La peau est le plus grand organe du corps humain. Elle constitue non seulement la première ligne de défense contre les facteurs de stress externes tels que toxines environnementales, agents pathogènes et polluants, mais elle peut aussi révéler beaucoup de choses sur notre santé physique.
Des études ont montré que l’intestin et la peau communiquent en permanence par l’intermédiaire de ce qu’on appelle l’ « axe intestin-peau ». Cela signifie que les démangeaisons, les rougeurs, les peaux bosselées ou écailleuses peuvent être liées à ce qui se passe dans l’intestin.
De plus en plus de données cliniques établissent un lien entre des changements dans la composition du microbiome intestinal et le développement de diverses maladies de la peau.
Le microbiome intestinal humain est constitué d’une population de micro-organismes, collectivement appelés « microbiote », qui vivent dans le tractus gastro-intestinal. Le microbiome a de nombreuses fonctions, telles que la protection contre les infections, l’entraînement du système immunitaire, la synthèse de vitamines et la digestion de substances naturelles telles que les hydrates de carbone.
Divers facteurs influencent la composition, la richesse et le travail du microbiote intestinal, notamment le stress, l’alimentation, la consommation d’alcool, l’exercice physique et la prise d’antibiotiques.
Cependant, lorsque l’équilibre complexe entre le microbiote bénéfique et le microbiote nuisible est modifié — on parle alors de « dysbiose » —, la barrière intestinale peut devenir perméable. On parle alors de syndrome de perméabilité intestinale, une condition dans laquelle l’intestin, de plus en plus fuyant, permet aux toxines microbiennes, aux antigènes alimentaires (minuscules particules de nourriture) et aux mauvaises bactéries de pénétrer dans la circulation sanguine.
Ce phénomène peut engendrer des modifications dans la réponse du système immunitaire et le développement de maladies inflammatoires de la peau telles que dermatite atopique, psoriasis, rosacée et acné.
La dermatite atopique, ou eczéma est une maladie inflammatoire chronique qui touche principalement les enfants de cinq ans et moins. Des études ont démontré que le microbiome intestinal des personnes souffrant d’eczéma contient moins de Bacteroidetes et de Bifidobacterium, des bactéries qui protègent l’intestin contre la colonisation par des agents pathogènes, que la moyenne des gens.
On a également constaté que le nombre de bactéries intestinales produisant du butyrate — un acide gras à chaîne courte qui contribue à l’intégrité et à la fonction de la barrière épithéliale de l’intestin — est faible chez les nourrissons atteints d’eczéma. Ces acides gras ont aussi des effets anti-inflammatoires et agissent comme des immunomodulateurs en aidant à réguler la réponse immunitaire.
De récentes études sur le microbiome montrent clairement que les micro-organismes présents dans l’intestin jouent un rôle clé dans la réponse immunitaire, le métabolisme et la physiologie. Des chercheurs ont examiné plusieurs facteurs susceptibles d’influencer l’équilibre du microbiote, ainsi que les moyens de rétablir la santé intestinale en cas de dysbiose.
Le développement du microbiome intestinal et du système immunitaire est une étape cruciale de la vie des nourrissons et des jeunes enfants. Étant donné que 80 % des cellules immunitaires humaines se trouvent dans le tissu lymphoïde autour du tractus digestif, l’intestin peut être considéré comme le centre du système immunitaire.
La colonisation du microbiome intestinal par des micro-organismes commence dès la naissance. Les bébés nés par voie vaginale sont d’abord exposés aux micro-organismes présents dans le système génito-urinaire de leur mère. Le microbiome maternel constitue la première source d’Escherichia coli, de Bifidobacterium et de Bacteroidetes pour le tractus intestinal du nourrisson. En outre, le lait maternel représente également une source de divers micro-organismes, tels que Streptococcus et Lactobacillus.
Les antibiotiques sont des médicaments qui aident notre corps à lutter contre les infections en tuant les bactéries et en ralentissant leur croissance. Ils sont souvent nécessaires et peuvent sauver des vies. Cependant, les traitements antibiotiques ne ciblent pas uniquement les bactéries responsables de la maladie, mais également les bactéries bénéfiques présentes dans l’intestin.
Le microbiome peut mettre plus de deux ans à se rétablir après avoir été exposé à des antibiotiques. Dans certains cas, il ne retrouvera jamais sa diversité bactérienne normale. Cette constatation a été rapportée pour des antibiotiques administrés par voie orale et intraveineuse. Il est donc important de prendre ces médicaments de manière appropriée et uniquement lorsque nécessaire. Ce point s’avère particulièrement vrai dans le domaine de la dermatologie, où des affections cutanées telles que l’eczéma peuvent être initialement confondues avec une infection et traitées inutilement avec des antibiotiques.
Le microbiome intestinal peut être renforcé par la prise de probiotiques et de prébiotiques, ce qui peut contribuer au traitement des affections cutanées telles que l’eczéma.
Les probiotiques sont des organismes vivants bons pour la santé. Ils agissent en se liant de manière compétitive aux cellules de l’épithélium intestinal, qui forme la paroi de l’intestin grêle et du gros intestin. Ils participent ainsi à la lutte contre l’invasion de l’organisme par des agents pathogènes. Cette liaison compétitive va de pair avec la production de bactériocines, une protéine de type antibiotique produite par les organismes probiotiques. Les bactériocines inhibent encore davantage le développement des agents pathogènes.
Les prébiotiques sont des substances alimentaires qui ne sont ni digérées ni absorbées dans le tractus gastro-intestinal. Comme les probiotiques, les prébiotiques contribuent à renforcer la barrière intestinale en favorisant la production d’acides gras à chaîne courte et en améliorant la réponse immunitaire de l’organisme.
Si les probiotiques et les prébiotiques peuvent être utilisés pour atteindre un équilibre sain du microbiote en l’absence de maladie, il est beaucoup plus difficile de rétablir cet équilibre pendant ou après une maladie. La prise de probiotiques et de prébiotiques peut constituer une intervention complémentaire au traitement de personnes souffrant d’affections telles que l’eczéma
Pour finir, examinons l’incidence de l’alimentation sur le microbiome intestinal.
Des recherches ont montré que le gluten peut être à l’origine de différents problèmes de santé, notamment d’une dysbiose intestinale. Ses effets négatifs sont particulièrement présents chez les gens qui souffrent d’hypersensibilité au gluten ou de la maladie cœliaque.
La sensibilité au gluten et la perméabilité intestinale font partie d’une boucle de rétroaction positive, les deux se renforçant mutuellement. Cela signifie que lorsque des personnes qui souffrent d’hypersensibilité au gluten ou de maladie cœliaque consomment du gluten, elles risquent d’endommager leur barrière intestinale et de rendre l’intestin de plus en plus perméable, ou « fuyant ». Des particules étrangères peuvent alors s’échapper de l’intestin et passer dans la circulation sanguine, ce qui met le système immunitaire en état d’alerte et provoque des vagues d’inflammation dans tout l’organisme.
Ces réactions peuvent engendrer des affections cutanées telles que l’eczéma. Par ailleurs, un intestin perméable peut entraîner une sensibilité accrue au gluten, renforçant ainsi le déclenchement initial du syndrome de l’intestin perméable et nuisant davantage à la barrière intestinale.
Des études ont révélé que les aliments riches en sucres ajoutés, le gluten, l’alcool et les légumes de la famille des solanacées, comme les pommes de terre et les poivrons, peuvent modifier la composition du microbiote intestinal. Ainsi, une consommation excessive de sucre peut entraîner une prolifération d’E. coli dans les intestins, ce qui affecte négativement le fonctionnement du microbiome. Ces aliments peuvent irriter la muqueuse intestinale et provoquer une dysbiose, appauvrissant la diversité microbienne et augmentant l’inflammation.
En revanche, la consommation d’aliments riches en fibres contribue à rétablir l’équilibre du microbiote intestinal, à soutenir la croissance de bactéries bénéfiques et à réduire le nombre de molécules de signalisation (cytokines) qui favorisent l’inflammation. Ces aliments comprennent les fruits (p. ex. framboises, poires, bananes), les glucides complexes (p. ex. riz brun, pain complet et légumineuses) et les légumes (p. ex. brocolis, pois verts et choux de Bruxelles). Les aliments fermentés, comme le kombucha, améliorent également la diversité bactérienne dans l’intestin.
Sachant que l’on constate de plus en plus de liens entre les maladies inflammatoires de la peau et la dysbiose du microbiome intestinal, il est important de prendre soin de sa santé intestinale. Bien que nous ne puissions pas toujours contrôler certains éléments comme la colonisation du microbiome intestinal au début de notre vie et la prise d’antibiotiques, nous pouvons néanmoins renforcer notre intestin en faisant attention à notre alimentation et en utilisant des probiotiques et des prébiotiques.
Au Brésil, votre nom usuel n’est pas forcément celui qui est inscrit sur votre carte d’identité. En la matière, on adore raccourcir, simplifier, inventer, choisir.
“Quel est ton nom ?” C’est toujours la première question que l’on vous pose au Brésil lors d’un premier contact.
Attention au piège : au Brésil, le nom c’est le prénom, le plus utilisé dans la vie courante et même professionnelle. Peu de formalisme. Mais c’est plus subtil : parfois, en cas de prénom commun comme Antonio ou Maria ou pour d’autres raisons, on utilisera le sobrenome, le nom de famille. Il n’y a pas vraiment de règle, juste de l’habitude et de la praticité. Une autre pratique courante au Brésil est l’utilisation d’un surnom ou apelido. Qui s’intéresse un tant soit peu au futebol le sait bien : beaucoup de joueurs brésiliens sont connus par leur surnom, comme le “roi Pelé”. Mais cela peut aussi s’appliquer à un président de la République : Luiz Inácio da Silva est devenu Lula pour tous et quasi officiellement ! On aime bien aussi abréger les prénoms trop longs : un diminutif est plus chaleureux, plus intime. Fernando devient Nando ; Rosangela, Rô ; José, Zé ; Francesca, Chica ; Raimundo, Rai ; Juliana, Ju…
Des noms de famille au choix
Par contre, pour les noms de famille, c’est une histoire plus compliquée. En fait, on a l’impression que chacun fait un peu ce qu’il veut : tout commence par le choix du ou des parents à la naissance de l’enfant. Lequel peut recevoir un seul nom de famille… ou alors beaucoup plus ! Un exemple : pour l’état civil brésilien, il s’appelle Oscar Ribeiro de Almeida Niemeyer Soares Filho ; pour le monde entier, son nom est célèbre et se résume simplement à Oscar Niemeyer. Mais le nom de Niemeyer est celui de sa grand-mère maternelle d’ascendance allemande, pas celui de ses parents ! Au Brésil, on choisit son nom.
On connaît rarement le nom officiel et complet des gens hors d’un contexte administratif. Chaque fois que j’en ai l’occasion, comme avec mes étudiants, c’est une invitation à un véritable voyage dans l’immigration brésilienne des siècles derniers. Bien sûr les noms d’origine portugaise prédominent mais, en particulier dans le sud du pays, ils cohabitent avec plein d’autres origines. Vous pourriez bien tomber sur un Gilberto Soares Manzini Neuman Yamazaki ! Mais un de ces noms pourrait tout aussi bien être espagnol, polonais ou… français ! Le grand brassage.
Il y a d’autres cas de figure. À un collègue dont le nom de famille est Amado, je demande si sa famille est d’ascendance portugaise, espagnole ou italienne. Il s’en amuse : “Non, aucune des trois ! Mon grand-père est originaire du Liban. Il s’appelait Habib mais arrivé ici au Brésil, il a absolument voulu “portuguiser” son nom : Habib est logiquement devenu Amado !” On peut comprendre ce grand-père : les Brésiliens ont souvent bien du mal avec tous ces noms étrangers difficilement prononçables. C’est ce qui m’est arrivé lors de mon premier voyage au Brésil. J’ai dû donner mon nom à une agence de voyages pour l’émission d’un billet de bus. Bêtement j’ai donné mon nom de famille. Erreur fatale : Pouillaude est tout simplement incompréhensible et imprononçable pour un Brésilien. L’employée bahianaise l’écrivit difficilement après que je l’avais épelé bien lentement. Puis elle me regarda avec un grand sourire et me dit : “Oh, mon amour ! Si tu veux vivre dans ce pays, je te donne un bon conseil : change de nom ! ”
Il y a dix ans, presque jour pour jour (le 15 septembre 2014), Netflix débarquait en France. Ce jour-là, sans qu'on en eut forcément conscience sur le moment, l'exercice qui consistait à ouvrir un livre pour passer une soirée en sa compagnie devenait une pratique désuète, bientôt obsolète. Je ne dis pas qu'en 2014 la France comptait autant d'habitants que de lecteurs, mais au moins existait-il encore une frange de sa population qui s'adonnait régulièrement au plaisir de lire des livres autres que des romances à visées commerciales.
Dix ans plus tard, cette population a largement disparu. Rares sont désormais les individus qui occupent leurs heures de loisir à dévorer un roman, préférant s'adonner au plaisir de consommer, à toute heure de la journée, un flux de séries présent en abondance sur de multiples plateformes de streaming. D'une certaine manière, Netflix et consorts ont donné le coup de grâce à une pratique qui était de toute manière condamnée à disparaître.
Il n'est nul besoin d'être visionnaire pour constater que nous sommes passés, en l'espace de deux décennies, d'une civilisation du verbe à celle de l'image et du bruit, du tapage incessant. L'apparition des réseaux sociaux a capté l'essentiel de nos capacités réflexives, transformant nos cerveaux en une vaste terre brûlée où la finesse de la pensée a été remplacée par la brutalité de slogans qui ne cherchent plus à asseoir un raisonnement, mais à manifester une opinion réduite à sa plus simple expression.
Les écrans sont devenus nos nouveaux évangiles, nos téléphones portables, nos auxiliaires de vies. Nous vivons saturés d'images, de faits divers, d'anecdotes qui vont et viennent à la vitesse de la lumière au point où notre capacité à fixer notre attention ne dépasse plus que quelques minutes, voire même une poignée de secondes, le temps de s'intéresser à une quelconque problématique, avant de s'interrompre pour répondre à un message WhatsApp ou visionner en urgence absolue une vidéo sur l'accouplement de deux pandas dont les ébats feront le tour du monde avant de laisser la place à un homme capable de décortiquer un homard à l'aide de sa barbe.
Netflix n'a fait qu'accentuer ce dérèglement culturel en proposant pour un prix dérisoire une flopée de séries, certaines remarquables, mais dans l'immense majorité parfaitement insignifiantes et suffisamment élaborées pour que le cerveau captif en redemande soir après soir. Si l'on considère que le but ultime de chaque individu est de trouver un moyen de s'évader de lui-même, Netflix a apporté de quoi remplir ce besoin existentiel par la profusion d'une offre qui ne connaît pas de limites.
Netflix procure chaque jour la dose suffisante de divertissement pour permettre à chacun de prendre congé de lui-même sans réclamer autre chose qu'un canapé et une capacité d'attention minimale. Le problème étant qu'à force de répéter cet exercice, le cerveau a perdu tout contact avec la notion même d'effort. À force de s'absenter de nous-mêmes, nous sommes devenus des sortes de parangons du vide, d'individus saoulés de récits écrits à la va-vite et filmés pareillement, dont le rythme effréné de productions annihile toute sorte d'esprit critique.
Si bien que désormais la lecture d'un roman, d'un roman qui ne soit pas le pendant d'une série estampillée Netflix où l'écriture serait devenue comme une sorte de supplétif à l'image, une écriture bon marché et sans aspérités, demande non seulement du temps mais aussi des efforts que nous ne sommes simplement plus capables de fournir.
Le cerveau est un muscle. Si vous l'habituez à gober des images ou des intrigues sans jamais le perturber dans sa manière d'être, si vous répondez très exactement à ce à quoi il aspire, un simple et pur désir d'évasion, face à la complexité d'une phrase qui prendrait le temps de s'écrire et jouerait sur plusieurs registres lexicaux, il devient aussi désemparé qu'un poulet face à un décapsuleur.
Ce n'est pas que les gens lisent moins, c'est qu'ils ne savent plus lire. Que leur capacité de concentration a diminué en des proportions si drastiques que la lecture qui nécessite une attention soutenue et un certain goût pour l'effort, se heurte aux contingences d'un cerveau asséché par l'absorption à haute dose de produits culturels néfastes à sa productivité.
Ce serait comme manger tous les jours de la pizza. À la longue, votre capacité à savourer des plats un brin plus élaborés aura disparu. L'idée même de goût n'existera plus. Vous serez devenus un estomac à pizza et à rien d'autre. Netflix, c'est le Pizza Hut de la culture. Un truc ni bon ni mauvais, juste pratique pour n'avoir ni à cuisiner ni à penser. Pour beaucoup, une certaine idée du bonheur contemporain.
Des haies l’on connaît souvent les nombreux bienfaits pour la biodiversité comme pour une agriculture durable. On sait aussi qu’elles peuvent être l’objet de tensions entre propriétaires voisins, entre agriculteurs et décideurs publics. Le sociologue Léo Magnin nous propose désormais de découvrir « La vie sociale des haies ». Il démontre au passage comment cet objet d’étude est propice à l’examen d’un processus balbutiant et semé de contradictions : l’écologisation des mœurs.
Dans cet extrait, il analyse l’évolution des haies au prisme de leurs fonctions économiques.
Dans les sociétés essentiellement agricoles du Moyen Âge, les arbres sont une richesse : Norbert Elias dresse le parallèle entre, d’un côté, les prisonniers tués et, de l’autre, les arbres, les puits et les champs détruits pour affaiblir l’adversaire. On se souvient que la haie est, avec le mouvement des enclosures, un investissement qui contribue à matérialiser les bornes de la propriété privée lucrative. Dans son Théâtre d’agriculture et mesnage des champs, Olivier de Serres (1539‐1619), agronome avant la lettre, louait aussi les haies, meilleures cloisons que les murailles, fossés et palissades, parce qu’elles sont infranchissables :
« Tous‐jours les Haies sont de grand service, defendans par leurs piquerons, le passage à gens & à bestes : d’autant qu’à travers ne peut‐on passer, ne par dessus aucunement monter. »
Or cette fonction de préserver les cultures, vignes et jardins du dégât « des bestes & des larrons » n’est pas consubstantielle à la haie mais le résultat d’un travail spécifique, au sujet duquel Olivier de Serres donne de précieux conseils : préférer l’aubépine aux ronces, apporter du fumier à la haie pour la fortifier, tailler ses rejets pour conserver sa vigueur, les entortiller pour ne laisser aucun passage aux bêtes nuisibles (« poulailles » comprises) ou encore rogner sa hauteur chaque année. Il ne suffit donc pas de planter une haie : elle doit être continuellement édifiée.
« Édifier » une haie ? À partir des années 1980, des ethnologues des techniques se sont penchés sur les travaux dont les haies étaient encore l’objet au début du XXe siècle. Ils rappellent la distinction entre haie vive et haie sèche, la seconde étant aujourd’hui tombée en désuétude. Composée de branches mortes, cette dernière était facilement déplaçable, mais requérait un travail régulier de remplacement des bois dévorés par l’eau, le soleil et les insectes. Quant à la haie vive, composée d’arbres et d’arbustes vivants, elle était aussi édifiée, pour reprendre le terme de [l’ethnoécologue] Patrice Notteghem. Il faut boucher les « musses », ouvertures où se glissent les petits animaux, par des portions de haie sèche, mais aussi contraindre les végétaux à pousser à l’horizontale. C’est tout le but du plessage (ou plissage), cet art d’avant le barbelé par lequel une haie habilement tressée devient une barrière infranchissable : « La haie plessée s’apparente donc à une vannerie vive. » De tous les travaux disponibles, ceux de Christian Hongrois sont sur ce point les plus précis et paradoxalement les plus ignorés. L’ethnologue a détaillé avec rigueur la nature des travaux de plessage en Vendée : de multiples dessins et photographies étayent son propos. Signe des temps, son ouvrage de 1997, jusqu’ici disponible dans une seule bibliothèque universitaire, a fait l’objet d’une nouvelle édition enrichie et actualisée
Si la haie peut devenir une « cage » efficace à condition d’être conduite, elle est aussi une infrastructure de production végétale. Car s’il faut parler d’édification plutôt que de plantation, il faut aussi préférer le terme d’exploitation à celui d’entretien. C’est le cas des arbres d’émonde, élagués de différentes manières, dont le bois est diversement utilisé. La taille fréquente est révélatrice d’un rapport social : le petit branchage est laissé aux fermiers, alors que les troncs et le bois noble reviennent aux propriétaires terriens, d’après un usage formalisé au XIXe et au début du XXe siècle, puis abandonné dans les années 1950. Entretenir les haies est la préoccupation de l’agriculteur contemporain qui ne les exploite plus. En miroir, les laisser pousser pour qu’elles accueillent un riche écosystème est l’idéal du naturaliste. En revanche, pour le paysan de la fin du XIXe siècle, la haie est avant tout une culture qu’on récolte. Prenant l’exemple de l’aubépine, Bernadette Lizet montre que l’arbuste était « devenu si rare à l’état sauvage dans un milieu soumis à une exploitation intensive de toutes ses ressources qu’il a fallu, dans un passé récent, organiser une expédition coûteuse pour s’en procurer ». Elle a en effet découvert qu’en 1880 un groupe de villageois de l’Ain avait organisé un voyage de cinquante kilomètres vers la pépinière de la ville voisine afin d’obtenir le précieux végétal, alors culture symbole de la modernité.
Le bois des haies est utile pour se chauffer. Les branches, une fois mises en fagots, alimentent les fours à pain et servent, par exemple, à cuire certains fromages. De plus, la cuisson n’était pas réservée aux mets destinés à l’alimentation humaine : les denrées données aux cochons, aux poules et aux autres animaux de la basse‐cour étaient systématiquement cuites. D’autres ressources sont puisées dans la haie : les feuilles du frêne sont un fourrage délicieux pour les vaches. Les mûrons sont l’ingrédient de base de la confiture et les noisettes de l’huile, sans compter la récolte des noix, nèfles, prunelles et châtaignes. Les bois durs sont utilisés pour la construction de bâtiments et la fabrication d’outils : balais, jougs, aiguillons de bouvier, charpentes, échelles, barrières, piquets, etc. L’écrivain Jean‐Loup Trassard rapporte que les haies fournissaient aussi des jouets pour les enfants : la « canne‐pétouère », sorte de sarbacane faite d’une branche de sureau évidée, ou les toupies cloutées. Quant à la clématite et à l’osier, leurs branches souples sont les matières premières des liens servant à « plisser » les haies et à tenir les fagots, mais aussi de la vannerie : paniers, ruches, meubles. Alice de Vinck rappelle que les fagots étaient indispensables pour cuire la poterie. Christian Hongrois rapporte les usages médicaux et traditionnels des plantes : l’aubépine contre les verrues, le sureau contre les maux de dents, les feuilles de chêne contre la diarrhée, etc.
Au cours du XXe siècle, l’évolution des techniques et des circuits de commercialisation frappe peu à peu de caducité les services indispensables que les haies rendaient à l’économie domestique des ménages ruraux. Le barbelé, cette « ronce artificielle », remplace les haies plessées. Avec le fil électrique, la haie achève de perdre sa fonction historique de clôture. L’arrivée et la généralisation des énergies fossiles et de l’électricité relativisent aussi le poids du bois dans la consommation énergétique des foyers. Le pain n’est plus fait à la maison mais peut s’acheter à la boulangerie, la poterie recule face aux ustensiles manufacturés disponibles en magasin : puisque la cuisson du pain et de la poterie est devenue superflue, les fagots s’effacent. Les scieries, puis les enseignes de bricolage fournissent les manches, échelles, planches, lambourdes et chevrons qu’on trouvait dans les arbres. Ce qu’il reste de vannerie s’avoue vaincu face au formica triomphant. L’amélioration de la production du fourrage fait oublier les feuilles jusqu’ici offertes au bétail. La nouveauté des produits vendus à l’épicerie du village, puis au supermarché du bourg, attire davantage que les longues récoltes de baies et fruits secs. La pharmacopée moderne supplante la pharmacopée traditionnelle, qui ne subsiste qu’à l’état de souvenir. Même la « canne‐pétouère » et la toupie cloutée se retirent devant leurs émules de plastique qui ont les faveurs des enfants.
À bien y réfléchir, les haies ont donc été plantées et édifiées pour des raisons économiques, avant d’être marginalisées et détruites pour de nouvelles raisons économiques. Dans l’intervalle d’une transformation au long cours, l’économie se modifie dans l’espace : l’allongement des chaînes de commercialisation a court‐circuité le lien territorial entre la haie et le foyer agricole. La perte de fonction des haies peut se lire comme la conséquence de la rétrogradation de l’autonomie locale au profit d’une plus grande interdépendance matérielle entre les groupes sociaux urbains et ruraux. L’économie s’est aussi transformée dans son rapport au temps : le travail agricole est pris dans un engrenage entre mécanisation et exode rural. Moins il y a de bras pour les travaux des champs, plus il y a de machines ; et réciproquement. Le temps dévolu à l’entretien des haies diminue d’autant plus que les exploitations s’agrandissent, ce qui augmente la quantité de haies par exploitant bien que le bocage régresse.
Nous voici en mesure de comprendre pourquoi Julien Gracq écrivait dès 1934 que le bocage est « une forme autrefois rationnelle d’exploitation de la terre », « une forme de vie économique aujourd’hui fossile » qui « mourra d’une transformation sociale ». La grande variété des produits récoltés fait dire à Patrice Notteghem que les haies paysannes étaient « un véritable système agro‐forestier » et Bernadette Lizet qualifie la haie de « culture intensive » :
« Embroussaillées, à demi “séchées”, les haies relictuelles d’aujourd’hui portent encore les traces fossiles d’une exploitation méthodique. Elles renvoient à un temps du bocage fonctionnel, une période d’hyper‐domesticité du milieu et d’extrême degré de maîtrise du « sauvage », dans laquelle la conduite soignée de la haie entre en résonance avec les autres aspects de l’agrosystème. »
Les haies sont devenues une culture fossilisée parce que les rapports économiques ont fondamentalement changé. Ils sont passés de l’exploitation d’une ressource en vue de sa récolte à l’entretien d’une survivance désaffectée. Auparavant source de services et produits pour les ménages ruraux, la haie est devenue un coût dans l’économie des exploitations contemporaines spécialisées. Une recherche récente estime même que l’entretien d’un kilomètre de haies représente une dépense annuelle de 450 euros. Il est alors légitime de se demander pourquoi les haies, richesses faites charges, n’ont pas totalement disparu de l’espace agricole. Après tout, voilà bientôt un siècle que Julien Gracq annonçait leur fin. Là encore, l’attention à l’économie des exploitations agricoles est féconde : si les haies n’ont pas davantage disparu, c’est probablement aussi parce que les détruire coûte cher. Un dessouchage exige des ressources financières et matérielles, ce qui constitue un investissement qui, à terme, ne sera peut‐être pas gagnant dans la trésorerie de l’exploitant.
Ce constat ne doit pas inviter au pessimisme, mais à interroger la tendance qui, en sciences sociales, promeut l’agentivité des « non‐humains », leur capacité à interférer dans le cours de l’action. Cette agentivité n’est‐elle pas proportionnelle à l’incapacité économique de certains groupes sociaux ? En suivant les péripéties de la vie économique des haies, il apparaît que les objets et les choses en général n’ont pas été ignorés par les sciences sociales, comme l’affirmait Bruno Latour, mais étudiés de très près par l’ethnologie des techniques, attentive à l’économie des fermes. Pourtant, cette anthropologie de l’environnement a été marginalisée par l’anthropologie de la nature de Philippe Descola, plus centrée sur les représentations que sur les pratiques. L’histoire économique des haies confirme l’intérêt de ces travaux ethnologiques éclipsés par d’autres traditions de recherche qui, si elles sont importantes, cultivent une rhétorique de la rupture qui néglige l’apport d’études existantes.
Que reste-t-il du mythique quotidien d'après-guerre ? Presque rien : un nom et un site web, sans journalistes. Après plusieurs mois de procédure, France-Soir a perdu mi-août son statut de service de presse en ligne, sur décision du tribunal administratif de Paris. S'il continue d'exister, il doit se passer de certains avantages fiscaux et d'aides potentielles du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). France-Soir a annoncé sur son site faire appel de cette décision, jeudi 22 août, tout en dénonçant une "censure politique".
Dans son avis, la commission mixte paritaire des publications et agences de presse (CPPAP) a estimé que le titre ne présentait pas le "caractère d'intérêt général" requis pour ce statut. France-Soir est d'ailleurs identifié comme "participant depuis 2020 de la complosphère covido-sceptique francophone", selon le site spécialisé Conspiracy Watch. Comment cette publication mythique et reconnue, dont le tirage atteignait le million d'exemplaires dans les années 1950, a pu en arriver là ? Franceinfo retrace la lente et inexorable chute du titre de presse.
France-Soir naît en 1944, "l'année zéro de la presse papier telle qu'on la connaît aujourd'hui", estime auprès de franceinfo l'historien Alexis Lévrier, spécialiste de l'histoire du journalisme. Le quotidien constitue la synthèse de deux titres : Défense de la France, un journal clandestin de la Résistance, et Paris-Soir, l'un des quotidiens phares de la presse populaire des années 1930. Pierre Lazareff, ex-directeur de la rédaction de Paris-Soir, prend la tête du quotidien et met en œuvre son savoir-faire.
"C'est un journal qui couvre tous les sujets politiques et les faits divers, qui s'adresse à toutes les classes de la population, contrairement au Monde ou au Figaro", détaille le maître de conférences à l'université de Reims. "On mise sur le terrain, la photographie, et l'hyper-immédiateté. On peut avoir six à sept éditions par jour, les colporteurs vont sur le terrain pour vendre au plus près du lecteur". En clair, France-Soir a inventé l'information en continu. Au sommet de sa gloire, la rédaction emploie 400 journalistes, dont les plus grandes plumes, comme Joseph Kessel, Henri Troyat, Georges Simenon ou Françoise Giroud.
Le quotidien, qui appartient alors à Hachette, tire à plus d'un million d'exemplaires par jour en 1953 et s'y tient pendant treize ans, relève France Culture. Pourtant, les signaux du déclin sont déjà là. "Pierre Lazareff, c'est un génie rattrapé par l'évolution technique et les pratiques culturelles. Il n'y pouvait rien, tranche Alexis Lévrier. L'âge d'or de la presse écrite a déjà disparu : c'était lors de la Belle Epoque [1871-1914]. Il a réussi à le faire revivre un peu dans les années 1950-1960 avec France-Soir."
Le modèle qui a fait le succès de France-Soir va aussi le condamner. "A l'époque, les revenus de la presse écrite reposent sur la vente en kiosque. A cause de la baisse des ventes, l'argent ne rentre plus, et faire de grands reportages, avec Albert Camus ou Jean-Paul Sartre, ça coûte cher", analyse Adrien-Guillaume Padovan, journaliste et auteur d'un mémoire (PDF) sur le quotidien. Autre écueil selon le journaliste : le manque d'identité éditoriale de la publication. "Axer sa ligne sur les faits divers ne crée pas un attachement des lecteurs au journal", estime-t-il.
A partir de la fin des années 1960, le journal amorce une lente perte d'influence, sous l'effet cumulé de la concurrence de la télévision, de la radio, puis plus tard, comme nombre d'autres journaux, d'internet. "La télévision a la capacité de toucher les gens, et l'accélération de l'information qu'elle permet condamne le modèle de Lazareff, basé sur l'instantanéité", explique Alexis Lévrier. Visionnaire jusqu'au bout, Pierre Lazareff lance en 1959 l'émission pionnière des magazines d'information, Cinq colonnes à la une. "Il s'investit là-dedans en pensant que ça va sauver son journal, avance Adrien-Guillaume Padovan. Il crée en fait France-Soir pour la télévision."
L'innovant patron de presse meurt en 1972, et avec son décès, émergent des problèmes de gestion interne. "France-Soir, c'était Pierre Lazareff. Et Pierre Lazareff, c'était France-Soir. C'est lui qui avait les idées et les impulsions. A partir du moment où la direction du journal meurt, c'est la fin", juge le journaliste. A cette époque, les tirages se maintiennent encore à environ 600 000 exemplaires quotidiens.
Rachats, plans sociaux et déboires financiers
Des employés et journalistes de "France-Soir" manifestent à l'appel des syndicats, le 10 novembre 2011 à Paris. (JACQUES DEMARTHON / AFP)
Robert Hersant rachète France-Soir en 1976. Le magnat de la presse vient déjà de s'offrir Le Figaro. Sa soif de conquête lui vaut le surnom de "Papivore", dévoreur de papier, comme le retrace France Inter. Il met en place un plan social et revend le siège historique, rue Réaumur, en plein cœur de Paris. Le quotidien est finalement cédé en 1999, trois ans après la mort de l'homme d'affaires, qui "n'a pas réussi à moderniser" le titre, selon Alexis Lévrier.
En parallèle, son concurrent, Le Parisien (créé en 1944), et son édition nationale, Aujourd'hui en France (1994), s'imposent sur le marché, se positionnant eux aussi sur le créneau "populaire". "Le quotidien est plus adapté que France-Soir, il propose des thèmes de la vie quotidienne comme le tiercé ou le sport", analyse l'historien. "Les chaînes d'information en continu lui ont ensuite porté le coup de grâce", ajoute-t-il.
Alexandre Pougatchev, fils d'un oligarque russe proche du Kremlin, rachète le titre en 2009. Entre Robert Hersant et lui, pas moins de huit présidents se sont succédé en dix ans. Les tentatives pour transformer le journal en tabloïd font un flop et font fuir une grande partie des journalistes. Le journal ne tire plus qu'à un peu plus de 20 000 exemplaires par jour. Le plan de relance du jeune milliardaire comprend une nouvelle maquette, de nouvelles signatures, un fort budget publicitaire et la baisse du prix de vente. Rien n'y fait : deux ans plus tard, France-Soir disparaît des kiosques, remplacé par une édition numérique gratuite, sur fond de forte contestation. Sur 127 emplois, 89 sont supprimés. France-Soir est placé en liquidation judiciaire en 2012
Racheté par un nouveau propriétaire, la société Cards Off SA, le titre de presse devient un temps un magazine sur tablette en 2013, mêlant information et vente en ligne. Trois ans plus tard, son président, Xavier Azalbert, devient directeur de publication du site. Les quatre seuls journalistes de la rédaction se mettent en grève en 2019, dénonçant de fortes dégradations des conditions de travail et redoutant le mélange des genres entre journalisme et communication. Ils sont licenciés pour motif économique, tandis que le site continue de produire du contenu.
Pendant la pandémie, le site de France-Soir prend un nouveau tournant, se faisant écho de la désinformation et de théories complotistes sur le Covid-19. Xavier Azalbert intervient même dans le documentaire conspirationniste Hold-up, ou encore lors d'une conférence pseudo-scientifique en 2023. "Les pires adversaires de la presse se nourrissent de l'héritage de la presse. Xavier Azalbert profite de l'image de marque de France-Soir pour mieux la trahir. C'est aussi ce que fait Vincent Bolloré avec le JDD", analyse Alexis Lévrier. En 2021, le chanteur Francis Lalanne choisit France-Soir pour publier une tribune appelant l'armée à "mettre l'Etat hors d'état de nuire" et à "destituer" Emmanuel Macron. Une enquête est alors ouverte. Préoccupée, la ministre de la Culture de l'époque, Roselyne Bachelot, demande un réexamen du statut du média en ligne, qui perd une première fois son agrément fin 2022, avant de le récupérer début 2023.
Aujourd'hui, cet agrément est de nouveau menacé, et avec lui, un taux réduit de TVA et des aides financières. "Ils vont peut-être compenser cette perte par une ligne encore plus complotiste pour satisfaire leurs donateurs, anticipe Alexis Lévrier. Ceux qui vont payer sont les plus radicalisés, hostiles à la démocratie, favorables à la Russie." France-Soir s'est déjà vu priver du service de publicités de Google, après la diffusion d'un reportage de "Complément d'enquête" en 2021. Mais la désinformation est une manne financière : selon L'Express, le site a récolté plus de 500 000 euros de dons défiscalisables entre 2020 et 2021. "La triste histoire de France-Soir raconte la chute progressive de la presse papier en France, que l'on constate tous les jours, en version plus accélérée", résume l'historien.
L'édifice, datant probablement du XVe siècle est dans un état critique et pouvant mettre en danger les promeneurs. Problème : l'ouvrage se situe dans un domaine privé.
Peu visible depuis la route D77 qui mène vers Laillé, en bordure de la Seiche et jouxtant le nouveau pont, la dernière arche de l'ancien pont Saint-Armel semble en grand danger d'effondrement.
Benoît Champenois est un habitué des promenades en bordure de Seiche. C'est en marchant, dans le parc de l'An 2000 qu'il a découvert, un jour, une borne qui expliquait la légende de l'ouvrage, libéré par le jeune moine Armel, de la tyrannie d'un dragon qui en empêchait le passage.
Dès lors, après avoir localisé l'ouvrage car « il est peu visible de la route et envahi par la végétation », notre promeneur a pris l'habitude d'y faire une petite halte.
« Dès le mois d'août, j'ai constaté une fissure importante qui s'était créée et je me suis aperçu, fin novembre, photos à l'appui, que la situation empirait de façon inquiétante. » Dès lors, Benoît Champenois pense qu'il serait souhaitable d'alerter la commune sur les menaces qui pèsent sur cet élément de son patrimoine.
Cependant, il s'avère, après consultation du cadastre, que l'édifice, datant probablement du XVe siècle, ne se trouve pas sur le territoire communal mais fait partie de la même parcelle privée que le manoir Saint-Armel.
Les services techniques ne sont donc pas habilités à intervenir mais Auguste Louapre, le maire, fait jouer le principe de précaution. Il avertit par courrier, mi-décembre, le propriétaire en lui signifiant que « la fragilité de l'arche et les menaces d'effondrement qu'il représente, peuvent mettre en danger les promeneurs fréquentant les rives de la Seiche ». Il enjoint donc ce dernier de constater au plus vite l'état de l'ouvrage et de le tenir au courant des mesures qu'il compte prendre pour éviter tout accident.
Contacté par téléphone, Patrick Cadel, le propriétaire des lieux, reconnaît qu'il n'était pas au fait de l'état de la construction, qui est à l'extrême bordure sud-ouest de son domaine. En déplacement professionnel à l'étranger pour une longue durée, il admet n'avoir pas encore pu répondre au courrier du maire. « Je ne vais pas pouvoir constater, de visu, avant plusieurs semaines, l'état de dégradation de l'arche, reconnaît-il. Mais je m'engage à diligenter, au plus vite, une personne qui le fera à ma place et pourra prendre les mesures destinées à sécuriser l'endroit ».
Dans ce même temps, Benoît Champenois, soucieux de préserver ce vestige, a pris soin de contacter l'Udap (Union départementale de l'architecture et du patrimoine) afin de la mettre au courant de la situation et lui demander les mesures qui pourraient être prises afin d'éviter la disparition, qui lui semble inéluctable dans la situation actuelle, de cette arche de pont pour laquelle il s'est pris d'intérêt.
par Monique Durand - 9 août 2014
Nous venons tous, plus ou moins, d’une lignée d’océan, de mer et d’eaux vives. Notre collaboratrice Monique Durand nous présente cet été une série d’articles où se mêlent petite et grande histoire dans les vents de l’Atlantique. Trajectoires de femmes et d’hommes qui nous ont précédés, illustres inconnus pour la plupart, creusant jusqu’à nous leur sillon dans la chair du temps.
Ils arrivaient enfin quelque part. Sur ce petit fragment de France détaché de la Bretagne appelé Belle-Île-en-Mer. Après des années d’errance, ils abordaient une nouvelle vie sur la grève de Palais, porte d’entrée de Belle-Île. Ils pouvaient enfin poser leurs enfants et leurs bagages.
Au cours des années qui suivirent le Grand Dérangement de 1755, des milliers d’Acadiens furent dispersés dans les ports anglais et français. Ils furent nombreux aussi à croupir dans les prisons britanniques — Southampton, Bristol, Liverpool — jusqu’à la signature du Traité de Paris, en février 1763. Par ce traité, la France cédait à l’Angleterre, entre autres, toutes ses possessions du Canada, sauf Saint-Pierre-et-Miquelon, et lui rendait Minorque en échange de Belle-Île-en-Mer, que les Anglais occupaient depuis deux ans. L’île bretonne, à 15 kilomètres au large de Quiberon, était convoitée pour son climat tempéré, l’abondance de ses ressources en eau douce et sa position hautement stratégique, au carrefour des routes maritimes qui allaient de la Manche jusqu’à l’Espagne.
Rien ne prédestinait l’Acadie et Belle-Île-en-Mer à voir leurs destins liés. Après le Traité de Paris, Louis XV négocie le rapatriement des Acadiens prisonniers en Angleterre, « ces Français fidèles à leur roi et à leur religion », écrit feu Jean-Marie Fonteneau, spécialiste de Belle-Île. Puis il lance une sorte d’appel d’offres auprès de tous les intendants de France : 3 500 Acadiens se trouvent à la disposition de ceux qui pourraient les accueillir et leur fournir des terres.
Plus de vingt offres d’accueil furent proposées et c’est Belle-Île-en-Mer qui remporta la mise. Pillée et dévastée par les occupants anglais, elle avait besoin de main-d’oeuvre pour la remettre sur pied et cultiver les terres abandonnées. C’est ainsi que 78 familles, des Leblanc, des Granger, des Thomas, des Mélanson, au total 363 Acadiens, dont 211 enfants, s’établirent sur l’île perdue dans l’Atlantique, après que trois de leurs représentants s’y soient rendus pour examiner les lieux.
Il y eut d’abord de longs mois d’attente à Morlaix et à Saint-Malo, le temps de régler les modalités d’installation et l’épineux problème de la distribution des terres. Ils arrivèrent enfin, en quatre groupes, à l’automne 1765. Le dernier groupe toucha terre à Belle-Île le 30 octobre par une retentissante tempête sur la mer. Ballottés dans l’écume, à travers la pluie et le grain, les exilés virent bientôt apparaître la formidable citadelle de Vauban qui, des siècles après sa construction, mange encore tout entier le paysage quand les voyageurs d’aujourd’hui arrivent sur l’île. Peut-être les Acadiens furent-ils un tant soit peu rassurés d’imaginer leur nouvelle vie sous la protection d’une telle forteresse ?
Mais tout n’était pas gagné. Il leur faudrait encore affronter les natifs de Belle-Île, qui allaient leur tenir rigueur de ce que le Roi de France les prenait sous son aile et leur fournissait animaux, instruments aratoires et solde. Un boeuf, un cheval, une charrette et trois faucilles furent distribués à chaque famille. Quelques Bellilois « de souche » seront même déplacés pour céder des terres aux Acadiens. En plus, ces derniers parlaient français, alors que les Bellilois, eux, parlaient breton. L’accueil réservé aux émigrés fut pour le moins mitigé.
Les familles acadiennes avaient demandé d’être regroupées dans un seul village. Elles voulaient enfin pouvoir se serrer les unes contre les autres, dans une proximité qu’elles n’avaient plus connue depuis de longues années. Mais ce fut peine perdue. Leurs terres seront réparties entre une quarantaine de villages « afin que tous les habitants ne fassent qu’un seul esprit et qu’un même peuple », écrit le gouverneur de l’île, le baron de Warren. Ces « honnêtes gens », les qualifia-t-il, acceptèrent de bon gré. Tout était mieux que l’errance et la prison.
Ils travaillèrent comme des forcenés, de l’aurore jusqu’à la nuit, pour construire leurs maisons et cultiver les terres souvent les plus ingrates de l’île. Plusieurs demeures qu’ils ont construites existent toujours à Belle-Île-en-Mer. On peut voir, apposée sur certaines d’entre elles, un petit écriteau marqué « 1766 », ces quatre chiffres, plus évocateurs et plus émouvants que n’importe quelle autre trace de leur installation sur l’île.
Les nouveaux venus s’engageaient à rester à Belle-Île au moins dix ans, jusqu’au 1er janvier 1776. Après cette décennie belliloise, plusieurs remirent le cap sur l’Amérique et tout particulièrement sur la Louisiane. Mais certains firent souche sur une île qui était un peu devenue la leur. Ils avaient été reconnus propriétaires de leur parcelle et avaient acquis un état civil français.
Aujourd’hui encore, Belle-Île-en-Mer respire littéralement l’Acadie. Et quand on aborde ce paradis aux paysages contrastés de landes rases et de falaises, un long et lent parfum d’histoire monte jusqu’à vous. Il y a le « Quai de l’Acadie », où les traversiers venus du continent déversent touristes, villégiateurs et gens du cru. Il y a les maisons, les villages qui portent le sceau des Acadiens. Des monuments, des croix de chemin à leur mémoire. Des échanges, des colloques. Mais là où l’Acadie est la plus présente, c’est au fond des êtres. Le tiers des 5 000 habitants de Belle-Île serait d’origine acadienne. Christine Thomas, serveuse au restaurant L’Odyssée, s’anime quand elle parle de ses racines acadiennes en servant l’agneau et les Saint-Jacques de Belle-Île aux clients attablés. Danielle Blancaneaux, née Mélanson, retraitée de l’enseignement, raconte, encore émue, cette procession du 28 juillet 2005 pour marquer le 250e anniversaire de la Déportation de 1755. À 17 h 55 précises retentirent les cloches de Bangor, le village où s’étaient établis les Granger. Hommes, femmes et enfants entonnèrent l’Ave Maris Stella, au milieu des vallons dorés cheminant vers la mer.
Maryvonne Le Gac est propriétaire d’une mercerie à Palais, À la Providence, sise dans une maison construite entre 1650 et 1700. « Avant l’arrivée des Acadiens », dit-elle. Maryvonne a fait de la perpétuation des racines acadiennes de Belle-Île le centre de sa vie. Elle passe des heures à rassembler des souvenirs, créer des contacts, organiser anniversaires et commémorations. « Ce qu’il y a d’acadien en moi ? » Elle fait une pause. « D’abord la simplicité des rapports avec les autres, des rapports sans filtres, sans couches de vernis. » Comme si ces rapports échappaient aux codes sociaux, si puissants en France. « C’est en nous », souffle-t-elle.
Le poissonnier de Palais, Herlé Lanco, né Granger par sa mère, se souvient d’une vieille amie de la famille qui portait encore des robes acadiennes. Il se souvient aussi qu’il ne faisait pas bon se dire Acadien en ces temps-là.
« Quand j’étais gamin, les gens étaient discrets sur le sujet. Aujourd’hui, on a enfin le droit d’en parler. » Mû par une sorte d’appel, il est allé en voyage de noces à Richibouctou, au Nouveau-Brunswick. « Le principal, résume-t-il, c’est de savoir qu’on vient de là. »
Mais certains jours de vague à l’âme, assis devant la mer, Herlé voudrait prendre le large. « Quand ça ne va pas, c’est à l’Acadie que je pense, c’est là-bas que j’aurais envie d’être. » Puis, comme un cri du coeur, il lâche en plaisantant : « Si y avait pas eu ces putains d’Anglais ! »
Lors d’une visite impromptue au Festival du livre de Paris le 12 avril 2024, le président de la République Emmanuel Macron a évoqué une spécificité française : le prix unique sur le livre neuf, en vigueur depuis la loi Lang de juillet 1981. Pour défendre cette exception culturelle qui a protégé les libraires autant face à la grande distribution que devant les assauts du commerce en ligne, il a suggéré qu’il faudrait envisager une contribution prélevée sur les ventes de livres d’occasion.
La polémique qui a suivi a mis en lumière la seconde main et la variété de ses pratiques. Partant d’un questionnement sur la valeur et le sens des circulations du livre rendue possible par ses multiples modes de diffusion, Olivier Bessard-Banquy, professeur de lettres à l’université Bordeaux-Montaigne, a constaté que la plupart des analyses économiques ou sociologiques n’envisagent le livre qu’en tant que produit neuf. Or, bien que rarement mentionné dans le débat public, le marché du livre usagé est d’ores et déjà considérable, atteignant presque 900 millions d’euros en 2020, contre 4,3 milliards pour le neuf.
Les livres de seconde main ont toujours donné lieu à négoce : l’occasion est née avec le neuf, dès la naissance de l’imprimerie. Pour autant, le commerce électronique a récemment donné une nouvelle ampleur à ce marché, désormais accessible à tous, partout, tout le temps. Ce qui était marginal constitue depuis les années 2010 une menace pour l’édition : bien souvent, pour obtenir un livre, la nouveauté ne constitue seulement qu’une option parmi d’autres.
Comme objet matériel et symbolique, le livre connaît de multiples destins : affiché sur les rayons en nouveauté de la rentrée littéraire, il peut rejoindre les étagères d’une bibliothèque soigneusement entretenue autant qu’être abandonné au hasard des rues. Parfois sur un banc, parfois dans les boîtes à livres que l’on retrouve dorénavant en de nombreux endroits.
Mais si ce dispositif s’appuie sur des idéaux et des normes informelles, il pourrait bien, comme le suggère une expérience que nous avons menée, dériver vers une logique plus marchande, qui sévit déjà ailleurs dans l’univers de la seconde main.
Les boîtes à livres sont des bibliothèques ouvertes, mises à disposition dans des lieux publics, accessibles sans contraintes et de façon gratuite, et permettant de déposer ou de prendre des livres (ou, parfois, des revues, voire des DVD). Les premières apparaissent en Autriche, puis aux États-Unis dans les années 1990 ; on en dénombre aujourd’hui des dizaines de milliers à travers le monde.
Ce système repose sur plusieurs principes qui, cumulés, renvoient à la logique du don et du contre-don, mise en évidence au début du XXe siècle par le sociologue Marcel Mauss. Le dépôt et le prélèvement sont anonymes, sans obligation et déconnectés l’un de l’autre : rien n’empêche un individu de déposer des livres sans en prendre, ou un autre d’emporter une partie ou la totalité d’une boîte à livres sans rien déposer. Par nature, il n’existe pas de système de contrôle, d’enregistrement ou de surveillance des contributions et des retraits, aussi bien en termes de quantité que de qualité des livres ou d’identité de l’usager.
Les boîtes à livres créent un échange déconnecté de toute nécessité pratique. On ne vient jamais y chercher un livre précis. L’ensemble du processus n’est adossé à aucune contrainte formelle ou légale comme dans une bibliothèque municipale où il existe des conditions d’inscription et des règles pour emprunter. Tout repose sur le volontariat.
Tout cela ne signifie pas qu’il n’y ait aucune norme dans les échanges. On constate en effet que les utilisateurs des boîtes à livres déposent autant qu’ils prennent, et ce, de façon proportionnée : personne n’emporte tous les livres en bloc. Prendre est socialement corrélé à déposer, le contre-don est lié au don : chaque usager a assimilé cette discipline qui est pourtant inexprimée.
L’attente implicite des individus qui utilisent les boîtes à livres est qu’elles ne soient pas vides (on apporte un livre en échange de celui que l’on prélève), ni ne débordent (on ne déverse pas des livres obsolètes, abimés, destinés au recyclage). Ainsi, comme dans le modèle de Marcel Mauss, bien qu’apparemment volontaires, le don et le contre-don répondent en fait à des obligations sociales très précises.
Les connexions avec cette théorie sont renforcées par la valeur symbolique des objets concernés. Dans la boîte à livres, l’échange n’est pas que matériel ; chacun apporte un livre qu’il recommande en quelque sorte aux autres. Le dépôt est à la fois une prescription et une projection de l’image que l’on souhaite donner de soi-même si le tout reste anonyme.
Au-delà de leur utilité matérielle, somme toute modeste, les boîtes à livres sont donc un véritable réceptacle de valeur symbolique et sociale. Bien plus, par exemple, que le dépôt des livres dans un point de collecte associatif ou un centre de recyclage car, dans ces deux cas, le donateur ne constate pas la réception de son don : dans la boîte à livres, le cycle don/contre-don se mesure visuellement, il suffit de passer sur place pour voir que le livre déposé a été pris ou, parfois, qu’il réapparaît après lecture.
Certaines boîtes sont créées par des associations, d’autres par des particuliers, d’autres encore par des entreprises (commerces, hôtels, résidences sénior…) ou des municipalités : la commune de Maisons-Alfort (Val-de-Marne) a, par exemple, installé dans chaque quartier de la ville une boîte à livres de grande contenance, très visible et habilement protégée des intempéries. Particulièrement appréciées des habitants, elles sont le lieu de notre expérience.
Car une question se pose autour de cet objet iconoclaste : son mécanisme de don/contre-don peut-il résister à la logique de marché qui contamine le secteur ?
L’essor des plates-formes de reventes de livres d’occasion entraîne en effet des comportements qui peuvent parasiter la logique altruiste des boîtes à livres. Les livres d’occasion ont désormais une valeur économique, déterminée par l’offre et le demande et se traduisant formellement par les prix d’achat et de vente sur des sites comme Gibert, Momox, Leboncoin, La bourse aux livres ou Ebay et Amazon. Dès lors, des individus vont fréquenter les lieux de revente de livres (comme les vide-greniers) pour y acheter à très bas prix des livres dont ils savent que la revente sera fructueuse (ils exploitent les codes-barres ou le numéro ISBN pour obtenir l’information en temps réel). Il n’est plus utile de s’intéresser au contenu du livre, ni même de savoir lire ou de parler français ; la conversation avec le vendeur, l’interaction sociale deviennent superflues.
Les boîtes à livres résistent-elles ? Ont-elles été contaminées par ces dérives ? Pour notre expérience, 1 200 livres d’occasion relevant de la catégorie des romans policiers, en poche et en grand format, ont été discrètement marqués puis déposés dans six boîtes à livres de la ville de Maisons-Alfort, choisies pour leur proximité de nombreux lieux de revente de livres d’occasion (dans le Sud-Est parisien).
L’observation des lieux après remplissage a montré quelques passants, simples curieux ou habitués, piochant un ou deux titres parmi ces nombreuses « nouveautés ». Mais, très vite, des individus équipés de sacs ont pris la quasi-intégralité du contenu des boîtes à livres. Celles-ci ont alors été remplies à nouveau par nos soins d’un nombre identique de livres. En tout, 2 500 thrillers et polars ont ainsi été disséminés dans la ville. Le même phénomène s’est reproduit : dès le lendemain, elles étaient vides. Dans les semaines qui ont suivi, la fréquentation des boutiques de livres d’occasion qui procèdent à de l’achat immédiat et implantées à proximité (XIIe et XIIIe arrondissements de Paris) ont permis de voir réapparaître plusieurs dizaines d’exemplaires des livres que nous avions marqués.
Des boîtes à livres sont ainsi pillées pour en revendre les meilleures pièces, soit à des boutiques, soit aux sites et plates-formes en ligne. Tout le principe du don et du contre-don s’effondre, malmené par un usage strictement utilitaire et mercantile. Quelle conséquence cela a-t-il sur le contenu ? Seuls des livres sans intérêt ou abîmés s’y trouvent, les usagers n’y dénichent plus de « contre-don » de qualité, qui justifieraient de déposer leurs propres livres. Le modèle perd toute légitimité du fait de la loi de Gresham, selon laquelle « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». La fréquentation s’étiole, les boîtes périclitent.
Cette dérive du don vers le marché est-elle spécifique au livre de seconde main ? Dans leur rapport pour l’Ademe intitulé « Objets d’occasion : surconsommation ou sobriété ? », Lucie Brice Mansencal, Valérie Guillard et Charlotte Millot constatent que certains utilisateurs des plates-formes de vente de produits d’occasion comme Vinted ou Leboncoin se professionnalisent. Le recours à l’occasion n’est plus motivé par la conjugaison de la quête de lien social et de solidarité, comme dans les vide-greniers ou les braderies associatives de type Emmaüs, mais par la volonté d’acheter de façon efficace économiquement, voire de réaliser des profits.
La conséquence est la baisse de la qualité des dons faits au bénéfice des plus démunis et la quête exclusive de contrepartie financière. Alors que le marché de l’occasion était historiquement fortement marqué par des logiques de troc ou d’échanges, la dimension symbolique que l’on pouvait y trouver s’efface, remplacée par un utilitarisme froid.
Espace jusqu’alors protégé, fragment d’utopie bienveillante dans la ville, la boîte à livres n’échappe pas à ces détournements intéressés, heureusement encore marginaux.
L’événement était hautement symbolique et montrait avec éclat que la mémoire acadienne de Belle-Ile-en-Mer est bien vivante. Le 11 juin 2016, Belle-Ile-en-Mer commémorait le 250ème anniversaire de l’installation de 78 familles de réfugiés acadiens (363 personnes) réparties dans 40 villages des quatre paroisses de Le Palais, Bangor, Locmaria et Sauzon.
En présence d’une importante délégation canadienne, le maire de Palais et président de la communauté des quatre communes de Belle-Ile-en-Mer soulignait le caractère indispensable du jumelage de l’île depuis 2003 avec la ville de Pubnico (Nouvelle-Ecosse). Pubnico (anciennement Pobomcoup) est considéré comme le plus ancien village acadien, fondé en 1653, et même le plus ancien village du Canada encore occupé par les descendants de son fondateur, le baron Philippe Mius d’Entremont. Aujourd’hui, ce lien fort est précieux pour Belle-Ile-en-Mer qui, loin d’être une île-musée, constitue le plus grand fief acadien de France. Pour le comprendre, revenons à novembre 1765…
Les familles acadiennes étaient toutes arrivées au port de Palais, en provenance surtout de Morlaix mais également de Saint-Malo. La plupart d’entre elles avaient été exilées et assignées à résidence dans des ports anglais jusqu’en 1763. Que venaient-elles faire à Belle-Ile-en-Mer, cette île bretonne d’environ 5000 habitants tout juste reprise aux Anglais mais à reconstruire entièrement ? Les États de Bretagne avaient proposé un afféagement général de l’île, c’est-à-dire une redistribution des terres aux paysans bellilois afin qu’ils en deviennent propriétaires. Ils espéraient sans doute, en offrant aussi des terres aux Acadiens, réputés plus industrieux, opérer une saine émulation rurale. Cette expérience fut elle un succès ? Si de nombreux Bellilois revendiquent aujourd’hui leur ascendance acadienne, c’est que l’intégration sociale et économique de leurs ancêtres fut plutôt réussie. Des données factuelles et numériques récemment collectées (Jean-Paul Moreau, 2014) sont très éclairantes à cet égard…
Les deux premières décennies (1765-1785) furent marquées par deux dates clés. A partir du 1er janvier 1776, les Afféagistes furent autorisés à vendre leurs terres et en 1785 certains Acadiens émigrèrent en Louisiane. Dans cette période, le principal moteur de l’intégration sociale – le mariage – joua massivement son rôle puisque près de 90% des mariages concernant un Acadien ou une Acadienne étaient mixtes ! Après 1785, seulement 25% des familles pionnières étaient restées définitivement dans l’île. Parmi les autres, 30% avaient émigré en Louisiane et 45% quitté aussi l’île mais en restant dans les ports bretons. Certes, dans la première décennie, plusieurs départs étaient manifestement liés à des motifs économiques, mais dans la seconde, les familles partantes avaient pu vendre ou affermer leurs concessions dans de bonnes conditions, parfois même à… d’autres Acadiens restés sur l’île.
Voici les principales familles acadiennes pionnières de Belle-Ile-en-Mer en novembre 1765 (200 sur 363) : Leblanc, Granger, Trahan, Terriot, Daigre.
par Mathieu Dalaine
Un sinistre portail d’entrée et un imposant mur d’enceinte garni de barbelés. Depuis la D46, en contrebas du Faron, on ne devine presque rien de l’ancienne poudrière du quartier des Moulins.
L’"établissement de Saint-Pierre", de son vrai nom, est un endroit interdit et mystérieux. Une nécropole, disent certains, où les curieux sont priés de passer leur chemin.
Ici pourtant, au 245 avenue des Meuniers, figure l’un des hauts lieux de la libération de Toulon. Du 21 au 22 août 1944, de violents combats opposèrent des centaines d’Allemands retranchés et surarmés au bataillon de choc et au troisième régiment de tirailleurs algériens (3e RTA) venus du Revest.
"C’était le verrou de la ville. De Lattre de Tassigny a comparé ça à Douaumont. Quand les Français sont parvenus à le faire sauter, la voie était libre", pose Philippe Maurel.
Cet hydrospéléologue est un passionné d’histoire locale. Dans un documentaire qu’il vient d’achever (lire par ailleurs), il rappelle cet épisode de la Seconde Guerre mondiale. Il revient aussi longuement sur les secrets que renferme encore aujourd’hui la fameuse "P4", quatrième poudrière construite dans la vallée du Las au milieu du XIXe siècle.
"La bataille fit rage pendant deux jours", raconte le réalisateur. "Le 21 août, les échanges de tirs provoquèrent l’explosion d’une des quatre galeries de la poudrière, qui s’effondra sur elle-même. Certains estiment que deux cents Allemands furent alors ensevelis, avec les munitions en quantités considérables qu’ils stockaient là."
Dans son film, le Revestois fait témoigner plusieurs protagonistes de l’époque, tous décédés aujourd’hui. Roger Rebout, ancien sergent du 3e RTA, évoque carrément "huit cents Allemands, des munitions, des chars" qui auraient été enterrés à l’intérieur du tunnel. D’autres, seulement une poignée. Toujours d’après Roger Rebout, c’est une grenade lancée par les Français qui aurait provoqué une réaction en chaîne, entraînant l’explosion du site tout autour. Là encore, une hypothèse parmi d’autres.
"J’ai vu la colline qui tremblait", se souvient Jacques Colin, alors adolescent vivant au Collet Saint-Pierre. "La fumée s’est élevée de partout; l’explosion a fait sauter les pierres." Andrès Cortès, vétéran du bataillon de choc, soupire. "Cet endroit, c’est comme une tombe." Après la prise totale de cette forteresse, le 22 août 1944 à 22h45, et la fin de combats particulièrement meurtriers, 250 cadavres ennemis jonchaient le sol. Des morceaux de sous-marins de poche allemands en cours d’assemblage furent aussi découverts.
Mais après la libération, les entrailles de la "P4" n’ont jamais réellement été sondées. "Condamnée, elle n’a pas fait l’objet de la moindre exploration. Trop dangereux", résume l’ancien maire François Trucy dans son ouvrage Naguère. Pire: des immeubles ont été progressivement construits sur la colline au-dessus.
L’unique dépollution du site, propriété de la Marine pendant des décennies, a été réalisée à la "poêle à frire" sur seulement 50cm, comme l’attestent des documents de 1988 que nous avons pu consulter. Aujourd’hui encore, on ne sait rien de ce qui se cache sous l’épaisse couche de blocs rocheux laissés en l’état depuis 1944. L’historien Jean-Marie Guillon, interviewé par Philippe Maurel, acquiesce, pointant "les interrogations, les rumeurs."
En 2014, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian évoquait à son tour le sujet. Répondant à la députée toulonnaise Geneviève Levy, désireuse d’en faire un lieu de mémoire collective, il avait ses mots: "La réalisation de travaux de déblaiement pour accéder [aux] dépouilles comporterait des risques considérables et aurait, de surcroît, un coût financier extrêmement important. C’est la raison pour laquelle aucune initiative n’a été prise pour exhumer les corps."
La même année, l’État décidait de vendre aux enchères la friche de 7 hectares à un certain Jan Cornelis Hendrik Van Schaik, domicilié en Belgique. Celui-ci n’a pas souhaité rendre publiques les raisons pour lesquelles il avait acheté cette parcelle, pourtant largement inconstructible. Sa première action fut de sécuriser le terrain pour éviter les intrusions. "A-t-il acquis les lieux pour faire ses propres recherches dans les décombres?", s’interroge Philippe Maurel.
Il est probable que nous ne le sachions jamais: l’homme est décédé l’an dernier.
En août1944, les combats sur l’avenue du XV-Corps, au Pont-du-Las, furent acharnés. Photo William E. Bonnard - US Nara.
Avec L’autre Débarquement réalisé par Christian Philibert (2014), Les Drailles de la liberté est l’un des rares documentaires à s’intéresser à la libération de Toulon. Aux manettes : l’hydrospéléologue et féru d’histoire locale Philippe Maurel.
"L’idée, c’était de raconter le parcours des libérateurs, arrivés de Siou-Blanc, puis passés par Le Revest avant de reprendre la ville aux Allemands".
Pour ce faire, Philippe Maurel s’est appuyé sur Dardennes 44, un de ses précédents films, et a notamment réutilisé les témoignages de combattants de l’époque, tous disparus aujourd’hui, enregistrés au début des années 2000. "Certains sont très forts, comme celui d’Andrès Cortès, un ancien du bataillon de choc."
Quelques "VIP" font aussi des interventions remarquées, tels le neuropsychiatre Boris Cyrulnik ou l’historien Jean-Marie Guillon.
Les bombardements de 44, la pénurie pendant la guerre, le sabordage ou le Débarquement sont aussi abordés. Mais c’est bien la bataille de Toulon qui intéresse l’auteur, de la poudrière des Moulins… au Pont-du-Las "J’ai découvert que dans ce quartier, les combats furent terribles. Jean-Marie Guillon évoque un crime de guerre commis par l’armée allemande, avec sept membres du bataillon de choc et un habitant fusillés sur le trottoir. Une plaque leur rend hommage sur l’avenue du XVe-Corps."
Mais, pour Philippe Maurel, le principal enseignement du film se rapporte peut-être à l’identité des héros qui ont libéré Toulon.
"Pour l’essentiel, c’était les coloniaux. Il suffit de voir, place Louis-Charry, les noms à consonance nord-africaine de ceux qui sont tombés lors des combats de la poudrière. En ces temps troublés, il n’est pas inutile de le rappeler…"
Savoir + Projection du film Les Drailles de la liberté jeudi 27 juin à 14 h 30, à la salle Franck-Arnal, rue Vincent-Scotto à la Rode. Entrée gratuite. Événement organisé par le mémorial du Débarquement et de la Libération du Faron.
Dans L'Odyssée, la fameuse épopée grecque antique attribuée à Homère, la mer est un élément central. Tantôt peuplée de monstres, tantôt signe d'apaisement et de protection, elle est décrite par le protagoniste Ulysse sous toutes ses formes –ou presque. Étrangement, le livre ne fait mention d'aucune couleur bleue, laquelle devait pourtant être omniprésente, que ce soit dans la mer ou le ciel. L'érudit britannique William Gladstone, qui s'est intéressé à ce fait étonnant en 1850, fut l'un des premiers à notifier l'absence de la couleur bleue dans les œuvres anciennes.
Les documents historiques rédigés dans diverses langues, du grec à l’hébreu ancien, ne font aucune référence explicite au bleu, alors qu'on y trouve en revanche des termes pour d'autres teintes comme le noir et le rouge. Durant l'Antiquité, les Grecs ne voyaient-ils pas le bleu? Dans l'ouvrage The Language of color, on peut lire que des chercheurs ont également notifié un profond manque de «bleuté» dans les récits chinois et islandais, mais également dans les premières versions de la Bible.
Une première explication se trouve dans la langue. Les Grecs n'avaient peut-être tout simplement pas de mots pour cette couleur, et n'avaient donc pas la possibilité de la décrire. En grec, l'adjectif «kyaneos» qualifie aussi bien le bleu des yeux que le noir des vêtements de deuil. Dans les sociétés anciennes, on ne nomme la couleur qu'au travers des métaphores: le ciel est blanc, rouge ou noir, selon la façon dont il agit sur la vie des êtres humains.
Selon le philosophe allemand Lazarus Geiger, il existe une hiérarchie linguistique des couleurs. À travers l'étude de textes anciens et modernes, il a remarqué que les termes décrivant le blanc et le noir apparaissent plus fréquemment que ceux qui désignent les autres couleurs. Cela s'expliquerait par le fait que ces deux notions sont plus intelligibles –elles sont suivies de près par le rouge, couleur du sang, qui occupe une place particulière dans nos vies.
Bleu Klein, bleu turquoise, bleu azur… La couleur bleue est partout, tout le temps. Dans son podcast Culture Bleu, la conférencière, rédactrice et ingénieure pédagogique Delphine Peresan Roudil analyse les différents bleus, leur histoire et leur place dans la société. Abordant le sujet sous de nombreux angles, du fromage en passant par les différentes teintes de la couleur, aucun épisode ne fait pour le moment mention du bleu dans la nature. Et c'est normal.
Peu de plantes ou d'animaux sont vraiment bleus. Même le paon, s'il semble arborer la couleur, ne possède en réalité aucun pigment de bleu: son aura bleutée est seulement due à la façon dont la lumière se reflète dans ses plumes. Il en va de même pour le ciel, qui n'est en réalité pas vraiment bleu, même si nos yeux le perçoivent comme tel. Cette théorie expliquerait l'absence de description de la couleur du ciel, qui tient également au fait que pour les Grecs, du fait de son omniprésence, le bleu n'était pas intéressant, voire presque invisible à leurs yeux.
100 ans: c'est la durée de vie théorique d'un pont, selon le rapport d'information du Sénat présenté par la Commission de l'aménagement du territoire et de développement durable. Mais attention: «seuls les ponts construits depuis le début des années 2000 et répondant à des normes européennes» peuvent prétendre atteindre cet objectif. Cela constitue un problème pour les ouvrages français, dont un quart ont été construits dans les années 1950 et 1960. Pour ces ouvrages qui arrivent en fin de vie, le point de rupture s'approche à mesure que le réchauffement climatique s'accentue.
Ce dernier «devrait accélérer de 31% le délai d'endommagement des structures des ponts et réduire leur durée de vie de quinze ans», peut-on lire dans un article publié par Science Direct sur l'impact du changement climatique sur les structures des ponts. La détérioration des matériaux, exacerbée par la chaleur, réduit la résistance des composants structurels. À mesure que les phénomènes météorologiques s'intensifient, les ponts sont davantage exposés à l'érosion due aux importants débits d'eau qui s'écoulent en dessous. De cette manière, ces ouvrages essentiels à la circulation routière et ferroviaire sont confrontés à d'importants risques de sécurité.
La France compterait entre 200.000 et 250.000 ponts routiers, dont près de 15% seraient en «mauvais état structurel», toujours selon le rapport d'information sénatorial. Pour faire prendre conscience des risques encourus et à venir, (la plateforme InfraClimat](https://infraclimat.com/), qui permet de visualiser l'impact du changement climatique sur les infrastructures, a été lancée par la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP). Avant tout destinée aux élus et aux collectivités françaises, elle est librement consultable sur internet: ses résultats sont inquiétants.
Par la sélection de plusieurs critères tels que l'infrastructure concernée, la région choisie ainsi que l'aléa climatique projeté parmi la sécheresse, les inondations, la chaleur extrême ou encore la submersion marine, une carte se dessine sous nos yeux. Elle permet de «comprendre la nature des vulnérabilités auxquelles sont exposées [les infrastructures]», lit-on sur le site. En analysant la région de la Métropole Aix-Marseille-Provence d'ici à 2030, InfraClimat indique que 2.550 ponts sont par exemple exposés aux conséquences de la sécheresse.
Celle-ci implique une fragilisation totale ou partielle des ponts en raison d'«un rétrécissement du matériau suite à la perte de l'eau qui le compose. Par exemple, en période de sécheresse, des fissurations de la couche de roulement du tablier peuvent apparaître. L'augmentation excessive des dilatations d'ouvrage peut également engendrer une rupture des joints de dilatation qui n'ont pas été prévus initialement pour les encaisser.»
Le site propose malgré tout des solutions pour empêcher la catastrophe. En haut des recommandations, il préconise la tournée d'inspections spécialisées ainsi que la mise en place d'actions de rénovation et de maintenance des infrastructures. Des mesures d'autant plus urgentes face au retard accumulé de 89 millions d'euros dans l'entretien et la réparation des ouvrages d'art.
D'ici 2100, si aucune mesure n'est prise contre l'augmentation de la température, la France devra débourser près de 260 milliards d'euros pour contrer les effets du changement climatique, indique un rapport de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).
Il faut oublier la représentation de Rome que l'on peut voir dans des films comme Gladiator. Celle de la série HBO Rome est beaucoup plus pertinente: rues étroites, saleté, etc. Rome était un cloaque, où les habitants s'entassaient dans des insulae, bâtiments en grande partie construits en bois et donc très inflammables.
Plus vous étiez pauvre, plus vous viviez haut dans les insulae. Évidemment, en cas d'incendie, c'était un peu la cata: vous mouriez. Certains s'étaient même enrichis grâce aux feux. Si vous voulez un vrai incendiaire, pensez à Crassus plus qu'à Néron: il semble qu'il faisait brûler les demeures pour les racheter à bas prix, et qu'il les louait ensuite avec des loyers prohibitifs.
Pour lutter contre le feu dans cette cité de 800.000 habitants, il y avait les vigiles urbani, souvent recrutés parmi les esclaves publics (esclaves appartenant à la cité et non à des particuliers), puis chez les affranchis. Au nombre de 7.000, divisés en sept cohortes de 1.000 hommes, leur rôle était moins de lutter contre les incendies que de vérifier que les habitations aient de quoi empêcher les départs de feu. C'était un métier risqué, mais gratifiant: au bout de six ans, un vigile devenait citoyen, ce qui lui permettait d'intégrer d'autres postes plus intéressants. Reste que les incendies étaient récurrents à Rome.
Mais revenons à cette nuit du 19 juillet 64, ou le douzième jour avant les calendes d'août de l'année DCCCXVII de la fondation de la ville. La nuit est chaude en ce mois de juillet, mais le vent ne permet pas de rafraîchir l'air vicié. C'est le sirocco, un vent chaud et sec qui souffle souvent en juillet à Rome. Les chariots parcourent la ville, étant interdits de le faire en journée. Rome est tout le temps active, le silence est un luxe que ne peuvent se permettre que les riches, avec leurs domus isolées sur le Palatin.
Le dirigeant, l'Imperator Nero Claudius Caesar Augustus Germanicus, dit Néron pour la postérité, n'est pas à Rome. La chaleur l'a poussé à se rapprocher du bord de la mer, dans sa ville natale d'Antium, à une heure.
On ne sait pas ce qui a déclenché l'incendie. On sait où il a débuté: dans des boutiques où des biens inflammables étaient entreposés, dans la région du Cirque Maxime qui bordait le Palatin et le Cælius. Le vent a vite fait d'étendre les flammes sur tout le pourtour du Cirque, puis dans les quartiers alentours, où les insulae s'entassaient, bordées par des rues où deux hommes ne pouvaient se croiser. Aucun temple, aucune zone n'arrête le feu. Puis c'est le Palatin qui est touché, et le Cælius. La population s'enfuit dans les zones dégagées, dans les champs alentour, dans les parcs.
Le feu dure six jours, avant de se calmer, puis de reprendre pour trois jours. Les deux tiers de la ville sont ravagés. Seuls quatre des quatorze districts urbains sont épargnés. C'est ce que nous relatent les auteurs anciens. Une cinquantaine de demeures luxueuses sont également détruites, dont une partie du palais de Néron.
Trois auteurs relatent l'incendie de Rome: Tacite, Suétone et Dion Cassius. Suétone et Dion Cassius accusent Néron de l'incendie, alors que Tacite le sous-entend sans jamais le dire.
Pourtant, les actions de Néron lors de ces événements sont toutes logiques et efficaces. Dès qu'il apprend la nouvelle de l'incendie, dans la nuit, Néron revient à Rome. Il fait distribuer des vivres, il ouvre ses propres jardins aux réfugiés. Sur ses deniers personnels, il organise la récupération des corps et l'enlèvement des débris.
Durant l'incendie même, il ordonne la destruction de maisons –non pas par plaisir, mais par une technique de «coupe-feu» bien connue. Sa reconstruction de Rome créera de plus grandes rues, des bâtiments de briques et non de bois, tout cela conçu pour limiter les dégâts des incendies.
Néron se comporte mieux que beaucoup d'autres monarques dans des circonstances identiques. En aucun cas il ne joue de la lyre en rimant sur la chute de Troie. Il s'agit d'une rumeur relatée par Suétone et Dion Cassius, mais qui ne cadre pas avec les actions de Néron relatées par Tacite.
Haï par les riches
Pourquoi est-il accusé de cet incendie, alors qu'il a agi avec responsabilité? Néron était très populaire parmi le peuple de Rome. Ce n'était pas le monstre que les images d'Épinal nous montrent. Au contraire, même s'il était considéré comme un peu original –avec son dégoût des courses et de la gladiature et son amour de la musique et du chant–, il était adoré par le peuple. Il avait même passé certaines lois que l'on pourrait juger humanistes, comme l'arrêt de la torture systématique de tous les esclaves d'un homme libre assassiné.
En revanche, les riches le détestaient. Avant l'incendie, c'était juste un mépris, une défiance. Mais après, cela devint de la haine et les conspirations se multiplièrent. Car pour rebâtir Rome, il fallut augmenter les taxes dans les provinces. Or, les riches Romains, avec leurs vastes propriétés accaparées sur le domaine public, furent les premiers touchés.
Néron a agi comme un homme d'État responsable: il n'a pas mutualisé les pertes.
De même, la dévaluation du denier décidée par Néron les toucha durement (tout en favorisant les marchands). Néron voulait que les taxes soient payées avec les anciens deniers, et non les nouveaux. Et qui avaient les anciens deniers? Bingo: les riches.
Le fait de ne donner aucun «as» pour reconstruire les riches demeures, mais de consacrer l'argent de l'État soit aux quartiers populaires, soit à sa Domus aurea, n'a pas dû aider à le faire aimer chez les élites. En gros, Néron a agi comme un homme d'État responsable: il n'a pas mutualisé les pertes. Les riches avaient les moyens de reconstruire, pas les pauvres. Donc il a aidé les pauvres.
Dion Cassius écrit 150 ans après les événements, et son ouvrage traitant de Néron est incomplet. Suétone est plus proche, mais… Tenez, parlons un peu de Suétone. Il naît en 69. Suétone, c'est un peu le Stéphane Bern de l'histoire antique. Les récits de boudoir l'intéressent plus que de relater l'histoire. Il avait accès aux archives impériales, mais elles sont bien peu présentes dans son œuvre. Sa Vie des douze Césars est à la fois une usine à ragots et une tentative de pourlécher avec humilité l'anus des Antonins, les empereurs régnants, qui avaient tout intérêt à faire détester Néron et les Julio-Claudiens.
Attention, je ne dis pas que tout Suétone est à jeter. On peut comprendre et découvrir les mœurs ou les interdits de l'époque par son œuvre, bien plus qu'en lisant d'autres auteurs plus factuels. Vingt ans après la mort de Néron, des imposteurs continuaient de s'attribuer son identité, pour rallier le peuple de Rome.
Savez-vous que 38 % des pages internet qui existaient en 2013 sont désormais inaccessibles ? Cela représente plus de 250 millions de sites qui ont disparu dans les méandres du web ! Ce phénomène, appelé "dégradation numérique", touche tous les types de sites, des sites gouvernementaux aux réseaux sociaux, en passant par les sites de particuliers. Dans cet article, nous allons explorer les raisons de cette disparition massive de sites web et les conséquences que cela peut avoir pour les individus, les entreprises et les gouvernements. Prêt à plonger dans les profondeurs du web ?
Crédit image : DALL-E
Salut tout le monde ! Aujourd'hui, je vais vous parler d'un phénomène qui touche le monde numérique et qui est loin d'être drôle : la "dégradation numérique". Selon une étude réalisée par le Pew Research Center, 38 % des pages internet qui existaient en 2013 sont désormais inaccessibles. Oui, vous avez bien lu, plus de 250 millions de sites ont disparu dans les méandres du web !
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, laissez-moi vous donner quelques chiffres pour vous faire comprendre l'ampleur du phénomène. Selon les données du Real Time Statistics Project, le nombre de sites Internet en ligne a été multiplié par dix entre 2008 et 2017, passant de 172 millions à plus d’1,7 milliard. Et oui, en à peine 10 ans, le nombre de sites a explosé !
Mais alors, comment expliquer la disparition de tous ces sites ? Les raisons sont multiples et variées. Tout d'abord, les sites gouvernementaux sont concernés par ce phénomène. En effet, la plupart d'entre eux ont migré vers des adresses sécurisées "https", ont été transformés en documents "statiques" (comme des PDF) ou redirigent désormais vers une nouvelle adresse. Et oui, même les gouvernements ne sont pas à l'abri de la "dégradation numérique" !
Mais ce phénomène ne touche pas que les sites gouvernementaux, les particuliers sont également concernés. En effet, la maintenance d'un site génère des frais qui sont généralement compensés par le trafic. Mais lorsqu'une page cesse d'être visitée, elle perd la raison de son existence et finit par disparaître. Et oui, sur le web, il faut savoir se renouveler pour ne pas sombrer dans l'oubli ! (et là, je sais de quoi je parle !)
Mais le phénomène de la "dégradation numérique" ne s'arrête pas là. Selon une étude du Pew Research Center, 21 % des pages officielles comportent au moins un lien inaccessible. Et oui, même les pages officielles ne sont pas à l'abri des liens morts !
Mais ce n'est pas tout, les réseaux sociaux sont également concernés par ce phénomène. En effet, près d'un cinquième (18 %) des tweets publiés dans le cadre de l’étude du Pew ont disparu en à peine quelques mois. Et oui, même sur les réseaux sociaux, il faut savoir être réactif pour ne pas disparaître !
Enfin, dernier exemple et non des moindres, Wikipedia. Selon une étude, plus de la moitié (54 %) des références renvoient vers des pages qui n’existent désormais plus. Et oui, même la célèbre encyclopédie en ligne n'est pas à l'abri de la "dégradation numérique" !
Alors, que faire pour lutter contre ce phénomène ? Tout d'abord, il est important de bien référencer ses pages et de vérifier régulièrement les liens pour éviter les liens morts. Ensuite, il est important de mettre à jour régulièrement son site pour maintenir l'intérêt des visiteurs. Enfin, il est important de sauvegarder régulièrement son site pour éviter de tout perdre en cas de problème.
Voilà, vous savez tout sur la "dégradation numérique". Alors, n'oubliez pas de bien entretenir votre site et de sauvegarder régulièrement vos données pour éviter de disparaître dans les méandres du web !
Sources multiples :
Pew Research
Real Time Statistics Project
Le Grand Continent
Publié le 31 Mai 2024 par Technifree
Contra la terapia par Aloma Rodríguez - 19 avril 2024
Je ne saurais pas dire précisément quand et comment ça a commencé. Le député Íñigo Errejón [de la formation de gauche radicale Sumar] s’est exprimé devant le Parlement espagnol sur la “santé mentale”, et ça avait fait rire, preuve que la question était clivante, donc qu’elle avait un certain potentiel électoral. Le sujet était dans l’air du temps, aussi, ça se voyait sur les réseaux sociaux, à nos mugs barrés de messages de pensée positive, à l’état dans lequel nous sommes sortis de la pandémie, tous autant que nous sommes, et plus encore, sans doute, ceux qui à l’époque avaient la vingtaine, ceux qu’on appelle la “génération Z”.
C’est ainsi, subrepticement, que de “déstigmatisation des troubles mentaux”, on est venus à parler de “santé mentale”, un concept un peu vide, puis à concevoir la thérapie comme un attribut de standing, un truc à faire. C’est une lecture un peu littérale du fameux mens sana in corpore sano : sur leur temps libre, les jeunes sont enjoints d’aller à la salle de sport et chez le psy.
Le psychiatre Pablo Malo partageait dernièrement sur X un article paru dans la revue Cureus : “Dans le monde actuel, il est de plus en plus crucial de prendre acte, certes de la nécessité de sensibiliser aux troubles mentaux, mais aussi de la glorification indue de ces mêmes troubles qui est à l’œuvre dans certains milieux. Les réseaux sociaux ont promu auprès de la génération Z l’autodiagnostic et une image romantique des pathologies mentales. Un nombre croissant d’individus commence à reconnaître en ligne des tendances à l’autodiagnostic, et cela contribue à la normalisation des questions de santé mentale, à travers des mèmes, des vidéos TikTok et des tweets très repris. Mais cette tendance a aussi pour effet paradoxal de donner, dans une partie de la société, une image romantique des troubles mentaux.
“Dans ce contexte délicat, les professionnels de santé doivent faire preuve d’empathie et de discernement. Si sortir les problèmes mentaux de la stigmatisation reste un objectif crucial, nous devons prendre garde à ce que la santé mentale ne devienne pas un sujet nimbé de romantisme. Nous plaidons pour un regard équilibré sur le sujet, qui reconnaisse des moments de bien-être sans fermer les yeux sur ce que vivent les personnes aux prises avec des troubles handicapants. Il n’y a aucun mal à aller mal, mais il n’y a aucun mal à aller bien non plus.”
La thérapie est venue se substituer à la conversation : au lieu de raconter ses problèmes à ses amis, on paie quelqu’un pour nous écouter. On paie pour avoir son attention. Il y a là quelque chose de profondément pervers, qui a notamment pour effet (à moins que ce n’en soit la cause ?) d’aborder les rapports humains comme on aborde la vie en entreprise. Il faut avoir de l’efficacité et de la productivité dans ses affects, il faut avoir bossé de son côté, il faut savoir gérer correctement ses émotions.
Parmi les nombreux emprunts au vocabulaire de l’entreprise, celui qui me hérisse le plus est “travail sur soi” – l’expression a le don de me faire immédiatement bondir quand je l’entends dans la bouche de personnes publiques (les acteurs, en particulier, l’adorent). L’amitié, l’affection, les liens se construisent dans la conversation, dans l’échange sur ce qui nous meut, et dans de petits ajustements. On prétend aujourd’hui qu’il y a un chemin à parcourir en solitaire, une préparation à suivre pour être une bonne personne, avant que la vie ne commence. Or c’est tout l’inverse : la vie n’est qu’un long apprentissage.
Laissez-moi prendre un exemple. J’ai eu une histoire d’amitié intense avec une femme un peu plus âgée que moi. Quand nous nous sommes connues, j’étais enceinte de quatre ou cinq mois, et à la naissance de ma fille notre amitié est partie en fumée. Je dis que cette relation était forte, car cette amie était même présente à mon accouchement. Il n’y a rien eu, aucune dispute, aucune brouille. Ce qui s’est passé ensuite, oui, c’est que j’avais une enfant, et elle non. Ma mère m’a dit : elle devrait voir un médecin. Cette ancienne amie suivait une thérapie, je ne crois pas qu’elle y ait parlé de moi, mais elle a dû aborder son rapport à la maternité. Pas à ce moment-là, évidemment. Je la vois bien dire : “J’ai dû faire un gros travail sur moi-même.”
En thérapie, vous racontez ce qui vous arrive : vous faites un récit de votre vie et de vos sentiments. Les thérapeutes font aujourd’hui ce que faisaient hier les prêtres. El cuento de nunca acabar [littéralement “Le Conte sans fin”, non traduit], de l’écrivaine espagnole Carmen Martín Gaite, est un ouvrage sur l’art d’écrire, mais il peut se lire aussi comme un appel à ne céder le monopole du récit sur nos vies à personne, ni à une institution religieuse ni à la psychanalyse (l’écrivaine avait lu Freud avec intérêt et curiosité).
Elle le formule autrement dans El Cuento de nunca acabar, mais j’ai sous la main une citation issue du [recueil posthume de journaux intimes, non traduit en français] Cuadernos de todo :
“Le professeur et le confesseur, comme des années plus tard le psychiatre ou le journaliste, nous persuadent de leur raconter des histoires parce que leur métier les y oblige. Ce sont des interlocuteurs rémunérés, des médiateurs professionnels. Il faut être passé par la désillusion que cause la découverte de la tromperie et de l’insincérité de leur démarche, leur manque d’intérêt profond pour le conte qu’ils nous pressent de leur raconter, pour sentir en soi, tel le marteau du rappel à la loi, l’impérieuse nécessité de le raconter sous une forme libre, affranchie de certains critères scolaires.”
Opportunisme, superficialité, immédiateté de toute chose, quête d’approbation, glorification romantique du traumatisme ou tendance à la victimisation – les causes sont ici comme ailleurs nombreuses et mêlées. Et il y a aussi la bêtise, une hypothèse toujours plausible, qui est aussi généralement le plus court chemin pour aller à la catastrophe.
L’installateur de centrales solaires et producteur d’électricité en croissance constante depuis 16 ans basé à Rocbaron vient d’emménager à deux pas de son ancienne adresse, dans un bâtiment plus fonctionnel et plus durable. Photo Luc Boutria.
Nœud papillon, ambiance rétro et pelouse vert pétard... Soleil du Sud s’était mis sur son 31 le 16 mai dernier pour l’inauguration de ses nouveaux locaux, à Rocbaron. Fondée en 2009 par Joël Oros, la PME spécialisée dans la construction de centrales solaires ne s’est pourtant déplacée que de 300mètres.
Mais cette nouvelle implantation devrait faciliter sa croissance et surtout la cohabitation avec ses voisins. "Nous avons une flotte de 40 véhicules et il était compliqué de stationner et de les déplacer", explique le pdg dont l’entreprise vient d’investir 4 M€ pour transformer l’ancienne concession Renault de la petite zone d’activité Fray Redon en un outil adapté au travail de ses quelque 50 collaborateurs: 700m² de bureaux, mais aussi 600m² d’entrepôt et bien sûr 1.400m² d’ombrières équipées de panneaux photovoltaïques qui fourniront l’équivalent de la consommation de 250 habitants.
"Ici, tout est domotisé: nous récupérons les eaux de pluie, il a fallu quatre mois de chantier, opéré par une dizaine d’entreprises du territoires, que nous connaissons", poursuit le dirigeant. Car Soleil du Sud, entreprise à mission depuis 2022, a fait du développement durable et du bien-être au travail le cœur de son business. Au point, affirme Joël Oros que "nous n’avons pas de concurrent." La PME qui génère 16 M€ de chiffre d’affaires, se distingue sur le créneau en plein essor du solaire: "Toutes les personnes que nous recrutons sont directement embauchées en CDI sans période d’essai, nous faisons tout en interne, sans sous-traitance et nous utilisons des panneaux fabriqués en France par notre fournisseur Voltec Solar", précise le fondateur.
176 centrales
Quinze ans après sa création, Soleil du Sud est avant tout un producteur d’électricité, avec 100 centrales en fonctionnement, uniquement sur des toitures et essentiellement dans le Var, et 73 actuellement en chantier. "Leur superficie varie de 200 à 35.000m², la plus grande étant celle qui recouvre le toit du marché aux fleurs à Hyères", précise Joël Oros. L’électricité ainsi produite est vendue à EDF, ce qui génère 70% du chiffre d’affaires. Les 30% restant provenant à parts égales de la vente de centrales à des professionnels ou des particuliers, qui l’exploitent eux-mêmes. "80% de notre travail concerne la couverture et le renforcement de charpentes mais il y a aussi la pose de panneaux et la partie câblage électrique. Nos tarifs sont 20% plus chers que ceux de nos confrères", assure l’entrepreneur qui peine à recruter des couvreurs, un métier en pénurie.
Au point de lancer un partenariat avec l’Ecole de la Deuxième Chance qui permet d’identifier des candidats et d’accueillir des stagiaires.Car Soleil du Sud, dont la croissance a été régulière en quinze ans, s’attend à la même tendance pour les années à venir. "Quand nous aurons 170 centrales en fonctionnement 300 serons en chantier", précise son pdg. Pour qui développer des unités au-delà de 1.000m² n’est pas donné à tout le monde. "Il faut de la trésorerie pour pouvoir commander les panneaux." Soleil du Sud installe 7mégawatts de capacité de production par an, ce qui nécessite selon l’entrepreneur 10M€ d’investissement, "dont 20% en fonds propres car les banques ne financent que 80%."
De belles perspectives
Mais la PME ne manque pas de projets. Comme le contrat signé avec la Caisse régionale du Crédit Agricole Provence-Côte d’Azur, pour la mise en place d’une centrale solaire sur le parking du siège social de la banque à Draguignan, soit une capacité d’un mégawatt en autoconsommation et un investissement de près d’1,5M€ sur 20.000m² d’ombrières posées, elles, par un acteur dracénois.
Soleil du Sud attire aussi la grande distribution – uniquement Système U et Intermarché, indique son dirigeant, attaché au modèle coopératif de ces deux acteurs – et les collectivités, avec des communes comme La Farlède ou Montauroux, mais aussi Sénas dans les Bouches-du-Rhône qui demandent à s’équiper. De quoi rentabiliser le nouveau siège de l’entreprise.
Les cercles étaient nombreux, autrefois, dans le Var. Le Beausset en comptait plusieurs de toutes les sensibilités. De nos jours, tous ont disparu sauf un : Le Cercle du 24 février 1848.
Hauts lieux d'échanges et de débats, mais aussi de respect, de tolérance et de fraternité, les cercles, encore appelés chambrées ou clubs, pullulaient, autrefois, dans le Var.
Leur existence était ancrée au plus profond de la mémoire collective des populations. Propices aux réunions animées et aux controverses de toutes natures, à une époque où la télévision n'avait pas encore défait le lien social, ces associations villageoises reflétaient bien l'esprit frondeur et contestataire du Français en général, du Varois en particulier. Si quelques-uns de ces cercles affichaient leur apolitisme, la plupart étaient d'authentiques foyers d'agitation.
Le Beausset en comptait un très grand nombre de toutes les sensibilités. Ainsi trouvait-on le Cercle Démocratique, le Cercle de l'Union, le Cercle de l'Avenir, celui de la Concorde, de Saint-Pierre, ceux de Saint-Hubert, de la Renaissance, d'Apollon, des Vieux Soldats, de Saint Napoléon, des Indépendants, de la paix, de l'Amitié, de la Gaieté, de Saint-Joseph, de Mars, des Réjouis, de Cérès, etc. Les cercles exaltant les valeurs de la République étaient cependant majoritaires.
De nos jours, tous ont disparu sauf un : Le Cercle du 24 février 1848 (ex-Cercle Démocratique). Ultime spécimen d'une époque à jamais révolue, ce dernier fut encore l'enjeu, il n'y a pas si longtemps, de farouches rivalités. Il a été fondé le 31 mars 1893 pour glorifier la mémoire de ceux qui, en 1848, après trois jours de sanglantes émeutes parisiennes, ont renversé le régime honni du roi Louis-Philippe (la fameuse Monarchie de juillet) pour rétablir une République une et indivisible. Parmi ces « Républicains avancés » comme on disait alors : Lamartine, Louis Blanc, Ledru-Rollin, Dupont de l'Eure, Arago, Garnier-Pagès, Marie, Crémieux, Marrast, Flocon… sans oublier « l'ouvrier » Albert, tous membres du gouvernement de la IIème République.
Extrait de l'ouvrage de Jacky Laurent « Le Beausset au fil du temps » publié aux éditions Alan Sutton.
Depuis le XIXe siècle, les cercles ont marqué l’histoire des communes provençales.
Beaucoup ont disparu, d’autres continuent d’exister, notamment en s’ouvrant à tous.
Cette évolution est l’objet d’une étude menée par le Pays d’art et d’histoire de la Provence verte et Verdon.
Sur le terrain aux contacts des acteurs du territoire, Pauline Mayer, chargée de mission inventaire du patrimoine, a commencé depuis janvier à enquêter.
Très précisément, le projet porte sur la réalisation d’une fiche d’inventaire du patrimoine culturel immatériel. Il est subventionné par le ministère de la Culture, dans le cadre d’un inventaire national des pratiques immatérielles, complémentaire de celui du patrimoine bâti et mobilier. Cette démarche s’inscrit dans la convention Unesco de 2003, ratifiée par la France en 2006. Cette convention encourage à répertorier les pratiques vivantes - physiques, sociales et festives -, de traditions et d’expressions orales, des arts du spectacle, jeux, rituels, du savoir et savoir-faire. Ça peut être le jeu de paume à Artignosc, la fabrication de boules de pétanque en buis à Aiguines, la Saint-Marcel à Barjols… L’objectif est de donner un outil de connaissance pour le public et de faire reconnaître ces pratiques afin de favoriser éventuellement des opérations de sauvegarde menées par des institutions publiques. Le Pays d’art et d’histoire de la Provence verte et Verdon (du syndicat mixte, Ndlr) a choisi de continuer le travail réalisé sur les cercles au niveau du patrimoine bâti et mobilier.
La brochure "Laissez-vous conter les cercles" a été publiée en 2014. Un film documentaire - Paroles de cercles, loisirs et démocratie en Provence verte - est également visible sur le web (1). En 2016, il y a eu une réédition de la brochure dans l’ouvrage de synthèse de toute l’opération d’inventaire du patrimoine de la République (2). L’histoire, la fonction et le mobilier des cercles ont, donc, déjà été étudiés. Chaque local a été répertorié. Des huit cercles recensés sur le territoire en 2015, certains ont depuis disparu. Au XIXe siècle, il y en avait une centaine dans le Var, pratiquement un dans chaque commune, parfois deux et même cinq. Face à ce constat, le Pays d’art et d’histoire a décidé de répondre à l’appel à projet du ministère.
Sur un état des lieux des cercles encore actifs. De voir sous quelle forme ils perdurent. C’est un peu un outil d’aide, de sauvegarde. Actuellement, en Provence verte et Verdon, il n’y en a plus que cinq : Saint-Roch et de la Jeune France à Rougiers, Philharmonique à Saint-Maximin, de l’Avenir à Fox-Amphoux et de l’Avenir à Barjols. Ceux de Correns et Pontevès sont en sommeil. Les associations sont actives, mais les locaux ne sont pas ou plus utilisés. Nous sommes deux à travailler sur cette enquête, qui porte sur toute la basse Provence. Je m’occupe de la Provence verte et Verdon et Pierre Chabert, ethnologue et auteur d’un livre sur les cerces, du reste du Var, des Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône et Alpes-de-Haute-Provence. Il ne va pas enquêter sur tous les cercles encore ouverts, mais il va essayer d’avoir une représentativité.
L’objectif est de susciter un dialogue autour des cercles et éventuellement de réactiver celui intercercles, au moins à l’échelle du territoire. On est là pour soutenir, valoriser, mettre à l’honneur ce patrimoine. Il est toujours vivant et se réinvente, se transforme pour continuer à exister. Il est important de sauvegarder ces pratiques vivantes. Cette étude permet à la fois de documenter et étudier la pratique à "l’instant T". Savoir comment ça perdure aujourd’hui. Je suis au début de mon enquête (commencée en janvier, elle devrait se conclure en avril, Ndlr) mais je constate parfois des problèmes de transmission. Les équipes doivent se renouveler. Les jeunes doivent s’approprier les cercles pour assurer la transmission. Le but, bien entendu, de cet inventaire est que les membres des cercles se reconnaissent dans la fiche. Elle comprend également une partie sur des freins et menaces à l’identité des cercles. Mon travail est aussi d’apporter des informations sur les dispositifs publics qui peuvent les aider à perdurer.
Le Cercle Philarmonique de Saint-Maximin vers 1930. Photo doc V.M. .
À l’origine, au XIXe siècle, les cercles sont une assemblée de personnes, "historiquement des hommes. C’est un groupe d’amis, de connaissances. Ils représentent vraiment l’entre-soi du village. Ils se retrouvent chez les uns et les autres et se forment en association. Ils peuvent aussi acheter des locaux. Ce sont des cafés associatifs typiques de la Provence."
Ils se réunissent autour de valeurs et de loisirs communs, "pour discuter, jouer, boire un verre".
Historiquement, il y a trois types de cercles : économiques, "liés par exemple aux coopératives agricoles" ; politiques, "au XIXe siècle, des lieux de propagande et militantisme" et ludiques, "par exemple à Saint-Maximin, le Cercle philharmonique".
À caractère privé à l’origine, de nombreux cercles se sont ouverts à tous. "C’est intéressant en termes de sociabilité, il y a un brassage de population beaucoup plus important. Cette nouvelle enquête permet de mettre en rapport l’identité historique de chaque cercle avec la manière dont il s’est transformé."
Actuellement, il y a plusieurs types de gouvernance.
"L’association peut déléguer la gérance ou employer des salariés. D’autres cercles fonctionnent encore “à l’ancienne”, avec uniquement des bénévoles, comme à Fox-Amphoux. Par ailleurs, des associations ont encore leur siège dans les cercles. C’est comme un pôle qui centralise une partie des activités sociales ou ludiques, voire identitaires."
Au fil du temps ces transformations se sont traduites par une ouverture sous plusieurs formes.
Par exemple, à Barjols, les femmes ont géré le cercle "de 1950 à 1990. À Correns, à la fin des années 2000, une dizaine de femmes ont fait de même. Autre changement notoire, les cercles sont devenus apolitiques."
En Provence verte et Verdon, certains ont, donc, baissé pavillon. À Saint-Martin, le Cercle est devenu un Bistrot de pays".
À Correns, "c’est maintenant un bar-restaurant, mais l’association existe toujours".
À Tourves, "il a gardé son nom de “cercle” et abrite maintenant le service communal festivités, vie associative et jeunesse. Le maire a eu la volonté de conserver une dimension sociale."
Le Pays d’Art et d’Histoire Provence Verte Verdon, labellisé en 2005 et comprenant environ 40 communes de l’arrondissement de Brignoles (dont 14 au sein du Parc) a été le territoire d’étude pendant plusieurs années d’une enquête thématique de l’Inventaire Général. En 2012, la région a en effet missionné l’équipe de la Provence Verte Verdon pour une recherche sur les bâtiments et objets du patrimoine républicain.
Si cet inventaire a permis de répertorier nombre d’édifices, monuments aux morts ou objets divers et variés ; il a également été l’occasion de mettre en exergue un patrimoine tout aussi précieux bien qu’immatériel : les cercles provençaux.
Les cercles existaient avant 1901 sous forme de « chambrettes » ou « chambrée ». Au départ plutôt fréquentés par la bourgeoisie dans le reste de la France, ils ont connu une expansion au XIXème siècle sous l’effet d’une mode politique. C’est bien leur caractère sociabilisant qui leur permettra de perdurer en Provence jusqu’à aujourd’hui. Car bien qu’il s’agisse d’associations régies par la loi 1901, pour le visiteur, ils prennent souvent la forme d’un bar. Ludique, lieu musical, corporatiste ou politique, le cercle provençal est polymorphe ; mais encore et toujours un lieu de sociabilité.
Le résultat de cette étude :
212 notices Architecture*
169 notices Objet*
1616 notices Illustrations*
La publication de la brochure « Laissez-nous conter les cercles en Provence Verte »
La production d’un film documentaire « Paroles de cercles, loisir et démocratie en Provence »
La publication de l’ouvrage Le patrimoine de la République en Provence Verte
L’inscription des cercles à l’inventaire du Patrimoine culturel immatériel en France : www.pci-lab.fr/rechercher
Le Parc naturel régional de la Sainte-Baume souhaite féliciter et remercier le Pays d’Art et d’Histoire Provence Verte Verdon pour ce superbe travail.
*Toutes ces notices sont en ligne et en accès libre sur le site dossiersinventaire.maregionsud.fr
Pour en savoir plus sur les cercles :
www.paysprovenceverteverdon.fr/pays-dart-et-dhistoire/inventaire-du-patrimoine/patrimoine-de-la-republique/
“Guide des patrimoines de la Sainte-Baume” édité par le Parc
Ouvrage de Pierre Chabert “Les cercles, une sociabilité en Provence”
Historiquement, le phénomène des chambrées (« cambradas » en occitan provençal) puis des cercles s’est étendu à l’ensemble du bassin méditerranéen. On le retrouve aussi dans les Landes et à Paris. Dans le Var, il a été présent dans de nombreuses communes (comme tout près de chez moi, à La Cadière-d’Azur et à La Valette). En 2016, le réseau intercommunal « Pays d’Art et d’Histoire de la Provence Verte » a publié une excellente brochure sur le patrimoine républicain présent sur son territoire (39 communes du nord-ouest du Var). La première partie de la brochure est consacrée aux mairies, écoles, campaniles, monuments aux morts, lavoirs, bains publics, maisons du peuple, foyers municipaux, coopératives vinicoles et cercles. La seconde partie (de la page 102 à la page 157) revient sur la question des cercles en les étudiant de manière plus approfondie et en les inventoriant de manière précise. Lien pour télécharger l’intégralité de la brochure au format PDF : www.la-provence-verte.net/accueil/documentation/pah-republique.pdf
Extraits de la brochure :
En Provence, le cercle prend ses racines dans plusieurs formes de sociabilités : la confrérie de pénitents, la loge maçonnique, la corporation de métiers, la société de secours mutuel, le cercle bourgeois (similaire au club britannique), la chambrée (pendant populaire du cercle bourgeois), les clubs révolutionnaires et les sociétés secrètes. Le cercle est une assemblée de personnes partageant des valeurs ou des loisirs communs, se réunissant pour discuter, jouer ou boire un verre. Il recouvre trois principales fonctions : ludique, politique et économique. Cette pratique, très ancienne, existe déjà sous l’Antiquité, où les hommes se rassemblent dans des « collegia ». Chaque cercle possède une identité singulière. Le sentiment d’appartenance à la communauté est renforcé par le devoir d’entraide et de solidarité qui soude les membres. Le groupe est à la fois interne au village et autonome. Il a sa propre histoire, ses règles, ses fêtes, certains ont même leur monnaie.
De la chambrée au cercle – Dans le département du Var, les chambrées se multiplient entre 1830-1848. Il en existe en moyenne six par communes, parfois dix. Leur succès est tel que dans certains villages, l’ensemble de la population masculine majeure adhère à l’une de ces sociétés. Ces réunions constituent des réseaux intéressants pour la propagation des idées révolutionnaires et républicaines. Des émissaires venus des grandes villes comme Marseille, Toulon, Draguignan, assistent aux réunions et proposent la lecture et le commentaire des journaux. Dans la première moitié du XIXe siècle, les chambrées se réunissent chez des particuliers, plutôt à l’étage, à l’abri des regards. Suite à l’insurrection varoise de 1851, le Second Empire s’efforce de les interdire. N’y parvenant pas, il tente alors de les contrôler en leur imposant des règles. C’est ainsi que le lieu et la fréquence des assemblées ainsi que la liste des participants doivent être désormais déclarés en Préfecture. Progressivement, ces mesures conduisent à une sédentarisation qui amène à confondre l‘assemblée avec le bâtiment qui l’accueille. La chambrée, réunion informelle et privée, disparaît au profit d’une forme plus institutionnelle : le cercle.
Sous la Troisième République – Pendant cette période, le cercle participe activement à la vie de la cité. Il a désormais pignon sur rue et s’installe là où se joue la sociabilité dans le village, comme le cours ou la place principale. Parallèlement, le nombre de cercles diminue mais la fréquentation par établissement augmente (elle peut parfois être multipliée par 20 !) de sorte que le nombre d’adhérents par commune reste constant. Vers 1900, il ne subsiste souvent que deux cercles par commune, un blanc (de tradition catholique et conservatrice) et un rouge (de tradition anticléricale et progressiste)*. Le cercle est à la fois un tremplin pour la mairie et un foyer de l’opposition. Un cursus honorum se met en place : il débute par la présidence de la coopérative, se poursuit par celle du cercle et aboutit au mandat de maire.
Déclin et renouveau – À partir des années 1910, les créations de cercles diminuent fortement. Ce recul se confirme tout au long du XXe siècle et enregistre deux pics à chaque guerre mondiale. Sous l’Occupation, les cercles, à nouveau soupçonnés d’être des foyers révolutionnaires, sont fermés. La plupart ne rouvrent pas après la Libération. Depuis quelques années, le nombre d’adhérents semble s’être stabilisé. À l’heure actuelle, huit cercles sont encore en activité sur le territoire. La plupart ont perdu leur fonction politique au profit d’une dimension ludique : lotos, pétanques et jeux de cartes continuent d’attirer une population en attente de divertissement et de lien social.