par Mathieu Dalaine
Un sinistre portail d’entrée et un imposant mur d’enceinte garni de barbelés. Depuis la D46, en contrebas du Faron, on ne devine presque rien de l’ancienne poudrière du quartier des Moulins.
L’"établissement de Saint-Pierre", de son vrai nom, est un endroit interdit et mystérieux. Une nécropole, disent certains, où les curieux sont priés de passer leur chemin.
Ici pourtant, au 245 avenue des Meuniers, figure l’un des hauts lieux de la libération de Toulon. Du 21 au 22 août 1944, de violents combats opposèrent des centaines d’Allemands retranchés et surarmés au bataillon de choc et au troisième régiment de tirailleurs algériens (3e RTA) venus du Revest.
"C’était le verrou de la ville. De Lattre de Tassigny a comparé ça à Douaumont. Quand les Français sont parvenus à le faire sauter, la voie était libre", pose Philippe Maurel.
Cet hydrospéléologue est un passionné d’histoire locale. Dans un documentaire qu’il vient d’achever (lire par ailleurs), il rappelle cet épisode de la Seconde Guerre mondiale. Il revient aussi longuement sur les secrets que renferme encore aujourd’hui la fameuse "P4", quatrième poudrière construite dans la vallée du Las au milieu du XIXe siècle.
"La bataille fit rage pendant deux jours", raconte le réalisateur. "Le 21 août, les échanges de tirs provoquèrent l’explosion d’une des quatre galeries de la poudrière, qui s’effondra sur elle-même. Certains estiment que deux cents Allemands furent alors ensevelis, avec les munitions en quantités considérables qu’ils stockaient là."
Dans son film, le Revestois fait témoigner plusieurs protagonistes de l’époque, tous décédés aujourd’hui. Roger Rebout, ancien sergent du 3e RTA, évoque carrément "huit cents Allemands, des munitions, des chars" qui auraient été enterrés à l’intérieur du tunnel. D’autres, seulement une poignée. Toujours d’après Roger Rebout, c’est une grenade lancée par les Français qui aurait provoqué une réaction en chaîne, entraînant l’explosion du site tout autour. Là encore, une hypothèse parmi d’autres.
"J’ai vu la colline qui tremblait", se souvient Jacques Colin, alors adolescent vivant au Collet Saint-Pierre. "La fumée s’est élevée de partout; l’explosion a fait sauter les pierres." Andrès Cortès, vétéran du bataillon de choc, soupire. "Cet endroit, c’est comme une tombe." Après la prise totale de cette forteresse, le 22 août 1944 à 22h45, et la fin de combats particulièrement meurtriers, 250 cadavres ennemis jonchaient le sol. Des morceaux de sous-marins de poche allemands en cours d’assemblage furent aussi découverts.
Mais après la libération, les entrailles de la "P4" n’ont jamais réellement été sondées. "Condamnée, elle n’a pas fait l’objet de la moindre exploration. Trop dangereux", résume l’ancien maire François Trucy dans son ouvrage Naguère. Pire: des immeubles ont été progressivement construits sur la colline au-dessus.
L’unique dépollution du site, propriété de la Marine pendant des décennies, a été réalisée à la "poêle à frire" sur seulement 50cm, comme l’attestent des documents de 1988 que nous avons pu consulter. Aujourd’hui encore, on ne sait rien de ce qui se cache sous l’épaisse couche de blocs rocheux laissés en l’état depuis 1944. L’historien Jean-Marie Guillon, interviewé par Philippe Maurel, acquiesce, pointant "les interrogations, les rumeurs."
En 2014, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian évoquait à son tour le sujet. Répondant à la députée toulonnaise Geneviève Levy, désireuse d’en faire un lieu de mémoire collective, il avait ses mots: "La réalisation de travaux de déblaiement pour accéder [aux] dépouilles comporterait des risques considérables et aurait, de surcroît, un coût financier extrêmement important. C’est la raison pour laquelle aucune initiative n’a été prise pour exhumer les corps."
La même année, l’État décidait de vendre aux enchères la friche de 7 hectares à un certain Jan Cornelis Hendrik Van Schaik, domicilié en Belgique. Celui-ci n’a pas souhaité rendre publiques les raisons pour lesquelles il avait acheté cette parcelle, pourtant largement inconstructible. Sa première action fut de sécuriser le terrain pour éviter les intrusions. "A-t-il acquis les lieux pour faire ses propres recherches dans les décombres?", s’interroge Philippe Maurel.
Il est probable que nous ne le sachions jamais: l’homme est décédé l’an dernier.
En août1944, les combats sur l’avenue du XV-Corps, au Pont-du-Las, furent acharnés. Photo William E. Bonnard - US Nara.
Avec L’autre Débarquement réalisé par Christian Philibert (2014), Les Drailles de la liberté est l’un des rares documentaires à s’intéresser à la libération de Toulon. Aux manettes : l’hydrospéléologue et féru d’histoire locale Philippe Maurel.
"L’idée, c’était de raconter le parcours des libérateurs, arrivés de Siou-Blanc, puis passés par Le Revest avant de reprendre la ville aux Allemands".
Pour ce faire, Philippe Maurel s’est appuyé sur Dardennes 44, un de ses précédents films, et a notamment réutilisé les témoignages de combattants de l’époque, tous disparus aujourd’hui, enregistrés au début des années 2000. "Certains sont très forts, comme celui d’Andrès Cortès, un ancien du bataillon de choc."
Quelques "VIP" font aussi des interventions remarquées, tels le neuropsychiatre Boris Cyrulnik ou l’historien Jean-Marie Guillon.
Les bombardements de 44, la pénurie pendant la guerre, le sabordage ou le Débarquement sont aussi abordés. Mais c’est bien la bataille de Toulon qui intéresse l’auteur, de la poudrière des Moulins… au Pont-du-Las "J’ai découvert que dans ce quartier, les combats furent terribles. Jean-Marie Guillon évoque un crime de guerre commis par l’armée allemande, avec sept membres du bataillon de choc et un habitant fusillés sur le trottoir. Une plaque leur rend hommage sur l’avenue du XVe-Corps."
Mais, pour Philippe Maurel, le principal enseignement du film se rapporte peut-être à l’identité des héros qui ont libéré Toulon.
"Pour l’essentiel, c’était les coloniaux. Il suffit de voir, place Louis-Charry, les noms à consonance nord-africaine de ceux qui sont tombés lors des combats de la poudrière. En ces temps troublés, il n’est pas inutile de le rappeler…"
Savoir + Projection du film Les Drailles de la liberté jeudi 27 juin à 14 h 30, à la salle Franck-Arnal, rue Vincent-Scotto à la Rode. Entrée gratuite. Événement organisé par le mémorial du Débarquement et de la Libération du Faron.