septembre 1792, date d'abrogation de la royauté par l'Assemblée nationale. Pour rendre plus vivant son discours, Jean-Claude Haingue s'est appuyé sur un diaporama dont certaines images ont réveillé des souvenirs parmi le nombreux public présent dans la grande salle du Cercle, adhérents et curieux mélangés. Le conférencier est remonté au début du 19e siècle qui a vu apparaître les premiers cercles en Provence, 768 en 1843, fréquentés en majorité par une élite bourgeoise.
Les cafés et cabarets étant jugés trop bruyants et malfamés, les cercles attirent du monde, et, si officiellement, on n'y fait pas de politique, on tente d'y instaurer "l'espérance d'une société plus juste, débarrassée du dogme de l'Église et des préjugés sociaux". Le Cercle zacharien a d'ailleurs inscrit dans l'article premier de ses statuts : "... Épris de justice, ils (les membres) proclament leur attachement indéfectible aux droits de l'Homme et à toutes les valeurs démocratiques, en particulier celles de progrès, de tolérance et de laïcité". Il est intéressant de constater qu'en 1881, Saint-Zacharie compte 1669 habitants, en majorité agriculteurs, 381, pour 90 personnes employées dans les ateliers de céramique et les tuileries et 70 journaliers. En 1911, sur 1702 habitants, il ne reste plus que 153 agriculteurs, pour 177 travailleurs dans la céramique et 111 journaliers. On constate immédiatement le sens de l'évolution sociale. On ne connaît pas exactement les différents locaux utilisés par l'association, mais les archives nous apprennent que le local actuel, cours Louis-Blanc, en est le siège depuis 1901, l'association s'en portant acquéreur en 1920. À partir de 1892, année de la création, à St-Zacharie, du premier syndicat des ouvriers potiers, le destin du Cercle est très lié à celui des ouvriers de la céramique.
Le nombre de cercles n'a cessé de se réduire dans le Var
Jean-Claude Haingue a abordé un sujet très à la mode, la présence des femmes dans l'association, notant que "jusqu'en 1960, la fréquentation est restée exclusivement masculine", et aujourd'hui, c'est une femme, Denise Paolini, qui préside le Cercle. Un Cercle qui est un lieu de solidarité, assistance aux membres malades, accompagnement des convois funéraires des membres décédés, mais c'est aussi un lieu de culture. L'Harmonie du 21 Septembre a compté jusqu'à 58 musiciens entre 1910 et sa dissolution en 1970. L'originalité et la beauté de ses locaux, faïences et céramiques, a attiré les productions télévisuelles qui ont tourné téléfilms et séries pour le petit écran.
Aujourd'hui, le nombre de cercles n'a cessé de se réduire dans le Var depuis la fin de la Première Guerre mondiale, un déclin général du "aux profondes mutations qu'ont subi les échanges d'informations". Jean-Claude Haingue poursuit : "Soucieux de conserver au Cercle son rôle de lieu de rencontre, de détente et de loisirs, on voit que les dirigeants font preuve d'imagination pour conserver le même niveau de fréquentation. Mais notre société a beaucoup changé, il n'est plus nécessaire de se déplacer ou de se rencontrer pour être informé. Désormais, l'information arrive dans les foyers par la télévision, et non plus par le Cercle. Le téléphone relie les maisons et le portable met en contact les individus."
Or, "le Larousse nous apprend qu'une personne sociable recherche la compagnie de ses semblables. C'est donc clairement aujourd'hui, une qualité en voie de disparition. Et pourtant, pousser la porte du Cercle pour y prendre un verre entre amis, c'est plonger dans le passé des hommes de St Zacharie, et c'est aussi mettre un pied dans un cercle de convivialité". Il a conclu sa conférence en donnant son avis sur les conditions de survie de cette institution indissociable de la société zacharienne : "Compte tenu des coûts de fonctionnement d'une telle structure, le Cercle ne peut survivre que s'il maintient ou augmente le chiffre actuel de ses adhérents, que la fréquentation de son bar reste stable, et que l'aide de la commune soit maintenue. La part des ressources provenant des soirées dans le budget doit se maintenir au niveau actuel, faute de quoi l'équilibre se révélera impossible, et le Cercle disparaîtra".
Les cercles, jadis bouillonnants d’idées et de fraternité, foisonnaient dans le Var. Si presque tous ont disparu, celui du 24 février 1848 du Beausset perdure, témoin d’une époque où les débats enflammés façonnaient les villages.
Autrefois, dans le Var, les cercles étaient des hauts lieux d’échanges, de débats, de respect, de tolérance et de fraternité. Des espaces privilégiés où les villageois se réunissaient pour discuter de sujets divers, « reflétant ainsi l’esprit frondeur et contestataire du Français en général ...
Créé le 21 septembre 1882, le Cercle Républicain du 21 septembre
fut financé conjointement par les syndicats de céramiste et les industriels.
Il doit son nom au 21 septembre 1792, le lendemain de la victoire de Valmy, jour de la proclamation de la 1ère république.
Il est fondé en 1882 par autorisation de l’administration préfectorale.
Le cercle sera le siège du syndicat de la céramique et de la société de secours mutuel jusqu’au 1er janvier 1911, date de la création de la bourse du travail.
On peut y voir de superbes céramiques, fresques, carrelages et arabesques, tous témoins du passé industriel prestigieux de la commune.
Aujourd'hui siège de l'association du même nom, il accueille de nombreuses manifestations.
Le réseau 4G est quasi inexistant, mais la cloche carillonne à plein tube.
Sur la place du hameau, une centaine d’habitants et d’invités sont réunis devant la chapelle Notre Dame de Bon Repos, vieille de 385 ans.
"C’est la tradition, avec la messe du réveillon de Noël et la fête de Marie en septembre", explique Stéphane Leteinturier, 52 ans, président de l’association du hameau.
"Les Pomets, c’est perdu"
Les habitants de ce hameau se sont rassemblés, lundi, sur la place de l’église pour célébrer la Pentecôte. Photo Camille Dodet.
Le lieu doit son nom à la première famille venue s’y installer, en 1366. Des maraîchers, qui sont ensuite partis en ville pour vendre leurs produits, et ont d’ailleurs donné leur nom à une rue du vieux Toulon.
Depuis, rien n’a changé, ou presque, selon les habitants: "Avant on écrivait le nom de la personne et "hameau des Pomets, Toulon". Mais sur place, c’est arrivé que les pompiers ne trouvent pas une adresse, ou que les livreurs se trompent de porte. Du coup, la numérotation et les noms des rues sont apparus... il y a deux ans."
Sur les plans cadastraux, les rues, dont certaines auraient besoin d’être (re)goudronnées, appartiennent au hameau des Pontets, pas à la Ville, ni aux propriétaires.
"On n’intervient pas sur la chaussée car c’est un chemin privé", reconnaît Manon Fortias, élue municipale. Du coup, chaque habitant participe à l’entretien des ruelles escarpées, aux recoins fleuris, qui serpentent entre les maisons provençales en pierre, les façades ocre et les volets bleus. Et pour faire vivre l’association, chacune des 24 familles verse une cotisation de 25 euros.
Au pied du Baou, 87 personnes ont élu domicile dans ce coin retiré. Un bout de campagne à 7km du centre de Toulon, accessible uniquement par la route départementale 62, fréquentée par les cyclistes, en direction du Mont Caume. Le premier arrêt de bus est à 1,5km et les commerces à 2,5km. "Les Pomets, c’est perdu", résume un riverain.
La plupart des habitants sont des Toulonnais, qui ont hérité d’une maison de famille. Comme Gaëlle Cojean, 47 ans, qui anime les réseaux sociaux du hameau: "Je suis née et j’ai grandi dans la maison de ma grand-mère. Ici tout est calme, et les enfants peuvent jouer sur la place et aller de maison en maison".
La fibre, mais pas de bus
De nouveaux arrivants ont aussi eu le "coup de cœur" pour cet endroit et ont décidé de s’y installer. Devant la fontaine du village, Julie Cagnon, 35 ans, discute avec ses voisines.
"On a découvert les Pomets en rendant visite à des amis. Au début, c’était compliqué pour nous trouver, mais maintenant on arrive à se faire livrer des sushis à la maison", sourit cette mère de famille. Depuis deux ans, le hameau est aussi équipé de la fibre, "ce qui permet de télétravailler", apprécie la responsable d’assurance.
Signe de ce rajeunissement, la chapelle a accueilli, au cours des cinq dernières années, un enterrement, certes, mais aussi un mariage et trois baptêmes. Au total, treize enfants vivent au hameau.
"On espère enfin avoir un bus, c’est important pour les écoles", demande Priscilla Barthélémy, installée avec sa famille dans une maison du village depuis trois ans.
Réponse de Valérie Mondone, l’élue municipale présente à la cérémonie: "Madame la maire est favorable à une expérimentation, le dossier est en cours d’étude entre la Métropole et le nouveau réseau de transport (la RATP, ndlr)". En attendant, les familles s’entraident et s’organisent pour les déplacements.
À 11h30, les deux curés ont dit le bénédicité. La procession peut commencer. Parmi les porteurs, Ghyslain Battesti, 46 ans, cadre de santé, arrivé en 2013.
Ce père de deux enfants, qui a grandi "en appartement dans une cité", apprécie particulièrement les "balades dans la colline" et "jouer au ballon" sur la place de l’église avec son fils.
La Coupo Santo annonce la suite des festivités: apéritif, suivi d’une paella pour 70 personnes, tombola et tournoi de pétanque. Sous le barnum, on discute d’une maisonnette rénovée de 46m2 sur trois niveaux, à vendre 216.000 euros.
Le prix à payer, pour faire partie de la joyeuse bande des Pomets.
Dos d’âne, coussins berlinois, plateaux traversants... Le débat sur la conformité des ralentisseurs routiers n’en finit plus d’occuper la justice administrative qui, invitée par le Conseil d’État à réexaminer la situation dans le Var, vient de rendre un avis qui pourrait faire jurisprudence à l’échelle nationale.
Dans un litige qui oppose depuis des années l’association "Pour une mobilité sereine et durable" (PUMSD) au conseil départemental du Var, la cour administrative d’appel de Marseille estime que tous les types de ralentisseurs doivent être soumis à la même réglementation.
Jusque-là, une distinction était admise entre les "ralentisseurs trapézoïdaux" et, entre autres, les "plateaux traversants" quand bien même ces derniers ont une forme... trapézoïdale!
Les premiers sont régis par un décret du 27 mai 1994 et les autres sont conçus selon des modalités - sans valeur juridique - édictées par un service technique ministériel*, arguait le Département. Un vrai casse-tête juridique.
Une norme non contraignante
Seul le décret du 27 mai 1994 a une valeur réglementaire, a tranché la cour donnant raison à PUMSD. L’association s’appuyait sur cet argument pour mettre en cause la conformité de plusieurs dizaines de ralentisseurs posés sur les routes du Var. Et de réclamer leur suppression ou leur mise aux normes.
Mais quelles normes? Dans son arrêt, la cour administrative partage là encore l’avis de PUMSD, selon laquelle le décret du 27 mai 1994 fait - implicitement - référence à la norme "Afnor NF P 98‑300". Cette fiche technique fixe les modalités de réalisation des ralentisseurs routiers, notamment leurs dimensions.
Pour autant, les juges administratifs ont débouté l’association de ses demandes au motif que ladite norme Afnor n’a pas été formellement rendue obligatoire.
Il faudrait qu’un arrêté ministériel complète le décret de 1994, et qu’en outre la fiche technique soit consultable sur le site de l’Afnor gratuitement (ce qui n’est pas le cas).
Intérêt général
En l’état, selon le raisonnement de la cour, l’application de la norme Afnor relève donc seulement du volontariat. Il faut donc s’en remettre aux seuls éléments - explicitement - contraignants du décret du 27 mai 1994, limités aux "règles d’implantation": distances entre les ralentisseurs, densité du trafic, déclivité des voies, etc. Rien sur les dimensions.
"Les requérants ne justifient pas que [ces] règles d’implantation (...) seraient méconnues dans des conditions telles que la suppression de chacun de ces ouvrages n’entraînerait pas une atteinte excessive à l’intérêt général", enfonce le jugement.
"Les intéressés n’établissent pas davantage, par leurs allégations très générales, que ces ouvrages présenteraient des inconvénients tenant à des nuisances sonores (...) ainsi qu’à une augmentation de la pollution (...) d’une intensité qui justifierait qu’il soit procédé à la démolition de chacun d’entre eux."
Dans un communiqué, l’association a annoncé son intention de former un nouveau pourvoi devant le Conseil d’État, "en gardant toujours pour objectif de rendre les routes plus sûres et plus durables". Le débat n’est donc pas encore totalement clos.
*Le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) qui dépend du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires.
Par Laurent Sagalovitsch - 10 mai 2024
D'emblée, avec un titre pareil, cela sent le papier de vieux con. Voire même de très vieux con, si ce n'est de très vieux très con. Il n'empêche, par son aura, sa popularité ou son influence, Taylor Swift pourrait souffrir d'être comparée à Bob Dylan. Évidemment, les styles musicaux sont différents, les époques aussi, mais dans cette manière que les deux chanteurs ont d'endosser les rêves et les aspirations de la jeunesse de leur temps, leurs trajectoires peuvent être mises en parallèle.
Bob Dylan a incarné les années 1960 comme Taylor Swift incarne les années d'aujourd'hui. Même effervescence, même omniprésence, même capacité à fédérer autour de leur personnage des foules considérables voire monstrueuses. Bob Dylan parlait à l'Amérique comme Taylor Swift parle à l'Amérique d'aujourd'hui. Avec cette même ferveur qui finit par déborder le simple cadre musical pour devenir un phénomène de société, l'objet de toutes les curiosités.
Chaque conférence de presse de Bob Dylan était scrutée à la loupe comme chaque publication de Taylor Swift sur les réseaux sociaux l'est désormais. Bob Dylan a été le porte-parole, l'oracle d'une jeunesse américaine qui prenait conscience que leur pays était loin de correspondre à l'image que l'on s'en faisait. Taylor Swift parle et incarne une Amérique qui a renoncé à tout exercice intellectuel si ce n'est de s'indigner (à juste titre) des violences commises envers les minorités.
Bob Dylan était un génie littéraire. Taylor Swift est une femme d'affaires incomparablement douée pour faire fructifier sa marque et, à travers ce glissement, cet éboulement même, on voit bien comment en l'espace d'un demi-siècle, nous sommes passés d'une société qui parvenait encore à réfléchir par elle-même à une sorte de marchandisation tous azimuts où la forme a définitivement pris le pas sur le fond.
C'est vrai en musique comme au cinéma. Songez que lorsque Manhattan de Woody Allen est sorti en 1979, il est resté trois semaines en tête du box-office… Oui, je sais, moi aussi j'ai failli en tomber de ma chaise! Trois semaines pour un film où, entre deux scènes de séduction amoureuse, on passait son temps à parler de Flaubert, de Mahler, de Bergman, de Norman Mailer, de psychanalyse, de mort, autant dire de thèmes et de sujets qui seraient aujourd'hui inaudibles voire incompréhensibles pour l'immense majorité de la population. Quel fabuleux décrochage!
Bob Dylan était un poète qui transcendait le langage pour fixer les vertiges de son époque, un troubadour shakespearien, là où Taylor Swift, malgré son indéniable talent, demeure une chanteuse certes pétillante, certes pétulante, certes douée comme personne pour habiter une scène de spectacle, mais bien trop occupée à faire prospérer son entreprise pour être autre chose qu'une marque destinée à plaire au plus grand nombre.
On ne peut pas le lui reprocher, elle est l'enfant d'une époque qui a sombré dans une aphasie culturelle si profonde qu'elle semble être en état de mort cérébrale. Elle a coupé tout lien avec l'écrit au point où une simple phrase qui prétendrait s'écrire sur plus d'une ligne provoquerait un passage aux urgences pour ceux qui se risqueraient à la comprendre. L'époque a l'intelligence d'un tweet, d'une story sur Instagram ou Facebook, d'un clip sur TikTok, un ramassis de banalités aussi revigorant à parcourir que la notice d'utilisation d'une crème hémorroïdaire.
Et nous n'avons encore rien vu. Quand l'intelligence artificielle aura fini de conquérir tous les champs de la pensée, l'humanité sera devenue un espèce de ventre, un cloaque fabuleux de bêtise, où à force d'ingurgiter inepties sur inepties, son intelligence intuitive, sa compréhension du monde et de ses enjeux, ne dépassera pas celle d'un moineau atteint de constipation.
Nul doute que dans les temps à venir, le règne de Taylor Swift dépassera toute mesure. Rouée et intelligente comme elle l'est, elle s'adaptera aux transformations de son époque et continuera à enchanter une Amérique retombée en enfance. Elle quittera son footballeur américain pour se pâmer entre les bras du fils d'Elon Musk, enfin s'il existe. Tous deux posséderont la moitié des richesses mondiales et passeront leur week-end sur la Lune. Ou sur Mars.
Moi, fort heureusement, comme Bob Dylan, je serai mort depuis bien longtemps.
C'est donc de mon cercueil que j'assisterai à la cérémonie de remise du prix Nobel de littérature de l'an 2068, décerné à Taylor Swift pour son œuvre qui aura marqué, selon le communiqué de l'académie suédoise, «l'empreinte d'un esprit qui sans cesse aura cherché à conquérir de nouveaux espaces littéraires par l'entremise d'une langue accrocheuse et râpeuse, porteuse d'une humanité bienveillante et aimante».
Au secours!!!!
Le bruit, c'est un peu comme les enfants ou les pets: on ne supporte que les siens. (Pardon, mais c'est Pierre Desproges qui le disait, à moins que ce ne soit Frédéric Dard.) Les moteurs de motos ou de voitures qui se mettent soudain à vrombir dans l'espace public sont insupportables. Et ce problème souvent très masculin a d'ailleurs fini par intéresser la communauté scientifique.
Basée à l'Université Western Ontario (sud-est du Canada), la psychologue Julie Aitken Schermer s'est livrée à une étude fondée sur un demi-millier de personnes, afin de déterminer ce que pouvait bien signifier le rapport de certains d'entre nous vis-à-vis des véhicules qu'ils possèdent (ou pourraient posséder) et notamment de leurs bruits. La conclusion n'est pas piquée des hannetons.
«Comme les modifications du pot d'échappement dérangent les gens et les animaux, et puisqu'elles sont illégales dans certaines juridictions, comprendre qui sont ceux qui veulent que leur véhicule fasse du bruit est un sujet de recherche intéressant», écrit la chercheuse pour le magazine Psychology Today.
Or, il se trouve que, comme nous l'apprend le média en ligne ScienceAlert, les personnes qui rêvent de faire pétarader leur engin (qu'elles le fassent réellement ou non) présentent fréquemment de hauts niveaux de sadisme et de psychopathie.
Pour parvenir à ses fins, Julie Aitken Schermer a interrogé 529 étudiants en commerce, dont 52% d'hommes, à propos de leur rapport à leur voiture. Les questions portaient aussi bien sur le bruit des véhicules que sur leur lien affectif avec leur voiture, ainsi que sur les éventuelles modifications de pots d'échappement effectuées.
Ensuite, les cobayes ont été invités à répondre au Short Dark Tetrad, un test destiné à détecter leur part sombre. Machiavélisme, narcissisme, psychopathie, sadisme, absence d'empathie: de nombreux critères ont été passés au crible. La mise en parallèle des résultats des deux parties de l'expérience a permis d'accoucher de résultats saisissants.
Ceux-ci ont permis d'établir que de forts degrés de sadisme et de psychopathie sont liés au fait «de vouloir modifier son pot d'échappement, de se sentir connecté à son véhicule et de penser que les voitures bruyantes sont vraiment cool, explique Julie Aitken Schermer au média audiovisuel canadien CBC News/Radio-Canada. Cela témoigne d'un mépris et d'un manque de sensibilité à l'égard des autres personnes et de ce qu'elles ressentent.»
D'après ses résultats, les hommes sont également bien plus nombreux à vouloir rendre leur voiture plus bruyante et à être prêts à trafiquer leur pot afin de monter dans les décibels.
À première vue, on ne comprend rien. C’est illisible. Une écriture cursive, des graphies particulières et des termes de l’époque. Bienvenue dans les manuscrits de la Nouvelle-France! Tous les historiens et les généalogistes vous le diront : plonger dans les documents de cette période est une grande source de frustration parce que déchiffrer et transcrire le contenu de ces écrits est exigeant et demande un temps fou.
On estime qu’il y a environ 1,5 million de pages relatives aux archives de la Nouvelle-France dans le seul réseau de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BANQ), souligne Rénald Lessard, spécialiste de la Nouvelle-France et archiviste coordonnateur au sein de la vénérable institution québécoise.
C'est le bloc d'archives le plus important sur le premier empire colonial français en dehors de la France.
Une partie de ces documents originaux a été numérisée et mise en ligne par BANQ. Bien qu’un court texte résume le contenu de ces documents, on est encore loin d’une transcription complète et détaillée de chacune de ces pages. En conséquence, une grande partie des archives de la Nouvelle-France ont été vues, mais elles n’ont pas nécessairement été lues.
Maxime Gohier codirige avec son collègue Léon Robichaud le projet Nouvelle-France numérique. Tous deux professeurs d’histoire, l’un à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), l’autre à l’Université de Sherbrooke, ils rêvaient depuis longtemps d’un outil qui permettrait de mettre en parallèle des documents d’archives et leur transcription, tout en ayant la possibilité de les partager.
"Je fouillais sur Internet, puis à un moment donné, je tombe sur le site web de Transkribus", se rappelle Maxime Gohier. Transkribus est un nouveau logiciel développé en Autriche par la coopérative Read. Le système met à profit des techniques d’apprentissage profond et d’intelligence artificielle pour transcrire des séries de documents anciens.
Je venais de découvrir un peu le Saint-Graal que les historiens cherchent.
Le logiciel permet d’accéder à des modèles génériques de reconnaissance et de transcription de manuscrits, mais il permet aussi de développer des modèles plus spécifiques pour la transcription de textes particuliers, comme ceux de la Nouvelle-France.
Des historiens, des professeurs, des étudiants et des généalogistes spécialisés en paléographie ont graduellement corrigé les épreuves du logiciel pour lui apprendre à reconnaître des graphies particulières, des lettres, des nombres, des abréviations ou des termes de l’époque.
Au projet Nouvelle-France numérique se greffe un projet de science participative. Pierre Dubois a cofondé avec André Morel les Gardenotes, un regroupement de paléographes fascinés par les documents anciens.
Ce sont, pour la plupart, des généalogistes qui ont développé une grande aptitude à lire des documents manuscrits de l’époque. Grâce à leur expertise et à leur participation bénévole à l’entraînement des modèles, la performance de lecture du logiciel de transcription s’améliore.
On arrive avec un taux d’erreur de 5 % environ. C'est spectaculaire! Même nous, on n'y croyait pas au départ.
Une fois que la capacité de transcription du modèle est optimisée, à l’aide d’environ 200 pages d’entraînement, on peut lui soumettre des milliers de pages du même auteur avant que la transcription complète ne s'effectue en un clin d'œil.
"C’est là qu'on tombe dans la haute performance. Un notaire a pu laisser un greffe de 15 000 à 20 000 pages qu'on peut transcrire à 5 % d'erreurs. C'est extraordinaire!", s’exclame le professeur Maxime Gohier.
Des personnages oubliés
Avec la transcription de milliers de pages vient la capacité de réaliser des recherches dans les textes et de redécouvrir des morceaux de la grande et de la petite histoire de la Nouvelle-France, de voir surgir des personnages oubliés de l’histoire.
"Ça change tout. La vieille méthode de travail est complètement révolutionnée", s’enthousiasme Dominique Deslandres, professeure d’histoire à l’Université de Montréal.
Elle s’intéresse aux documents du premier tribunal de Montréal. Elle est à la recherche de femmes et d’esclaves dans les procès civils et criminels. À sa grande surprise, elle a découvert, dans le premier registre d’audience, une certaine Marie Pournin, étroite collaboratrice de Jeanne Mance à l’Hôtel-Dieu.
"En Nouvelle-France, il n'y avait pas d'avocat, les gens se représentaient eux-mêmes. La personne est interrogée, elle explique toutes sortes de choses. Donc, on voit et on entend des personnes qui n'ont laissé aucune autre trace que celle-là dans les archives", ajoute Dominique Deslandres.
Accéder à cette masse de documents manuscrits ouvre aussi la voie à de nouvelles recherches, plus pointues, qui seraient impossibles à réaliser à moins de lire ces documents, page par page.
"Ça va nous permettre de travailler plus en profondeur sur des individus, des lieux, des sujets, parfois plus terre à terre, comme la présence de chiens en Nouvelle-France, des choses qui passent sous le radar en temps normal. Les possibilités sont énormes", renchérit Rénald Lessard de BANQ.
Le grand public aura-t-il bientôt accès à ces transcriptions des archives de la Nouvelle-France? Le projet reste à venir. D'abord, il y a un coût lié à l'utilisation de la technologie, rappelle Maxime Gohier, mais c'est également une question de propriété d'images. Certaines sont publiques, d’autres sont privées et, bien que plusieurs soient prêts à les transmettre, il reste encore du travail à faire de ce côté-là.
Comme l’histoire de la plupart des courants politiques, celle du trotskisme est faite de dissensions, conduisant parfois à la naissance de factions emmenées par des leaders plus ou moins charismatiques ou singuliers. Mais parmi elles, il en est une qui dénote particulièrement : le posadisme.
Par Patrick Marcolini. Texte publié dans Brasero N° 1 (2021). Revue annuelle éditée par les Éditions de L’Échappée
Fondée par Homero Cristalli, alias J. Posadas (1912-1981), celle-ci s’est notamment fait connaître par la publication en 1968 d’un texte au titre baroque : Les Soucoupes volantes, le processus de la matière et de l’énergie, la science et le socialisme. Posadas y affirmait non seulement que les ovnis étaient bien des vaisseaux spatiaux conduits par des extraterrestres, mais que ces habitants d’une autre planète étaient nécessairement parvenus au stade du communisme défini par Marx.
En effet, seule une civilisation communiste, parvenue à un haut degré de développement scientifique et d’harmonisation des rapports sociaux, était en mesure de trouver les moyens techniques de traverser l’Univers pour venir observer l’espèce humaine sur Terre. Cet essai, qui n’était au départ qu’une mise au point dans un débat interne, a pourtant connu une diffusion internationale, alimentant même la légende du posadisme comme « secte trotskiste ovni ».
Mais comme l’a rappelé récemment une longue enquête du journaliste A. M. Gittlitz*, avant de se faire connaître pour ses positions loufoques sur les soucoupes volantes, le posadisme a joué un rôle non négligeable dans l’histoire des conflits sociaux et politiques en Amérique latine. Après une enfance marquée par la misère et une courte carrière de footballeur, Homero Cristalli, qui était issu de la classe ouvrière de Buenos Aires, avait multiplié dans les années 1930 les petits boulots de travailleur manuel.
D’abord jeune militant socialiste, il avait fini par rejoindre les trotskistes, qui à l’époque ne formaient encore qu’un mouvement embryonnaire. S’étant vu confier la tâche d’implanter les idées de Trotski dans le prolétariat par le biais de l’action syndicale, celui qui prend alors le pseudonyme de J. Posadas se distingue par ses talents d’organisateur, et devient à partir de 1947 l’une des figures centrales du trotskisme argentin. Cette année-là, il fonde en effet le POR (T) – pour Parti ouvrier révolutionnaire (trotskiste) – ainsi que le GCI, Grupo Cuarta Internacional, dont le nom définit clairement l’ambition : se faire reconnaître officiellement comme la section argentine de la IVe Internationale, créée neuf ans plus tôt par Trotski pour fédérer les militants bolchéviques opposés au pouvoir de Staline, et reconstituer une avant-garde révolutionnaire à l’échelle mondiale.
Cette reconnaissance par la IVe Internationale sera chose faite en 1951, lors du troisième congrès de l’organisation, qui réunit 74 délégués de 25 pays. Posadas se voit même nommé par ses camarades secrétaire du Bureau latino-américain (BLA), qui a pour mission de développer des sections trotskistes sur tout le sous-continent. Son rôle dans les années 1950-1960 est ainsi de première importance. Par exemple, c’est lui qui supervise la création à Cuba, en pleine révolution, d’une déclinaison locale du POR (T) qui rencontrera la sympathie de Che Guevara, avant d’être éliminée par un Fidel Castro aligné sur les positions soviétiques. Mais son influence est aussi notable au Guatemala du côté du MR-13 (Movimiento Rebelde 13 de Noviembre), une rébellion militaire de gauche menant la guérilla contre l’impérialisme américain, et soutenue par les étudiants et de larges fractions de la classe ouvrière – Gittlitz rappelle ainsi que Posadas était « devenu la figure de proue idéologique des rebelles du MR-13, les poussant à former des conseils paysans révolutionnaires armés partout où ils le pouvaient »**.
Entre-temps, les positions de Posadas et de ses partisans, convaincus que l’effort militant devait se concentrer sur l’Amérique latine comme épicentre de la révolution mondiale à venir, avaient toutefois rencontré l’opposition du reste de la IVe Internationale, si bien que le BLA avait fait scission en 1962 pour se transformer en… « Quatrième Internationale Posadiste ». Celle-ci, qui comptait aussi dans ses troupes plusieurs petits partis trotskistes européens, a d’ailleurs maintenu son existence jusqu’à aujourd’hui, et ce malgré la disparition de son fondateur en 1981.
Posadas n’était donc pas tout à fait le premier hurluberlu venu. Il n’en reste pas moins que les déclarations contenues dans son fameux texte sur les soucoupes volantes sont particulièrement insolites. Dans le détail, Posadas y affirme trois choses. D’une part, il est possible d’extraire directement l’énergie de la matière et de l’exploiter à l’infini, et cela même si les humains, dont les recherches scientifiques sont limitées par les courtes vues de la bourgeoisie, n’y sont pas encore parvenus. D’ailleurs, veut croire Posadas, « un jour, l’énergie viendra de l’air ».
D’autre part, la vie existe probablement dans d’autres systèmes solaires, et des entités intelligentes ont pu y développer les connaissances nécessaires à cette exploitation de l’énergie partout répandue. Par ce biais, elles ont pu réussir à « éliminer toutes les préoccupations dues aux problèmes de la faim et de la lutte de classes », et sont donc passées au communisme. Enfin, comme elles ne sont pas soumises à notre conception du temps – puisque « le temps a été et est une notion acquise par la société divisée en classes » –, traverser l’Univers jusqu’à nous ne leur a posé aucun problème, d’autant qu’elles maîtrisent toutes les technologies pour ce faire. Et voilà donc expliquées les apparitions d’ovnis dans de nombreux pays.
Posadas en tire des conclusions dont la naïveté amuse souvent : « Si des êtres d’autres planètes nous regardent, ils doivent dire avec étonnement : « Oh ! Ils se battent pour une auto, ils se tirent dessus, ils se tuent ! » » Mais d’autres commentaires, relevant de spéculations plus bizarres, contribuent à donner à son texte un style déroutant qui l’apparente à la tradition des « fous littéraires » recensés par Raymond Queneau et André Blavier.
Ainsi Posadas émet-il l’hypothèse que les extraterrestres soient en mesure de modifier la matière à volonté, par une sorte de télékinésie : « Ils peuvent le faire s’ils dominent la science, tout comme ici on peut déplacer des montagnes. Mao Tse Toung dit qu’il faut le faire avec une pelle et une pioche. Ces êtres-là le font en mettant en action l’énergie de la montagne […]. »
Lorsqu’on feuillette les écrits de Posadas datant des années 1960-1970, on se rend compte que ses spéculations portaient en fait bien au-delà de la question extraterrestre, dans des directions à vrai dire inattendues. Il défendait ainsi l’idée selon laquelle la troisième guerre mondiale et l’apocalypse nucléaire étaient inévitables – mais cet événement était à ses yeux un passage obligé vers le socialisme : en dépit de la destruction de la moitié de l’humanité, il signifierait aussi l’annihilation du capitalisme… Autre exemple, cette prophétie de 1978 : sous le socialisme, « l’humanité fera des expériences pour se gagner les animaux dits « sauvages » et ceux-ci cesseront de l’être. Certaines espèces animales disparaîtront encore comme d’autres dans le passé, comme ce fut le cas des mammouths. […] Les êtres humains se préoccuperont dans le futur d’avoir des relations harmonieuses avec les animaux. »
On n’est guère loin des rêveries de Charles Fourier, ce précurseur du socialisme qui annonçait que dans la société de l’avenir, les bêtes inutiles ou nuisibles seraient remplacées par leur « contre-moule », au lion se substituant par exemple « l’anti-lion », « superbe et docile quadrupède », permettant à un cavalier de faire le trajet Bruxelles-Marseille dans la journée.
À la toute fin de sa vie, Posadas s’intéressera également aux expériences du chercheur soviétique Igor Charkovsky sur l’accouchement dans l’eau : celui-ci avait observé le rôle apaisant des dauphins lorsque ceux-ci sont présents auprès des femmes enceintes au moment de la parturition. Posadas en tirera des conclusions optimistes sur la communication entre l’homme et l’animal, imaginant qu’à l’avenir les dauphins pourraient vivre dans des piscines à côté de chaque famille humaine, comme des sortes d’animaux domestiques. C’était tout à fait le genre d’idées qui allait contribuer à populariser le posadisme auprès des amateurs de bizarreries, à l’image de Matthew Salisbury, auteur de l’article aujourd’hui devenu culte qui fit connaître Posadas aux lecteurs de la revue Fortean Times, consacrée au paranormal et aux phénomènes étranges
Selon Gittlitz, le véritable responsable des extrapolations posadistes sur les ovnis comme artefacts d’un communisme extraterrestre n’était pas tant Posadas lui-même qu’un de ses plus proches camarades, Dante Minazzoli, cofondateur avec lui du GCI. Fasciné par la science-fiction et la question de la vie sur les autres planètes, celui-ci mit ce sujet sur la table dans les années 1960, lors d’une discussion interne au mouvement posadiste concernant l’application du marxisme aux sciences naturelles. On ne peut pas exclure que l’écrit de Posadas sur les soucoupes volantes ait été un moyen de contrer l’insistance de Minazzoli sur cette question, en mettant un point final à la discussion par un texte officiel. Posadas y affirme tout de même que « si les extraterrestres existent, il faut les appeler à intervenir pour aider à résoudre les problèmes de la Terre ».
Quoi qu’il en soit, les autres tendances trotskistes s’appuyèrent sur cela pour présenter les posadistes comme des fous. Et c’est ainsi que furent posées les bases de la légende présentant leur mouvement comme un « culte ufologique trotskiste », légende qui lui vaut aujourd’hui la sympathie de quantité de plaisantins sur le Web, au point d’être devenu une sorte de mème Internet. Pourtant, il y avait bien un élément religieux dans le posadisme. Dante Minazzoli écrivait encore au soir de sa vie, en 1996 : « Le processus qui mène au contact cosmique de l’humanité tout entière avec les extraterrestres est irréversible, même s’il prendra des décennies à s’accomplir. Aucune force ne peut l’arrêter. Ni les puissances qui règnent sur la Terre ni les extraterrestres agressifs, avec ou sans « pacte diabolique » entre eux, ne pourront empêcher l’humanité de devenir un jour membre à part entière de la Communauté intergalactique".
Dans son livre, Gittlitz prétend que le potentiel subversif du « communisme alien » de Posadas est son ouverture radicale à l’autre, perceptible dans son intérêt pour les extraterrestres et pour les animaux : cette « xénophilie » serait plus que jamais d’actualité à l’heure où les politiques d’émancipation doivent prendre en compte la question queer ou celle des migrants. De même, ses positions sur la guerre nucléaire et son « communisme de l’apocalypse », foncièrement optimistes, seraient un antidote au pessimisme démobilisateur engendré par le spectacle de la destruction des bases écologiques de la vie sur Terre.
On peut aussi voir les choses différemment. Le posadisme présente en effet l’intérêt de montrer jusqu’où peut conduire l’idéologie du progrès lorsqu’elle est poussée à son comble : le délire pur et simple. Soyons clairs : ce n’est pas forcément lorsqu’ils postulent l’existence d’êtres intelligents sur d’autres planètes que Posadas ou Minazzoli déraisonnent – après tout, pourquoi pas ? Ce qui apparaît comme délirant, c’est plutôt l’idée que le développement technoscientifique conduirait nécessairement, ici comme dans le reste de l’Univers, au plus haut degré d’égalité et d’harmonie entre les êtres vivants. Pour ce qu’on peut voir sur la Terre, l’histoire des deux derniers siècles suggère plutôt l’inverse…
Le 21 avril 1944, les Françaises se trouvaient parmi les dernières en Europe à obtenir le droit de vote. Cet acquis, vieux de 80 ans, est l’aboutissement de plus d’un siècle de lutte et de débats en faveur de l’égalité politique en France.
Des suffragettes françaises manifestent pour réclamer le droit de vote à Nantes le 27 octobre 1934, lors d'un congrès du Parti radical-socialiste. © AFP
En 1848, la France fait figure de pionnière en accordant le droit de vote à tous les hommes, devenant ainsi l’un des premiers pays au monde à instaurer le suffrage universel masculin. Les femmes, quant à elles, devront patienter jusqu’en 1944 pour obtenir le droit de se rendre aux urnes. Cantonnées aux rôles d’épouses et de gardiennes du foyer familial, elles restaient jusqu’alors exclues de la sphère politique, jugées inférieures, influençables et immatures.
À la même date, les Néo-Zélandaises jouissaient de ce droit depuis déjà quarante-sept ans, contre trente-huit pour les Finlandaises, vingt-six pour les femmes britanniques – âgées de plus de trente ans – et vingt et un ans pour les Turques. Face au retard français, le combat en faveur de l’égalité politique aura mis plus d’un siècle à trouver satisfaction.
Pourtant, dès la Révolution française, des voix telles que celles de Condorcet et Olympe de Gouges se lèvent en faveur du suffrage féminin. Leurs appels restent cependant lettre morte, les femmes étant officiellement exclues du droit de vote par l’Assemblée nationale le 22 décembre 1789, puis par la Constitution de 1791. « La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit également avoir celui de monter à la tribune », écrit en réponse Olympe de Gouges dans son texte « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » dans lequel elle dénonce le mépris des droits de la femme, oubliés des textes de loi.
L’instauration du suffrage universel masculin en 1848 marque un tournant dans ce combat. « À partir du moment où on accorde le droit de vote à tous les citoyens et à tous les Français se pose réellement la question de toutes les citoyennes et de toutes les Françaises », explique l’historienne Anne-Sarah Bouglé-Moalic, auteure de Vote des Françaises : cent ans de débats, 1848-1944.
Plusieurs pointent du doigt un universalisme à demi-mesure, comme le club La Voix des femmes, qui encourage une candidature de George Sand aux élections législatives. Bien que cette dernière se désolidarise de cette initiative, Jeanne Deroin tente, quant à elle, de s’y présenter. « Elle candidate aux élections de manière sauvage pour demander un suffrage véritablement universel et l’éligibilité des femmes. Par la suite, cette méthode militante sera utilisée quasiment jusqu'au bout », précise Christine Bard, historienne spécialiste des féminismes et auteure de Femmes outsiders en politique.
La citoyenneté ne figure cependant pas en tête des préoccupations pour de nombreuses femmes, qui demeurent encore sous la tutelle maritale et sont privées d'accès à l'éducation, au divorce et à un salaire. « À cette époque, ce n’est pas la seule dimension de l’émancipation des femmes, il y a aussi celle des droits civils, pointe Anne-Sarah Bouglé-Moalic. Il est même difficile pour les femmes de se projeter sur ce droit de vote sachant que, dès 1852, il perd sa substance avec l’instauration du Second Empire. »
Il faut attendre la IIIe République, proclamée en 1870, pour que l’acquisition de ce droit devienne un objectif commun, notamment sous l'impulsion d’Hubertine Auclert, qui demande la révision du Code civil en faveur de l’éducation et de l’indépendance économique des femmes, mais aussi du droit de vote et du divorce. « Elle va réussir à convaincre l'ensemble du mouvement féministe d’y mettre toutes ses forces, avec cette idée que le droit de vote est la clé de voûte de tous les autres droits. Selon elle, une fois que les femmes seront citoyennes, elles seront en mesure d’œuvrer pour leur totale émancipation », résume Christine Bard.
Progressivement, le mouvement féministe français accorde alors la priorité à la conquête de la citoyenneté. En 1909 est créée l’Union française pour le suffrage des femmes puis, le 26 avril 1914, le quotidien Le Journal organise un référendum officieux auprès des femmes. À la question « Mesdames, Mesdemoiselles, désirez-vous voter un jour ? », environ 506 000 d’entre elles répondent « Je désire voter », contre seulement une centaine d’avis défavorables.
Après la Première Guerre mondiale, alors que le suffrage universel s’étend en Europe et que de nombreuses Françaises ont participé à l’effort de guerre, plusieurs propositions de loi en faveur d’un élargissement aux femmes sont adoptées par la Chambre des députés.
Mais l’idée que les femmes pourraient soutenir l’Église catholique dans les urnes ou qu’elles sont inaptes à voter fait de la résistance. « Plus que pour manier le bulletin de vote, les mains de femmes sont faites pour être baisées, baisées dévotement quand ce sont celles des mères, amoureusement quand ce sont celles des femmes et des fiancées. […] Séduire et être mère, c'est pour cela qu'est faite la femme », écrit le sénateur Alexandre Bérard dans un rapport parlementaire en 1919. Au sortir de la guerre, d’autres craignent aussi la supériorité numérique des femmes. « Donner le droit de vote aux femmes, c'est leur donner la majorité dans l’électorat », commente Christine Bard. Entre 1919 et 1936, le Sénat s’opposera à cinq reprises au suffrage féminin.
Bloqué par la frange conservatrice du Parlement, le mouvement en faveur du vote féminin, incarné par les « suffragettes », redouble d’efforts. En 1925, plusieurs candidates se présentent aux élections municipales sur la liste du Parti communiste, profitant du fait que rien dans la Constitution n’impose l’éligibilité des candidats.
« Dans toutes les communes où ils vont avoir des élus, il y aura forcément une femme élue, que ce soit à Douarnenez, à Saint-Pierre-des-Corps ou dans des villes de la banlieue rouge de Paris comme Arcueil », rappelle Anne-Sarah Bouglé-Moalic. Au total, sept femmes sont élues sur les listes communistes et siègent en attendant que leur élection soit invalidée.
Malgré leur incapacité à voter ou à se porter candidates, certaines femmes se voient même être nommées à des postes gouvernementaux dès 1936. Trois d'entre elles sont désignées pour occuper des sous-secrétariats d'État dans le gouvernement formé par Léon Blum à la victoire du Front populaire.
D’autres insistent sur le « droit naturel des femmes à être reconnues comme citoyennes » et sur « l’utilité sociale du droit de vote », comme l’explique Christine Bard. « Beaucoup de féministes mettent en avant l'intérêt pour la société d'avoir des femmes citoyennes pour mieux lutter contre les fléaux sociaux comme la prostitution, la tuberculose et la pauvreté en raison de leur fibre sociale », décrit l’experte.
C’est le 18 mars 1944 que le général de Gaulle, alors président du Comité français de libération nationale, déclare devant l’Assemblée consultative provisoire que « le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ». Trois jours après cette déclaration historique, l’ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération dispose que « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes » (article 17). Enfin, le 24 mars 1944, cette même assemblée adopte l’amendement du député communiste Fernand Grenier, établissant le droit de vote et d’éligibilité à toutes les femmes françaises.
Ce texte met un terme à plus d’un siècle de lutte pour les droits civiques des femmes. « Pour retrouver une place normale dans l'ensemble des pays démocratiques, la France ne pouvait plus tarder, c'était déjà une anomalie que les femmes ne puissent pas voter avant 1944 au pays dit des droits de l’homme », avance Christine Bard. « On prend soudain en compte le chemin que les femmes ont pu faire dans la société depuis la fin du XIXe siècle. Elles ont accès à l’école et à un monde du travail qui sort du travail domestique. Elles qui ont toujours été indispensables, on les remarque enfin », poursuit Anne-Sarah Bouglé-Moalic.
Les Françaises se rendent aux urnes pour la première fois le 29 avril 1945, aux élections municipales, soit près de cent soixante ans après la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » d’Olympe de Gouges, dans laquelle elle écrivait déjà « La femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits ».
Les femmes votent pour la première fois en France lors des élections municipales à Paris, le 29 avril 1945. AFP
Cette loi existe depuis 1955 et a pour objectif de protéger la reproduction des mammifères et des oiseaux qui vivent dans les bois.
Par Graziella Polledri - 14 avril 2024
Cisco et Rascal en liberté ! Mais on est en février, tout est permis...
ANIMAUX - Un oubli qui pourrait vous coûter très cher. À partir de ce lundi 15 avril et jusqu’au 30 juin, promener votre chien sans laisse en forêt peut vous exposer à une amende de 750 euros. Cette disposition n’est pas nouvelle mais émane d’un arrêté du 16 mars 1955 qui permet de protéger la reproduction des oiseaux, laquelle a lieu en période printanière.
Lire aussi
Les oiseaux disparaissent d’abord à cause de l’agriculture intensive, selon cette nouvelle étude
« Pour prévenir la destruction des oiseaux et de toutes espèces de gibier et pour favoriser leur repeuplement, il est interdit de laisser divaguer les chiens dans les terres cultivées ou non, les prés, les vignes, les vergers, les bois, ainsi que dans les marais et sur le bord des cours d’eau, étangs et lacs » souligne cette loi.
L’arrêté du 16 mars 1955 précise aussi que « dans les bois et forêts, il est interdit de promener des chiens non tenus en laisse en dehors des allées forestières pendant la période du 15 avril au 30 juin ». Une allée forestière comprend notamment les routes, les chemins ou sentiers forestiers, avec par exemple les sentiers de grande randonnée mais aussi tous les chemins de promenade.
Protéger la période de reproduction
Les animaux de compagnie devront donc être tenus en laisse pendant deux mois et demi, afin de ne pas déranger la faune sauvage pendant ses moments d’intimité.
« Les chiens, au flair très affûté, peuvent repérer les nouveau-nés en forêt et les oiseaux qui nichent au sol dans les friches. Par leur simple présence, ils pourraient déranger et stresser les animaux forestiers particulièrement sensibles pendant cette période et ainsi, mettre en péril leurs reproductions » explique l’Office National des Forêts.
En parallèle de cette loi, il ne faut pas oublier que peu importe la saison, la laisse est obligatoire pour les chiens d’attaque, de garde et de défense, et ce, dans tous les espaces publics. De plus, le propriétaire doit toujours « garder son animal de compagnie à moins de 100 mètres » de lui et doit être sous son « contrôle direct » rappelle l’ONF.
Si vous ne respectez pas ces conditions, le préfet ou la mairie pourrait ordonner que votre animal soit placé dans un lieu de dépôt adapté à la garde de celui-ci.
By CLEA CAULCUTT in Paris - April 2, 2024 4:00 am CET
Trust the French to intellectualize the war on woke.
Roughly once a month, the crème of a very specific part of French society gathers at Le Laboratoire de la République, a think tank in central Paris, to warn against what it sees as a dangerous and divisive import.
The events hosted by the Laboratoire don’t just focus on so-called wokeness, but it’s a recurring theme. Speakers have included the French-Algerian novelist Kamel Daoud who has dismissed wokeism as “dangerous” and “boring,” the influential academic and Islam specialist Gilles Kepel who has denounced cancel culture in universities and Nathalie Heinich, a sociologist who described wokeism as a “new totalitarianism.”
“We didn’t wait for [the woke generations] to tackle racism and sexism,” Heinich said in an interview with POLITICO. “Do they think they’ve invented these fights? We don’t need to ban speeches that don’t suit us to advance the fight against discrimination.”
Set up in 2021 by Jean-Michel Blanquer, a former education minister under President Emmanuel Macron, the think tank was set up to defend a “republican ideal” that transcends race and religion. Woke ideology, Blanquer recently argued in an interview in an elegant restaurant in central Paris, is “pessimistic” because it reduces people to representatives of groups with fixed identities that eclipse the individual: woman, Black, Muslim, gay. “This hodgepodge just creates more conflict in our societies,” he said.
In the United States, the anti-woke banner has been primarily hoisted by figures on the cultural right like Florida Governor Ron DeSantis. In France, however, while the main thrust of hostility comes from populists and the far right — most notably Eric Zemmour, head of the far-right Reconquest party — opponents to so-called wokeness can also be found among the establishment and even the cultural left.
The term is mostly used pejoratively by critics to describe what they see as a U.S.-driven shift in progressive values leading to the repression of plurality of opinions on gender and race and the promotion of minority identities at the expense of French unity.
“Our defenses against wokeness should be strong,” said Brice Couturier, the host of the Laboratoire’s monthly debates and a self-described leftist who has been critical of “Islamo-leftism” and “transgender ideology.”
“The Republican ideal is egalitarian,” he said. “It doesn’t sit well with the idea that identity, even racial identity, should become an important cultural marker.”
To reach the French headquarters in the war on woke, cross the Seine with the Louvre at your back, walk past the Musée d’Orsay and wander through the 7th arrondissement until you get to La Maison de l’Amérique Latine on the posh Boulevard Saint-Germain.
On a recent evening in January, university professors, intellectuals, and students mingled in a wood-paneled reception room drinking warm white wine, chatting in the wake of the Laboratoire’s guest speaker who had answered a Q&A on immigration and France’s relations with its ex-colonies.
“At my university, everyone criticizes what they call the domination of the white male,” said Lila Nantara, a 23 year-old cultural studies student who had come to hear the debate. “I think it’s a good cause and comes with good intentions, but woke ideas are an intellectual confinement that are harmful to scientific studies,” she added.
French hostility to so-called woke ideas arguably dates to the upheaval of the 18th century, when the revolutionaries didn’t just decapitate the king but set out to remake society from the ground up. In the place of the Ancien Régime dominated by clerics and noblemen, the Republic erected ideals of secularism and equality, in which ethnic, regional and religious identities were subsumed into universalized Frenchness.
Even today, the French government declines to keep statistics on the country’s ethnic and religious makeup, arguing that doing so would be divisive and reminiscent of the data collection during World War II that was used to round up Jews. And much of the debate about immigration, particularly from predominantly Muslim countries, has centered around objections to overt religiosity in the public sphere.
In recent years, concern about wokeness has reached the highest echelons of French politics. In 2022, Macron declared himself “against woke culture,” announcing his opposition to the removal of controversial historic statues. “We need to face our history,” he added. His wife Brigitte has expressed her opposition to gender-neutral pronouns. And the recently appointed conservative Culture Minister Rachida Dati pledged to fight wokeism, “a policy of censorship.”
“Wokeism is the idea to be ‘awake’ to fight discrimination,” said Ilana Cicurel, a member of the Laboratoire and a member of the European Parliament with Macron’s Renaissance party. “It’s hard not to share that objective. But we see a drift, the temptation to reduce people to their identities in the name of the fight against discrimination.”
Blanquer, who also comes from the right, says his participation in the battle was inspired at least in part by his time at Harvard University. “It’s there that I discovered political correctness, which is the premise of wokeism on U.S. campuses,” he said. “I become very concerned about the communitarian outlook, where everything is seen through the prism of belonging to one group or another.”
He cautioned that wokeness could serve as a thin wedge for totalitarian regimes looking to foster division in Western society. “Look at how the Chinese use TikTok or the way Qatar uses [Al Jazeera’s social media channels] AJ+, and how they exploit woke themes,” he said.
“In the name of wokeism, they encourage Islamism,” he added. “We need to be lucid about this.”
What’s distinctive about French anti-wokeness is that it’s by no means confined to the center or the right. It also has adherents on the left, with traditionalists facing off against new generations influenced by the conversation in the U.S.
The topic is so toxic that most politicians try to avoid it altogether, but there are many on the left who see identity politics as a renunciation of the battle for the working classes or a fore rider of American prudishness.
“Big business is playing with [wokeism], giving symbolic advantages to minorities, installing unisex toilets so trans people don’t feel discriminated against,” said Couturier, the leftist anti-woker. But “behind identity politics, the reality is that salaries aren’t going up.”
France is, after all, a country where Woody Allen, the film director accused by his adopted daughter of sex abuse, is still making movies; where Roman Polanski, who was convicted of statutory rape, gets film awards; and where Johnny Depp made his first film with a female film director after winning his defamation case against Amber Heard.
France “simply respects justice much more,” said Heinich, the sociologist. “Polanski is not facing charges here, unlike the U.S. The case is very old, and his victim has requested that the lawsuits stop. And Woody Allen has been totally cleared. So enough is enough.”
In France, the #MeToo movement was met with ambivalence, with the film star Catherine Deneuve defending “the right to seduce” and “the freedom to bother” women as part of sexual freedom in France. While some women have spoken out against abusive directors or actors, recent allegations of sexual misconduct against France’s best-known actor Gérard Depardieu have devolved into a brawl, with rival factions lining up on either side.
When it comes to race and religion, the left can sometimes be less concerned with intolerance than the right to offend, most famously embodied in the weekly Charlie Hebdo magazine. In 2015, Islamist gunmen incensed by lewd cartoons depicting the Prophet Muhammad attacked its offices, killing 12 people and sparking an outcry of support under the slogan “Je suis Charlie.”
“It is mostly the left that is very resistant to racial questions in France,” said Rokhaya Diallo, a commentator and anti-racist activist. “Universalism was first and foremost a value of the left, and then it was adopted by the right.”
French culture is “resistant to wokeism”, said Mathieu Bock-Côté, a conservative essayist and political commentator. “There’s a culture of irreverence here. If you tell a Frenchman that a man can be pregnant, he’ll burst out laughing.”
Sensitivities about race and religion, argue some on the left, are an American phenomenon, born out of a history of race relations that France — despite its history of colonialism — doesn’t share. “French culture resists wokeism because of an instinctive distrust of the U.S., either because they see it as U.S. imperialism or because they don’t think it’s part of their culture,” said Bock-Côté.
The irony for France’s anti-woke warriors is that the ideas behind it are, well, very French. It emerged from the writings and teachings of a group of colorful French intellectuals — including Jacques Derrida, Michel Foucault, René Girard and Jean Baudrillard — who argued that truth is subjective and often determined by power relations.
Known as post-structuralism, or French Theory, their ideas gained popularity in the U.S. in the 1960s and 1970s through a series of writings and lectures, eventually giving rise to gender and decolonial studies. Later, Girard joked that he and his fellow French academics had brought “the plague” to America.
The left can be less concerned with intolerance than the right to offend, famously embodied by the Charlie Hebdo magazine | Joel Saget/AFP via Getty Images
“Our problem is that French Theory, which has become crazy on U.S. campuses, is heading back to us like a boomerang in the form of postcolonial studies, gender studies, intersectionality,” Couturier wrote in his book “Ok Millennials!”
It’s rare these days for a week to go by without another French episode in the woke wars. In December, the winner of the Miss France beauty pageant was accused of having “woke hair” (a pixie cut). Last June, a prominent politician on the left was forced to quickly backtrack after suggesting 16-year-olds should receive parental consent before changing their gender. The values in French filmmaking also appear to be changing, with the prestigious César film awards announcing that directors and actors facing charges of sexual violence will no longer be allowed to speak or appear onstage during the ceremony.
As woke issues dominate the cultural debate, its opponents are worried they’re starting to lose the fight. While only 4 percent of the French support wokeness, according to the polling led by politics specialist Chloé Morin, some of its ideas are quietly taking root. Some 24 percent think people “should stop making caricatures of religions,” a 5 percent increase on 2015, and 41 percent think every level of society is affected by racism.
“I’m worried [France] will follow in the footsteps of the U.S. where wokeism is the dominant ideology on campus, in elite universities,” said Couturier. He added that students graduating have “soaked up this ideology.”
“It’s a bit like my experience growing up with Marxism,” he said “I really struggled to get rid of it, and often I’m still thinking in terms of class struggle. So I’m not that optimistic.”
Le canton inhabité d’Entremont, de forme rectangulaire, se situe dans la réserve faunique La Vérendrye, en Abitibi-Témiscamingue, un peu au nord du lac Cocôwan, une des composantes du réservoir Dozoi, et à environ 20 km à l’est de la baie Kawastaguta du Grand lac Victoria. Son territoire, au relief plutôt accidenté, contient bon nombre de petits plans d’eau, dont le lac Tesserie. Il est également irrigué par deux rivières importantes, la Canimiti et la Chochoucouane, qui créent un confluent au centre du territoire. Depuis le 20 décembre 1955, il porte le nom d’un gentilhomme normand, Philippe Moius d’Entremont, dont les origines se trouveraient toutefois en Savoie. Les titres de noblesse de la famille d’Entremont, ayant émigré en Normandie au XVIe siècle, remonteraient, selon certains, au XIe siècle. D’autres affirment cependant que c’est Louis XIV (1638-1715) qui fit de Philippe Mius le sieur d’Entremont. Quoi qu’il en soit, il existe aujourd’hui en France deux communes appelées Entremont, et toutes deux se trouvent dans l’ancienne province de Savoie, définitivement incorporée à la France en 1860 ; les deux tiennent leur nom de leur situation géographique entre de hautes montagnes. L’une d’entre elles, à 791 m d’altitude au cœur des Alpe françaises, s’étend sur le Borne, dans le département de la Haute-Savoie, à quelque 25 km au nord-est d’Annecy, et à environ 40 km au sud-est de Genève, en Suisse. Les touristes y découvriront notamment les ruines d’un monastère du XIIe siècle, érigé en Abbaye en 1154 mais supprimé en 1772, ainsi qu’une église, construite également au XIIe siècle, mais profondément modifiée jusqu’au XIXe siècle.
L’autre commune, Entremont-le-Vieux, sise à 840 mètres d’altitude, se situe sur le Cozon, dans la partie ouest de la Savoie, à une quinzaine de kilomètres au sud de Chambéry, préfecture de département. Là, on peut y voir les ruines d’un château. Le sieur d’Entremont naquit vers 1609, probablement à Cherbourg, en Normandie. En 1650 ou 1651, il fut amené en Acadie par son ami, le nouveau gouverneur Charles de Saint-Étienne de La Tour, comme lieutenant-major et commandant des troupes du roi. Deux ou trois ans plus tard, Entremont reçut, en récompense pour ses services, le fief Pobomcoup (aujourd’hui Pubnico, en Nouvelle-Écosse) à titre de baronnie.
Il assuma plusieurs fonctions dans la colonie, devenant même, vers 1670, procureur du roi, puis il s’occupa du développement des terres qui lui avaient été attribuées. Il mourut en Acadie au début du XVIIIe siècle. Sa descendance demeure nombreuse en Nouvelle-Écosse, et tout particulièrement, à Pubnico.
Au Québec, en plus d’un canton, le toponyme Entremont désigne un lac, situé précisément dans le canton d’Entremont, sur le cours de la rivière Canimiti, et des voies de circulation, à Sainte-Foy, Saint-Marc-des-Carrières et Amos.
Proclamé en 1966, le canton d’Entremont est situé au nord du réservoir Dozois, dans la réserve faunique La Vérendrye. Ce canton de présente comme un ensemble hydrographique compliqué où l’on distingue à peine la rivière Chochoucouane et la rivière Canimiti, au sein de très nombreuses étendues d’eau. Son relief, accidenté et brisé, varie entre 350 et 537 mètres d’altitude. En dénommant ainsi cette unité géographique en 1955, on a voulu honorer la mémoire du Normand Philippe Mius ou Muis (né vers 1609 et mort vers 1700). En 1650 ou 1651, il est amené en Acadie par le nouveau gouverneur Charles de Saint-Étienne de La Tour comme lieutenant-major et commandant des troupes du roi. Deux ou trois ans plus tard, il reçoit en récompense le fief Pobomcoup (Pubnico, Nouvelle-Écosse), à titre de baronnie, et y construit son château. Cette baronnie est demeurée un bien familial jusqu’à la dispersion des Acadiens, en 1755. Les descendants qui portent ce nom d’Entremont sont encore nombreux.
Noms et lieux du Québec, ouvrage de la Commission de toponymie paru en 1994 et 1996 sous la forme d’un dictionnaire illustré imprimé, et sous celle d’un cédérom réalisé par la société Micro-Intel, en 1997, à partir de ce dictionnaire.
(Source : La France et le Québec. Des noms de lieux en partage. Commission de toponymie du Québec, les Publications du Québec, l’Association française pour l’information géographique, 1999).
Première édition du jeu, avec le portrait de Magie. | Auteur inconnu via Wikimedia Commons
En 1903, l'intrépide Lizzie brevetait un jeu anticapitaliste à but éducatif. Trente ans plus tard, Parker sortait le «Monopoly» de Charles Darrow et tentait de la museler.
par Elodie Palasse-Leroux 17 mars 2024
Dans la boîte du Monopoly, on a longtemps pu lire la formidable histoire de l'invention du jeu. En pleine Dépression, un certain Charles Darrow, sans emploi et désespéré, inventait sur un coin de table un jeu qu'il vendait en 1933 à Parker Brothers, renversant la situation. Le véritable American Dream… Bien entendu, on sait désormais que le jeu en question avait été imaginé par une femme, trente ans plus tôt. Et quelle femme!
Elizabeth Magie est née dans l'Illinois en 1866, l'année où le Congrès américain approuve le Civil Rights Act, premier pas vers la reconnaissance des droits des Afro-Américains.
Pour son père James, fervent abolitionniste et défenseur des droits des femmes, c'est un moment clé. Proche d'Abraham Lincoln, James Magie est l'un des premiers Américains à adhérer au Parti républicain. Il diffuse ses idées à travers le journal dont il est propriétaire à Macomb et transmet à sa fille ses valeurs antimonopolistes. C'est un adepte des théories de l'économiste Henry George.
Ce dernier, auteur de Progrès et pauvreté (1879), estimait que la valeur d'un terrain ne devait pas être déterminée par ce qui est construit dessus, mais par son emplacement. Il prônait le paiement d'un impôt unique calculé sur le sol et la suppression de la rente foncière des propriétaires terriens, afin de niveler les inégalités. Elizabeth grandit avec l'idée que les individus devraient être les seuls possesseurs des biens qu'ils ont créés.
La jeune fille est encouragée par son père à vivre librement. Elle étudie la théorie de l'économie et puis devient sténographe, comédienne de stand-up et de théâtre, inventrice d'un brevet pour les machines à écrire, puis journaliste à Washington… Elle n'a clairement aucune envie de jouer les femmes au foyer.
Elle se rend cependant compte qu'elle peine à subvenir à ses propres besoins avec le maigre revenu de 10 dollars hebdomadaires que son activité lui rapporte. Pour attirer l'attention sur la précarité des femmes célibataires, elle achète un encart publicitaire dans un journal et se présente comme «jeune femme esclave américaine […] pas belle, mais très attirante» disponible au plus offrant.
Les femmes n'utilisent pas leur cerveau autant que les hommes
Le coup d'éclat fait la une des journaux. Elizabeth explique avoir voulu dénoncer la situation lamentable des femmes: «Nous ne sommes pas des machines, les filles ont un esprit, des désirs, des espoirs et de l'ambition.» À la même époque, la future journaliste Nellie Bly fait publier dans la même optique une lettre pleine de sarcasme: «Qu'allons-nous faire de ces filles, celles dépourvues de talent, de beauté, de fortune?» Contrairement à Bly, qui fera le tour du monde en soixante-douze jours, Elizabeth décide de propager ses convictions politiques par le biais d'un jeu de société de sa création.
En 1903, Elizabeth «Lizzie» Magie dépose le brevet du Landlord's Game. Ce «jeu du propriétaire foncier» tente de démontrer le danger du monopole (à l'époque représenté par des figures comme Andrew Carnegie et John D. Rockefeller). On n'enseigne pas l'économie à l'école: à travers ce jeu, Lizzie espère faire comprendre aux enfants comme à leurs parents qu'il est possible de s'opposer à ce système qui enrichit les propriétaires tout en appauvrissant les locataires.
Avec les lecteurs du magazine The Single Tax Review, elle partage le concept du jeu en 1902 (un an avant de faire protéger son idée, dix ans avant qu'un autre journal apprenne à ses lecteurs que les femmes «n'utilisent pas leur cerveau autant que les hommes»). Il est titré: «Une intéressante invention d'une jeune femme à Washington par lequel les enfants en jouant peuvent apprendre les véritables lois de l'économie».
Interrogée, Elizabeth déclare que le Landlord's Game «est une démonstration pratique du système actuel d'accaparement des terres avec tous ses résultats et conséquences habituels», qui aurait pu s'appeler le «Jeu de la vie», car «il contient tous les éléments de réussite et d'échec dans le monde réel, et le but est le même que celui que semble avoir la race humaine en général, c'est-à-dire: l'accumulation de richesses».
Mais Elizabeth Magie y confesse aussi être pleine d'espoir: «Laissez les enfants voir clairement l'injustice flagrante de notre système foncier actuel et quand ils grandiront, s'ils sont autorisés à se développer naturellement, le mal sera bientôt réparé.»
Plateau du jeu en 1906. | Thomas Forsyth via Wikimedia Commons
Le jeu devient populaire auprès des intellectuels de gauche. Il est adopté par les étudiants de la Wharton School of Finance and Economy, d'Harvard et de Columbia. Il circule jusqu'à Atlantic City, où une importante communauté de Quakers le personnalise. Chacun réalise sa propre version du jeu en y ajoutant sa touche personnelle. C'est ainsi que Charles Darrow découvre le Landlord's Game chez des amis. Il a tôt fait de se concentrer sur l'approche monopoliste et de la vendre à Parker Brothers.
La suite est connue: Parker Brothers achète à Lizzie Magie-Phillips (elle s'est finalement mariée, à l'âge de 44 ans, en 1910), peu après avoir conclu son accord avec Darrow, le brevet du Landlord's Game et deux autres de ses jeux, Bargain's Day et King's Men, dans le but de garder la mainmise sur les différentes versions.
Le Monopoly devient l'un des jeux les plus plébiscités au monde. Darrow emporte largement la partie sur Magie, qui meurt sans descendance en 1948.
Il faut attendre 1973 pour que les faits soient reconstitués par Ralph Anspach, professeur d'économie. Créateur d'un jeu antimonopole que Parker Brothers veut faire interdire, il découvre les brevets du Landlord's Game et remonte la piste. Anspach dépose à son tour plainte contre Parker et dévoile «le mensonge du Monopoly». La justice lui donne raison.
Le film de Jean-Pierre Cottet, Georges Pompidou, la cruauté du pouvoir, passé mercredi dernier sur France 3 aura sans doute été pour beaucoup une découverte, celle d’un homme d’Etat français, mort il y a cinquante ans au milieu de son mandat présidentiel, et dont la mémoire se trouve quelque peu obscurcie par l’ombre portée du général de Gaulle, auquel il a succédé. Le héros avait fait place à un anti-héros : Sancho Panza après Don Quichotte. Le documentaire, étoffé par la connaissance d’Éric Roussel, par ailleurs biographe de Pompidou, a remis les mémoires en place, corrigé les caricatures et marqué l’importance d’une personnalité somme toute exceptionnelle.
Un aspect de cette histoire m’a paru insuffisamment mis en lumière : la pensée du Premier ministre Pompidou dans les journées de Mai 68. Les réalisateurs ont bien montré le rôle politique joué par lui dans ces semaines brûlantes ; comment, par ses décisions, la souplesse de son esprit, son intelligence de renard, contrastant à ce moment-là avec la grogne du lion élyséen dépassé par les événements, a su calmer le jeu, mettre un terme au grand chambard, notamment en préconisant au président de la République la dissolution de l’Assemblée suivie d’élections générales. Pompidou, le sauveur, avait signé par ce rôle même sa rupture avec l’officiel sauveur suprême. Tout cela est bien vu, au moyen d’images souvent saisissantes.
Cependant, quelque chose manque dans ce récit : l’analyse même de l’événement par ce Premier ministre qui affrontait la tempête. Dès le 14 mai, il livrait sa pensée devant l’Assemblée nationale en dépassant l’événementiel auquel il était confronté pour tenter de comprendre en profondeur ce qui se passait. Ce discours qu’il a retranscrit en partie dans son ouvrage posthume, Le Nœud gordien, met en lumière la lucidité d’un philosophe politique dont le propos dépasse de loin les habituels échanges de l’hémicycle.
Pour lui, les convulsions de Mai 68 avaient une apparence : les masques de la révolution marxiste, Marx, Engels, Lénine, Mao, alignés dans la cour de la Sorbonne ; elles avaient leur théâtre : les palabres de l’Odéon ; elles avaient leur chorégraphie, les grandes manifs ; mais derrière tout cela, on devait comprendre la signification de la crise, qui était plus qu’une crise politique, plus qu’une crise sociale, une crise de civilisation.
La société moderne, disait-il, est devenue « matérialiste et sans âme ». Le déclin inexorable de deux grandes religions, la religion divine et la religion séculière, la religion chrétienne et la religion révolutionnaire, cette double espérance qui donnait un sens à la vie de ceux qui croyaient au Ciel et de ceux qui n’y croyaient pas était en train de se décomposer. La société de consommation (l’expression était devenue courante depuis quelques années) était offerte comme substitut. Mais le « toujours plus » de choses ne pouvait combler la perte de sens dont souffrait l’âme publique.
« Redonner le goût d’un idéal au-delà de l’intérêt national ou personnel »
L’intuition de Pompidou a été sans doute négligée par ses auditeurs, hantés par les désordres de la rue, la grève générale, la menace pesant sur leur destinée politique personnelle. La prémonition de l’Auvergnat n’a cessé de se confirmer. Dépourvus d’idéal collectif, les modernes se sont engouffrés dans l’« ère du vide » et un individualisme exacerbé : « Jamais la notion de’’chacun pour soi’’ n’a été plus fortement enracinée dans les esprits. »
1968 ? « À qui y réfléchit, il apparaît qu’il s’est produit une sorte d’ébranlement intérieur ». Les barricades et la grève générale n’étaient que l’expression d’un mal que seules certaines affiches de Mai avaient perçu, le fameux « métro, boulot, dodo », une existence d’individus robotisés auxquels l’État devait servir « le pain et les jeux », le salaire minimum et la télévision. Julien Gracq a eu cette formule, qu’il n’y avait pas de société possible « sans point de fuite », et c’était justement ce que l’homme occidental, après la mort de Dieu et la fin des lendemains qui chantent, était en train de perdre.
Dans la conclusion de son livre, Pompidou écrivait : « Il reste à redonner le goût d’un idéal au-delà de l’intérêt national ou personnel. Ici, l’État peut jouer son rôle, mais c’est avant tout à ceux qui prétendent à une magistrature morale qu’il appartient d’agir : instituteurs, professeurs, écrivains, journalistes doivent retrouver le sens de leur métier et de leurs responsabilités… »
On n’est pas sûr aujourd’hui que ce vœu ait été exaucé.
À force de vouloir tout remplacer par la machine, nous risquons de nous perdre nous-mêmes.
Que restera-t-il de nous si nous nous soumettons à la machine?
par Laurent Sagalovitsch - 1er avril 2024
À un moment donné, il va quand même falloir se demander où collectivement nous désirons aller. J'entends qu'il apparaît de manière de plus en plus transparente que plus nous avançons dans le temps, et plus la technique tend à nous imposer un nouvel ordre, celui de l'extrême rapidité, de l'efficacité tous azimuts, où sous couvert d'une promesse de progrès, notre sort dépendra de plus en plus de la machine et de ses performances.
Plus nous laissons la machine dans toutes ses déclinaisons possibles envahir notre quotidien, et plus nous nous éloignons de nous-mêmes. Qui a envie de vivre dans un monde où toute tâche sera déléguée à une machine sans que nous ayons notre mot à dire? Qui voudra vivre dans un monde désincarné, tributaire de toute une série d'algorithmes qui, mis bout à bout, décideront de la manière dont il faut nous comporter dans l'existence?
Nous sommes précisément des êtres humains, pas des machines. Nous avons une âme, un cœur; nous sommes traversés de tourments qui sont la racine même de notre condition, cette étrangeté à habiter un monde dont nous ne savons à peu près rien, si ce n'est qu'il cessera d'exister le jour où la mort nous en arrachera.
Désespérément, nous recherchons des réponses qui jamais ne viennent. Mais si précisément nous cessons d'être des individus pensants pour s'aliéner corps et âme à la machine, à la technique, que restera-t-il de nous au juste? Ce n'est pas que la machine nous aura remplacés, c'est qu'elle aura transformé l'individu en une sorte de caisse enregistreuse dont le seul souci dans l'existence sera de se divertir, d'abandonner la métaphysique pour la seule satisfaction de ses besoins matériels.
Tous autant que nous sommes, nous sommes chétifs, perdus à nous-mêmes, en prise avec un monde qui depuis l'aube de la création nous dépasse, nous écrase, condition qui fait évidemment notre grandeur et notre courage. L'homme n'est grand que parce qu'il ne cesse de chercher des réponses, de s'interroger sur ses origines mêmes, de tenter de trouver un compromis entre son angoisse existentielle et la nécessité faite de vivre malgré tout sa vie. Par la robotisation de la pensée, enlevez-lui ses capacités réflexives, et il finira par devenir une coquille vide, l'image même du néant.
Si d'un coup d'un seul, la pensée disparaît au profit de la machine, si l'écrit s'efface, remplacé par des traitements de texte, si l'intelligence s'intéresse seulement à rendre ce monde encore plus productif, si nous détricotons étape après étape ce qui constitue le fondement de nos âmes, que nous restera-t-il à nous autres, si ce n'est d'assister, impuissants et résignés, à notre propre disparition?
Voyez comment l'intelligence artificielle s'impose à nous. Nous n'en sommes qu'à ses balbutiements et déjà nous sentons combien en de nombreux domaines, elle sera notre tombeau. Partout, elle envahit notre quotidien, nous forçant à l'utiliser quand bien même nous rechignons à le faire. Elle ne nous laisse d'autres choix que de se plier à ses diktats.
Elle nous emprisonne dans tout un système de croyances qui voudrait nous convaincre qu'elle sera notre salut alors que par bien des aspects, elle contribue à propager une uniformité de la pensée, une paresse de l'esprit si universellement répandue que bientôt, nous ne serons même plus en mesure de réaliser à quel point elle nous aura rendu imbéciles à nous-mêmes.
L'intelligence artificielle, c'est le principe de la télévision, l'avachissement de l'homme, multiplié à la puissance dix mille. Si nous laissons la machine nous supplanter dans tout ce qui relève de la créativité, si nous abandonnons peu à peu le domaine de l'intellect à la seule volonté de la technique, alors nous perdons ce qui fait notre essence même, notre besoin de nous confronter, de nous questionner, de sans relâche, interroger notre condition d'êtres pensants.
Si nous faisons le deuil de la culture, c'est-à-dire de notre capacité à nous remettre en cause, alors nous cessons d'être au monde. Nous n'aurons même pas la grâce de l'animal pour nous sauver, non, nous deviendrons des estomacs qui goberont des milliards d'informations sans jamais être en capacité de les questionner. Dans cette béatitude de la bêtise qui peu à peu consacrera notre avilissement, nous deviendrons les champions de notre propre défaite.
Il est évidemment déjà trop tard. On ne peut pas, on ne sait pas arrêter la marche du monde. Il nous faut la subir, la plupart du temps, malgré nous. Non, la seule chose que nous pouvons faire, c'est de ralentir sa progression, de collectivement nous ressaisir pour résister à sa volonté de nous écraser. De cesser de nous comporter comme des moutons pour tâcher de lui tenir tête, quand bien même nous saurons notre défaite inéluctable.
Lisez, instruisez-vous, manifestez votre besoin de musique et de poésie, étonnez-vous, questionnez-vous, remettez-vous en cause, montrez-vous à la hauteur de votre condition de mortel, soyez fiers de vos tourments, chérissez vos peurs, n'ayez pas honte de vos fragilités, elles sont la condition de votre salut.
Ce sera notre chant du cygne.
Notre symphonie des adieux.
Kat préfère organiser le plan de ses sites sans h1 sur le titre du site,
mais utilise la boîte titre dans le header, pour avoir un titre de site en texte et lui affecter une balise Title.
Pour obtenir une hiérarchie de ses sites logique en fonction de ce pré-requis, elle forke donc le CMS à chaque mise-à-jour ou nouvelle installation.
Voilà l'histoire de cette grande aventure.
Du moment que ça lui fait plaisir, on peut bien la laisser s'amuser, non ? Elle démontre ainsi la souplesse du code d'adHoc qui autorise toutes les fantaisies.
Les modifications
Impérativement dans cet ordre
modules/_core/mod_head_title.inc : supprimer les h1
pages/index.php : passer les h3 en h2, puis les h4 en h3, impérativement dans cet ordre
admin/_core/configskin.inc : passer les h3 en h2
include/hpage.inc : éventuellement passer les h2 en h1
modules/pages/inc/pages_menu.inc : pour tous les .catitem ou les .rubr : changer le p en h2
À l’occasion de la Semaine de la langue française, nous nous interrogeons sur la manière dont évolue la langue et comment les nouveaux mots trouvent leur chemin vers le dictionnaire.Le français est « une langue vivante, on a beaucoup de mots qui apparaissent, parfois qui disparaissent », explique Géraldine Moinard, lexicographe et directrice de rédaction des éditions Le Robert. Entretien.
RFI : En quoi consiste le travail d’un lexicographe ?
Géraldine Moinard : Le travail d'un lexicographe est de concevoir, de rédiger et surtout de mettre à jour les dictionnaires. Mettre à jour un dictionnaire, c'est à la fois faire entrer des nouveaux mots, puisque la langue française est une langue vivante, donc on a beaucoup de mots qui apparaissent, parfois qui disparaissent. Beaucoup de mots apparaissent et restent dans la langue et on a besoin de les comprendre. Notre travail est de repérer ces mots et d'ajouter les plus représentatifs et les plus pérennes dans le dictionnaire pour décrire leur sens évidemment, mais aussi leur orthographe et leur prononciation. Ensuite, on explique comment ils sont employés et on donne leurs synonymes. On pense à ces mots nouveaux, mais il y a aussi tous les mots qui existent déjà dans le dictionnaire, qui ont déjà des articles et qu'il va falloir actualiser, parce qu'on a aussi des mots qui existent déjà, qui vont prendre de nouveaux sens. Par exemple, « hybride ». On va pouvoir le définir plutôt comme un moteur, mais aussi dans le sens plus varié qui va s’appliquer aussi dans le domaine du travail et aux réunions depuis la Covid. Des nouvelles expressions apparaissent aussi comme « être en PLS », qui a intégré le dictionnaire l'année dernière. « PLS », c'était une position latérale de sécurité dans le domaine médical. Et puis, d'un coup, les jeunes vont employer cette expression pour désigner : être en PLS, en gros, je suis au bout de ma vie ! Il y a aussi des choses qui existent et qu'il va falloir mettre à jour. C'est un travail un peu invisible, mais très important.
Comment choisissez-vous les mots qui entrent dans le dictionnaire ?
Nous avons trois critères principaux qui sont la fréquence, la diffusion et la pérennité. Pour la fréquence, il faut que le mot apparaisse, qu’il soit suffisamment utilisé, pas seulement par deux ou trois personnes, puis le voir apparaître beaucoup. En ce qui concerne la diffusion, on voit le mot apparaître dans différentes sources, pas uniquement dans le vocabulaire purement scientifique. Par exemple, le mot « microplastique ». C’est un mot qui apparaît en 2004. On découvre qu’il désigne un petit volume de plastique, des micro-morceaux de plastique qui vont pouvoir se retrouver ensuite chez les poissons ou chez les hommes. Au début de la recherche, le terme reste cantonné au domaine scientifique avec une fréquence basse de diffusion. Puis, au fur et à mesure des avancées de la recherche, on va en parler dans la presse, donc cela va être diffusé. Les gens vont entendre parler de « microplastique », on va le trouver dans la presse scientifique, mais aussi dans la presse plus générale de vulgarisation. Là, tout le monde va avoir besoin de comprendre ce mot-là et on voit qu'il reste dans l’usage. Cela prend quelques années et ce n'est pas un mot qui va disparaître, parce que c’est la réalité et le problème existe. Donc, nous remplissons aussi le troisième critère qui est la pérennité. On constate que « microplastique » répond à trois critères : fréquence, on en entend souvent parler et pas seulement dans la presse scientifique très spécialisée, et finalement la pérennité, le mot est bien installé et il va durer.
Comment les réseaux sociaux jouent dans la création des nouveaux mots qui vont entrer dans le dictionnaire ?
Je ne suis pas sûre que les réseaux sociaux jouent tellement dans la création, parce qu'on a toujours créé beaucoup de mots. La langue française est très vivante depuis toujours et les mots il y en a. Il y en a beaucoup qui se créent. En revanche, je pense que ça joue un rôle très important dans la diffusion par les réseaux, par le fait qu'on se parle beaucoup, que l'information circule extrêmement vite par les réseaux. Donc, le mot qui se crée, s’il fonctionne bien et s’il s’avère utile, il va pouvoir être repris très vite. Mais avant les réseaux sociaux, on avait la diffusion qui se faisait principalement par les médias plus traditionnels : la presse, la télévision, la radio. Aujourd'hui, c'est le quatrième canal qui permet une diffusion très rapide.
De nombreux anglicismes sont utilisés dans le langage courant depuis des années. Comment expliquez-vous l’influence de l’anglais et d’autres langues sur le français ?
Oui, depuis de nombreuses années ! On voyait des anglicismes déjà dans la littérature du milieu du XXe siècle. Il y a toujours eu des anglicismes, ce n’étaient pas les mêmes. On disait un drink pour un verre ou un attaché-case pour désigner une petite valise. Il y a toujours eu des anglicismes, mais ils n'ont pas une durée de vie très importante. Les anglicismes du XXe siècle, nous en avons plein dans nos dictionnaires et qui sont aujourd'hui uniquement dans Le Grand Robert, parce qu'on ne les emploie plus tellement. Donc, ce n'est pas nouveau ce phénomène de l'emprunt. C'est un phénomène qui a lieu dans toutes les langues. On emprunte plus à l'anglais qu'à d'autres langues du fait de la place de l'anglais dans le monde. C’est une langue qui est très présente dans les médias, très présente à la fois sur des concepts scientifiques souvent écrits en anglais ou dans les séries américaines qui ont beaucoup de place. Alors, évidemment, il y a beaucoup d'anglicismes, mais ils ne sont pas toujours très pérennes. On fait entrer effectivement tous les ans dans Le Petit Robert quelques anglicismes tout simplement parce qu'ils finissent par s'implanter dans la langue française et qu'il n’y a pas forcément d'autres mots pour désigner la réalité en question. On l'a vu avec le mot crush, par exemple, pour désigner un petit coup de cœur, un béguin. Aujourd'hui, les jeunes emploient énormément ce mot. C'est vrai aussi pour les mots scientifiques. En général, comme ils viennent de l'anglais, mais qui parfois sont traduits, comme le mot metavers en anglais qui va être traduit par « métavers ». Il y a aussi des anglicismes dans le domaine des séries comme spoiler et c'est un peu incontournable. Même s'il y a des propositions comme divulgâcher, c'est spoiler qui est majoritairement employé. Donc à un moment, on va avoir besoin de le comprendre et de le mettre dans le dictionnaire.
Mais il n’y a pas que des anglicismes. Nous remarquons des mots dans le domaine de la gastronomie qui viennent un peu du monde entier. Des spécialités qui vont se développer, comme le poke bowl, par exemple, qui vient de l'hawaïen et la cuisine libanaise, par exemple, avec le taboulé. Et puis, il y a aussi des mots qui viennent d'Afrique, qui vont se diffuser un peu plus par la chanson et par les échanges culturels. Je pense par exemple à la go, mot qui désigne une petite amie qui est entré dans Le Petit Robert il y a deux ans. C'est un mot venu de Côte d'Ivoire et qui a fini par être employé aussi en France et dans les pays de la francophonie en Europe. Donc, au bout d'un moment, il rentre aussi dans le dictionnaire.
Quelle est l’influence de l’Afrique dans l’évolution de la langue française ?
Il y a beaucoup de mots qui restent employés presque essentiellement en Afrique. C’est tellement vaste et on est tellement loin, mais il y a quand même des échanges. Je pense aux exemples comme « ambiancer » ou « brouteur », qui sont entrés dans Le Petit Robert. Nous avons tous les ans au moins un mot qui est né en Afrique.
Combien de nouveaux mots entrent par an dans le dictionnaire ?
Il y a entre 100 et 150 nouveaux mots ou expressions nouvelles chaque année. Il y a aussi des sens, comme le mot « hybride » qui va prendre un sens différent de celui qui existait déjà ou encore le mot « cryptomonnaie » qui évolue.
Comment évolue la langue française ?
Il y a énormément de mots qui apparaissent. À partir du moment où la langue est toujours capable de créer de nouveaux mots, elle évolue. Ce ne sont pas uniquement des entrées de l'anglais, on peut voir aussi les mots se créer avec des préfixes, même sur des préfixes grecs. Je parlais de « microplastique » ou de la « réparabilité » : les mots qu'on arrive à former en français, qui prennent et qui diffusent. Donc, la langue est capable de s'adapter à la société actuelle. Cela étant, on peut toujours entendre des discours des gens qui disent que les jeunes ne savent plus parler. Mais c’est un discours qu’on a toujours entendu. Il y a déjà des ouvrages sur le sujet au début du XXe siècle. Je crois que, dans le fond, il faut faire attention, il faut continuer à entretenir son langage, à consulter les dictionnaires.
Vous avez mis à disposition des internautes un outil gratuit, Le Petit Robert en ligne.
Dans ce dictionnaire en ligne, nous avons toute la référence du Robert, un dictionnaire qui est déjà assez complet, certes pas tout à fait aussi complexe que Le Petit Robert ou Le Grand Robert qu'on va pouvoir trouver sur abonnement. Mais, le dictionnaire en ligne est quand même riche, gratuit, accessible à tous dans le monde entier à condition d’avoir une connexion internet. Ce n’est pas toujours évident d’avoir accès à un dictionnaire imprimé ou de l’avoir sur soi. Quel que soit l'endroit, avec cet outil, on a accès à une source de référence. Entre autres, on peut consulter le sens des mots, la définition, on peut écouter la prononciation, trouver des synonymes, évidemment l'orthographe, des combinaisons de mots, c'est-à-dire quels mots s'emploient fréquemment avec ce mot, des conjugaisons, de la grammaire, etc. Il y a aussi tout un tas d'articles de fond autour de la langue française qui décodent certains mots et présentent la langue de manière vivante et sympathique. Et puis des exercices pour s'entraîner, pour jouer avec la langue. C’est un outil formidable pour enrichir son vocabulaire.
Quarante, cinquante, soixante et puis… soixante-dix ! D’où vient cette curieuse façon de compter en France ? Ce quotidien allemand répond à la question d’un jeune lecteur de 8 ans surpris par cette particularité hexagonale.
Merci et merci pour ta curiosité, cher Philipp. En effet, pourquoi le nombre 70 se dit-il soixante-dix, c’est-à-dire 60 + 10, en français ? Et pourquoi 80, c’est 4 x 20, quatre-vingts en français, et pourquoi 90 se dit quatre-vingt-dix*, c’est-à-dire (4 x 20) + 10 ? Allez, spoiler : c’est à cause de la base 20, qu’on appelle le système vigésimal… Mais commençons par le commencement.
Le français est une langue latine très ancienne – il vient du latin de l’Antiquité. Cependant, le système de numérotation français mélange deux façons de compter : le système décimal des Romains, que nous utilisons aussi dans tous les pays germanophones et qui est le plus utilisé dans le monde. Ce mot contient le mot latin decem qui signifie “dix”.
Certains voient dans ce système un rapport avec les cinq doigts de nos deux mains. Ce qui veut dire qu’on compte en s’aidant de ses doigts. Le scientifique allemand Harald Haarmann a découvert qu’il existait dans le monde de petits groupes linguistiques chez lesquels le chiffre 5 se dit “main” et le chiffre 10 “deux mains”. Mais revenons aux nombres français.
Ils reposent sur le système décimal et le système vigésimal. Qui a bien pu inventer ce mélange ? Est-ce Panoramix qui a concocté cette mixture délirante dans son chaudron ?
Non, les parents celtes d’Astérix, que les Romains appelaient “Gaulois”, vivaient vers 50 avant Jésus-Christ. Selon l’historien des mathématiques Karl Menninger, ce sont d’abord les Normands – qui vivaient bien plus tard, au Moyen-Âge, mais à partir de 911 après Jésus-Christ, dans la région qui s’appelle aujourd’hui la Normandie – qui ont adopté la nouvelle façon de compter. Le système vigésimal (du mot latin vicesimus, “vingtième”) repose sur le nombre 20 : on compte par tranche de 20. On suppose qu’à l’époque les gens utilisaient leurs doigts et leurs orteils pour compter ou qu’ils retournaient leurs mains après la première dizaine.
Nous n’avons pas encore parlé de Claude Favre de Vaugelas ni de Gilles Ménage, cher Philipp. Ce sont ces deux chercheurs qui ont fait en sorte qu’on emploie le système décimal jusqu’à 60 au XVIIe siècle, mais le système vigésimal est resté pour 70, 80 et 90. En Belgique et en Suisse francophone, on dit en général “septante”, “huitante” et “nonante” !